La rue était éclairée des réverbères qui projetaient sur le sol des lumières diffuses. Alors que Léna marchait, ils se passaient son ombre, qui rétrécissait et qui grandissait, qui passait devant et derrière elle au fur et à mesure qu'elle avançait. Ça ne l'empêchait pas de marcher droit.
Il faisait doux, et l'odeur de plantes autour de Léna l'enivrait d'un confort agréable. Elle n'avait pas peur malgré l'heure tardive et la rue déserte, elle en oubliait même d'être prudente et d'allumer son téléphone comme elle le faisait d'ordinaire. Était-elle libre, était-elle inconsciente, c'est à vous de voir.
Elle avait quitté la soirée tard, parce qu'elle avait conversé avec deux de ses anciennes amies, et puis un camarade de fac – ce genre de conversations dont on ne tire rien mais qui passent aussi facilement qu'un jus de fruits fade. Ça n'avait pas été si long que ça, pourtant quand elle s'en était enfin extirpée, il était deux heures du matin.
Elle avait gravé dans sa tête l'adresse que lui avait notée Fabien : elle savait où c'était, sur la petite place juste à côté de la gare. Elle n'avait jamais vu de tabac dans ce coin-là, mais ma foi, elle avait du mal voir.
Au moment où elle se dit ça, Léna cessa de savoir où elle allait. Elle tourna au coin et se retrouva à marcher le long de la grille de la voie ferrée, là où les réverbères n'étaient plus assez réguliers pour que les voitures garées près du mur soient entièrement éclairées, là où quelques fleurs sauvages avaient pu pousser dans les coins, d'ailleurs elles étaient superbes ces fleurs, bien plus belles que ce qu'elles auraient dû être au beau milieu d'une nuit de mai. Elle ne s'éclairait pas de la torche de son téléphone, pour quoi faire ? C'est ainsi qu'elle marcha sur la queue d'un chat apparemment pas bien réveillé, qui glissa sous son pied en détalant.
Deux fois, un train passa, fortes lumières, beuglement suraigu, comme pour intimer aux obstacles de se décaler devant lui. Beaucoup de bruit pour rien : par les fenêtres et malgré la vitesse, on voyait qu'ils étaient presque vides.
Au bout du grillage, il y avait le bout de la voie ferrée, donc il y avait la gare. Certaines fenêtres, ici, étaient allumées à travers les rideaux blancs, et en tendant bien, bien l'oreille, on entendait un peu de musique. La gare faisait comme une grosse lampe de chevet au milieu des maisons : le bâtiment était gris, mais il était éclairé et projetait une lumière jaune sous le porche. Elle veillait dans le demi-silence des foyers endormis. Elle restait là, prête à les réveiller s'il fallait, protégeant en attendant un sans-abri de l'obscurité froide ; elle surveillait le repos pour être bien sûre qu'il ne déconnecte jamais : la gare c'était la banlieue.
Et puis, du côté de la place en face de la gare, si on avançait un peu dans la plus petite rue, il y avait bien, à gauche, un petit panneau qui disait BAR et TABAC. Les pieds de Léna s'arrêtèrent à son niveau. La lumière était éteinte et la porte était vitrée, avec des tas d'autocollants fichés dessus, à moitié arrachés.
Sur une des feuilles, il y avait écrit les horaires. Ouvert jusqu'à vingt-et-une heures tous les jours de la semaine et le samedi.
Bzz, fit l’oreille de Léna. Et sur son nez ahuri, une drôle de petite bête qu’elle distinguait mal à cette heure se posa et s’envola à nouveau. Elle devait faire la taille d’une grosse mouche en plus mince.
Elle n'osa pas le chasser. Et sans un bruit, l'insecte lui effleura encore l'oreille, tourna quelques instants autour de sa tête et se dirigea vers la porte fermée du tabac. Il ne se cogna pas contre la vitre comme le font souvent les moucherons, mais longea la vitre. Il se mouvait dans une sorte de vol harmonieux qui aurait pu faire croire qu'il était porté par le vent, s'il y avait eu ne serait-ce qu'une brise. Il glissa le long des étiquettes et s'arrêta sans se poser pour autant, en bas de l'affichette.
Oh. L'insecte s'était immobilisé totalement, à l'exception de ses longues ailes bourdonnantes, au bas d'une feuille où il était écrit qu'à cause du jour férié, le tabac serait fermé lundi prochain. Là, une écriture brouillone et penchée avait écrit au feutre noir : "Pour les histoires c'est toujours le mardi à 20h."
Il fallait qu'elle revienne ici pour trouver ce Yves, de toute façon. Alors elle décida que cet insecte était un signe, et qu'elle serait là mardi soir. Des histoires ? Ça n'avait aucun sens. Tant pis.
Au moment où elle eut pris cette décision, l'insecte rouvrit ses petites ailes et s'enfuit, comme attrapé par l'ombre. Léna se détourna du bar-tabac sans y penser, la fatigue seule guidant son corps engourdi. La lumière d'une maison proche s'éteignit quand elle traversa la rue pour rentrer vers chez elle.
J'ai vu que tu allais faire une pause mais je me suis dit que je lirai quand même ce dernier chapitre publié.
Je te fais un petit retour quand même !
"Alors que Léna marchait, ils se passaient son ombre" -> ils, ce sont les réverbères ?
J'ai bien aimé le calme qui se dégageait de ce chapitre. J'ai parfaitement visualisé la scène, je trouve que les descriptions sont très efficaces. Il se dégage ici aussi une ambiance un peu surnaturelle, comme si tout guidait Léna.
J'espère que tes projets avancent bien, je viendrai voir la suite quand elle sera dispo :)
J'ai beaucoup aimé l'ambiance nocturne de ce chapitre, malgré l'heure tardive on ne s'inquiète pas pour le personnage, il y a même un côté féérique à cette atmosphère. Et ce petit insecte est comme un élément fantastique, cela ajoute encore au côté enchanté de cette nuit.
Je serai patiente pour attendre la suite, tu as raison de faire une pause si tu en ressens le besoin : )
Bon courage sur la structure et sur cet autre projet !
Je pense que je reviendrai quand même après le mois de novembre parce que cette histoire reste importante pour moi. Merci pour les encouragements !