36. Culpabilité

Par Arod29
Notes de l’auteur : Kjeld en mauvaise posture.

Kjeld se réveilla au moment où ils empruntaient un cercle de Trieste. Une lumière vive l'aveugla puis il distingua une caverne sableuse. L'air brulant pénétra ses poumons et il craignit un instant de ne pouvoir reprendre son souffle.
Sans ménagement il fut jeté à l'arrière d'une carriole, une odeur nauséabonde agressa ses narines. 

Des prigurz.

Le voyage débuta. Les rires gras de ses ravisseurs et la démarche nonchalante des fétides animaux rythmèrent le trajet. Kjeld vomit plusieurs fois, sa gorge était sèche et douloureuse mais la culpabilité le torturait plus que la soif. Les silhouettes sans visages de sa famille hantait son esprit. Il désespérait de ne pas se souvenir d'eux. Il vit aussi la jeune Selenn le pointer d'un doigt accusateur en hurlant sa colère. Il le savait, la mort l'attendait au bout du chemin. Les entraves métalliques, qui enserrait ses poignets, pénétraient ses chairs et du sang perlait sur le bois de la carriole. Plusieurs fois il avait tenté d'utiliser sa magie, en vain, elle s'était éteinte. Il ne la sentait plus couler dans ses veines.  Kjeld se sentait exsangue si bien que la fatigue finit par l'emporter sur la douleur. Il sombra dans un sommeil profond cotoyant les rivages brumeux de la mort.
Un choc l'éveilla. Un deuxième le fit gémir. Deux silhouettes vêtues de noir,  lui assénaient des coups de botte en ricanant. Leur visage n'existait pas, il semblait s'être évanoui.

Des mages noirs.

— Allez raclure! Debout!
Le mage se releva avec difficulté. Les Orombres le soutinrent sans compassion et l'escortèrent jusqu'au appartements d'Alzebal.

Il s'évanouit quelques instants. Quand ses yeux s'ouvrirent, il était étendu sur le ventre. 

— Mon ami! Quel bonheur de te voir!

Kjeld ne connaissait que trop bien cette voix.

Il redressa avec peine son cou et distingua les pieds nus d'Alzebal. Il imaginait des griffes de dragon, ils étaient petits et normaux. Tyssy Crine était assise sur une petite chaise à côté d'un grand lit. Le mage, au prix de gros efforts, parvint à se redresser et se tenir assis. Il reprit son souffle et balbutia.

— Ma famille?! Où est ma famille?!

Alzebal feint l'étonnement.

— Qui?

— Ne me prends pas pour un idiot.
La cheffe des mercenaires se leva. La dureté et la haine qui emplissaient son regard ne laissait aucune place à une quelconque empathie ou générosité. 

— Tu es un idiot Kjeld.

Le mage baissa la tête et murmura.

— Un idiot qui t'a bien servi.

Avec rudesse, elle redressa le visage de Kjeld.

— Des paroles qui sonnent comme des regrets. 

D'un oeil, une larme s'échappa du regard du mage. Elle sécha en un instant laissant une trace de tristesse le long de son visage. 

— Je n'aurais jamais du accepter.

Alzebal sourit.

— Crois tu vraiment que tu avais le choix mon pauvre ami?

— Je le crois.

—Ta naiveté est d'un pathétique. Le choix est un luxe que seul les puissants possèdent et toi tu n'es rien. Juste un idiot utile.

Kjeld cria soudain dans un sursaut de vitalité.

— Ma famille!!!! Je veux les voir!!

Tyssy s'approcha du visage de son prisonnier.

— Supplie moi.

Le mage, incrédule, resta coi.

— Supplie moi et tu les verras.

— Je te hais.

— Et tu as bien raison. Supplie moi.

Kjeld baissa les yeux, résigné et vaincu. Alzebal jubila. Elle le tenait entre ses mains.

Ce ne fut d'abord qu'un murmure.

— Je t'en supplie.

— Qu'as tu dit mon ami?

Puis ce fut une imploration.

— Laisse moi voir ma famille, je t'en supplie Alzebal.

— Et bien voilà, tu vois ce n'était pas si compliqué.

Tyssy fit un signe aux Orombres. Kjeld fut emmené par les mages noirs. Ils empruntèrent un dédale de couloirs et d'escaliers pendant de longues minutes. Ils stoppèrent devant une grosse porte de bois. Alzebal posa une main sur cette dernière. 

— Derrière. Ta famille. Tu vois que je ne suis pas si mauvaise.

Le coeur de Kjeld se mit à battre plus fort.

Tyssy ouvrit la porte. Les Orombres projetèrent brutalement le mage dans la pièce. Il se releva et resta à genoux, sans énergie devant les deux grandes cellules qui occupaient l'espace. Elles étaient vides de vie mais pleine de sang.

— Surprise! s'écria Alzebal.

Kjeld, abasourdi, secoua la tête et annona.

— Où sont-ils?

— Mais de quoi parle tu mon ami.

— Ma famille.

— Tu n'as jamais eu de famille. Tu es seul.

Les questions se bousculaient dans l'esprit du mage.

— Tu mens.

— Hélas pour toi non! Toute ta vie n'est qu'une illusion. 

Le sol se dérobea sous ses pieds. Il vacilla.

— Mais les petits doigts que j'ai reçu.

— Un petit bâtard retrouvé mort à Cyryul. Un errant. Me crois tu assez cruel pour tuer un enfant?

— Tu l'es. Tu es le mal Alzebal.

Kjeld mit son visage dans ses mains.

— Pourquoi?

— La manipulation est la reine du pouvoir. Tu ne m'aurais pas donné autant sans ce petit mensonge.

— Je vais te tuer Alzebal.

— Mon pauvre petit Kjeld. Je vois que tu es fâché et je le comprends.
Toute sa vie venait de s'écrouler. Le brouillard de sa vie passée s'obscurcissait.

— Qui suis je? 

Alzebal ricana.

— Vaste question mais je n'ai aucne réponse. Je t'ai trouvé. Tu avais tout oublié jusqu'à ton prénom mais tu avais une sagesse innée, un savoir de plusieurs vies. J'ai senti de la bonté au plus profond de toi. Une véritable aubaine pour mes projets. La bonté est si facilement manipulable. Rapidement je me suis rendu compte que la seule personne qui pouvait amadouer et guider Selenn vers son destin, c'était toi et je me suis à peine trompé.

— Tu es un monstre.

— Mon ami, tu as parfois une vision si étroite de la vie. Non je ne suis pas un monstre ni le mal ni un quelconque démon. Je suis un remède. Regarde autour de toi. Il y a pire que moi. Je suis le meilleur du pire. Je ramène l'ordre. Vois tu dans une autre vie, j'ai été esclave et bien trop souvent, je me suis agenouillé mais pas pour prier.

Le regard de Tyssy se perdit un instant dans de douloureux souvenirs avant de revenir dans le présent. Sa voix se fit plus douce.

- Peu d'hommes et de femmes sont respectables dans ce monde souillé. J'ai décidé de le modeler à mon image.

Kjeld eut un éclat de rire nerveux.

— D'esclave tu deviens esclavagiste. Qui est pathétique?

— Pour changer le monde, il faut devenir ce que l'on exècre.

— Ce que tu as vécu, aussi terrible soit-il, n'est pas une excuse pour tes actes. Tu es une meurtrière.

— Qu'il en soit ainsi. Donc ça ne te suprendra pas de savoir que tu es ma prochaine victime .

Le mage ne répondit pas. A peine dissimulé par ses cheveux noirs ondulés, le visage d'Alzebal exprimait la satisfaction.

— Mais je ne te tuerai pas moi-même. Je t'aime bien. Ce sont mes orombres qui vont s'occuper de toi mon ami.

— Ami. Tu ne sais pas ce que c'est.

Kjeld plongea son regard dans celui de son ennemi.

— Un jour, assis sur ton trône, tu regarderas autour de toi. Tu ne verras que la solitude. Elle t'enlacera de ses bras glacés et tu penseras à moi. Ton ami.

Il éleva la voix en pronoçant ses deux derniers mots.

Alzebal fit un geste de la main.

— A vous de jouer mes Orombres. Faites vous plaisir!

Puis s'adressant à Kjeld.

— Adieu. Nous aurions pu faire de grandes choses ensemble.

La mercenaire disparut par l'entrebaillement de la porte. Aussitôt,un mage, le plus grand, envoya un coup de pied dans le visage de Kjeld. 

Sa mâchoire percuta le sol. Il pleura de douleur.

— Une dernière volonté?

Kjeld gémit et montra ses poignets.

— J'en ai deux. Je ne veux pas mourir les mains attachées et je veux savoir les noms de ceux qui vont me tuer.

Les deux Orombres se regardèrent et rirent de concert.

— C'est mon jour de bonté. Je m'appelle Varu et mon comparse se nomme Lemar.

Le dénommé Varu fouilla dans sa poche et sortit deux petites clés.

— Tu ne vas pas le détacher. Alzebal nous a dit que...

L'Orombre, qui délivrait Kjeld de ses chaines, l'interrompit.

— Regarde le! C'est une chiffe molle. 

Varu jeta les entraves de métal derrière lui.

Kjeld grimaça en frottant ses poignets sanguinolents.

Lemar s'avança et rugit.

— Maintenant, vois le pouvoir des ombres et meurs!

Les deux hommes disparurent dans la pénombre. La gorge du mage se contracta soudain, des doigts invisibles la serrait. 
Une ombre tourna autour de lui, il sentit mille pointes le transpercer. Il tenta de crier mais en vain.
Ses pensées confuses s'entrechoquaient. Parmi elles, un visage apparut. D'abord diffus puis bien visible.
Selenn.
Ses adversaires furent soudainement projetés en arrière. Un instant il sentit son corps s'évaporer. Il ne savait pas qu'il pouvait faire ceci.

Qui suis je?

Cette question restait en suspens. 

Il se releva. Une nouvelle vigeur courrait dans ses veines. Et une urgence résonnait en lui.

Selenn. Où es tu?

 

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Edouard PArle
Posté le 07/04/2024
Coucou Arod !
Un peu frustré de ne plus me souvenir exactement de qui est qui à cause de ma pause dans la lecture mais j'ai beaucoup apprécié ce chapitre. Le rythme est vraiment bien mené, et tu as réussi à me surprendre plusieurs fois. Je pensais que Kjeld ne serait qu'un figurant destiné à montre les machinations d'Alzebal mais il prend finalement beaucoup plus de consistance que ça. Ses lignes de dialogue sont vraiment bonnes et il a l'air de survivre à l'attaque des ombres. Curieux de la suite pour ce personnage !
J'ai beaucoup aimé l'idée de la manipulation liée aux enfants, ça plante bien l'intelligence d'Alzebal et ses capacités de manipulation.
Mes remarques :
"la démarche nonchalante des fétides animaux" -> des animaux fétides ?
"Les silhouettes sans visages de sa famille hantait son esprit." -> hantaient
"qui enserrait ses poignets," -> enserraient
"— Tu es un idiot Kjeld." virgule après idiot ?
"Elles étaient vides de vie mais pleine de sang." -> pleines
"— Mais de quoi parle tu mon ami." -> parles-tu
Un plaisir,
A bientôt !
Arod29
Posté le 08/04/2024
Hello Édouard!
Merci beaucoup! Tant mieux si j'ai réussi à te surprendre! ;-)
Merci pour tes remarques!
A bientôt!
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