Inerte.
Résignée.
Perdue.
Les aiguilles de l'insaisissable horloge du temps semblaient s'être arrêtées. Une semaine, un mois, une année? Recroquevillée sur le lit, Selenn était incapable de le dire.
Un feu follet flottait dans les airs révélant, tel un trésor, sa peau pâle et diaphane. Son tortionnaire avait menti. Il ne l'avait pas laissé. Sa voix revenait la torturer régulièrement. Elle résonnait, rebondissait sur les parois de son esprit.
— Toute l'histoire de ta vie est là, un corps avachi. Un bout de chair qui ne sert à rien.
La jeune femme n'avait presque aucun répit. Elle était épuisée. La mort, elle la souhaitait mais la voix ne voulait pas la laisser partir.
— Regarde toi! C'est ainsi que tu veux finir?
Selenn tenta de parler mais ce ne fut qu'un murmure, un bruissement de mots.
— Laisse-moi.
— Je ne t'entends pas Selenn.
— Laisse-moi, souffla t-elle.
— Plus fort petite fille. Ta voix est à ton image. Faible.
— Laisse-moi, laisse-moi, laisse-moi.
De murmure sa voix se fit soudain cri, un cri primal, incontrôlable. Elle hurla sa fatigue, son désespoir, son impuissance, toute sa colère se déversa dans ce hurlement.
Le lit sur lequel elle était allongée, se cassa en deux par le milieu. La pièce trembla. Le feu follet vacilla mais résista. Une armée de grains de poussières se répandit dans la pièce.
Elle roula sur le sol et la douleur se fit larmes. Les sanglots de la jeune femme durèrent de longues minutes. Son corps tremblait de haine et de désespoir.
Le visage contre la pierre froide du sol, Selenn était inerte. Elle se sentait vidée de toutes ses forces.
Une main se posa sur son épaule.
Pas une caresse, juste un contact.
La peau de ces doigts inconnus lui procura un bien-être comparable à la drogue des ombres. Elle se sentit soudain vivante. La jeune femme ne bougea pas. Une chaleur apaisante chemina sur sa peau nue. Elle l'envahissait, l'enlaçait.
— Je suis désolé Selenn. Il fallait que je sache.
Elle ne répondit pas se laissant porter par la douceur de ce contact.
— Tu as un pouvoir Selenn. Un pouvoir qui peut renverser des mondes. Un pouvoir dangereux.
Selenn ouvrit les yeux. Elle ne pouvait pas voir l'homme qui lui parlait.
— Je n'ai aucun pouvoir. Je ne suis que moi.
— Ta voix, Selenn, est ton pouvoir.
La jeune femme revigorée par le toucher surnaturel se releva lentement.
— Pourquoi te caches tu? Es tu si repoussant que tu doives éteindre les lumières dans les pièces où tu te trouves.
Quelques mots prononcés dans une langue inconnue retentirent et le feu follet éclata en une myriade de petites lumières, une douce clarté illumina la pièce. Quelques minutes furent nécessaires pour que ses yeux s'habituent à cette soudaine luminosité. Enfin elle le vit.
C'était un homme à la peau sombre, sans âge, grand et fin. Son regard gris était intense. Il portait une tunique de la couleur de ses yeux. De nombreuses petites sacoches débordantes d'herbes diverses étaient suspendues à sa ceinture. Son visage émacié respirait une bonté dérangeante au vue des évènements.
— Je ne m'attendais pas à que tu sois aussi...
Elle hésita.
— Normal, compléta t-il.
— Oui.
L'inconnu posa ses mains sur les épaules de la jeune femme.
— Ne me touche plus jamais!
L'homme retira ses mains aussitôt.
— Ecoute moi bien Selenn. Tout ce que je t'ai fait subir était pour arriver à ce moment.
— Tu m'as torturé! Pour arriver à quoi?! Qui es tu pour me faire aussi mal? Répond!
— Pour être tout à fait sincère avec toi. Je ne me souviens pas de mon nom et d'où je viens. Mon identité flotte autour de moi par instant et disparait comme au réveil d'un rêve. J'ai des savoirs que je n'explique pas.
Son regard se perdit une seconde dans le vide.
— Tout le monde a ses petits problèmes.
Il ignora les paroles de Selenn et continua.
— Mais les gens m'appellent Kjeld. Dans une ancienne langue ça signifie...
La jeune femme l'interrompit.
— Inconnu.
Selenn fronça les sourcils.
— C'est juste. Il sourit. Tu parais surprise.
— Comment est ce que je connais cette langue?
— C'est la langue des premiers nés qui ont foulé ces terres.
— Ca ne m'explique pas pourquoi je la connais.
— La voix. La magie de la voix. Ton savoir provient de ce pouvoir.
La curiosité de Selenn noya sa colère.
— Tu me parles d'un pouvoir que je possède. Quel est-il?
— Connais tu la magie jeune Selenn?
— Je ne connais que ce que les légendes racontent. Et la magie d'Auxane.
Kjeld regarda Selenn dans les yeux.
— A l'origine du monde n'existait qu'une seule magie. Elle coulait dans les rivières, dans la pluie, dans les larmes et le sang des Anciens Dieux. Elle nourrissait la terre puis peu à peu le tumulte des âges l'a grignoté. Le temps dévore tout, tu sais. Elle s'est cachée dans le sol, dans les arbres, dans le sang des femmes et des hommes.
Il fit une petite pause, toussa et sortit une petite fiole dont il avala le contenu avec une délectation proche de l'extase. Il reprit.
— Elle coule dans tes veines. La magie de la voix est un don héréditaire que seules les femmes possèdent. Tu fais partie d'une de ces lignées Selenn. La magie est puissante en toi. Je la sens chauffer ma peau comme les rayons du soleil.
Elle secoua la tête.
— Tu mens! Je ne sens aucune puissance en moi.
— Comment expliques tu ton cri? N'as tu rien senti en toi?
— J'ai senti de la colère contre toi. Je la sens encore.
— Oui ça commence souvent ainsi. Une émotion forte peut libérer ce pouvoir. C'est pour cela que je t'ai poussé à bout.
— Et si je ne l'avais pas libéré?
— Ce n'était pas envisageable. Tu l'aurais libéré d'une façon ou d'une autre.
— Jusqu'où serais tu allé?
—Jusqu'au bout Selenn. Pour l'instant tu ne te rends pas compte de ce que tu es. Mais un jour...
Elle ne le laissa pas finir.
— Mais qu'est ce que je suis? Comment sais tu tout ça?
— Je te l'ai déjà dis. Je me suis éveillé, il y a fort longtemps, avec un savoir. Je t'ai cherché de longues années jeune femme.
— Tu ne m'en diras pas plus n'est ce pas?
Selenn ne tenait plus en place, elle marchait de long en large.
— Non. La suite te donnera les réponses aux questions que tu te poses.
Selenn s'agaça.
— Tu ne parles qu'en énigmes stupides. Peux tu au moins me dire si tu es un vrai mage?
Le visage de Kjeld s'éclaira d'un timide sourire.
— Je connais quelques tours.
— Quelle est ta magie?
—Certains d'entre nous sont capables de maîtriser plusieurs magies. C'est mon cas mais je ne pourrais jamais atteindre la puissance de ceux qui n'en ont qu'une seule comme toi. Je ne suis qu'un touche à tout, la voix, les ombres...
Selenn l'interrompit.
— Les ombres! J'en ai déjà entendu parler. Les mages des ombres ont massacré des peuples entiers. On dit qu'ils ont disparu.
— C'est vrai mais la magie des ombres n'est pas pire que les autres. Tout dépend de la façon dont on l'utilise. C'est comme les divinités. Elles ne sont que le reflet de leurs adorateurs ou parfois de leurs créateurs.
— Un raisonnement simpliste.
— La vérité est souvent très simple.
— Tu ne crois pas dans les Dieux?
— J'y crois mais je ne les vénère pas.
Selenn soupira d'exaspération.
— Tu parle comme un sage mais tu n'es qu'un imposteur.
— Un sage?
Kjeld éclata de rire.
— Parler comme un sage c'est peut-être le début de la sagesse.
— Ne crois pas que j'ai de la sympathie pour toi. Je n'oublierai pas ce que tu m'as fait.
— Je t'ai soigné, voilà la vérité.
— Soignée?! Tu m'as torturé.
—La drogue trompait tes sens. Entends tu toujours ta déesse te parler? Je parie que non. Je t'ai libéré de l'emprise d'Auxane. Sincèrement dis moi comment te sens tu?
Selenn resta coite, car effectivement elle se sentait vivante comme jamais. Elle changea de sujet car en aucun cas elle ne voulait qu'il ait une quelconque satisfaction d'avoir raison.
— Je pourrais te tuer avec ma voix?
Kjeld esquissa un sourire.
— Oui tu pourrais me réduire en poussière. Mais tu ne le feras pas.
— Et pourquoi donc?
— Parce que pour l'instant tu ne sais pas le faire, mais je peux t'apprendre.
— Tu m'apprendrais comment te tuer.
— Peut-être que quand tu sauras le faire, tu ne le voudras plus.
— Ca m'étonnerait!
Selenn se sentait de mieux en mieux. Une nouvelle vigueur parcourait son corps.
— Qu'en pense tu Selenn? Veux tu que je te montre un nouveau monde sans ton Dieu?
— Je crois toujours en Auxane mais je veux bien voir ce que tu as à me montrer. Maintenant il y a une chose que je voudrais tout de suite.
— Je t'écoute?
— Des vêtements!
— Il sont posés sur la table au fond.
Un pantalon en cuir marron, une chemise blanche, une longue veste noire, des chaussettes grises et des bottes étaient, en effet posés et pliés soigneusement, sur une table.
Elle s'habilla prestement. tout était à sa taille.
Elle se retourna vers Kjeld.
— J'ai faim!
— Suis moi. Nous allons nous restaurer.
— Sommes nous toujours à Cyryul?
— Non.
— Tu risques d'être surprise.
Kjeld sourit. Il avait réussi à libérer la vraie Selenn, enfouie au plus profond de son être. Tout se passait comme prédit.
La jeune femme suivit son ex-bourreau dans un escalier étroit, quelques marches séparaient les ténèbres de la lumière. Une porte s'ouvrit. Dans l'éclat du jour, ils furent aveugles quelques instants tandis qu'un vent frais caressait leurs visages. Un vent de liberté.
Curieux chapitre dans son style, j'ai, hélas moins accroché de ce fait. Cependant, les phrases insérées entre les dialogues sont toutes percutantes et bien écrites. Je comprends également l'effet voulu de proximité, l'aspect insalubre de se tenir à portée d'une personne et d'un lieu que l'on veut fuir, d'autant après une cure de ce genre.
Merci à toi et à plus tard.
Merci et à bientôt Arod29
Gardar
Il explique quand même un peu la magie des ombres.
Les personnages sont nombreux mais ils ont vraiment tous leur importance dans l'histoire
Merci beaucoup pour ton commentaire!!
À bientôt
Merci beaucoup pour ton commentaire.
De temps en temps j'insère des dialogues épurés, parfois ça ne fonctionne pas. Là ça marche donc tant mieux!:-)
Ce nouveau personnage est très intriguant, il a l'air d'en savoir pas mal sur la magie. Peut-être qu'il pourra nous en apprendre un peu plus sur son fonctionnement par la suite...
Les dialogues étaient vraiment très bien écrits. Tu as plusieurs personnages avec de bonnes réparties.
C'est amusant de noter que le personnage dit ne pas avoir ou au moins ne pas connaître son nom alors qu'il semble bien en porter un, si on en croit la fin du chapitre.
Mes remarques :
"Il ne l'avait pas laissé." -> laissée
"Es tu si repoussant que tu doives éteindre les lumières dans les pièces où tu te trouves." -> point d'interrogation
"Enfin elle le vit." virgule après enfin ?
"pour cela que je t'ai poussé à bout." -> poussée
"de longues années jeune femme." virgule après années ?
"un nouveau monde sans ton Dieu" -> virgule après monde ?
Un plaisir,
A très vite !
Merci d'être toujours là! ;-)
Kjeld est un personnage ambigu. Il reviendra plusisieurs fois! ;-)
Pour son nom, il ne se souvient plus de son nom mais les gens lui ont donné le prénom Kjeld. Il y a une ligne de dialogue qui le dit. "Mais les gens m'appellent Kjeld. Dans une ancienne langue ça signifie..."
Merci beaucoup pour les remarques et coquilles!
A bientôt!