💍 31. Porter le nom de Conquérant 💍

Des grognements. Un haussement de ton. Il n'en fallut pas plus pour que Joséphine s'éveille non sans mal, les mains liées derrière son dos, la tête la lançant terriblement. Où était-elle ? Un entrepôt ? Non...Une maison abandonnée peut-être ? Les murs et les poutres menaçaient de céder à tout moment tandis qu'au fur et à mesure que son esprit s'éclaircit, un vent de panique s'installe en elle. Elle se rappelle avoir quitté la maisonnée tôt dans la matinée. Elle se rappelle avoir descendue la grande rue principale la menant directement aux quais, mais elle ne se souvient pas d'y être allé. Que s'était-il passé ? Que faisait-elle ici et à qui appartenait ses voix dont elle comprenait à peine le sens de leurs phrases.

- Il est en retard ! Je n'aime pas les gens en retard car ce n'est pas bon signe, lance une voix.

- Du calme. L'important c'est de s'assurer qu'on soit payés, rien d'autre. Cette somme pourrait nous tirer d'affaire, répond une seconde qui paraît plus posée.

- Ah ouais ? Qu'est-ce que tu en sais ? Peut-être qu'on ne sera jamais payés.

- On le sera. T'as vu ce qu'on a ramené ? Une beauté pareille ça vaut son petit pesant d'or.

«Une beauté pareille» ? Parlaient-ils d'elle ? Et qui était ce «il» dont ils faisaient mention ?

Non, la question à se poser est plutôt : Qui a tout intérêt à l'enlever ? Soudain, sans nul besoin d'avoir à réfléchir plus que cela, un seul être lui vient à l'esprit : Le Comte Francis Detina.

Réalisant le destin qui l'attendait d'une minute à l'autre, Joséphine tenta de se redresser sur ses jambes, cherchant ne serait-ce qu'une ouverture, une fenêtre, mais rien si ce n'est un encadrement grillagé situé à hauteur du plafond pratiquement. Jamais elle ne pourra l'atteindre et visiblement la seule porte de sortie se trouve en bas entre deux hommes. A l'heure qu'il est, il est fort probablement que Bartolomé ait été mis au courant de sa disparition car Samuel, ne la voyant pas arrivée ce matin a dû certainement aller chercher de ses nouvelles. Peut-être bien qu'ils ont prévenus les forces de l'ordre et qu'une enquête est en cours pour la retrouver. Peut-être même se trouvent-ils tout prêts et...

- Ah vous voilà enfin !

Sa fantaisie est brusquement arrêtée quand des bruits de pas se font entendre sur le lourd plancher craquant.

- Messieurs. Il est l'heure que je vous paye pour votre dur labeur.

Cette voix. Elle reconnaît cette voix. Elle sait parfaitement à quel sinistre et fourbe individu elle appartient et bien qu'elle s'est refusé à le croire, voilà que sa principale crainte se réalise. Le Comte Detina se trouve juste-là, derrière la seule porte pouvant lui faire regagner sa liberté.

- Mais avant, j'aimerais constater de mes propres yeux que mes consignes aient été suivis et que la marchandise n'ait pas abîmée.

- Elle n'attends que vous, Monsieur.

- Parfait.

Entendant les pas se rapprocher, Joséphine n'écoutant que son instinct de survie, grimpe tant bien que mal sur un ensemble de caisses en bois empilées près de la porte. Cela ne lui offrira que quelques secondes tout au plus. Quelques secondes où il lui faudra courir. Quelques secondes où il lui faudra fuir. Car si jamais cela venait à échouer, elle sait d'ores et déjà qu'il lui sera impossible de retrouver sa vie.

Alors la porte s'ouvre et à peine deux dès silhouettes ont elles franchis son seuil, qu'elle bondit, attérrissant alors genou en avant sur le Comte lui-même. Sur le coup de la surprise, tous deux s'écrasent au sol tandis qu'elle lui assène un violent coup de tête, en rajoutant ainsi une couche au mal déjà présent dans la sienne et à peine a-t-elle le temps de se débattre qu'un des hommes de main du Comte vient la séparer de lui en l'attrapant par ses poignets ficelés. Tirant sur la corde, elle pouvait aisément sentir cette dernière frotter et brûler sa peau.

- Assez ! Petite sauvageonne !

Le Comte se redresse à son tour maladroitement et tandis qu'il s'approche d'elle, il lui assène une gifle assez virulente tandis que son regard part en arrière voyant la troisième silhouette gardant la porte. Depuis le début, elle n'avait aucune chance d'y arriver.

Venant lui saisir le menton de sa main, le Comte la foudroie du regard tandis que son visage est partagé de part et d'autre par un large sourire satisfait.

- Vous êtes véritablement un diamant brut, Joséphine. Mais tout diamant, afin de briller, mérite d'être poli grâce à d'habiles mains. Fort heureusement pour nous, j'ai maté des femmes bien plus coriaces que vous, parce que tout à fait entre nous...Tenter de fuir la ville ? Voyons, ce n'est pas malin comme idée. On vous attribue un certain «génie» mais je vois bien que cela n'est qu'apparences.

- Si vous osez, ne serait-ce que lever la main sur moi encore une fois, je vous tuerais moi-même.

- Où est donc passé votre vicieux raffinement et votre perfide politesse ?

- A l'heure qu'il est, des gens doivent être à ma recherche...Ne pensez-vous pas qu'ils viendront vers vous en premier, Monsieur le Comte ?

- Oh ils peuvent ! J'ai plus d'une demeure et plus d'un endroit où nous pourrons séjourner, ne vous en faites pas. En outre, je doute fortement que qui que ce soit vous cherche. Savez-vous qu'une lettre signée de votre main a été donnée tôt dans la matinée à votre second ? Selon les dernières rumeurs, vous seriez pour certains partis en mer et pour d'autres, à la campagne afin de récupérer d'un mal vous ayant brutalement frappé.

Finissant à peine sa phrase, le Comte relève la main sur Joséphine constatant avec amusement et émerveillement ses joues se teintant de rose.

- Personne ne viendra pour vous, Joséphine. Personne.

- Nous verrons cela.

Levant la jambe, elle lui encastre son entrejambe tandis qu'un cri échappe à l'homme couvrant cette partie de son anatomie. A cet instant, un léger sentiment de fierté parcouru la jeune femme.

- Attachez lui les jambes et couvrez lui la bouche ! Nous partons ! ordonne-t-il en quittant la pièce le premier.

Malgré ses coups et le fait qu'elle se débatte becs et ongles, Joséphine ne fait pas le poids. En quelques minutes à peine la voilà jetée dans la voiture du Comte, tandis que ce dernier s'installe en face d'elle, levant légèrement son jupon d'une main venue caresser sa cuisse. A cet instant, un frisson vient parcourir toute son échine alors qu'elle retient bien malgré elle un haut-le-cœur.

- Il est temps de payer les dettes de votre très cher père.

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Le bateau est parti. Plutôt dans la matinée. Pour certains, Joséphine Conquérant est à son bord. Mais pour d'autres la réalité des choses est bien différente. Si ce n'est pour la réactivité de Samuel, la mystérieuse disparition de la jeune Baronne aurait pu passer inaperçue. Recevant la lettre plutôt dans la matinée, il la fit portée jusqu'à la maison Conquérant sachant que Bartolomé aurait les ressources pour gérer ce genre de chose. Quant à lui, il lui fallait tenir son engagement et faire partir ce navire qui était le seul bout de ficelle faisant tenir l'entreprise familiale des Conquérant.

Et ce n'est sans tarder que Bartolomé fit le nécessaire comprenant par la lettre qu'il était probablement arrivé malheur à sa sœur aînée. Rapidement, les forces de l'ordre se mobilisèrent est une immense chasse à l'homme commença. Des quais jusqu'au centre-ville. Chaque témoignage était essentiel. Vital même. Il fallait retrouver la Baronne au plus vite car qui sait ce qui pourrait arriver à une jeune demoiselle de nos jours ?

Malheureusement, quiconque s'en prenant à la famille Conquérant était bien ignare de la peine qui l'attendait car tandis que les policiers n'avancèrent guère dans leur enquête, Bartolomé Conquérant, Lieutenant dans l'armée royale de Sa Majesté, avait dans ses manches plus d'un as et en l'espace d'une matinée, il apprit qu'une famille de marchands auraient vu deux hommes enlevant sa sœur au détour d'une ruelle. La voiture serait ensuite aller vers l'est.

Ayant étalé une carte de la ville et de ses alentours sur une table, le jeune homme se mit à réfléchir aux multiples possibilités s'offrant à lui. Il n'y avait rien à l'est. Rien si ce n'est des champs à perte de vues, de vieilles fermes familiales et quelques cabanes de chasseurs aux alentours des grandes étendues forestières. Rien...Si ce n'est...

- Je suis venu dès que j'ai appris la nouvelle, annonce le Duc de Varsox essoufflé.

Le regarde de Bartolomé quitte à peine la carte tandis que le Duc s'approche de lui.

- Que faites-vous ? J'ai cru comprendre que les officiers de police...

- Malheureusement Votre Excellence, nous ne sommes jamais mieux servit que par moi-même. Si je veux avoir une chance d'enlever ma sœur des mains de cet homme, il me faut aller plus vite qu'eux. Je sais qu'ils sont allé vers l'est, probablement parce que c'est un endroit peu fréquenté, mais heureusement pour nous, il n'y a qu'une seule route, s'emballe alors Bartolomé

- Attendez, l'arrête le Duc, vous venez de dire «cet homme». Vous savez qui s'en est pris à votre sœur ?

Marquant un arrêt, Bartolomé se pince la lèvre supérieure par réflexe. Ce sont là des affaires familiales et concrètement il n'avait aucune preuve réelle pour l'accuser, mais il ne pouvait s'empêcher de repenser aux mots de Joséphine. A son comportement autour d'elle. De cet instant vers l'Eglise au moment dans la Galerie des Lumières. Cela ne pouvait être que lui. Cela devait être lui car ainsi, cet incident donnerait une raison suffisante au jeune homme pour débarrasser sa famille de cette menace.

- Cela serait trop long à vous expliquer ce qu'il se passe, l'informe le jeune militaire, mais je peux vous le dire en chemin si vous le souhaitez. Vous vous proclamez comme l'ami de ma sœur aînée alors, Votre Excellence, j'attends que vous la protégiez une fois que je vous aurais informé de tout ce que je sais.

Jonah n'en demanda pas plus et le suivit. Il le savait depuis la première fois qu'il avait posé les yeux sur elle : Rien ne serait jamais simple en ce qui concerne Joséphine. Elle qui avait crié son envie de partir, de voyager et de tout abandonner, se retrouvait attachée à ses responsabilités. Elle qui avait crié vouloir refaire le monde était en train de mettre ce dernier sans dessus dessous tandis que tous s'interrogent sur sa mystérieuse disparition.

Mais pour la famille Conquérant tout particulièrement pour Bartolomé, cet incident n'était pas une disparition. Quelqu'un s'en était pris à sa sœur et quelle âme infortunée pour croire un seul instant que Joséphine serait une de ces jeunes filles de bonnes familles pleurant et criant à l'aide. Il le savait et s'en souvient encore très bien.

Leur père avait prit grand soin de faire de son aînée une combattante.

Imaginant sa sœur faire de la vie de son ravisseur, un enfer sur terre, Bartolomé ne put s'empêcher de rire, plaignant presque le pauvre diable de l'avoir choisie comme victime. Cela n'échappa pas au Duc, qui contrairement au jeune Lieutenant, ne trouva rien de plaisant dans le moment.

- Vous êtes décidément aussi étrange que votre sœur, Lieutenant. Peu de gens sont capables de rire ou ne serait-ce que de sourire dans ce genre de moment.

- Peut-être parce que peu de gens sont capables de choses comme l'est Joséphine. Depuis le décès de notre mère, mon père ne craignait qu'une chose nous concernant : Qu'il nous arrive malheur et pour prévenir cela et dès qu'on eut l'âge, il nous confia à des tuteurs étrangers, maîtres dans certains arts du combat. Je ne dis pas que Joséphine fut une élève douée ni même très attentive à ce genre de cours, mais je sais que ma sœur a suffisamment appris dans la douleur pour avoir de quoi faire vivre un enfer à quiconque posant la main sur elle. Elle se battra, mais je suis certain qu'elle s'en sortira.

- Hélas, vous semblez bien idéaliste. Votre sœur est une femme, d'un petit gabarie, pesant peut-être à vue d'oeil une cinquantaine de kilos. Je doute qu'elle soit en mesure de faire quoique ce soit si elle est retenue. Je ne lui souhaite pas malheur et à dire vrai, j'aimerais sincèrement croire qu'elle saura être en mesure de faire ce que vous dépeignez, mais je ne me fais pas trop d'idées. J'ai vue des femmes fortes être brisées pour moins que cela. J'ai vue des femmes ayant passées la majorité de leurs vies à se battre, finir comme des épaves. J'ai vue des femmes n'être plus que l'ombre d'elles-mêmes après n'avoir fait qu'endurer encore et encore. Être forte est une chose, savoir encaisser est un privilège.

Et le jeune Duc savait que Joséphine n'entrait dans aucune de ses cases. Il n'était pas prétentieux au point de dire qu'il la connaissait, mais tout ce qu'il avait pu voir jusqu'à lors été une jeune femme portant sa fierté telle une armure et arborant l'obstination tel un sourire. Mais ce n'était que façade. Joséphine n'était rien de moins qu'une jeune fille, présentement seule, craignant probablement pour sa vie à l'heure qu'il est. Elle n'était qu'une jeune fille effrayée aussi bien par la vie qu'elle ne cessait de fuir en se donnant des excuses et en se cachant derrière de faux prétextes, que par l'avenir dont elle savait qu'il finirait par la mettre dos au mur tôt ou tard.

- Alors dans ce cas, vous ne connaissez pas ma sœur. Donnez lui un livre et elle vous expliquera comment fonctionne le monde. Donnez lui une fourchette et elle vous dira que seul un estomac plein est prompt à l'écoute. Donnez lui une arme et elle arrachera la main du premier qui la touchera. Monsieur le Duc, Joséphine n'est pas une petite fleure fragile et délicate de la bonne société. C'est une fille de marchand connaissant toutes les complexités de la vie et n'aspirant qu'à la tranquillité. Si vous êtes passé à côté de cela, alors il est bien dommage que vous soyez son ami.

 

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