Je faisais la queue ce matin à la boulangerie. Et devant tout ce monde pressé de chopper son petit croissant, sa baguette ou son sandwich je me dis qu’il s’est passé des trucs depuis l’ère de notre arrière-grand-père du paléolithique. Clairement, le chasseur cueilleur de l’époque n’avait pas rasé les bois, chassé la faune locale pour gratter la terre et y mettre à la place des centaines d’hectare de blé et autres céréales. Cela fait plus de dix mille ans que nous détruisons notre environnement pour y domestiquer une tige placide et obéissante qu’il faudra replanter année après année. Notre casse en bande organisée sur les écosystèmes et notre piratage de l’écologie ne date absolument pas d’hier.
Tout ça pour quoi ? D’abord pour sécuriser notre approvisionnement alimentaire et survivre à l’hiver. Lorsque le thermomètre se casse la figure, on ne trouve plus grand-chose à cueillir ou à chasser. Notre corps a besoin de cramer beaucoup d’énergie pour se tenir debout en permanence et pour faire fonctionner le truc spongieux et surdimensionné entre nos oreilles. Justement, le blé, l’orge et tous les autres sont des calories qui se conservent et que l’on stocke facilement pendant les périodes maigres. Question goût, bof, mais broyé pour faire du pain, des pâtes ou tout plein de pâtisseries ça devient beaucoup plus intéressant.
Je me demande quand est-ce qu’on a eu l’idée de raffiner le sucre, probablement bien plus tard. Nos chasseurs cueilleurs ne connaissaient probablement pas la canne à sucre ou la betterave. Et notre organisme, fruit de l’évolution sur des millions d’années n’a pas eu le temps de s’adapter au piège ultime des sucres dit rapides.
Pour revenir à mon séjour à la boulangerie du mardi matin. Je crois que l’homme moderne a perdu la plupart de ses aptitudes pour chasser. Cueillir, il n’a pas que ça à faire quand il faut s’occuper des enfants, payer les factures ou découvrir la dernière série Netflix à la mode. Et puis de toute façon nous avons pléthore de commerces prompt à nous vendre de la calorie sans effort. Question : Avons-nous besoin de toute cette énergie à disposition ?
Probablement pas. Surtout pour moi qui passe mes heures de veille assis sur une chaise à regarder un écran. Je sors d’un week-end de trois jours que j’ai passé à manger. Beaucoup et surtout trop gras, trop salé, trop sucré. La balance m’annonce avoir pris trois kilos qu’il faudra bien soulever pendant mes entrainements de course à pied. Et voilà que je suis à la boulangerie et que je vais en ressortir avec plus d’une trentaine de pains au chocolat, de croissants, et autres viennoiseries. Mon intention c’est de partager avec les collègues, mais je sais que je serais de loin le plus gros consommateur de mes achats.
La gourmandise est notoirement incompatible avec le sport ou bien la santé en général. Alors, qu’est-ce que je fous là ?
Déjà, il y a en ce début du mois d’avril une conjonction fâcheuse d’évènements. Le week-end de pâques arrive avec ses apéros et surtout ses chocolats. Puis j’enchaine avec mon anniversaire. Entre ça et les placards pleins de cochonneries, open bar sur les mauvaises calories. Et puis, pour le retour au travail du lundi matin, il faut bien fêter ça avec les collègues, autour d’un petit déjeuner amélioré. D’où ma présence dans cette boulangerie avant de partir au boulot.
Chaque matin, le miroir reflète l’énergie que je dépense à faire du sport et l’énergie que je tire de mon assiette. Celui qui souhaite construire son fameux Summer Body pour frimer sur la plage n’a qu’à optimiser cette balance de l’énergie. C’est terriblement simple en vérité. Malheur à celui qui pense que c’est facile.
Qui ne rêve pas d’avoir un corps athlétique ? J’ai aussi eu ce fantasme, malgré mes dénégations obstinées. Malheureusement j’ai toujours préféré manger, manger beaucoup, manger mal. Et puis je n’ai jamais été sportif. J’étais plutôt le genre à perdre mon temps devant les jeux vidéo ou plongé dans mes livres. Donc je n’ai jamais mis ce rêve dans mes priorités. Surtout que j’ai la chance d’être plutôt grand, donc quelques kilos de trop ne choquent pas. Bref, j’ai passé plus de quarante ans à me laisser aller.
Ce n’est qu’avec la découverte du Trail il y a quatre ans que j’ai reçu l’addition de ces années d’excès alimentaire. Socialement, je n’étais pas gros, peut-être un peu bouffi, rien de choquant. Par-contre, j’ai souffert pour trainer ma carcasse en petites foulées le long des sentiers. Ce n’était pas tant une affaire de kilomètres, en mode footing ça passe. Non, avec le trail en montagne vient la notion de dénivelé. Les kilogrammes en trop pèsent alors beaucoup plus que leur masse affichée sur la balance. Il faut plus de force, plus de puissance pour soulever un corps trop lourd. Un peu comme si j’allais à la muscu avec une barre et des poids sur les épaules. A la salle on enchaine deux ou trois séries de dix répétitions. En trail, on parle de milliers de pas. Le pire reste la descente. J’ai lui qu’à chaque foulée, le corps subissait un choc équivalent à vingt fois son poids. Donc avec dix kilos de trop mes os et mes articulations encaissent 200kg de plus qu’ils ne devraient. On parle de casse de fibre musculaire en descente, ce n’est pas exagéré.
J’ai vécu l’enfer lors de mon premier trail avec mes kilogrammes en trop. Je n’arrivais même plus à marcher durant la dernière descente. Et ça pendant des heures.
Avec l’âge adulte, j’ai arrêté de rêver du Summer Body pour faire le beau sur la plage. J’avais besoin de perdre du poids pour survivre en montagne. Heureusement pour moi, le Covid est arrivé. Durant ma deuxième année de trail, j’ai couru plus et mangé mieux. En moins d’un an, j’avais perdu une dizaine de kilos. Et durant ma deuxième année de trail mes performances ont bondi. Je n’avais toujours pas de force pour monter vite, car à perdre du poids on perd aussi du muscle. Par-contre, je me suis transformé en sacré descendeur.
Côté poids, je n’ai toujours ni pectoraux musclés ni tablette de chocolat au niveau du nombril. Néanmoins j’ai désormais un ventre plat, au point que j’ai dû changer une bonne partie de ma garde-robe. Je dépense tellement de calories avec mes entrainements que le poids ne remonte jamais durablement. Même si je prends facilement deux kilos lors d’une soirée raclette bien arrosée, ils seront perdus la semaine suivante.
Pour le premier volet autour de l’alimentation et de la perte de poids, le succès est donc éclatant. Malheureusement, depuis plus d’un an je joue au yo-yo avec ma balance. Je sais que le jour ou j’arrêterais de m’entrainer, je vais gonfler, gonfler. Pour ça il faudrait que je me calme avec mes compulsions alimentaires et ma gourmandise frénétique. Le volet alimentation est donc loin d’être refermé.