Au plus profond de la nuit, des murmures insaisissables glissaient sur les feuilles des arbres. La forêt des Larmes s'assoupissait de temps à autre mais jamais elle ne sombrait dans un sommeil profond. Elle veillait. Elle savait tout ce qui se passait en son sein. Elle savait que Loup s'était endormi dans un arbre, elle savait qu'Alzebal venait de franchir le cercle de Trieste et elle savait que Grys gisait dans un boqueteau de bouleaux pleureurs.
Le sang coulait à nouveau de son moignon. La sève ne faisait plus effet et la douleur lui avait perdre connaissance. Son instinct de survie l'avait mené dans un endroit protégé. Les branches des bouleaux formait un rempart qui le rendait invisible à la plupart des yeux, à l'exception de ce petit renard blanc. Affamé par l'hiver et attiré par l'odeur du sang, il huma prudemment le bras sans main, le lécha et finit par le mordiller, tout heureux de l'aubaine qui lui était offerte en ces temps de disette. Grys s'éveilla en sursaut, grommela et chassa l'animal qui déguerpit à la recherche d'un nouveau repas. Le mercenaire, pâle comme un glacier des montagnes du Nord, parvint à s'asseoir. Des douleurs tambourinaient à l'intérieur de sa tête comme si un pic Mar des rivières nichait en lui et tapait avec son bec, aussi pointu qu'un couteau, contre les parois de son crâne.
Grys regarda autour de lui, il était désorienté.
Combien de temps je suis resté dans cette mélasse?
Le mercenaire éprouvait un sentiment nouveau. La peur. Il était traqué par Loup et par Tyssy. Il avait perdu une main et son sang coulait sur le sol.
Je suis fichu.
Il se releva difficilement et au moment de s'appuyer sur sa jambe gauche. Sa cheville tourna, il grimaça de douleur et chuta sur la terre noire.
Je vais quand même pas canner ici dans cette boue immonde.
Grys grogna et se redressa. Il ota la botte de sa jambe droite puis sa chaussette dans laquelle il enfourna son moignon. Il récupéra un bout de corde dans sa poche de pantalon et il serra le tout avec force. Il gémit de douleur. Il fallut quelques secondes pour que le sang s'arrête de couler.
Au tour de ma cheville!
Grys scruta les environs à la recherche d'une branche assez haute et solide pour le soutenir. Il ne tarda pas à trouver son bonheur. La première tentative pour se relever fut un échec, la deuxième, un succès mais la douleur était vive et sa vitesse de marche était pitoyable.
Il faut que je trouve un endroit en hauteur.
Grys retrouvait sa combativité.
Je ne mourrais pas dans ce vert infâme autour de moi.
Le mercenaire s'époumouna.
— Tu m'entends saleté de forêt! Tu n'auras pas la peau de Grys Dilur! Jamais!
Clopin-clopant, il reprit son chemin dans le dédale des arbres millénaires.
***
— Tu ... tends sale... de forêt! Tu n'au.... pas la peau ... Grys Dil..! ...mais!
Le cri du mercenaire blessé résonna entre les arbres jusqu'aux oreilles de Lodith qui ricana.
— Quel idiot ce nabot!
Alzebal posa une main sur l'épaule de sa compagne.
— Ne le sous estime pas ma belle. Grys est comme une écharde enfoncée profondément et quand enfin tu penses avoir réussi à l'attraper. Elle se casse en deux et il faut que tu recommences encore. C'est un véritable poison.
La géante secoua la tête et regarda sa cuisse meurtrie par Grys.
— Je n'en peux plus de cet avorton. Il doit mourir!
Lodith se renfrogna. Elle tremblait.
— Patience ma douce. De quoi as tu peur?
La géante serra les dents.
— Je n'ai peur de rien.
— On a tous peur de quelque chose.
Lodith ne dit rien et baissa la tête. Tyssy releva le visage de sa compagne.
— Tu ne me perdras pas.
La guerrière soupira et lui lança avec une pointe d'amertume dans la voix.
— Et toi de quoi as tu peur?
Tyssy s'approcha de sa compagne et lui chuchota à l'oreille.
— J'ai peur de tout perdre. Et je suis prête à tout pour garder ce que j'ai gagné. Je brûlerai ce monde pour ne pas revivre ce que j'ai vécu et je brûlerai chaque personne qui voudra me prendre ce pouvoir.
En prononçant ces mots Tyssy enfonça ses ongles dans le bras de Lodith. Cette dernière ne broncha pas. La géante la regarda avec amour et compassion et les deux femmes s'embrassèrent. Lodith caressa les joues de Tyssy.
— Je serais toujours là pour toi.
— Je sais.
Soudain, Alzebal se détourna de façon brusque et son regard se durcit. Elle s'énerva.
— Je veux Loup! Je le veux à genoux devant moi!
Tyssy dégaina son épée et la planta violemment dans le sol.
— Nous l'aurons Tyssy mais l'occasion de tuer Grys ne se représentera peut-être pas et lui nous savons où il est.
— Oui nous savons où il est.
Alzebal se calma et récupéra son arme d'un geste rapide.
— En route.
Les deux femmes reprirent leur marche suivies par une vingtaine de mercenaires.