4. Qui suis-je ?

Par JFC

Mélusine réajusta ses lunettes, puis observa alternativement son frère et son père, qui prit enfin la parole :

— Eh bien, commença-t-il en se grattant le menton. Je savais que ce jour finirait par arriver, mais pas aussi tôt. Il est vrai que tu es un homme, maintenant, ajouta-t-il, les yeux brillants de fierté.

Se trouvant cependant dans un moment inconfortable, Selfyn se racla la gorge avant de continuer.

— Je vais donc te raconter ton histoire, puisque c’est ce que tu désires. Mais je dois t’avertir mon fils, que je ne pourrais ni tout te révéler ni répondre à toutes tes questions ! J’ai, vois-tu, promis à tes parents, que je leur laisserai le soin d’aborder certains points les avec toi.

Les doigts du vénérable vieil homme tapotaient nerveusement l'accoudoir de sa chaise. C’était toujours le cas quand il se sentait prisonnier d’une situation. Ephrem, quant à lui, ne montrait aucun signe d’impatience, ni même de joie. Mais au fond de lui cependant, les choses se passaient différemment : une chaleur derrière son nombril remontait lentement jusqu’à sa gorge, sa bouche commençait à s’assécher et sa langue à devenir pâteuse. Enfin, son cœur se mit à battre de plus en plus fort. Tendu et concentré plus qu’il ne l’avait jamais été de sa vie, il ne quittait plus des yeux les lèvres de son père adoptif, d’où ne tarderaient pas à sortir la raison de sa présence à Yggdol.

— Tes parents sont arrivés sur notre terre un après-midi particulièrement ensoleillée, se souvint Selfyn. Ils souhaitaient s’entretenir avec un responsable. Comme tu le sais, les décisions importantes sont prises par les six membres du Conseil, dont je fais moi-même partie. On nous a donc fait appeler, affirmant que c’était d’une extrême importance. « Une première dans notre histoire ! » s’exclamait le messager. Imagine donc notre surprise quand il nous annonça que c’était des Humains qui demandaient audience.

Le vieil homme s’interrompit, sortit une longue tige de bois noire de sa poche et la coinça entre ses lèvres, ses gestes trahissant sa nervosité. Il marmonna quelque chose, et une petite flamme bleue jaillit de son doigt pour allumer le bout de la tigerette. La fumée multicolore qui s’en échappa se mêla à l'air, formant des arabesques lumineuses autour de sa tête. Mélusine, outrée, lui rappela qu’il était dangereux de faire de la magie dans la maison et qu’en tant que membre du Conseil, il devait montrer l’exemple. La remontrance de sa fille le fit tousser, et il se hâta de faire disparaitre la flamme de son doigt.

Ephrem, trouvant l’attente longue, serra les poings sur ses genoux, mais ne brusqua pas son père, qu’il fixait sans sourciller.

Mélusine, sentant l’impatience de son frère, pria leur père de continuer.

Selfyn reporta son attention sur Ephrem, conscient, en cet instant, de l’amour qu’il lui portait.

            — Si tu désires rencontrer tes parents, ne te rendons pas la tâche plus ardue, lâcha-t-il sans préambule.

            Le jeune homme, stupéfait que les choses aillent si vite, ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.

— Cependant, continua Selfyn en soufflant un nouveau nuage multicolore, tu dois savoir que les Elfes et les Humains n’entretenaient pas de bonne relation à l’époque, à cause d’une guerre à laquelle notre peuple a refusé de participer.

— Je le sais ! parla enfin Ephrem. Pourquoi cette précision ?

— Ce que je veux que tu comprennes mon fils, ce que nous avons rencontré tes parents, plus pour une question de sécurité que de curiosité.

            — De sécurité ! répéta le jeune homme.

            — Évidemment ! lança Mélusine. Tes parents ne sont pas des Elfes. Ils n’auraient pas dû pouvoir arriver jusqu’à nous !

            — En effet, confirma le vieil Elfe. Je vous le dis tout de suite pour aller à l’essentiel, nous n’avons jamais eu la réponse à cette question : pourquoi et comment des Humains ont pu traverser notre défense magique ? Cela reste un mystère.

Selfyn tira une nouvelle fois sur sa tigerette, les volutes de fumée dansant devant son visage pensif.

— Une fois face aux Humains, reprit le sage en se redressant dans son fauteuil, nous leur avons naturellement demandé ce qui les avait amenés à Yggdol, avec dans leur bras le jeune garçon que tu étais. Pour une raison obscure, la femme, qui semblait avoir un âge aussi avancé que son vénérable mari, s’était mise à genoux, et pleurait toutes les larmes de son corps.

— Ma mère pleurait ! s’exclama Ephrem avec un espoir coupable.

— Oui, et ton père s’excusait de nous imposer ainsi cette scène, précisa Selfyn.

— Mon père a expliqué pourquoi ils m’ont abandonné ? interrogea Ephrem en se penchant en avant.

— Je comprends ton impatience, avoua le vieux sage en posant une main sur un genou de son fils. On y arrive.

Mélusine assistait à cet échange, sans se rendre compte qu’elle-même s’était penchée en avant, et que son cœur battait à tout rompre.

— Le pauvre vieil homme qu’était ton père, reprit Selfyn, nous expliquait la raison de leur venue à Yggdol. Il partait un peu dans tous les sens, parlant de leur âge avancé, de leur impossibilité d’avoir un enfant, des prières à la Déesse Origine…

— Un moment ! coupa Ephrem. Leur impossibilité d’avoir un enfant tu as dit ! Mais je suis là s’exclama le jeune homme incrédule, ils ont donc réussi à avoir un enfant ?

            — Ce n’est pas à moi de te renseigner sur ce sujet mon fils, mais à tes véritables parents, s’excusa Selfyn.

— Connais-tu au moins la réponse à cette question ? intervint Mélusine. Et les autres membres du Conseil ?

— Aucun de nous n’a de réponse, avoua Selfyn.

            Ephrem redevient stoïque. En apparence du moins, car à l’intérieur de lui, ses pensées tourbillonnaient.

            — Pourquoi est-ce un secret ? Pourquoi dois-je attendre que ce secret me soit révélé par mes parents Humains ? Qu’est-ce que ça peut bien faire si je l’apprends maintenant de Selfyn ?

            Le vieux sage continua son histoire :

— Nous ressentions dans ce que nous racontait ton père toute la joie qu’ils avaient ressentie dès l’instant où tu es apparu dans leur vie, se remémora Selfyn en fixant le plafond. Pourtant, ils devaient te confier à nous, les Elfes. Cela brisa leur cœur !

            — Pourquoi se débarrasser d’Ephrem si cela les faisait réellement souffrir ? Tu es sûr qu’ils tenaient vraiment à avoir un enfant ?

            — Mélusine ! s’écria le grand Elfe devant le manque de tact de sa fille.

Il fit un mouvement de tête en direction d’Ephrem.

            Celui-ci, la mine basse, répondit à sa sœur :

            — Je ne leur convenais pas, tout simplement !

            — Tu te trompes ! rectifia Selfyn. Ils t’aimaient, et tu étais leur plus grande joie.

            — Alors pourquoi ? chercha à savoir le jeune Humain en se mettant debout.

            — Parce que tu as des pouvoirs magiques !

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