35) Ultima Victoria

J’avançais un peu nerveusement en direction de l’arrière-cour du bâtiment administratif.

Si tout fonctionnait correctement, je devais désormais apparaître aux yeux des autres sous la forme de Tabita Shôgi. Une extraterrestre aux membres allongés, fins, aux grands yeux intenses et aux oreilles pointues, avec une gemme incrustée dans le front. Une créature supérieurement intelligente, possédant un culot et une confiance en elle à toute épreuve.

La clef de la victoire tenait en grande partie à ce que je donne le change le plus longtemps possible.

Un coup d’œil rapide en direction du sol me révéla l’endroit d’où sortirait le proto-implant. Au milieu du bitume et des places de parking privées se trouvait une grande plaque métallique, séparée en son centre par une fine jointure et recouverte de peinture antidérapante.

Je me tins alors simplement au bord de ce grand cercle, à une distance tout juste raisonnable, les bras croisés et le regard dur, ne vacillant pas d’un pouce sous le vent du soir.

Je regardais simplement droit devant moi, afin de ne pas paraître méfiante. Cependant, je tendais l’oreille au moindre bruit, m’attendant à ce que Satriani et quelques-uns de ses gardes du corps viennent m’attraper. Mais il n’y eut étrangement aucun bruit ni aucun mouvement. Et si jamais je les voyais venir, il me faudrait donner l’impression que je m’y attendais.

Soudain, marquant le coup des dix-huit heures, la trappe ronde se mit à vrombir, à tourner sur elle-même et à s’ouvrir tout doucement. Une intense lumière venait du sous-sol. Une lumière froide et éthérée, comme je n’en avais jamais vu auparavant.

Je me crispais légèrement, appréhendant ce qui se passerait ensuite. Puis je fronçais les sourcils en distinguant des silhouettes qui se tenaient sur la plate-forme en train de faire surface. Derrière eux, ce que je devinais être le proto-implant était en lévitation sous une épaisse cage de verre. Cela ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu imaginer. C’était comme de la lumière à l’état liquide qui flotterait en état d’apesanteur.

— Miss Shôgi ! déclara alors Satriani en écartant les bras. Je vous attendais !

La plate-forme acheva finalement son ascension dans un bruit de piston comprimant ce qui lui restait d’air. Vu la réaction du docteur, je savais que l’illusion fonctionnait. Un rapide coup d’œil m’indiqua qu’il était entouré de trois gardes du corps, tous armés si j’en jugeais par la forme de leur holster qui apparaissait à travers leurs fines vestes. Je me retins alors de déglutir, afin de rester dans mon personnage. Il ne fallait surtout pas que l’on en vienne aux mains, pour ainsi dire. Je devrais improviser avec brio pour réussir.

— Bien, vous vous êtes décidé à me rendre le proto-implant ? lançais-je sans perdre ma posture droite et imperturbable.

— Et bien, en réalité, commença Satriani en descendant de la plate-forme. J’avais prévu de vous garder avec nous, afin de profiter de vos connaissances… pour ce qui est de l’implant, je le remettrais à votre amie, miss Lindermark, il sera entre de bonnes mains, conclut-il avec décontraction.

— Vous tentez de négocier en emmenant des gens armés avec vous ? demandais-je, faisant de mon mieux pour imiter le ton toujours un peu hautain de Tabita. Les habitudes des humains me dépassent, cela veut-il dire que je dois moi aussi être armée ? fis-je en levant lentement la main.

Pour avoir vu faire l’extraterrestre, pendant le bain que nous avions partagé, elle était capable de commander à de fines particules afin d’interagir avec tout et n’importe quoi. J’essayais de mon mieux d’imiter ses gestes lents et infiniment précis, comme des mouvements de danse. Et mon imitation fut vraisemblablement réussie, puisque les trois hommes dégainèrent leurs armes, mais se calmèrent rapidement lorsque leur patron leur fit signe de se calmer.

— Eh bien, on n’est jamais trop prudent, voilà tout, argumenta Satriani avec un sourire de marchand de tapis. Mais je souhaite que tout se passe bien ! Nous pourrons même vous apporter toute l’aide dont vous aurez besoin pour votre projet Reine Noire.

Je manquais d’écarquiller les yeux en entendant ces mots dans la bouche de Satriani. Shôgi m’avait bien parlé d’un projet « Reine Blanche », mais les mots du bonhomme en face de moi n’avaient pas vraiment de sens, il ne pouvait tout de même pas se tromper. Je devais réagir au plus vite, je partis donc du principe qu’il testait simplement si j’étais bel et bien celle que je prétendais.

— Mon projet a pour nom « Reine Blanche », corrigeais-je simplement. Maintenant, remettez-moi le proto-implant.

— Allons, allons, fit le docteur en riant légèrement. Nous savons tous les deux que votre projet est en deux parties ! D’abord, vous créez une menace, un ennemi, puis vous créez le sauveur de l’humanité, qui aura ensuite tout crédit à régner sur cette dernière ! m’expliqua-t-il avec décontraction. Tout ce que je veux, moi, Antonio Satriani, c’est de partager un peu de ce règne, en échange de mon entière coopération à l’accomplissement de ce projet.

La nouvelle était terriblement choquante. Du moins, si c’était bien la vérité. Mais le dénommé Antonio n’avait aucun intérêt à mentir maintenant. Ou peut-être avait-il mal compris le projet de Tabita. Mais cela m’étonnerait, il avait préparé son coup tellement longtemps à l’avance, c’était impossible. Je partis donc du principe qu’il disait vrai, car il me fallait rester dans le personnage.

— C’est ce qu’il faut pour discipliner une race aussi instable que la vôtre, déclarais-je simplement avant de lever la main de nouveau. Donnez-moi ce proto-implant à présent, j’en ai besoin pour mener mon projet à bien. Il n’est destiné ni à vous ni à la jeune Lindermark !

— J’accepterai volontiers, répondit Antonio Satriani en s’approchant de moi. Si en échange vous nous permettez de vous assister dans ce projet, comme je vous l’ai expliqué.

Je soupirais. Il avait rapidement rompu l’accord qu’il avait passé avec moi moins de deux heures plus tôt.

— J’accepte, mais c’est moi qui impose les règles, et vous devez me donner le proto-implant tout de suite avant de déclencher une catastrophe, déclarais-je calmement, jouant la carte du bluff.

— Une catastrophe ? demanda Antonio en haussant un sourcil. Vous m’aviez pourtant dit que les ondes étaient inoffensives. Mis à part les Emprises qu’elles développent.

— Et de tels pouvoirs ne sont pas faits pour être mis entre les mains de simples humains, répondis-je du tac au tac. Votre race n’est pas prête !

— Allons, rien ne presse, pourquoi ne pas discuter calme –

— Le temps presse au contraire ! le coupais-je, ne souhaitant pas faire durer le jeu trop longtemps. Les personnes qui me surveillent vont finir par détecter le fait que vous venez d’exhumer un proto-implant, et je risque d’être découverte !

Un moment de silence s’installa, où je fis de mon mieux pour garder un air calme et stoïque. Mais au fur et à mesure que les secondes s’écoulaient, il était de plus en plus difficile pour moi de conserver mon sang-froid.

— Vous… ne nous avez pas dit cela lors de notre première rencontre, fit remarquer Satriani en fronçant les sourcils. Pourquoi donc ?

Il se doutait de quelque chose. De plus, je m’étais un peu trop emportée en lui coupant la parole. Shôgi serait restée infiniment calme, comme si tout se déroulait comme elle l’avait prédit, ce qui semblait être son attitude naturelle.

— Ça suffit ! m’exclamais-je alors. DJ Snake !

Et au moment où j’appelais son nom de code, Améthyste, toujours invisible, passa derrière Antonio et lui infligea sa terrible prise d’étranglement. De mon côté, je levais toujours la main, comme pour faire croire à l’action des capacités singulières de Shôgi. Les gardes du corps me mirent en joug avec leurs armes, mais hésitèrent heureusement à tirer, vu que leur patron se trouvait devant moi, à ma merci. De plus, ils n’étaient pas certains d’être à l’abri du « pouvoir » que j’utilisais sur Satriani.

— Vous, donnez-moi le proto-implant ! déclarai-je en pointant du doigt les gardes du corps. Faites-le, ou j’en termine avec votre employeur !

Pour sa part, Antonio n’était pas en état de donner des ordres, ou même de parler. Vu qu’il semblait déjà avoir des difficultés à simplement respirer.

Cependant, une inquiétude me rongeait. Satriani devait savoir que quelqu’un l’étranglait, il devait sentir la silhouette d’Amélie dans son dos. De plus, Améthyste ne pourrait pas exercer sa prise indéfiniment. Je devais compter sur la stupidité et la peur des gardes du corps.

— Allez ! Tout de suite ! les exhortais-je.

Et à mon grand soulagement, ils s’empressèrent de dévisser la cage de verre de son socle avant de s’approcher lentement. Tout se passait très bien pour le moment, mais la tension était palpable…

Jusqu’au moment où Antonio, parvenant à reprendre son souffle après un relâchement de la part d’Améthyste, fit passer cette dernière par-dessus son épaule.

— Arhh, putaiiin !! grogna Amélie, redevenue visible, la face contre terre.

Elle se retourna alors sur le dos en grognant de douleur, retirant ses lunettes désormais brisées.

Puis soudainement, un coup de feu. Et pendant ce bruit assourdissant, j’eus l’impression que le temps s’était arrêté quelques secondes, le temps de me laisser réaliser : un des gardes avait tiré sur Améthyste. Son épaule droite était désormais ensanglantée. Elle gémissait de douleur.

— Quoi, Lindermark ! s’exclama alors Satriani, me révélant que mon déguisement venait de sauter. Qu’est-ce que ça signifie ?

La colère, la rage, l’angoisse, la tristesse… ces sentiments devinrent trop lourds à porter pour mon esprit. Une partition se déroulait à présent dans ma tête, m’empêchant de me concentrer sur autre chose. Le quatrième mouvement de la neuvième symphonie de Dvorak, à la fois complexe, puissante, écrasante…

J’étais en pleine crise. Je ne valais strictement rien lorsque j’étais dans cet état. Je ne pouvais rien faire seule, je tentais de toutes mes forces, mais je n’arrivais pas à chasser cette partition anxieuse de mon esprit, j’avais besoin d’aide, je me sentais faible, finalement. Moi qui croyais être forte, un trop plein émotif pouvait me terrasser comme un rien. Je maudissais mon impuissance…

Jusqu’à ce que je me souvienne de ce que m’avait donné Timothée la dernière fois. Un bonbon imprégné du pouvoir de son Emprise, semblait-il.

Et tandis que le temps semblait reprendre son cours, je me dépêchais de l’attraper dans mon sac à main et de le croquer rapidement avant de l’avaler.

La maudite partition s’effaça alors doucement de mon esprit, et je pus retrouver le contrôle de mon corps. Satriani et ses gardes du corps me fixaient, l’air de ne pas comprendre ce qui me prenait soudainement.

— Comment oses-tu… toucher ma petite amie ? Tu vas me le payer ! hurlai-je en activant Cool Cat à sa pleine puissance.

Je me moquais désormais du contrecoup de l’utilisation de mon pouvoir. C’était une question de survie. Je devais résoudre cette situation avant qu’il ne soit trop tard pour sauver Améthyste.

Je lançais alors mon bras en direction de la gorge d’Antonio, lui injectant par la même une décharge continue des impulsions dont je me servais pour briser les émotions. Je ne visais rien en particulier, je souhaitais tout détruire, simplement détruire. Et cela eut au moins pour effet de le paralyser.

Je vis alors ses gardes du corps commencer à m’encercler, afin que je ne puisse pas utiliser leur patron comme bouclier humain. Ils finiraient par trouver un angle de tir, j’étais mal barrée, pour ainsi dire.

— Lâche-le ! me cria un des gardes.

Et au moment où je pensais obéir, afin de gagner du temps, une voix familière résonna derrière moi :

— Hey !! C’est quoi ce bordel ! Je vais appeler les flics si ça continue ! Vous êtes pas bien d’amener des armes à feu sur un campus universitaire !

Il s’agissait de la voix de Mauricio.

— Retourne dans ta chambre gamin ! lui lança un des gardes en le braquant avec son arme.

— Et tu comptes me courir après dans ton costard trop serré ? J’aimerais bien te voir essayer ! le provoqua Morituri.

— Espèce de petit con, attends que je te chope ! commença le garde.

Mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase, Morituri avait réussir à déclencher son Emprise sur lui, puisqu’il venait d’accepter de lui courir après. Et c’est ainsi que Mauricio exécuta un départ arrêté fulgurant, son poursuivant étant désormais obligé de le suivre, son esprit contraignant ses muscles.

Mais je n’étais pas sauvée pour autant, il restait encore les deux autres, qui pestaient contre leur collègue, ne sachant pas qu’il était sous une Emprise.

Pour ma part, je tenais toujours Satriani, que mes impulsions aveugles semblaient avoir réduit à l’état de légume, pour le moment.

— Hey beau gosse ! s’exclama une autre voix familière, vers laquelle je tournais le regard.

Hélène, la colosse d’ébène qui avait la capacité de passer inaperçue, tant qu’elle ne se trouvait pas dans le champ de vision direct de sa cible, avait profité de l’intervention de Mauricio pour se faufiler sans problème derrière un garde. Puis elle infligea à celui-ci une prise de judo particulièrement douloureuse, allant même jusqu’à lui déboîter les deux épaules grâce à sa force et à son poids cumulé. Nul doute qu’elle serait une future championne olympique.

— C’est à moi ! m’exclamais-je.

Je me jetais alors sur le dernier garde restant, avec toute la force et la vivacité que pouvait m’accorder Cool Cat. Je parvins donc à mettre l’homme à terre et à lui confisquer son arme avant de le mettre en joue. Cependant, mes mains tremblaient. Je n’avais pas l’habitude de manier un revolver, et encore moins de menacer quelqu’un avec.

Aussi, je me tournais rapidement vers Améthyste avant de venir me pencher sur elle, retirant ma veste pour la rouler en boule et la placer sous sa tête.

— Amélie ! Amélie est-ce que tu m’entends ? suppliais-je, ne sachant pas trop si je pouvais la toucher ou non.

— Y f-f-fait p-putain de f-froid… tenta-t-elle d’articuler. J’ai s-super mal aussi…

— Économise tes forces, mais surtout ne t’endors pas d’accord ! Reste avec moi !

Utilisant la vue perçante accordée par Cool Cat, j’examinais la blessure d’Améthyste. La tache de sang sur son pull, celui que je lui avais prêté, commençait à s’agrandir. Je sentais les larmes me monter aux yeux.

— I-il faut… appuyer dessus… marmonna la Napolitaine en essayant d’attraper ma main.

— Oui ! Oui tu as raison, dis-je en arrachant la manche gauche de ma chemise, avant de la presser contre sa blessure. On va s’en sortir OK ? Me fais pas le coup de me lâcher ! ordonnais-je, mon accent devenant hors de contrôle.

— Heh, t’es mignonne… souffla Amélie, qui semblait lutter pour garder les yeux ouverts.

— Ça suffit maintenant ! s’exclama la voix de Satriani. Lève-toi doucement et pas de geste brusque.

Je tournais alors la tête, pour voir qu’Antonio avait repris ses esprits et sorti un revolver de sa veste.

Je pensais qu’il était hors d’état de nuire pour un bon moment. En tous cas, l’homme que j’avais mis à terre était désormais en train de lutter contre Hélène.

Ne cessant d’appuyer sur la blessure d’Améthyste de ma main libre, je braquais le revolver que j’avais ramassé tout à l’heure sur Satriani. Et en le tenant d’une seule main, je ne tremblais que davantage.

— Tu as beau être intelligente et talentueuse, jeune Lindermark, tirer sur quelqu’un avec une arme à feu est au-dessus de tes forces ! Pose ton arme maintenant ! vociféra-t-il.

J’eus un moment d’hésitation.

Je pouvais tirer sans réfléchir. À cette distance, j’étais certaine de le toucher. Mais si je le tuais sans faire exprès, cela ferait de moi un meurtrier. Mais si je ne le faisais pas, Améthyste risquait de mourir.

Je réfléchissais alors de toutes mes forces, il devait bien y avoir un moyen…

Je tournais alors la tête en direction d’Hélène avant de voir Timothée arriver pour l’aider. Il posa ses mains sur la tête du garde du corps, et ce dernier s’écroula. Puis mes deux camarades se tournèrent vers moi afin de venir m’aider.

— Restez où vous êtes ou je la tue ! aboya Satriani sans les regarder.

Ils se figèrent donc, échangeant un regard inquiet.

— Faites ce qu’il dit ! leur criais-je. Allez-vous-en ! Je ne veux pas d’autres blessés !

Hélène sembla se crisper, prête à en découdre quoi qu’il arrive, mais Timothée lui posa une main sur l’épaule, afin de la calmer. Ils reculèrent alors à bonne distance, mais sans pour autant s’en aller. Puis, le surnommé Tyran me cria :

— Le bonbon était un placebo ! Mon pouvoir endort les gens !

J’écarquillais soudainement les yeux. Cela signifiait donc… que je pouvais surmonter mes crises d’angoisse. Ces partitions écrasantes qui tournaient dans mon esprit pour me paralyser lorsque j’étais désemparée, j’avais la force de les faire taire.

Je pris alors une profonde inspiration avant de regarder vers le ciel. Il était sans nuages, les étoiles brillaient, et la pleine lune découpait une étrange silhouette. Ça aurait pu être un avion, ou un oiseau… Le vent commençait à tourner.

Je relâchais alors la pression que j’exerçais sur la blessure d’Amélie et lâchait mon arme avant de mettre mes mains derrière la tête tout en me relevant.

— Sage décision Lindermark ! déclara Antonio. Avec un peu de chance, nous pourrons sauver votre copine également !

Cool Cat me montra alors le puzzle des émotions de Satriani. De la cupidité verdâtre et de la hargne d’un gris taupe sali, qui dégoulinait entre les pièces. Je refermais ma main gauche sur mon chignon.

Puis je me concentrais sur des émotions contraires à la cupidité et la hargne… l’amour et la confiance. L’amour que j’avais pour Améthyste, et la confiance que j’avais en mes nouveaux amis et en moi-même. Je concentrais alors toutes ces émotions dans la paume de ma main gauche.

Puis, dès que le vent tourna en ma faveur, je saisis le couteau qui tenait mon chignon de ma main droite et tranchais d’un coup mes cheveux. Ces derniers, chargés de mon pouvoir, renforcé par mes propres émotions positives, allèrent se ficher dans la face de Satriani qui grogna d’agacement avant de passer sa main sur son visage… puis de s’immobiliser, l’air hagard, regardant autour de lui comme s’il ne savait pas ce qu’il faisait ici. Puis lorsqu’il croisa mon regard, il prit ses jambes à son cou, fuyant comme un enfant qui aurait croisé un loup dans une forêt sombre.

Ensuite, l’étrange silhouette qui se découpait dans le clair de lune daigna enfin descendre jusqu’au sol.

Je ne levais même pas les yeux pour contempler l’engin qu’avait utilisé Shôgi pour arriver jusqu’ici, je me contentais de venir m’agenouiller près d’Améthyste avant de tourner mon regard vers l’extraterrestre :

— Sauvez-la ! lançai-je d’un ton plus péremptoire que je n’aurais voulu.

Sans rien dire, Tabita hocha la tête et tendit la main, ses étranges particules agissantes encore sous sa simple volonté, virevoltèrent en direction de la blessure d’Amélie.

— Ça va prendre du temps, ça comptera comme sa récompense, et je n’ai jamais opéré d’albinos avant, son système immunitaire est –

— Je vous ai dit de la sauver !! criais-je en approchant mon visage de celui de Shôgi. Vous avez regardé sans rien faire ! accusais-je. Alors maintenant, vous la sauvez !

Évidemment, rien ne semblait atteindre l’extraterrestre, qui se contenta de hocher la tête, sans même prendre en compte ma colère.

— J’ai juste dit que ça serait long, conclut-elle avant de s’asseoir près d’Améthyste. En ce qui te concerne, tu devrais absorber le proto-implant et partir aider tes amis.

Ce disant, elle leva sa main libre en direction du conteneur en verre et serra simplement ses doigts avant de faire tourner son poignet. Et cela sembla déclencher un mécanisme qui ouvrit le dessus de l’objet, laissant s’échapper la lumière liquide qui semblait à présent flotter dans les airs en ignorant le vent.

— Il s’agit de robots de la taille d’une molécule d’hydrogène, comme ceux que j’utilise, expliqua Shôgi en continuant de se concentrer sur Améthyste. Ton tatouage devrait les attirer.

À ces mots, sans que j’aie eu le temps de poser de question, la nuée brillante qui s’était échappée de sa prison de verre se précipita dans ma direction, déchirant les fibres de ma chemise afin d’atteindre mon tatouage.

Et lorsque ces machines microscopiques commencèrent à se frayer un passage sous ma peau, j’en eus le souffle coupé, ainsi qu’une vive douleur dans la poitrine.

J’eus alors plusieurs trous noirs, comme si je m’évanouissais et reprenais conscience à intervalles réguliers. Je vis alors Hélène et Timothée apparaître devant moi, essayant de me soutenir, me demandant comment j’allais.

Puis un trou noir plus long que les autres s’empara de moi.

Je me réveillais alors d’un seul coup en prenant une profonde inspiration.

— Qu’est-ce qui s’est passé ! m’exclamais-je par réflexe.

— Je sais pas ! T’as eu des spasmes pendant cinq secondes, on est venu te soutenir et c’est tout ! m’assura Hélène.

— Cinq secondes ? Non, j’ai eu l’impression de tomber dans les pommes… beaucoup plus longtemps que ça…

— L’assimilation a perturbé ton lobe temporal, ça arrive des fois, m’assura Shôgi. Maintenant, va aider ton ami, et prends ça avec toi !

Elle me lança alors un étrange flacon que j’attrapais par réflexe.

Puis je me redressais et décidais de me mettre à la recherche de Mauricio.

Et à peine cette pensée m’effleura-t-elle l’esprit, que j’eus comme la sensation que ma conscience s’était étirée afin de couvrir tout le campus. Je me souvenais à la perfection de chaque détail, et je savais qui était où avec exactitude. Comme si on m’avait permis de scanner les lieux en un éclair. Ce qui devait certainement être le cas.

— Restez ici ! adressais-je à Hélène et Timothée. Veillez à ce que Shôgi fasse ce qu’elle a à faire.

Timothée haussa les sourcils en se tournant vers l’extraterrestre, qui le regarda en retour sans rien dire. Le jeune apprenti cinéaste entama alors la conversation :

— Alors… vous avez pensé quoi du film Alien ?

— Je préfère le quatrième, répondit Shôgi.

— Ah, une personne de goût ! réagit Timothée en rajustant ses lunettes.

N’attendant pas davantage, je relançais le scanner que j’avais utilisé instinctivement et partis comme une flèche en direction de Mauricio. Je me déplaçais bien plus vite qu’avec mon Cool Cat habituel, s’en était presque effrayant. Je me demandais si mon corps pouvait vraiment supporter de faire tout cela. Mais ça n’avait aucune importance. Mauricio était à terre, tout comme son poursuivant. Cependant, ce dernier ne bougeait plus, contrairement à Morituri.

J’arrivais à côté de lui en un éclair et ouvris grand les yeux, cherchant à voir ses blessures. Et comme si le proto-implant que j’avais assimilé comprenait mes désirs, je perçus l’emplacement de sa blessure à la cuisse.

— Lili, j’hallucine ou quoi t’es… t’as des yeux de ouf, et t’as bondi jusqu’ici depuis le parking...? balbutia Mauricio. Ou alors j’ai perdu trop de sang, j’ai des visions...!

— Reste tranquille, lui ordonnais-je.

Je pris alors l’étrange capsule que m’avait donné Shôgi et l’ouvris, avant d’instinctivement comprendre ce qu’elle contenait et de m’harmoniser avec. Il s’agissait de nanites, ces fameux robots de la taille d’une molécule qu’elle utilisait elle-même. Sans même réfléchir, je commandais aux nanites de s’engouffrer dans la blessure de Mauricio afin d’en déloger la balle. Heureusement, elle n’avait fait que pénétrer le muscle de manière superficielle.

Une fois la balle extraite, je commandais aux nanites de réparer les cellules endommagées en les poussant à se régénérer, avant de les rappeler dans leur capsule. C’était comme si des connaissances en médecine s’étaient téléchargées dans mon esprit le temps de soigner Mauricio, les machines microscopiques agissant selon les consignes que je leur donnais avec une vitesse et une précision inégalable. Je portais ensuite mon camarade dans mes bras, sa plaie ayant carrément disparu.

— Wahou, j’me sens comme une princesse… marmonna-t-il, tremblant de fatigue.

— Tu as réussi à le faire s’évanouir d’épuisement, mais il a eu le temps de tirer… désolée Mauricio, c’est de ma faute, murmurais-je.

— Mais nan… c’est moi, je voulais faire le héros, dit-il entre deux souffles. Mais finalement, c’est toi l’héroïne de l’histoire.

Je me contentais de sourire, puis, lui intimant de bien s’accrocher, je bondis par-dessus clôtures et chemins afin d’aller le déposer sur le canapé de la salle commune du bâtiment G, avant de revenir par le même procédé jusque sur les lieux de mon affrontement avec Satriani.

— Alors, quelles nouvelles ? demandais-je.

— Que ça te plaise ou non, les Alien VS Predator sont canons à la saga ! protesta Timothée.

— Ce n’est pas parce que les réalisateurs l’ont dit que c’est crédible ! D’ailleurs, Prometeus – commença Shôgi avant de se faire couper la parole.

— Ah, ne me parle pas de cette merde ! s’emporta Tyran.

— Hey ! m’exclamais-je. J’ai posé une question !

Les regards se tournèrent alors dans ma direction et Hélène s’approcha de moi pour poser ses larges mains sur mes épaules :

— Écoute, Shôgi a fait de son mieux mais…

Mon visage ainsi que mon âme se décomposèrent soudainement, impuissante que j’étais face à la nouvelle qui allait m’être annoncée.

— Mais… continua Hell. Elle n’a pas pu la soigner de son albinisme, ça prendrait trop de temps.

— Mais bon sang ! Me faire une frayeur pareille, éclatais-je face à la colosse d’ébène qui se marrait comme une baleine. Où est-elle ? demandais-je.

— Elle se repose là-dedans, m’indiqua Hélène en pointant du pouce le vaisseau de Shôgi.

Je m’approchais alors de l’étrange tas informe de métal. Cette chose n’avait pas du tout l’air conçue pour pouvoir voler. Cependant, une fois rentrée dans le véhicule, je constatais avec stupeur :

— C’est plus grand à l’intérieur…

Puis je soupirais en hochant la tête. Connaissant Shôgi, elle était capable de déployer une telle technologie juste pour faire des références à la culture populaire.

Je me dirigeais alors vers Amélie, allongée sur une sorte divan.

— Ça va ? demandais-je alors.

— Ouais… ça va aller mieux, répondit-elle sans ouvrir les yeux. Mais… j’suis triste pour mes lunettes, confessa-t-elle simplement.

— Pourquoi ? Elles n’avaient pas l’air de très bonne qualité, répondis-je.

— Bah, je les ai depuis longtemps, je m’y étais attachée…

— Alors je t’offrirais une paire de lunettes magnifiques ! dis-je en posant ma main sur la sienne. Et tu les chériras encore plus, car elles seront le symbole d’un nouveau départ pour toi et pour moi ! promis-je.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? murmura Amélie en tournant ses yeux couleur améthyste dans ma direction.

— On va finir nos études, comme deux jeunes étudiantes normales, puis j’irais prendre la direction d’un hôtel appartenant à mon père en Provence ! Il y aura une salle de concert, on pourra plaire à toute sorte de publics ! expliquai-je.

— J’pourrais… faire mes propres soirées ? demanda Améthyste avec un début de sourire.

— Je suis même prête à accueillir un teknival entier si tu acceptes de venir avec moi !

— Alors ça marche… merci Lili… Je t’aime, confessa-t-elle alors.

Je me penchais un peu plus près de son visage avant de l’embrasser doucement et de lui répondre :

— Je t’aime aussi…

Je sortis ensuite du véhicule de Shôgi et interrompis sa discussion avec Timothée, la confrontant à une question qui me titillait :

— Tabita, quelle est cette histoire de projet « Reine Noire » ?

Elle afficha sa surprise de me voir lui parler de manière aussi familière, mais répondit tout de même :

— Dans le cas où l’humanité se mettrait elle-même en danger, je mettrais le projet Reine Noire à exécution, créant un ennemi commun à toute l’humanité et les forçant à collaborer. Mais j’espère ne pas en avoir besoin, expliqua-t-elle sans hésitation.

— Tu ne comptes pas l’utiliser pour faire apparaître la Reine Blanche comme une sauveuse et ainsi lui faire gagner le respect de l’humanité ? demandai-je.

— Non, il s’agit là d’une idée de Satriani.

— Et que va-t-il se passer à présent ? questionnai-je.

— Tu vas vivre une vie relativement normale, autant que peut l’être la vie d’une surhumaine, précisa-t-elle en faisant un vague geste de la main. Mais dans quelques années, il est possible que je te contacte pour aller récupérer un proto-implant qui aurait été découvert.

— Bien… soufflai-je, soulagée.

— Ton aventure est enfin terminée, Lili, conclut Shôgi avec un de ses rares sourires sincères.

— Cette aventure, oui, précisa Timothée. Mais tu es visiblement promise à de grandes choses…

— Il a raison, déclara Hélène. Et on a la chance d’être dans les petits papiers d’une telle nana, pas vrai Lili ?

J’esquissais d’abord un début de sourire, avant de rapidement me mettre à rire de bon cœur.

— Hahaha, vous avez raison...! Et je compte sur vous deux pour m’aider à améliorer ce campus ! Et le rendre accessible à un maximum d’étudiants ! déclarais-je avec un sourire plein d’espoir.

— Au fait, Morituri va bien ? demanda Timothée.

— Oui, il se repose dans la salle commune, répondis-je.

— En parlant de ça, et si on se rentrait ? J’ai la dalle ! déclara la voix d’Améthyste dans mon dos.

Au moment où elle posa sa main sur mon épaule, je me retournais et, à ma grande surprise, Shôgi ainsi que son vaisseau avaient disparu. Sans bruit et sans trace, malgré mes sens terriblement affûtés.

C’était sans doute mieux ainsi.

— J’ai une idée ! déclarais-je alors, passant le bras d’Amélie autour de mes épaules afin de l’aider à marcher. Et si on parlait de nos projets en mangeant des pizzas ? C’est moi qui invite !

— J’en veux une double pepperoni ! s’exclama Timothée.

— Moi je vais me prendre une royale ! déclara Hélène.

— J’me ferais bien une poulet ananas ! renchéri Améthyste. Et il faudra inviter Evans aussi, même s’il a merdé à mi-chemin.

— Parfait ! On demandera à Mauricio ce qu’il veut ! déclarais-je.

 

Je m’appelle Emily Erina Elizabeth Lindermark, j’ai dix-huit ans, je pratique le violoncelle et je suis une métisse britanico-coréenne… en plus d’être désormais une humaine hors du commun, destinée à changer le monde pour le mieux.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez