Depuis sa place dans les gradins, Lys regardait le déroulement des combats. Il avait sur ses genoux le petit fascicule qui annonçait les combats à venir, présentait les portraits gravés des combattants et, sous eux, celui des coéquipiers qu’ils étaient susceptibles d’emporter dans leur chute. Les organisateurs lui facilitaient grandement le travail.
Comme d’habitude, pas de Thaelin nominé. Les épreuves de Lan les avantageaient et cette intention n’était même pas cachée. Quelque part, Lan était le plus honnête des quatre.
La fin du combat sonna. Du bout de son crayon à papier, Lys entoura le visage du perdant et ceux de ses coéquipiers. Il se releva avant tout le monde et, les traits dissimulés par sa capuche, il réussit à se frayer un chemin dans la foule. À l’entrée, il rejoignit ses complices qui l’attendaient. Il tendit le fascicule gribouillé à Faëki, qui prit connaissance des personnes qui leur fallait croiser, puis le passa à Valaël, et enfin à Liako.
— Chacun sa tour, chuchota Lys.
Ils assentirent de concert. Lys se dirigea vers la Tour Sud et se mit à attendre quelques mètres plus loin. Un petit quart d’heure plus tard, des soldats de l’armée impériale encadraient un petit groupe de dix Alayis dont l’attitude résignée faisait presque peine à voir. Ils furent emmenés vers le palais de Gaïa, au sud de la ville, Lys les suivant avec toute la discrétion dont il était capable. Comme d’habitude, les soldats les laissèrent à l’entrée, où dès lors ils étaient repris en charge par leur dieu tutélaire. Lys contourna le palais, trouva l’entrée des serviteurs, attacha ses longs cheveux en un petit chignon discret typique des Alayis et passa une main sur sa livrée verte. Il chemina facilement dans la cohue des domestiques qui, comme d’ordinaire, ne firent pas attention à lui. Il s’arma d’un plateau de denrées.
— Va donner ça aux éliminés, lui dit l’intendant sans le regarder.
— La même salle que d’habitude ?
— Mais oui, dépêche-toi !
Lys sortit de la cuisine et parcourut une volée d’escaliers et de couloirs pour rejoindre la pièce en question. Il frappa. Des voix lui permirent d’entrer. La pièce était plutôt spacieuse, décorée avec seulement ce qui était utile, comme le reste du palais de Gaïa. Les dix jeunes gens s’étaient assis à même le sol, sur un tapis de fibres végétales tressées. Certains le remercièrent, d’autres, encore trop choqués par leur élimination, ne le regardèrent même pas. Et puis, comme d’habitude, l’un d’entre eux osa poser la question que Lys attendait.
— Que va-t-il se passer pour nous ?
Lys sourit.
— Cela dépend de vous. N’êtes-vous pas en colère contre cette élimination ? Vous avez travaillé si dur pour en arriver là et voilà qu’on se débarrasse de vous comme cela.
Tous les yeux furent maintenant fixés sur lui.
— La déesse ne vous prépare aucune alternative. Vous avez servi pour elle, et vous ne serez pas récompensés.
— Nous n’attendons pas de récompense, répondit une jeune femme.
Les Alayis étaient toujours les plus difficiles à convaincre. Et c’était pour cette raison que c’était toujours lui, Lys le charmeur, qui s’en chargeait.
Lys réajusta ses cheveux et replaça la broche qui maintenait sa fine capeline fermée. À cette heure de l’après-midi, les beaux quartiers entourant l’Amphithéâtre étaient gonflés de monde. Lys décompta les concurrents du Grand Choix : après les troisièmes éliminations, les tenues blanches et ocres se faisaient plus rares. Avec curiosité, il détailla les visages des jeunes gens : allait-il croiser ceux qu’ils cherchaient ? Les individus qu’ils avaient enlevés n’avaient aucune petite maîtrise, rien. Décevant. Beaucoup n’avaient pas choisi de les rejoindre, ils avaient dû s’en débarrasser. Parmi les perdants qu’ils avaient abordés, la moyenne d’adhésion était plus forte : la frustration d’avoir échoué échauffait les esprits, et souvent Lys n’avait qu’à agiter l’étendard de l’injustice pour se faire entendre.
Mais jusqu’alors, parmi tous ceux qu’il avait testés, personne n’avait réveillé une seconde maîtrise. Pourtant, il était sûr qu’il y en avait, on le lui avait assuré. Alors, la confiance, aveugle, ne l’avait pas quittée.
Il progressa dans la foule pour atteindre la zone dédiée aux militaires. Plus ils avançaient dans leur projet et plus le choix de leur quartier général le tendait. Il lorgna sur les dortoirs des soldats impériaux, juste en face, plus par réflexe qu’autre chose. Chilam était de surveillance au palais.
Il tapa contre le panneau de bois, puis la vigile postée à l’entrée le reconnut et lui ouvrit la porte. Depuis le sous-sol, Lys perçut les gémissements de douleurs atténués par la masse végétale qui tapissait les murs. Il grimpa à l’étage. Dans la chambre, Faëki avait étalé tout son matériel sur une grande table et finissait d’assembler son engin avec une minutie que sa carrure de balourd ne laissait pas présager.
— Fais gaffe avec la poudre, ça coûte un bras.
Faëki ricana, ne relevant pas la tête. Sur son nez, des lunettes grossissantes l’aidaient à travailler.
— Tu crois sérieusement que je l’ai payée, alors qu’on a tout ce qu’il faut en face ?
Lys rit à son tour. Il croisa les bras et s’appuya sur la chambranle pour observer son ami. Artificier de formation, l’Orgoï avait passé des semaines à réunir toutes les pièces qu’il lui fallait, entre contrebande et larcins. Dans l’assemblages de fils, de réserve de poudre, de mécanique d’horlogerie, Lys aurait été incapable de réaliser un ouvrage aussi précis et chronophage.
— Elle sera prête pour demain ?
— Mais oui. T’as de la chance que Cathan soit d’accord pour ton plan.
— Zaya en a vu une sur quatre. Elle lui a parlé de nous.
Façon de parler. La vieille Alayi avait une façon très particulière de percevoir les personnes et ce qu’elle appelait leur aura.
— Cette fois, ce ne sera pas du petit bonheur la chance. Et on ne me verra pas.
— Si tu le dis.
Faëki attrapa un tournevis et fixa un élément métallique que Lys n’aurait pu nommer.
— T’es sûr qu’ils nous aideront ?
— Zaya en est certaine. Cathan et moi lui faisons confiance.
Il suffisait de prononcer le nom de leur leader pour réduire Faëki au silence.
— C’est sûr, ton truc ?
Faëki soupira.
— Pour la énième fois, il faut juste déclencher la minuterie et te mettre à l’abri. La portée de l’explosion n’est pas si grande que ça, par contre elle va faire pas mal de dégâts, donc c’est bien qu’on ait choisi un coin pas très fréquenté. Ça va juste les faire tourner en bourrique un peu. La petite sera moins dangereuse, mais plus bruyante. J’adorerai être là pour voir leur réaction.
Lys opina, même si son ami ne pouvait pas le voir, concentré qu’il était sur sa tâche.
— Je dois aller régler des choses avec Cathan, je te laisse.
— En pleine journée ? C’est rare.
— Urgent, il paraît.
— Alors grouille, tu sais comment elle est.
Lys quitta la chambre pour grimper encore un étage où Cathan avait entreposé un bureau sommaire et un lit de camp. Il tapa pour s’annoncer et la voix dure de Cathan lui ordonna d’entrer.
— Toujours de bonne humeur.
Elle lui lança un regard glaçant qui, comme d’habitude, le foudroya. Ses cheveux noirs emprisonnés dans un chignon sévère, les sourcils froncés, elle avait les traits tirés de fatigue et de stress.
— Tu es au courant ?
— De quoi ?
— On a retrouvé ce que vous avez semé.
Lys se remémora la nuit qu’il avait passée dans le Plevraïki.
— Et alors ? Ce n’est pas la première fois. Ils ne sont pas reconnaissables.
Ils avaient bien fait attention à leur retirer tout ce qui prouvait leur identité. Il comprit que sa cheffe était tendue et que sa colère masquait en réalité sa peur d’échouer si près du but.
— Je vais vérifier s’ils ont des doutes.
Les épaules de Cathan semblèrent s’alléger.
— D’accord. Merci, Lysandre.
Des années qu’il n’avait pas entendu son prénom en entier… Il afficha un air d’indifférence calculée.
— Pas de problème.
— Prêt pour demain ?
— Bien sûr.
Ils échangèrent un long regard, dans lequel Lys eut l’impression de retrouver la jeune fille avec qui il avait grandi. Il lui sourit avec douceur avant de la quitter.
Lys caressa les longs cheveux de Chilam dans un mouvement lent et apaisant. Le souffle de son amant, contre son cou, se faisait plus régulier.
— Chilam, murmura-t-il.
L’Orgoï, perturbé dans sa quête du sommeil, eut un mouvement agacé.
— Tu as entendu parler des amnésiques du Plevraïki ? Ça agite les domestiques en ce moment.
Chilam frotta sa joue contre le cou de Lys et y posa un baiser.
— Je ne vois pas pourquoi ça les inquiète, y’en a toujours eu. Ce quartier est un vrai coupe-gorge. Pourquoi tu me poses toujours un tas de questions quand je veux dormir ?
Lys rit. Il embrassa le front de son amant, qui émit un ronronnement satisfait.
— Pardon.
Chilam éparpilla des baisers paresseux sur sa peau qui le firent frissonner.
— Dors un peu avec moi, demanda Chilam. Ne pars pas tout de suite.
À chaque demande, Lys était un peu plus faible. Il resserra son étreinte et poussa un soupir satisfait.
— Tu travailles où, demain ?
— Surveillance à la porte nord de l’Amphithéâtre.
Lys se glaça. Avant qu’il ne puisse s’arrêter, il lâcha :
— Change de porte. Non, change d’endroit.
Chilam se releva sur ses coudes. Malgré l’obscurité, Lys pouvait voir son air méfiant.
— Pourquoi ?
Lys prit le visage de son amant en coupe.
— Pour moi. S’il te plaît.
Chilam fronça les sourcils, mais finit par déposer un baiser sur ses lèvres, préférant abandonner et céder au sommeil que de se disputer.
— Si tu veux.
Alors que Chilam s’endormait contre lui, Lys sut qu’il venait de compromettre sa couverture, à cause de cette fichue affection qu’il portait à cet homme.
Bon y a clairement des bombes qui vont exploser ; mais il ne reste qu'un chapitre sans compter l'épilogue et il me semble que l'ambition est de faire un tome unique : je me demande bien comment je vais vivre cette fin ! J'ai peur d'être frustré que ça s'achève trop vite. Vu ce qui arrive aux concurrents qui se font tester par Lys, je me demande bien aussi quelle était son ambition concernant les mêlés... aurais-je seulement les réponses à la fin ? tin tin tiiiiiin....
Plein de bisous !
Eh bien, un retour qui fait plaisir ^^ Lys et ses petites manigances.... des explosions prévues, donc. Et en effet, il tient à son amant plus qu'il ne le croit, apparemment ^^
Ca va donc être la pagaille dans l'amphithéâtre.... croit-il retrouver ainsi plus facilement des jeunes gens ayant plusieurs maitrises ? Ou désire-t-il en finir avec les dieux ? ^^
Merci de ton commentaire et de ta fidélité en tout cas :)
Alors peut-être est-ce dû à la coupure après ma lecture effrénée des 24 chapitres précédents, mais j'ai trouvé celui-ci un peu confus. En fait, l'impression que j'ai eue, c'est que tu t'efforçais de maintenir le suspense à tout prix, mais qu'il te fallait absolument un point de vue de Lys par souci de symétrie. Donc, tu donnes des infos sans en révéler assez pour qu'on comprenne et ça m'a fait l'effet d'être un peu "artificiel". Désolée si ma remarque est un peu violente (et ce n'est que mon avis).
Ce que je veux dire, c'est que finalement, on n'apprend pas grand chose dans ce chapitre. On savait déjà que Lys et sa bande étaient responsables des enlèvements, on savait déjà que Lys craquait malgré lui pour Chilam. J'ai juste cru comprendre qu'ils allaient déclencher une bombe, mais je n'en suis pas sûre et je ne comprends pas pourquoi), et que les éliminés n'étaient pas executés mais rendus amnésiques.
Je me demande si, à ce stade, il ne faudrait pas soit en dire plus, soit choisir un angle complètement différent pour ce point de vue de Lys. Quelque chose qui dévoile ses motivations profondes, quelque chose de plus introspectif. Je sais qu'il reste deux chapitres ensuite, mais je les ai lus et je sais donc qu'on ne sait toujours rien sur le but de Lys et des siens. Est-ce qu'ils veulent prendre le pouvoir ? Est-ce qu'ils veulent venger les exactions qu'ils ont subies ? Est-ce qu'ils veulent tuer les dieux ? Le dieu-père ? Est-ce qu'ils veulent fuir ? Ou simplement sauver leurs semblables ?...
Bref, je pense que pour donner envie de se jeter sur ton tome 2 (parce que j'imagine qu'il y en aura un), il faudrait donner une piste à suivre, de quoi ouvrir l'imagination. Or, ce chapitre me paraît parfait pour ça.
Plus concrètement, tu pourrais peut-être ne pas parler de la bombe (pour garder la surprise pour le chapitre suivant), mais livrer un peu plus d'infos sur le plan et/ou l'objectif de Lys et de son groupe.
Pas de souci pour en discuter si besoin ;)