6 septembre 2015

Par Dédé

6 septembre 2015 – New York

 

Après avoir assuré le service «lunch» du N.Y.Food, un restaurant dans le quartier Time Square, à l'intersection de la 7e Avenue et de la 45e rue, Wyatt Jenkins s'octroya un quart d'heure de pause. Le «lunch» du jour proposait notamment un Avocado Drink en apéritif, un large choix de burgers, de sandwiches, de pizzas individuelles, de pâtes, de salades et de soupes chinoises.

Le jeune homme adorait l'ambiance du restaurant qui proposait, en plus d'une excellente cuisine, des décors tirés de films ou des plateaux de tournage hollywoodiens. Vêtu d'un t-shirt, d'une veste en cuir et d'un pantalon noirs, il portait en bandoulière une ceinture dans laquelle se trouvaient plusieurs munitions pour la fausse mitraillette qu'il gardait près de lui lors du service. Ceci permet aux clients de deviner le thème de la journée qui tournait autour de Terminator. Il ne se déguisait pas pour son propre plaisir. Au contraire, il se trouvait plus que ridicule.

Comme à son habitude, Wyatt attendait la fin du service pour sortir sur la 7e Avenue et fumer sa cigarette tout en errant sur le trottoir. Il ne se ferait jamais à toute cette foule qui circulait sur l'Avenue dans tous les sens. Il y avait tellement de vie à New York : c'était la raison principale pour laquelle il avait opté pour cette ville et non une autre. Au moins, à New York, il passait inaperçu. Les premiers jours, il ne connaissait personne mais, avec tout ce monde qui gravitait autour de lui, il ne se sentait pas seul pour autant. Se plaisant à se fondre dans la masse, il avait réussi à approcher certaines personnes. Des collègues du N.Y.Food, pour commencer, notamment Harry Peters et Juliet Romero.

Harry était arrivé au restaurant juste avant Wyatt. Grand, mince, les cheveux bruns à hauteur d'épaule, la trentaine dépassée, il avait immédiatement senti que Wyatt était nouveau en ville et, par conséquent, il l'avait pris sous son aile. Au début, Wyatt se demandait si Harry cherchait à flirter avec lui ou s'il se montrait juste sympathique avec le nouvel employé fraîchement débarqué dans la grande ville. Il était un peu tactile et Wyatt avait éprouvé des difficultés avec un tel comportement. Aussi, il y avait Juliet. De ce que Wyatt avait compris, elle avait approximativement le même âge que lui. De taille moyenne, cette employée plaisait à beaucoup de ses collègues tant sa silhouette était fine. Ses longs cheveux roux donnaient envie de s'y plonger dedans. Au premier abord, elle semblait froide, presque inaccessible. La jeune femme lui parlait peu et la plupart du temps, cela ressemblait à des ordres ou à des conseils professionnels. Au fil du temps, la jeune femme avait laissé tomber sa carapace et avait permis à Wyatt de l'approcher et de lui faire la conversation. Sans doute avait-elle compris que Wyatt ne cherchait pas à la séduire, qu'il faisait son travail convenablement. Et, ainsi, elle avait baissé sa garde.

Depuis, Wyatt, Juliet et Harry étaient complices dans le restaurant, comme en dehors des heures de travail. Wyatt était le seul qui ne plaisantait pas sur les noms de ses collègues. Nombreux étaient ceux qui, tous les jours, crurent bon de déclarer des : «Harry Peters ? Voldemort est dans le coin ?» ou des «Juliet Romero, ô Juliet Romero ! Où es-tu ma Juliet Romero ?». La première fois, Wyatt s'en était amusé. Mais entendre les mêmes plaisanteries au même moment de la journée, à quelques minutes près, et ce, quasiment tous les jours, cela en devenait assez rapidement lassant. Rapidement, Wyatt avait fait son coming-out auprès de Juliet et d'Harry qui avaient réagi à la nouvelle le plus naturellement possible. Il lui arrivait de sortir avec eux le soir au Tonic. Là-bas, de temps en temps, plusieurs hommes essayaient de l'approcher en mode séduction. La discussion s'y était donc prêtée un soir, après que Wyatt ait repoussé les avances d'un jeune homme d'à peine vingt ans désireux de lui payer un verre.

— Dommage, il était mignon, avait commenté Juliet en sirotant son Lava Fizz.

Parfois, Juliet ou Harry, voire les deux en même temps, s'amusaient à chercher un petit ami à Wyatt. Ce dernier aurait pu en faire de même puisqu'ils étaient également célibataires. Il lui était arrivé de suggérer à ses deux collègues de se mettre ensemble, ce qui les faisait rire à chaque fois.

S'il était décomplexé sur sa sexualité, Wyatt était gêné lorsqu'il fut interrogé sur son passé. En règle générale, il se débrouillait pour changer habilement de sujet. Pour le moment, il était trop tôt pour leur en parler. Il évitait toute question autour de sa venue soudaine à New York, sur sa famille, sur son enfance, son adolescence. Il n'était pas prêt à en parler, même s'il avait confiance en eux. Par conséquent, il ne démentait jamais les hypothèses de ses amis, sans pour autant les valider. Aux vues des événements macabres de son passé, Juliet et Harry n'étaient pas préparés à entendre l'intégralité de son histoire. Ils avaient présupposé que sa famille n'avait pas bien pris la nouvelle de son homosexualité mais ceci était la surface de l'iceberg. Jamais ils ne pourraient deviner le reste. Comment le pourraient-ils ? Il n'avait parlé à personne du camp de redressement dans lequel ses parents l'avaient envoyé pour corriger ses soi-disant mœurs plus que douteuses. Ni du fait qu'il avait changé son nom de famille afin de disparaître dans la nature et couper tous les liens avec une famille qui lui avait fait vivre l'enfer. À la fois un enfer à Roswell mais aussi un enfer au camp. Ce qu'ils lui avaient fait subir était impardonnable.

Aujourd'hui encore, Wyatt restait persuadé d'avoir pris la bonne décision. Pour lui, car il était libre d'être celui qu'il désirait être et libre, tout simplement. Et pour les siens qui n'avaient plus à le supporter tel un fardeau susceptible d'apporter le déshonneur au sein de la famille Mathis. Désormais, Wyatt se faisait appeler Wyatt Jenkins. Wyatt Mathis n'avait pas survécu aux horreurs du camp. Il l'avait laissé mort là-bas. Comment aurait-il pu survivre à cela sans aucune séquelle ?

Alors qu'il fumait sa cigarette sur la 7e Avenue au moment de sa pause, le jeune homme s'efforça de ne pas laisser tous ces traumatismes refaire surface. L'affluence de la ville de New York avait le pouvoir de l'empêcher de cogiter trop longuement, lui permettant d'oublier toutes ces atrocités et de l'aider à se concentrer sur l'avenir. Car Wyatt Jenkins avait un avenir. Après ce qu'avait subi Wyatt Mathis, il se devait d'avoir un avenir radieux devant lui, ne serait-ce au moins pour faire honneur à son ancien lui. Ne serait-ce pour qu'il puisse se dire que Wyatt Mathis n'avait pas survécu à toutes ses épreuves en vain. Il devait y avoir de l'espoir, quelque part.

Dernièrement, Wyatt se sentait bien dans sa peau. Il résidait au Whyte Hotel dont la façade était recouverte de vieilles briques. Personne ne savait qu'il avait été contraint de séjourner dans un camp de redressement pour adolescents en difficultés. Il ne faisait son coming-out qu'aux gens en qui il avait confiance et, pour autant, il avait arrêté de se cacher. Wyatt Jenkins était plus affirmé, plus sûr de lui que ce qu'avait été Wyatt Mathis avant d'être envoyé dans ce camp. Même si l'enfer sur Terre dans lequel il avait atterri avait considérablement réduit à néant ses chances d'avoir une relation suivie et stable avec qui que ce soit. En effet, Wyatt n'avait connu que quelques aventures d'un soir qui se déroulaient plus ou moins comme il le désirait, sans attaches, sans engagement, sans promesse aucune.

Il avait conscience qu'il aurait pu mourir à de multiples reprises et chaque jour, il remerciait sa bonne étoile d'avoir su veiller sur lui. Il n'allait pas croire en Dieu pour autant. Dieu lui rappelait ses parents croyants et tout rappel de son ancienne vie, de son ancienne famille, lui faisait mal comme si cela rouvrait d'anciennes cicatrices qu'il s'efforçait d'enfouir au plus profond de lui.

Il s'était construit une toute nouvelle vie et cela lui allait très bien. Depuis son arrivée à New York, il consultait régulièrement une psychiatre. C'était la seule à savoir qu'il avait un problème, même s'il n'avait jamais clairement explicité ses traumatismes. Elle ne savait que l'essentiel : sa famille l'avait rejeté à cause de sa sexualité et ce qu'il avait vécu dans son adolescence l'empêchait d'aller de l'avant et de rencontrer d'autres hommes. En vérité, il s'assumait mais pas au point de mettre ses bonnes résolutions en pratique. Il avait trop vécu dans la souffrance pour cela. Selon la psychiatre, Wyatt avait peur de sa propre fragilité. Le rejet de sa famille l'avait détruit de manière compréhensible et en s'ouvrant à d'autres personnes, il craindrait de subir inlassablement cette même déception, ce même rejet violent. Mais, il avait progressé en commençant à se confier à Juliet et Harry. La psychiatre elle-même l'avait souligné. Il apprenait de nouveau à faire confiance aux gens et c'était un bon signe.

En regardant sa montre, Wyatt constata que sa pause allait prendre fin. Il arriva au terme de sa cigarette, l'écrasa sur le sol et hâta le pas en direction du restaurant, bravant la foule pressée. Il savait qu'en retournant à son lieu de travail, quelqu'un allait se risquer à plaisanter sur Juliet ou Harry. Aucun des deux ne semblait d'humeur à supporter cet humour sans broncher. C'était pour cela que Wyatt se précipita le plus rapidement possible en direction du N.Y.Food. S'il pouvait leur éviter de s'en prendre physiquement à quelqu'un et de se faire renvoyer sur-le-champ, il serait prêt à le faire. Avec le temps, il avait appris à beaucoup apprécier Juliet et Harry. C'était eux sa famille maintenant. Et, le N.Y.Food était sa maison dans laquelle régnait une bonne humeur constante, la plupart du temps.

Alors qu'il était sur le point de rentrer dans l'établissement, un piéton manqua de le percuter. Wyatt l'évita de justesse mais son sang se glaça.

Le camp de redressement hanta soudain son esprit. Jamais ces images du passé n'avaient été aussi violentes, comme s'il se repassait tout le film à l'envers et en accéléré, comme si rien n'était fini, comme si jamais il n'avait quitté cet endroit.

Il avait de suite reconnu le piéton qui s'était présenté en face de lui, en toute hâte sans regarder où il allait et qui avait failli le heurter. Il y avait certains regards qui lui étaient impossibles d'oublier. Ce regard en faisait partie. Et, jamais il n'avait pensé revoir ce regard...

Bien évidemment, il avait pris de l'âge depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Wyatt se figea à la pensée qu'il venait de rencontrer furtivement un de ses anciens camarades du camp de redressement, un revenant. Et pas n'importe quel revenant... Brian Felton.

 

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Keina
Posté le 28/08/2019
Oh ! Un saut dans le temps ! Ok, on suit un Wyatt plus adulte. J'ai beaucoup aimé ses interactions avec Juliet et Harry, qui m'ont tout de suite semblé sympathiques, tous les deux ! Au début, je craignais que Wyatt soit un peu trop "équilibré" après l'enfer qu'il avait vécu, mais en fait, tu reviens bien sur tous ses traumatismes, et sur ce que ça a modifié dans son caractère, du coup c'est plutôt bien géré. Surtout avec l'apparition finale, qui fait remonter tout ça à la surface !
Dédé
Posté le 15/09/2019
Ce n'aurait pas été crédible que Wyatt soit équilibré comme si de rien n'était. Et pourtant, on aimerait. J'aimerais, car j'aime beaucoup Wyatt. Mais c'est ni crédible ni réaliste.

Eh oui, l'apparition finale apparait comme un BOUM! qui casse le peu d'équilibre qu'il a trouvé. Comment ça, je suis méchant ? Mais non.

Merci pour ton retour, Keina !
Jupsy
Posté le 25/08/2019
Coucou Dédé !

J'ai pris la décision de poursuivre ma lecture après un certain temps sans lire. J'ai relu le premier chapitre en diagonale donc je m'excuse d'avance si j'oublie des trucs en cours de route. Bon après je ne pense pas que Wyatt m'en veuille si j'ai oublié des morceaux de son passé !

J'ai pris plaisir à lire ce second chapitre. Après mettons nous d'accord, je n'ai pas trouvé plaisant le fait que Wyatt soit hanté par son passé. On sent clairement qu'il est toujours traumatisé par ce camps où ses parents l'ont envoyé afin de l'aider à revenir sur la bonne voie. D'ailleurs qu'est-ce qu'ils en savent de ce qu'est la bonne voie ? Ils peuvent affirmer que Dieu est pas bi ? Je ne pense pas, surtout que c'est des hommes qui ont rapporté ses paroles. Suffit que y en ait un homophobe et c'était mort. (Comment ça je m'emballe, mais pas du tout :P)

Plus sérieusement, j'étais contente de voir que Wyatt essaie d'aller de l'avant même s'il est encore incapable de se confier sur son passé. Il a réussi à se faire des nouveaux amis, et ça c'est cool. Il parle à une psy et ça c'est très bien aussi. Par contre, je suis curieuse. Pourquoi n'a-t-il changé que son nom de famille ? Pourquoi n'a-t-il pas été jusqu'à changer de prénom ?

Mon petit bémol serait sur un effet d'insistance sur son passé, comme s'il était surligné une fois de trop, ce qui alourdit un peu le texte. Après c'est la sensation que j'ai eu.

Quant à la chute, eh bien, cela promet des choses intéressantes. Comme quoi le passé vous rattrape toujours ! Même quand on essaie de lui mettre des kilomètres entre nous... C'est têtue c'te bestiole !

Un bon chapitre dans son ensemble. J'ai envie de lire la suite en tout cas ! (Même si j'ai peur de ce que je vais découvrir au niveau des camps !)

Bref, je continuerai en espérant être plus rapide que la dernière fois à commenter :P
Dédé
Posté le 25/08/2019
Juu !
Je prends très peur quand je vois que j'ai un commentaire de ta part. Genre, je retiens ma respiration et je plonge dans la lecture.
Je suis très touché de voir que tu prends à cœur la lecture du texte. Je suis aussi désolé si ça te scandalise à ce point. Et il est vrai que j'aurais pu pousser le vice et changer son prénom aussi. Mais, je pense que je n'ai pas osé aller jusque là, de peur de perdre le lecteur (surtout au début). On peut aussi interpréter en disant que Wyatt ne voulait pas se perdre entièrement, qu'il avait encore besoin de se raccrocher à quelque chose de son passé malgré tout, même s'il s'agit de son prénom.

Je suis content de ton enthousiasme pour lire la suite. Et j'espère que ça te plaira ! Tu viens quand tu veux !
Suzl
Posté le 02/05/2018
J'avais été intriguée par le premier chapitre, donc je n'ai pas tardé à venir lire le deuxième ! ;)
Toujours beaucoup d'éléments et d'actions : pas le temps de s'ennuyer ! Tu fais le choix d'un rythme rapide, et d'un côté j'aime parce qu'il se passe des choses ! d'un autre, j'aimerai aussi apprendre à connaître Wyatt. Tu le racontes beaucoup (via ce que dit la psy, quelques pensées), mais on ne le voit pas vivre, agir dans son environnement ; ce qui peut être tout aussi parlant.
(il y a une ou deux phrases qui pourraient être simplifiées pour ne pas être maladroites, comme "avait considérablement réduit à néant ses chances" et "régnait une bonne humeur constante, la plupart du temps")
Je lirai la suite avec plaisir ! :)
Dédé
Posté le 02/05/2018
Je sais que j'ai du retard mais je tenais à te remercier car ton retour, parmi d'autres, m'ont fait beaucoup réfléchir. Notamment sur le "tu le racontes beaucoup mais on ne le voit pas vivre". De fait, j'ai repris l'histoire du début et je compte approfondir la question.
Merci de ton passage, Suzl ! 
Au plaisir de te revoir bientôt dans la joie et la bonne humeur. 
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