Héritage maudit des Dieux enflammées des Anciens Temps, les tourbillons de chaleur chahutaient dans le ciel de Cyryul. Le soleil était haut. Il brûlait le sable. Il boucanait les peaux.
Les odeurs d'épices, de tabac Cyryulien et de cuisine se mêlaient, flattant ou écoeurant les nombreux nez qui inspiraient l'air des venelles animées de la cité. La majorité des artères de la ville étaient protégées de l'astre ardent par de grandes tentures aux couleurs vives.
Tyssy, les yeux écarquillés comme une enfant, se délectait de la profusion des teintes chaleureuses.
Yulni et Olser étaient en retrait, se sentant agressées par toute cette foule bigarrée et bruyante.
— Mes amies, voici notre nouvelle maison!
Tyssy avait levé les bras vers le ciel.
— Quelle chaleur et toutes ces odeurs! J'ai envie de vomir.
Yulni se pencha en avant et vida son estomac dans un panier en osier, Olser ne tarda pas à faire de même.
Tyssy éclata de rire.
— Regardez mes amies! Toutes ses bourses bien pleines qui nous attendent.
Tyssy avait une revanche à prendre. Elle reprenait son destin en main et plus jamais elle n'aurait faim, plus jamais elle ne se laisserait humilier par qui que ce soit, plus jamais elle ne porterait un masque ou un voile qui dissimulerait son visage. Le sang coulerait mais le sien resterai dans ses veines. Chaque personne qui tenterait de lui faire du mal, elle lui ferait payer au centuple. Elle regarda ses deux fidèles amies et les enserra avec tendresse. Jamais elle ne les abandonnerai.
Sadian Yrus leur avait donné rendez-vous dans une taverne "L'Aigle Blanc", la première auberge qui accueillait les voyageurs à Cyryul. La façade était d'une blancheur immaculée. Le bâtiment s'élevait sur trois étages, Yulni leva les yeux vers le haut de l'édifice.
— Et ben si ça c'est une auberge, je n'ose pas imaginer la baraque d'Alzebal!
Tyssy eut un frisson d’appréhension. Depuis qu'elle avait conquis sa liberté, elle attendait ce moment, faire son entrée chez les puissants. Ceux qui décident du sort du monde.
Les trois amies se dévisagèrent.
Tyssy murmura.
— Mes amies, soit notre vie change là maintenant, soit elle s'achève. Soyez sur vos gardes.
Yulni poussa la porte de l'auberge. Un intense brouhaha vrilla leurs tympans. Le mélange de musique, de rires tonitruants et de verres s'entrechoquant rebuta les jeunes femmes. La pièce principale était grande et accueillait un grand nombre de tables toutes occupées. Un gigantesque aigle blanc empaillé se balançait mollement au dessus des clients. Au fond les clients jouaient des coudes le long du comptoir pour commander leurs boissons. De part et d'autre, un escalier menait aux étages interdits. Tous deux étaient bloqués par une barrière et un géant, les bras croisés, attendait avec impatience qu'un imprudent alcoolisé s'approche de trop près pour transformer son visage en viande hachée.
Olser cria pour se faire entendre de ses amies.
— Mais quel endroit sympathique.
Yulni parla à l'oreille de Tyssy
— De l'extérieur, je n'aurais jamais imaginé un tel foutoir.
— On a les mêmes à Jalk!
— Oui mais notre musique est meilleure.
Un vieux barde, qui n'était visiblement pas à sa première chopine, dansait à moitié nu sur une table, un caleçon sur la tête.
— Et nos musiciens ont beaucoup plus de vêtements.
— Vous voyez Duwhal?
— Non. Allons prendre un verre.
Les jeunes femmes se frayèrent un chemin parmi les poivrots et les fêtards. Tyssy sentit une main s'égarer sur ses fesses et les malaxer comme s'il pétrissait une pâte à pain. Elle fit volte-face dégainant sa dague et la planta dans l'entrejambe de l'impudent. Il tomba à genoux en hurlant. Les mains ensanglantés, il tenta d’attraper Tyssy qui fit un pas en arrière. Le peloteur chuta sur le plancher en gémissant.
— Salope.
Les amis de l'impudent dégainèrent leurs armes.
— Allez les sodomites, approchez que je vous change en eunuque.
Le regard de Tyssy les fit hésiter quelques secondes.
Ils passèrent à l'attaque mais sans qu'elles n'esquissent un seul geste les trois hommes tombèrent avant d'avoir pu les attaquer.
Tyssy, Olser et Yulni contemplaient les cadavres avec autant de satisfaction que d'incompréhension. Un visage connu apparut, il sembla naitre des ombres.
— Mes demoiselles, à peine arrivées et déjà de nouveaux amis.
Tyssy ne montra pas son malaise.
— On voulait juste boire une bière.
Duwhal sourit et ses yeux se plissèrent. Elle détestait ce type.
Yulni, toujours spontané, l'invectiva.
— Mais tu sors d'où peigne-cul!?
Tyssy posa sa main sur le bras de son amie.
Duwhal se contenta de ricaner doucement.
— Suivez moi gentes dames. Alzebal vous attend.
Olser frissonna.
— Alzebal est ici?
Leur hôte ne les regarda pas, il se contenta de leur répondre avec un dédain non dissimulé.
— Au rez de chaussée c'est la plèbe, dans les hauteurs, c'est la crème. Cette taverne lui appartient. Il vous attend avec impatience.
Duwhal se dirigea vers l'escalier de gauche. Le géant s'écarta et les laissa passer le petit groupe.
Les trois femmes sentait leur coeur cognait derrière leur poitrine. Elles allaient rencontrer Alzebal, le tueur de rois.
Yulni sentit le souffle de Duwhal sur son oreille. Il susurra d'une voix suave.
— Insulte moi encore et je t'étripe comme un lapin.
Tyssy sentit une main tremblante se poser sur son épaule. C'était Yulni qui cherchait du réconfort.
Elles pénétrèrent dans une grande pièce, mal éclairée, toutes les fenêtres étaient dissimulées derrière de larges rideaux noirs sur lesquels étaient brodés avec du fil ocre des signes étranges qui ressemblaient à une forme d'écriture. Une grande table rectangulaire s'appropriait la plus large place, une dizaine de chaises attendaient autour, patiemment, que l'on vienne les réchauffer. Un grand fauteuil, arrogant de luxure, était occupé par un homme à la peau blafarde. Il parcourait des yeux un grand parchemin que l'on devinait vieux. Deux hommes en armure de cuir se tenaient debout légèrement en retrait derrière lui.
Un garde au visage peu amène les accueillit et les dirigea vers la table.
Duwhal avait disparu tout comme il était apparu plus tôt.
Tyssy observa attentivement les environs mais elle ne vit aucune trace du mercenaire.
— Je suis Alzebal.
L'homme pâle s'était levé et les toisait. Ses longs cheveux gris tombaient sur son visage . Il s'approcha des trois jeunes femmes suivi de ses deux gardes du corps et s'arrêta à quelques mètres. D'un mouvement gracieux, il rejetta sa tignasse en arrière révélant un regard vif et ardent qui pénétra l'esprit de Tyssy. Elle le sentait en elle, fouillant sa mémoire. Elle garda un aplomb de façade. Son aura était telle qu'il captait l'attention, autour de lui plus rien n'existait. Cet être devait avoir des centaines d'années. Il suait de magie. Elle l'imprégnait comme l'eau se laisse piéger dans une éponge.
Ces amies étaient dans le même état que Tyssy.
Le garde de l'entrée héla les trois femmes.
— Un genou à terre!
Tyssy durcit le regard. Elle se libéra de l'emprise d'Alzebal en un instant.
— Je ne plie devant personne!
Le garde insista et mit la main sur la garde de son épée.
— Tout le monde s'agenouille devant le seigneur Alzebal.
— Ni mes amies, ni moi ne poseront un genou à terre, ni ne baisseront la tête. Le respect ne passe pas par la soumission.
Le mercenaire dégaina son épée.
Les trois jeunes femmes en firent autant prête à en découdre.
— Plutôt mourir que plier.
— Tant pis pour vous femelles.
Le sbire d'Alzebal attaqua mais avant que son arme s'abatte sur les trois amies. Il poussa un cri de douleur et lâcha son glaive. Une petite flèche s'était fichée dans son cou. Il tomba à terre en geignant.
Alzebal tendit les bras en souriant.
— Une place est libre Tyssy Crine.
La jeune femme ne se décontenança pas.
— Nous sommes trois, seigneur Alzebal. C'est à prendre où à laisser.
Alzebal jeta un regard à deux de ses gardes du corps. Il ne prononça aucun mot. Un masque d'impassibilité glissa sur les visages des deux hommes. Ils dégainèrent chacun leur dague et lentement, avec leur lame, entaillèrent leurs cous. Ils s'égorgèrent sans mot dire et tombèrent sur le sol, les trachées béantes laissant s'écouler leur sang qui s'insinua dans les interstices qui séparaient les lattes du plancher.
Les trois femmes se figèrent, entre la peur et la fascination.
— N'ayez crainte jeunes femmes. Ces hommes étaient de piètres protecteurs. Bienvenue chez moi.
Tyssy était impressionné par la puissance qui se dégageait d'Alzebal. Elle décida de ne rien montrer et, sans aucune marque d'émotion sur son visage, elle s'adressa au roi des mercenaires.
— Qu'attendez de vous de nous?
Alzebal sourit et la fixa intensément. Tyssy fut encore troublée. Le charisme de cet homme la fit frissonner.
— Je n'attends rien de plus que ce que vous faisiez avant. Éliminez les esclavagistes de Cyryul.
— Quel est votre intérêt?
Alzebal fit volte face et partit s'asseoir sur son trône, même sa façon de se mouvoir était fascinante.
— Chaque chose en son temps jeune impatiente. Vous pouvez disposer, Sadian va vous montrer votre nouvelle maison.
Tyssy écarquilla les yeux.
— Notre maison?
Olser ricana.
Yulni poussa un petit cri de joie.
— Nous allons avoir une maison pour nous?
Alzebal acquiesça de la tête.
— Suivez moi mes nouvelles collègues.
Duwhal venait de surgir derrière elles.
Tyssy sursauta.
— Va falloir que tu arrêtes de faire ça avec moi Duwhal, si tu ne veux pas que je te plante juste par réflexe.
Le mercenaire ne répondit rien. Il se contenta d'un mouvement de la main les incitant à prendre la sortie.
Alzebal partit dans un fou rire.
— Je vous aime déjà gentes damoiselles.
Tes textes sont toujours agréables à lire et fluides. De la hauteur initiale à une échelle plus humaine, le procédé des débuts de chapitre demeure dans son efficacité.
Sur le fond, j'ai l'impression que l'histoire de Tyssy se déroule avant les événements en cours, plusieurs points me poussent à cette conclusion. Le principal étant l'entourage d'Alzebal, différent du moment où Grys le rencontre. De plus, je sais que tu aimes jouer avec le temps. Je suppose que les deux temporalités finiront par se rejoindre.
Merci encore pour ton texte, à la prochaine !
Désolé de ne te répondre que maintenant. Je n'ai pas eu le temps.
Merci beaucoup!
Concernant l'histoire de Tyssy, Les prochains chapitres te donneront la réponse! ;-)
A bientôt!
J'ai vraiment begué quand les gardes se sont suicidés. Je m'attendais à qu'ils attaquent les filles et que le meilleur gagne mais c'est encore mieux !
Bravo, bon chapitre !
À bientôt j'espère
Gardar
Merci encore!
A plus tard!
J'aime beaucoup la manière dont tu décris la rencontre entre les filles et Alzebal (et du coup je me demande si c'est dans la même temporalité que le chapitre précédent avec Grys), les filles sont terribles ! J'aime beaucoup le fait qu'elles refusent de mettre un genou à terre, de se soumettre, mais aussi de se séparer.
Je ne me souviens plus exactement pourquoi elles viennent le rencontrer, Alzebal a entendu parler d'elle, du fait qu'elles ont tué leur ancien maître pour se défaire de lui, et a besoin d'elles pour sa protection ? Il n'a pas l'air d'avoir besoin de qui que ce soit pour se protéger.
Et je me demande aussi si Alzebal a un lien avec Sinfen si je ne me trompe pas de nom (ou s'il était Sinfen et qu'il est devenu Alzebal en plongeant dans l'eau "magique" sur l'indication du grimoire qui parlait...)
Ce ne sont que des suppositions, mais j'aime beaucoup quand un auteur ne donne pas toutes les réponses de suite et que le lecteur doit faire travailler son imagination, un peu en mode enquête ;) Je ne sais pas si c'est ce que tu souhaitais faire, en tout cas, cela entretient mon intérêt :)
Alzebal a le pouvoir et Tyssy veut devenir riche d'où sa visite à Alzebal.
Je laisse beaucoup de zones d'ombres et de mystères et c'est complètement volontaire. Ça peut ne pas plaire à tout le monde mais si ça te plaît tant mieux!!!;-)
Pour le reste surprise!!!! ,;-)
Superbe ambiance à l'entrée de la ville, les bruits, les odeurs, le chahut, tout y est, bravo ! Contente de retrouver Tyssy. Dis donc, les filles elles ont peur de rien avec cet Alzebal qui manipule jusqu'au suicide O.o
Remarques et coquillettes :
- Toutes ses bourses => ces
- les enserra avec tendresse => les étreignit ?
- jamais elle ne les abandonnerai => rait
- et ben => eh ben
- " et un géant, les bras croisés, attendait avec impatience qu'un imprudent alcoolisé s'approche de trop près pour transformer son visage en viande hachée. " ça me fait marrer ^^
- Les trois femmes sentait leur coeur cognait => sentaient, cogner
- Yulni, toujours spontané => née
- Tyssy était impressionné => née
A très vite !
Merci beaucoup! Ce n'est que le début des aventures de Tyssy! ;-)
Merci pour tes remarques et coquilles!
A bientôt
L'ambiance de la caverne est bien rendue. L'exposition d' Alzebal est très efficace. Tu insistes beaucoup sur son aura et sa dangerosité, on sent qu'on est pas en face de n'importe qui^^ Son surnom de tueur de rois cache sans doute quelques jolis faits-d'armes que j'aimerais bien voir approfondis un de ces 4 ! (si ça n'a pas déjà été fait plus tôt).
J'aime beaucoup les apparitions / disparitions de Duwhal, on comprend qu'il est complètement insaisissable. A mon avis, tout ça cache un peu de magie xD
Mes remarques :
"coulerait mais le sien resterai" -> resterait
"elle ne les abandonnerai." -> abandonnerait (futur dans le récit = généralement conditionnel)
"comme s'il pétrissait" -> elle (vu que tu parles de la main)
"Au rez de chaussée c'est la plèbe, dans les hauteurs, c'est la crème." en bas c'est la plèbe, en haut c'est la crème serait peut-être encore plus percutant ?
"Les trois femmes sentait leur coeur cognait" -> sentaient cogner
"que l'on devinait vieux." -> ancien ?
Un plaisir,
A bientôt !
Merci pour ta lecture et ton commentaire. Content que ça te plaise toujours. Beaucoup de surprises vont arriver avec Alzebal dans quelques chapitres... ;-)
Merci pour tes judicieuses remarques et ces satanés coquilles qui semblent apparaitre comme des monticules de taupes dans un jardin! Je vais en tenir compte. :-)