Le visage d'Erhas ruisselait de sang. Il se sentait décontenancé par le sacrifice de Grys. Il avançait rapidement dans la mêlée. Son épée tournoyait dans une terrible danse. Un estoc entailla son bras et le fit tressauter un instant, un filet de sang coula jusque ses doigts burinés et calleux. Il tua encore deux hommes et une femme avant qu'une flèche ne vienne lui traverser l'épaule.
Au loin il voyait Arcis. Il se battait comme un lion.
Ebranlé, Il posa un genou au sol. La tête baissée vers la terre devenue boue, il distingua le visage de la mort qui lui souriait. Il lui rendit son sourire et tenta de reprendre son souffle une seconde mais, déjà, une ombre grandissait sur lui. Un faciès grimaçant, les deux bras au-dessus d'un crâne énorme, brandissant une hache sombre. Lodith s'apprêtait à lui fracasser la tête.
Erhas leva son épée vers l'arrière et para le coup puissant avec désinvolture. Violemment il repoussa la hache noire puis prestement il fit volte face. Déséquilibrée Lodith n'eut le temps de riposter et fut transpercée par l'épée de son adversaire. La colosse tomba sans mots dire, son regard reflétait autant la surprise que la souffrance. Erhas retira l’épée dans une gerbe d'hémoglobine. Il se redressa en s’aidant de sa lame, tituba un instant, plongea son regard dans les yeux de sa rivale
— Adieu.
Il frappa plusieurs fois avec brutalité sur son cou jusqu'à ce que la tête de Lodith prenne sa liberté.
Erhas haleta une seconde.
Il regarda un instant la vallée immaculée de sang, l'orage crachait ses éclairs qui illuminaient les corps inanimés jonchant le sol. Un tableau sanglant et fascinant. Le guerrier grisonnant, jetant ses dernières forces dans ce qu'il savait être son ultime assaut, se rua alors dans la mêlée. Quelques combattants tombèrent encore sous ses coups mais une lame plus rapide et moins fatiguée que les autres le priva de son bras de mort. Dans un dernier sursaut de vigueur, avec la main qui lui restait, il se saisit de la gorge de son adversaire et la lui arracha, d'un coup sec.
Il tomba à genoux.
Tant de souffrances pour en arriver là. A genoux dans le sang de femmes et d'hommes anonymes.
Tandis que sa vie s’écoulait lentement dans une rivière de sang, quelques larmes, trop longtemps retenues, s'égarèrent dans le tumulte de pluie,de vent et de sang.
Il était tellement épuisé.
Les regrets de ses fautes de père et de mari s’étalèrent alors à ses pieds comme si la mort déroulait le parchemin de sa vie. Ce qu'il espérait plus que tout, ce fut d'avoir été plus qu’un bras assassin.
— Adieu Arcis, murmura t-il.
Une bourrasque plus douce que les autres caressa son visage, il sourit, puis ses paupières s'abaissèrent. Le champ de bataille disparut.
Le corps d’Erhas tomba lentement et un dernier souffle s’échappa de ses lèvres.
Arcis cherchait son père du regard quand il le vit tomber. Il se précipita vers lui.
Il le retourna sur le dos.
Erhas était mort.
Arcis caressa le front de son père et lui clôt les paupières. Avec tendresse il prit ses mains calleuses et les porta doucement à son visage pour une dernière caresse. Elles étaient encore chaudes.
La douleur lui étreignait la poitrine et les larmes se mêlèrent à la terre boueuse de la Vallée des Soupirs.
— Je t'aime papa. Murmura t-il dans les mains de son père. Il déposa un baiser sur son front.
Il resta ainsi de longues minutes. La bataille faisait rage autour d'eux. Il ne lui restait plus rien. Alzebal lui avait tout pris. Arcis se releva les yeux rougis par la peine et la haine. Il hurla et se précipita dans la mêlée à la recherche de son ennemie.
Alzebal!!!!! Hurla t-il
Il terrassa plusieurs adversaire sans peine.
— Ici fils de Loup!
Alzebal l'appelait. Il vit sa silhouette plus loin. Il se rua vers elle, sautant par dessus les corps inertes étendus dans la boue. Arcis arrêta sa course. Alzebal était là devant lui. Les cadavres de ses trolls étaient carbonisés à ses pieds.
— Plus que toi et ta famille tombera dans l'oubli!
Arcis attaqua sans attendre. Alzebal esquiva tous ses coups.
Le jeune homme lançait des assauts sans relâche, Alzebal ne pouvait que reculer devant la rapidité d'Arcis.
Elle esquivait tout, en souriant et soudain elle riposta, Arcis ne la vit pas venir, elle lui transperça l'épaule. Il recula en appuyant sur sa blessure.
Arcis se rua vers Alzebal.
Tandis que le jeune homme frappait au cou son adversaire. Elle se vaporisa.
Alzebal est une Orombre! La Sombrelle de Sinfen c'était elle.
Arcis regarda autour de lui. Il lui était impossible de savoir où elle était. Une douleur irradia au niveau de son dos. Une lame venait de déchirer son épaule, puis une nouvelle entaille apparut sur son bras.
Un chuchotement dans son oreille.
— Tu ne t'attendais pas à ça.
— On va bien s'amuser, une deuxième voix venait de susurrer à son oreille.
Elles étaient deux à présent.
Arcis provoqua son ennemie.
— Tu sais où ta Lodith chérie Alzebal?
Une nouvelle entaille saigna sur sa joue.
— Elle cherche sa tête en enfer!
Il tournoya sur lui-même, le bras tendu. Son arme ne rencontra rien sur son chemin. Arcis se sentait impuissant. Les deux mages pouvaient le tuer quand ils le voulaient sans qu'il s'en aperçoive, mais ils préféraient s'amuser à le lacérer. Arcis tomba à genoux, son arme enfoncé dans la terre rouge de sang.
Il cria.
— Allez tue moi! Finis de tuer ma famille, ainsi il ne restera plus rien de nous! Tue moi sale chienne!
Arcis devant toi.
Le jeune garçon redressa la tête et lança son bras accompagné de son épée devant lui dans le vide. Il sentit une résistance, il venait de transpercer le ventre d'Alzebal. Déformé par la douleur et la surprise, le visage de son ennemie apparut.
— Mais comment as...
Il l'enleva violemment en coupant vers la hanche. Les intestins d'Alzebal se déversèrent sur la terre humide et pourpre de la Vallée des Soupirs.
— J'ai frappé au hasard.
Arcis s'approcha d'elle, elle était à genoux. Il lui cracha dessus et lanca son pied contre la poitrine d'Alzebal, elle chuta en arrière et s'écrasa dans la terre souillée, tenant ses intestins fumants entre ses doigts.
Tyssy vit sa vie défiler devant ses yeux. La haine et colère l'avait guidé et elle avait obtenu le pouvoir, elle l'esclave. Elle rugit de ne pas être allée au bout de sa vengeance mais Loup était mort. Son fils était vengé et quand elle sombra dans la nuit, elle se sentit libre.
Epuisé et blessé, Arcis resta étendu dans la boue, ses yeux reflétant le chaos du ciel. Les larmes coulèrent. Il vit un poignard s'abattre sur son visage.
C'est la fin.
L'arme ne parvint pas à destination, Iria bloqua le bras de Sadiane.
Le regard haineux, l'Orombre serra les dents.
— Tu as tué mon frère petite putain.
Rejoins le .
Iria frappa l'avant-bras de la mage qui se brisa. Son os transperça les chairs. Sadiane hurla de douleur. Elle tomba à genoux.
Tu as perdu petite putain!
La jeune femme enfonça sa dague, d'un coup rapide, sur le côté du crâne de l'Orombre. Ses yeux se vidèrent de vie et elle tomba dans la boue.
Arcis ne pouvait pas bouger. Les nuages qu'il contemplaient, soudain , disparurent et le visage d'Iria apparut au dessus de lui.
A ce moment il se demanda s'il était encore en vie. Ses paupières se fermèrent.
— Je t'aime Iria.
Moi aussi crétin.
La voix de la jeune femme glissa dans son esprit comme une douce vague. Il sentit les mains d'Iria caresser son front.
Tu n'es pas mort.
Arcis ouvrit les yeux.
Le visage d'Iria semblait flotter au dessus de lui. Qu'elle était belle.
Ils restèrent longtemps ainsi à se regarder. Autour d'eux le chaos, peu à peu, disparaissait, le fracas des armes laissait place à la lancinante musique de la pluie qui emporterai avec elle le sang des braves et des lâches qui perdirent la vie ce jour.
Ce jour où le joug d'un tyran fut brisé.
Le soleil ne brillerait plus comme avant sur celles et ceux qui survécurent à la bataille de la Vallée des Soupirs. Sa chaleur ne serait d'aucun réconfort car des deux cotés du front, des mères, des pères, des fils, des filles perdirent la vie et aucune magie si puissante soit-elle ne les ramènerait.