Afghanistan, comme des enfants, B.

Afghanistan

 

B. c’est le courageux, le farouche.

Il a les codes mais pas toujours l’envie. Un sale caractère, comme un désir irrépressible de se distinguer, d’aimer mais pas trop. Participer au jeu mais pas trop et se retirer, tranquille sur la touche. Un homme mesuré face à ma déraison excessive. Le chaos, en somme. Nous deux, nos deux personnes, liées, comme frère et sœur. Un grand chamboulement, pour tous les deux, cette rencontre.

J’admire sa manière de se suffire, c’est lui et lui, dans une solitude qui ne lui fait plus peur. J’imagine que lorsque l’on a laissé femme et enfants pour traverser les milliers de kilomètres qui séparent la France de l’Afghanistan, le cœur tout serré, alors les problèmes ne sont plus les mêmes. La solitude fait partie du chemin, on s’y accorde d’une certaine manière. Elle nous protège des envieux, des haineux. On devient, je crois, plus fort que jamais.

B., je ne veux que le soigner, sans fin. Diviser la douleur, régler les factures. Inventer à deux, sa vie plus apaisée. Quel programme ! Alors avec nos silences que je ne crains pas, moi la volubile professeur de français, nous nous efforçons de le rendre heureux. Un travail de tous les jours. A deux.

Les jours de peine sont nombreux, des batailles perdues contre l’angoisse de la mort des proches, l’incompréhension de la bureaucratie française, la lassitude d’attendre encore, et encore. La peur de n’être rien, encore et encore.

Les écarts sont vertigineux. Les incompréhensions aussi, avec leur lot de déceptions. Je me dis qu’on ne se comprendra peut-être jamais vraiment. C’est douloureux.

Mais il y a un effort consenti, partagé, à désembuer l’autre. Y comprendre les contours, les évidences, les tendances. Se voir, pleinement, sans fard. Nos deux cœurs dénudés, comme des pneus éclatés. Et continuer, tous les jours, à s’apprendre. S’entraimer. Encore et encore.

Il cadre et il recadre, il aime ça, avec une rigueur aigue, son regard aigu à vif qui ne vous laisse aucune survie possible. Presque malgré lui.

Malgré tout, il y a les moments de lumière, c’est quand il danse. B. adore danser, c’est visible. Quelques percussions et ses épaules, ses mains, son buste se mettent en action. Harmonieusement, il virevolte, comme une fumée que l’on expire les jours de vent. C’est à cet instant précis que son regard est le plus pénétrant, il vous met au défi de le suivre. Une parade démodée. Son corps, vaporeux parce qu’amaigrie par le voyage, se fusionne à l’air. Quel spectacle !

Ces jours de grâce, ces jours où il n’a plus mal ou qu’il oubli un instant la douleur lancinante de son ventre, alors on danse. Des corps souples, des âmes qui s’apprivoisent, un peu tous les jours.

Des enfants. Des enfants qui jouent, encore et encore. Laissez-nous jouer, par pitié. Il nous faut continuer à jouer en attendant les vies de problèmes qui nous guettent. Laissez-nous oublier quelques instants les peurs affreuses et laides des troubles qui finiront par nous rattraper, fatalement.

B. n’aime pas dire les raisons de son départ, un mélange de pudeur et de gêne, probablement. Ce que je sais, c’est qu’il a été marqué, jusque dans sa chair. Les cicatrices de l’indicible. Son sourire lumineux n’est qu’une façade face à l’horreur éternelle sur sa peau. L’horreur visible sur sa peau, à jamais.

Je les déteste de l’avoir meurtri à jamais. J’imagine les heures de torture, sa peur infinie, ses tremblements, sa douleur.

Quand il a mal, j’ai mal, c’est aussi simple que ça.

Après des mois de marche et d’exil, ses pieds difformes à présents, se reposent enfin. Il le mérite. Enfin.

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