14. Le plan

Par Arod29

Les ruelles tortueuses du quartier nord de Starnnarg formaient un labyrinthe d'ombres sinistres. Peu osait s'aventurer dans ce dédale même la lumière du jour peinait à y pénétrer. Les bâtiments décrépis, rongés par le temps se dressaient tels les fantômes d'un autre âge. Les rats courraient sur les murs et les pavés abîmés sans être inquiétee.

Des silhouettes furtives se faufilaient entre les ombres. Depuis l'avènement d'Alzebal, les marchés noirs s'étaient développés partout sur Milsden. Les errants s'étaient multipliés. Les prostitués, hommes et femmes, aux yeux éteints, vendaient leurs corps pour quelques misérables pièces. 

L'air était chargé d'effluves nauséabondes, une odeur de décomposition flottait dans les ruelles. Mêmes les sbires d'Alzebal hésitaient à se rendre dans le cloaque du nord. Ce qui en faisait l'endroit idéal pour le quartier général de la résistance.

Arshard détestait ce Starnnarg. Enfant, il déambulait dans ces rues, sans avoir peur de faire de mauvaises rencontres. Alzebal avait amené sa déliquescence dans la ville. 

Un mois s'était écoulé depuis le départ de Loup. La résistance était au point mort. Sinfen, malgré toute sa bonne volonté, peinait à prendre des décisions et l'arrivée des Noxis avait désorganisé tout le bâtiment. Arshard s'agaçait et Alzebal prenait de plus en plus d'ampleur. Arcis se lamentait sur lui-même et Iria tentait de le consoler. Rien n'avançait. La recherche d'alliés n'avait même pas commencé. Arshard passait le plus clair de son temps à l'extérieur. Il était parvenu à créer un petit grâce au tavernier de "La Dague Mumurante". C'était peu mais il avait au moins la sensation de servir à quelque chose. Des cellules de la résistance se créaient au quatre coins de Milsden. Arshard n'en avait pas parlé à Sinfen, plus occupé au confort des Noxis qu'à la lutte contre Alzebal. Le mage était son ami mais le guerrier n'approuvait pas la direction qu'il prenait. Chaque conversation se terminait en dispute et les noms d'oiseaux pleuvaient comme les plumes d'une poule sous les pattes d'un renard affamé.

— Hé toi face de cul! File moi ta bourse.

Arshard ignora le quidam qui le suivait. 

— Mange-merde! Je te parle.

Le guerrier s'arrêta et sans se retourner s'adressa à son poursuivant.

— Passe ton chemin gamin. Tu n'es pas de taille.

Le jeune homme s'esclaffa.

— Mais je ne suis pas tout seul.

Devant Arshard, une femme et un homme sortirent d'une venelle.

— Trois ce n'est pas encore assez petit. Je vous laisse encore une chance de vivre plus longtemps mais si vous insistez, je n'aurais aucune pitié. Vous avez choisi la mauvaise proie.

Le premier à frapper fut l'homme derrière lui. Sa rapidité ne compensa pas sa maladresse. D'un revers de lame, Arshard dévia l'attaque et lui transperça le ventre. Le jeune homme le regarda et à cet instant, comprit son erreur mais il était trop tard. Le guerrier d'un mouvement circulaire retira sa lame et ouvrit le ventre de son agresseur qui vit ses intestins se déverser sur les pavés crasseux.

Les deux autres complices, choqués par la brutalité de l'attaque, hésitèrent une seconde de trop, à s'enfuir.

Arshard, en deux mouvements d'épée précis, ota la vie aux deux autres qui n'eurent pas le luxe, comme leur compagnon, de se voir mourir. Le guerrier rengaina sa lame ensanglanté et il murmura:

— Je vous avais prévenu imbéciles.

Arshard s'empara des armes de ses agresseurs. Dans la lutte contre Alzebal, tout était récupérable. Il prit leurs bourses lourdes d'écus. La journée avait été prolifique pour ces détrousseurs mais leur cupidité les avait emmené vers la rapine de trop.

 Le guerrier laissa les corps dans la ruelle. Plus il vieillissait, plus il s'interrogeait sur sa froideur face à la mort. Il venait encore d'oter la vie aussi facilement que l'on avale une chope de bière. Dès que son épée sortait de son fourreau, il n'éprouvait aucune pitié. Il se persuadait de ne pas connaître de remords mais le simple fait de se questionner était une forme de regret. Mais ce n'était pas le moment d'avoir des états d'âmes. Cette agressivité et cette efficacité allait lui servir pour combattre dans la guerre qui s'annonçait.

Ses pensées dévièrent vers Selenn. Dix années de recherche infructueuses, l'avait découragé mais la culpabilité qui le rongeait et l'affection qu'il lui portait, le forçait à ne jamais abandonner. Chaque nuit lui apportait son lot de cauchemars. Il les acceptait en punition. Au fond de lui, il savait qu'il devrait expier sa faute un jour prochain mais il était prêt.

Arshard s'aperçut qu'il était devant le quartier général. Il frappa, la porte s'ouvrit et il s'engouffra à l'intérieur.

***

— Il faut agir! 

Arshard s'était levé et ses yeux étaient emplis de colère.

— Calme toi.

La voix doucereuse de Sinfen n'eut aucun effet sur son ami.

— Depuis que Loup est parti et que les gentils Noxis sont arrivés. Nous stagnons! Nous devons trouver des alliés!

— Hunilf pense que...

— Je m'en cogne de ce que Hunilf pense! Arrêtez avec vos baratins qui ne servent à rien. 

La vieille femme  sourit en entendant Arshard s'énerver. Le guerrier s'en aperçut et monta d'un cran dans son exaspération.

— C'est de moi que vous riez vous vieille peau?! 

—Non Arshard. Je souris parce qu'enfin j'entends quelqu'un qui veut agir.

Une expression de surprise s'empara du visage du guerrier.

— J'ai beaucoup observé depuis mon arrivée et j'ai proposé des choses qui sont en accord avec les principes de neutralité de mon peuple. Sinfen votre respect pour les Noxis aussi louable soit-il vous a fait oublié les véritables enjeux et contre qui vous vous battez. Nos préceptes Noxis ne fonctionneront jamais avec un ennemi telle qu'Alzebal. Je voulais juste voir si vous alliez vous en apercevoir. Aussi sage que vous souez Sinfen et ne m'en veuillez pas mon ami mais vous n'êtes un chef de guerre et c'est ce dont nous avons besoin aujourd'hui.

Grys qui se balançait sur sa chaise prit la parole .

— Je pense que la vieille a raison. Il va falloir faire preuve de plus de témérité que de palabres.

Arcis se leva. Son visage exprimait la détermination.

— Même si ça me fait mal de le dire, je suis d'accord avec l'assassin.

Grys sourit et fit un clin d'oeil au jeune homme qui l'ignora.

Le mage, le visage défait, inspira profondément.

— Je suis désolé si je n'ai pas été à la hauteur.

Arshard rassura son ami.

— Non Sinfen, ne t'excuses pas. Nous aurions tous du parler au lieu d'écouter. Je m'excuse pour mes paroles qui ont pu vous paraitre inconvenante.

Son regard se tourna vers Hunilf qui hocha la tête.

— Ne vous excusez pas. Je suis en effet une vieille peau.

Quelques rires détendirent l'atmosphère.

Le mage se leva.

— Que chacun propose ses idées et suggestions.

Iria leva la main.

La confrontation directe me plait. Il faut en finir une bonne fois pour toutes.

L'air roublard, Arshard sourit.

— Je vais recruter et j'ai ma petite idée.

Grys ricana d'un air railleur.

— Et moi je vais me curer les ongles.

Arcis jeta un regard noir à l'ancien mercenaire.

—J'irais à la rencontre du royaume de Waald.

— Non c'est moi qui irait!

Toute l'assistance sursauta. Une nouvelle voix s'était élevée dans la salle.

Les regards se tournèrent vers l'entrée. Loup se tenait debout devant la porte.

— Je ne dérange pas?

— Papa!

Arcis se précipita vers son père et le serra dans ses bras.

— Je suis désolé fiston de t'avoir laissé. Je suis de retour pour de bon.

Le jeune homme sentit à nouveau la vigueur dans le corps de Loup.

— Mais comment tu as...

— C'est une longue histoire. 

Iria s'approcha de Loup. Ce dernier l'enlaça.

Je savais que tu reviendrais.

Pas moi.

Sinfen, se remémorant leur dernière rencontre, n'osa pas s'approcher. Loup vint vers lui et tendit le bras.

— J'espère qu'il n'est pas trop tard pour des excuses.

Le mage lui serra la main.

— Je n'ai pas besoin de vos excuses. Votre présence me suffit. 

Loup sourit.

—Au fait vous aviez raison. 

—A quel sujet?

— La magie peut guérir.

Sinfen sourit.

— Je suis heureux de vous voir en pleine forme. Quand comptez vous partir voir la reine Lylly?

— Le plus tôt possible. Quels sont vos plans?

Sinfen baissa les yeux.

— Je dois avouer que je n'ai pas été à la hauteur. Nous n'avons pas avancé.

Le regard de Loup s'échappait de temps à autre pour observer Grys, toujours attablé.

— Je suis désolé. J'ai du mal à fixer mon attention avec ce salopard dans la même pièce.

— Papa.

Arcis posa sa main sur l'épaule de son père.

— Ne t'inquiètes pas Arcis. J'ai compris.

Sinfen reprit la parole.

— Grys a suggéré quelque chose. Cette idée me parait folle mais il la connait mieux que quiconque ici.

Loup soupira.

— Et donc?

—Une confrontation directe.

— C'est à dire?

— La défier et combattre ses troupes dans une bataille.

J'avoue que je suis d'accord avec ce rat. Je pense même qu'elle a facilité ton évasion.

Tu as raison Iria. C'était trop facile mais pour quelle raisons?

Elle s'ennuie.

Loup éclata de rire.

— Elle est folle. Quand penses tu Arcis?

— Je suis d'accord avec Iria et Grys.

Loup s'éloigna soudain du petit groupe et prit la parole.

— Bonjour à ceux que je ne connais pas. Je m'appelle Loup. Je suis le père d'Arcis. Nous sommes à un instant désisif concernant la lutte contre Alzebal. Il m'a été soumis un plan. Une confrontation directe avec notre ennemi, à savoir une bataille qui déciderait du sort de Milsden. Cette idée parait être de la pure folie mais elle me plaît. Qui serait pour? Vous n'avez qu'à lever la main. La majorité l'emporte.

Arcis, Iria furent les premiers à tendre le bras, suivi par Grys et Arshard. Hunilf et Sinfen finirent le vote.

— A l'unanimité. La guerre est déclarée!

Arshard s'approcha de Loup avec un sourire.

— Salutations. Je suis Arshard. On m'a beaucoup parlé de toi et pas qu'en bien.

— Je te laisserai te faire ton avis. Personne ne m'a parlé de toi mais je suis sûr que tu pourras nous servir! Salutations Arshard!

Le guerrier éclata de rire.

— Je t'aime bien toi!

— Moi je ne suis pas encore sûr!

Loup fit un clin d'oeil à Arshard.

Arcis regarda son père. Il avait changé. Il lui tardait de le questionner sur son absence.

— Papa? On peut parler?

Le guerrier érudit tapa dans le dos de Loup.

— A plus tard mon nouvel ami.

Père et fils montèrent sur le toit de la maison.

— Où étais tu pas?

— Sur le Mont Noir.

— Je suis désolé Papa, je n'ai pas pu te dire pour Ereïm.

— J'étais avec lui. C'est grâce à ton arrière grand-père si je suis ici.

L'étonnement se lut sur le visage du jeune homme.

— Je vais re raconter Arcis. Je ne veux plus de non-dit entre nous. Assied toi.

Et loup raconta ses dernières semaines.

Il raconta comment son grand-père l'avait remis sur pied.

Il raconta comment ils s'étaient réconciliés.

Il raconta le lien que leur famille avait Alzebal.

Il lui raconta tout.

Arcis resta muet pendant de longues minutes.

— Je lui ai tenu la main jusqu'à la fin.

— Je sais. Approche fils.

Ils se serrèrent l'un contre l'autre.

— Je ne sais pas encore comment nous allons botter le cul de cette harpie d'Alzebal mais nous allons le faire.

— Je viens avec toi Au royaume de Waald.

— Non, Iria viendra avec moi. Sa capacité à lire dans les pensées me servira. Reste avec Arshard. j'ai confiance en lui.

— Papa!

—Arcis je reviendrais. Allez file dire à Iria qu'elle soit prête à partir dans une heure.

Sans discuter, le jeune homme quitta le toit et Loup admira les lumières de Starnnarg. La cité paraissait si belle des hauteurs. Elle valait la peine que l'on se batte pour elle.

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