Assis sur son lit, Aioros étalait une crème épaisse sur son avant-bras. L’odeur de menthe poivrée emplissait ses narines alors qu’il pliait et dépliait ses doigts, ne ressentant plus qu’une faible douleur. La blessure ne datait que de cinq jours, mais être ainsi touché sur son bras armé le contraignait au repos. Il pesta contre lui-même. La prochaine fois qu’il s’engagerait dans un duel, il lui faudrait se méfier davantage. Appartenir au corps d'élite des Mecers n’était pas suffisant pour dissuader tous ses adversaires.
Et tu as eu de la chance que ce duel soit ene’sar, intervint Saeros.
Aioros était d’accord avec son Compagnon. Le premier sang était le meilleur moyen de terminer un duel ; le jeune ailé n’était pas adepte des effusions de sang inutiles, mais les Massiliens étaient encore bien trop nombreux à ne jurer que par les duels à mort. Un retour à la mode qui inquiétait son père, Djicam de Massilia.
Aioros se leva, fit jouer ses doigts encore une fois avant de redescendre la manche de son uniforme gris, signe de son grade d’Émissaire au sein des Mecers. Trois Cercles dorés s’entrelaçaient sur la gauche de sa poitrine ; encore trois à obtenir avant de demander à passer l’épreuve pour devenir Messager, ultime statut chez les Mecers. En attendant ce jour où il dirigerait les autres, c’était à lui de se plier aux ordres, même si appartenir à la Seycam lui valait quelques passe-droits. Son père, Ivan sey Garden, représentait la planète au sein de la Fédération des Douze Royaumes, et sur Massilia, il gérait les seize Clans et leurs querelles. De fait, il était souvent absent, et en tant que grand frère, Aioros essayait de garder la fratrie unie. Leur mère leur manquait à tous ; Aioros avait douze ans lorsqu’elle avait péri en donnant naissance à son plus jeune frère, Lucas.
Et quelque part, il lui en voulait toujours.
Je pensais que tu aurais fini par passer à autre chose, nota Saeros.
Perché sur l’un des montants du lit, près de la fenêtre qui restait toujours ouverte, le faucon nain lissait ses plumes.
Aioros pinça les lèvres. Impossible de cacher la moindre de ses pensées à son Compagnon.
Il a les yeux de notre père, répondit-il. Pour le reste, c’est son portrait craché. Plus il grandit, plus il lui ressemble. En plus il est chouchouté par tout le monde. Il n’a aucune idée des dégâts que sa naissance a provoqués. Il ne pense qu’à jouer de l’épée, sans savoir ce que c’est de risquer sa vie.
Il est jeune, tempéra Saeros. Il apprendra.
Ce n’était pas la première fois qu’ils avaient cette conversation ; malgré leur lien, Aioros échouait à faire comprendre à Saeros l’importance que cette histoire avait à ses yeux. Tout cela était certes bien loin des préoccupations du petit rapace, qui songeait plus à son prochain repas qu’à autre chose.
Je suis là je te rappelle ! Et je ne pense pas qu’à manger, rétorqua Saeros.
Aioros se laissa gagner par un sourire. Il percevait l’air outré de son Compagnon dans sa façon de gonfler les plumes. Avant qu’il ne puisse lui répondre, cependant, un coup fut frappé à la porte qui s’ouvrit dans la foulée.
Aioros haussa les sourcils.
— Je t’en prie, entre donc Valérian, merci d’avoir demandé…
— Oh ça va, inutile de me servir ton petit discours ! Je savais que tu étais seul, lui retourna son frère en balayant les lieux du regard.
Aioros croisa les bras. Valérian n’avait qu’un an d’écart avec lui, mais il ne se souvenait pas s’être jamais montré aussi frivole. Ah ça, avec ses boucles blondes savamment agencées qui lui tombaient sur les oreilles, ses yeux verts aussi brillants que des émeraudes, son corps musclé forgé par les années d’entrainement au sein des Mecers… Valérian faisait tourner bien des têtes. Et il en profitait sans vergogne.
Serais-tu jaloux ? se moqua Saeros.
Du tout. Ses conquêtes lui amènent autant de plaisirs que de duels. Grand bien lui fasse.
— Je ne suis pas seul. Saeros est là, ajouta-t-il en désignant le faucon du doigt.
Valérian éclata de rire.
— Tu joues avec les mots, mon frère.
— Et si tu me disais plutôt ce qui t’amène à une heure aussi tardive ? soupira Aioros.
— J’ai besoin de toi.
Ça, ce n’était pas une surprise. Si les deux frères ne se détestaient pas, ils partageaient peu de points communs et se fréquentaient plutôt par obligation. La famille, c’était important.
— Je t’écoute.
— Il y a ce bal, dans une semaine. Dans la capitale, tu imagines ? Pour une fois… Un bal masqué, à l’ancienne ! Cape obligatoire, interdiction de donner son nom… anonymat garanti ! Finies les femmes qui me pistent, je pourrai enfin cibler qui je veux !
Avec un soupir, Aioros croisa les bras. Un bal. Il aurait dû se douter qu’il s’agissait d’une chose sans importance. Lui les évitait autant que possible ; tous les Clans lui envoyaient des filles en espérant qu’il choisisse sa future épouse parmi l’une d’elle et que le Clan en question puisse s’en vanter vingt ans durant, au minimum. Eraïm le préserve de se marier par intérêt politique ! Pourtant, si appartenir à la Seycam avait ses avantages, il y avait un revers à la médaille. Il restait fort probable que son père lui désigne une épouse s’il tardait trop à s’engager, ne serait-ce que pour préserver la stabilité entre les Clans.
— Et qu’est-ce que je viens faire là-dedans ? Tu sais que je n’aime pas ces divertissements.
— Père refuse que j’y aille seul, grommela Valérian. Toi ou Dorian doivent m’accompagner. Et vu que Dorian est en mission pour encore au moins quinze jours….
— C’est sur moi que ça tombe, termina Aioros. Je ne sais pas, Valérian. Je n’ai aucune envie d’aller me ridiculiser.
— Mais personne ne saura qui tu es, justement ! insista Valérian. Et puis tu es de repos, de toute façon. Autant s’occuper, non ?
Te divertir te fera du bien.
Depuis quand tu es contre moi, toi ? s’étonna Aioros.
Tu as besoin de te détendre un peu. Tu enchaines les missions. De quand date ta dernière permission ?
Saeros n’avait pas tort. Mais tant qu’à prendre une pause, pourquoi ne pas consacrer ce temps à une activité qui lui plaise, plutôt qu’à jouer les chaperons auprès de son frère ?
— Si je te dois te rendre un autre service en échange, on peut aussi trouver un arrangement, insista Valérian.
— Sachant que tu m’en dois déjà trois, ironisa Aioros.
Il soupira.
— Très bien. Mais tu me trouves un costume qui ne me rende pas ridicule. Et si je le juge inacceptable, je te plante là. Marché conclu ?
L’air pensif, Valérian caressa son menton.
— J’accepte ton défi, mon frère. Je te trouverai quelque chose de sobre, sérieux, élégant mais pas trop pour que tu puisses te fondre dans la masse. Ton costume sera l’écrin de ma beauté.
Aioros leva les yeux au ciel. Une chose était sure, Valérian trouverait un moyen de réussir.
*****
La semaine s’était écoulée plus vite qu’Aioros ne l’aurait songé. Valérian avait tenu parole, l’enveloppant dans une lourde cape brune qui trainait sur le sol. Entre ça et le masque argenté sur son visage… seuls ses yeux et sa bouche étaient visibles ; même ses cheveux disparaissaient sous une cascade de plumes blanches mêlées de mèches noires. Il était cependant hors de question d’aller se promener sans une arme à son côté. Tant qu’il ne dégainait pas, personne ne pourrait deviner qu’il portait une lame en Ilik, typique des Mecers, et non une classique épée d’acier.
De son alcôve, Aioros distinguait Valérian qui dansait au milieu de la foule. Son masque était doré, arborait un immense sourire, et il n’avait pas pris soin de camoufler ses boucles blondes. Même sa cape scintillait sous la lumière des immenses lustres. Aioros ne put s’empêcher de sourire. Quel était l’adage, déjà ? Parfois le meilleur des camouflages était de se placer en pleine lumière.
Un serviteur s’approcha de lui, plusieurs boissons disposées sur un plateau. Aioros se servit avant de le remercier d’un signe de tête. Même les domestiques étaient masqués, dans une livrée noire, sobre, où seuls brillaient des liserés dorés à leurs poignets. Piqué par la curiosité, Aioros chercha à identifier les danseurs qui tourbillonnaient sur la piste. Certaines plumes apparaissaient parfois sous une cape ; les couleurs vives étaient un signe distinctif du Clan des Iles, au sud. Et si les jeunes gens masquaient relativement bien leurs ailes, ils avaient parfois oublié de faire attention au symbole brodé de leur Clan, soit sur un gant, soit sur un revers de bottes. Aioros avait pris soin de passer un épais bracelet de cuir sur son poignet, pour masquer le tatouage qui l’identifierait comme membre de la Seycam. Il y avait une certaine inimité entre la Seycam et certains Clans ; déclencher une querelle sur un détail serait malvenu alors que l’heure était à la détente. L’alcool aidant la fougue naturelle de la jeunesse, le moindre écart se solderait par un duel.
— Bonsoir.
— Bonsoir, répondit aussitôt Aioros, cherchant à masquer sa surprise.
Aucun ennemi n’aurait dû pouvoir s’approcher si près de lui sans qu’il ne le remarque ; s’était-il montré trop distrait ? Pire, il s’agissait d’une intruse, qui arborait un sourire satisfait sous son masque ouvragé. C’était une cape de fourrure qui masquait ses ailes, et nulle broderie ne trahissait son clan sur sa tunique violette. La couleur de la Fédération ; un choix singulier.
— Vous ne dansez pas, poursuivit-elle.
Et ce n’était pas une question.
— Vous non plus, répondit Aioros, agacé.
Il retint un soupir. Sa tranquillité venait de prendre fin, apparemment. Et l’importune ne semblait pas pressée de partir.
— Pourquoi être venu, alors ?
— Je pourrai vous retourner la question.
La jeune femme sourit, attrapa un verre sur le plateau d’un domestique qui passait près d’eux.
— Je suis curieuse, dit-elle. J’aime chercher à deviner qui se cache sous les masques. Là, vous avez vu ? Ce danseur avec la cape argenté, ses plumes sont vertes et jaunes. Il est des Iles. Et vu sa couleur de cheveux… je parierai sur le fils de Matthéo do Tremès lui-même.
Sous son masque, Aioros haussa les sourcils.
— Pas mal, admit-il. Mais c’était facile.
— Est-ce un défi ? musa-t-elle en s’approchant.
Tout son instinct lui hurlait de s’écarter, mais Aioros se refusa à céder. Elle ne pouvait pas être si dangereuse que ça, non ? À moins qu’elle n’appartienne aux Mecers, tout comme lui. Non, elle aurait porté une épée. Et s’il n’en distinguait pas à sa ceinture, une ou plusieurs lames devaient être dissimulées dans ses bottes ou camouflées sous sa tunique : nul Massilien sain d’esprit n’aurait quitté sa demeure sans arme.
— Celui-ci ? proposa Aioros.
Elle suivit la direction qu’il indiquait ; derrière le masque brodé, ses yeux s’étrécirent. Puis, elle sourit de nouveau.
— Vous me sous-estimez, ou vous êtes moins observateur que vous ne le pensiez. La cape bordeaux, c’est la teinte exacte du Clan du Serpentaire. Quelle erreur de débutant. En plus, il n’a pas pris garde à ses gants, brodés de l’emblème de son Clan. Dénéthis do Bonifar n’a qu’un fils en âge de se rendre à ce bal. Je parie qu’il s’agit donc de Eifiel do Bonifar. Dix-huit ans depuis quelques jours, et bientôt promis.
— Lui, déjà promis ? s’étonna Aioros. Impossible !
De son verre, elle tapota sa poitrine.
— Mes sources sont sûres. Alors, qu’en dites-vous ?
Aioros se prit à sourire à son tour.
— Je me dis que cette soirée ennuyante devient soudainement plus agréable.
Elle éclata de rire.
— C’est amusant, oui. Par contre, vous camouflez bien votre jeu… et pourtant, j’ai la curieuse impression de vous avoir déjà vu.
Aioros était certain pour sa part de n’avoir jamais croisé ce regard-là.
Je confirme.
Et elle était suffisamment grande pour le regarder droit dans les yeux. À moins qu’elle n’use de talonnettes ? Modifier sa corpulence était facile, avec la cape qui camouflait leurs ailes.
Il n’avait aucune idée de son Clan ; par contre, les connaissances qu’elle possédait signifiait qu’elle était haut placée dans la hiérarchie de l’un d’entre eux. Peut-être même une future héritière ? Aioros passa mentalement en revue les familles des Clans. Sur les seize, plusieurs avaient des jeunes filles en âge de se marier, il était bien placé pour le savoir. Elle n’était pas nécessairement une héritière, d’ailleurs, pouvait aussi être placée dans la maison de l’un d’entre eux, ou servir d’intendante, ou encore…
Aioros attrapa son poignet au moment où elle tirait l’épée de son fourreau ; leurs regards se croisèrent. Trop tard, songea Aioros. Elle avait eu le temps d’apercevoir la lame.
— Quelle poigne, susurra-t-elle. Les lames en Ilik sont essentiellement portées par les Mecers, et vous êtes trop jeune pour être Messager… et puis ce gris. Ne vous êtes-vous pas montré trop confiant, Émissaire ?
— Je ne dois pas être le seul présent ici ce soir, lâcha Aioros.
Il s’en voulait de s’être montré si peu prudent.
Mieux vaut qu’elle te sache Émissaire que membre de la Seycam, non ? C’est ça que tu cherchais à protéger.
Saeros n’avait pas tort. Des Émissaires, il y en avait de tous les Clans, après tout. Elle n’avait aucune raison de le soupçonner.
— Croyez-vous que la Seycam soit présente, ce soir ?
Pris de court, Aioros tenta de ne pas laisser paraitre son trouble, mais elle l’interrompit aussitôt.
— Évidemment. Ce jeune flambeur de Valérian n’aurait pas pu laisser passer l’occasion. Qui croit-il tromper, avec son déguisement doré ? Il n’y a que lui pour se permettre une telle extravagance.
Elle avait les yeux rivés sur la piste, et Aioros laissa échapper un petit rire. Qu’attendre d’autre de son frère ? Heureusement que toutes n’avaient pas le regard aussi acéré.
— Qui sait, peut-être espère-t-il chasser de nouvelles proies moins méfiantes ?
Elle se tourna vers lui, le dévisagea avec circonspection. Il aurait bien aimé voir davantage de son visage, mieux cerner son expression. Les masques qui dissimulaient leurs traits n’offraient pas que des avantages.
— M’accorderez-vous une danse ?
— Vous avez du deviner que je n’aimais pas danser, répondit Aioros.
Elle se rapprocha, suffisamment pour qu’il puisse respirer son parfum. Des notes florales, une touche de légèreté… il devinait la rose, mais le reste lui était inconnu bien que familier.
— Il sera plus facile de glaner des détails en étant plus près, glissa-t-elle à son oreille. Et puis, je vois l’un de mes frères arriver. Permettez-moi de lui échapper une nouvelle fois. J’adore le faire tourner en bourrique.
Aioros allait objecter qu’il était impossible de danser un verre à la main, mais un serviteur passa fort opportunément récupérer leurs verres vides. Avec un soupir qu’il ne chercha pas à dissimuler, Aioros le regarda disparaitre dans la foule. La jeune ailée ne cacha pas son amusement, et avant qu’il ne puisse protester davantage, attrapa sa main et l’entraina avec elle.
Tu ne te débats pas beaucoup, observa Saeros.
Elle est déterminée.
Je t’ai connu plus combattif. J’ai presque l’impression que tu es satisfait de te laisser faire.
Aioros fronça les sourcils. Il devait bien passer le temps, non ? Il n’allait pas passer la soirée à attendre que son frère se lasse des jeux de séduction auxquels il s’adonnait.
Parce que ce n’est pas ce que tu es en train de faire ?
Du tout, je…
Il s’interrompit, le regard fixé sur sa partenaire. Les yeux calculateurs ne le lâchaient pas. Eraïm ! S’était-il montré si aveugle ? Saeros avait raison sur toute la ligne.
Comme toujours.
Sous couvert d’une simple discussion, elle l’avait mené sur la piste de danse, et il avait suivi, de la même façon qu’un faucon plonge sur un leurre.
— Pour quelqu’un qui n’aime pas danser, vous dansez bien, observa-t-elle. Pourtant, je sens que quelque chose vous préoccupe.
Elle est redoutable et perspicace. Sois méfiant.
Sa main était chaude dans la sienne, et si elle acceptait de se laisser guider, Aioros sentait qu’elle maitrisait tous les codes des complexes pas de danse. Qui était-elle ? Il se rappelait de la difficulté qu’il avait eue à mémoriser les pas ; jusqu’à ce que son père lui fasse remarquer que la danse n’était qu’une autre chorégraphie de ses rituels d’échauffement au combat.
— Qui es-tu vraiment ? souffla-t-il.
Les yeux clairs brillèrent sous le masque bleu nuit. Elle lâcha sa main pour tourner sur elle-même, et lorsque sa cape s’entrebâilla, Aioros chercha un indice avec la couleur des rares plumes qui devinrent visibles un bref instant. Elle revint contre lui avant qu’il ne puisse se faire une idée.
Et cette fois, il n’eut que trop conscience de son corps contre le sien.
— Je suis qui je suis, répondit-elle enfin. Tu es qui tu es. Nous sommes ce que nous sommes. N’est-ce pas suffisant ?
Elle a de la répartie, en tout cas. Plus intelligente que ta dernière conquête.
Je n’avais pas choisi Syméris pour discuter. De toute façon, tout ce qui l’intéressait, c’était l’aura de la Seycam.
Tu te justifies, pointa Saeros. Avoue qu’elle t’intrigue.
Pour son Compagnon, il était prêt à le reconnaitre. Devant elle, jamais. Montrer son intérêt ne serait que l’inciter à s’accrocher davantage ; il ne le devait pas.
Et pourquoi pas ? Tu lui plais, apparemment. Si elle te plait aussi, pourquoi chercher plus loin ?
Parce que je ne suis pas Valérian. Ce n’est pas l’amusement que je recherche.
Tu cherches à construire ton nid ?
Aioros faillit lui répondre que non, puis s’abstint. Que cherchait-il vraiment ? Il avait vingt-quatre ans ; c’était encore jeune, mais il n’étonnerait personne en se mariant maintenant. D’ailleurs, nombre de ses amis avaient commencé à fonder une famille. C’était une valeur importante, sur Massilia.
Mais comment pouvait-il savoir si ses prétendantes s’intéressaient à lui ou à sa position au sein de la Seycam ? Là résidait la difficulté. Même si les Massiliens ne pouvaient mentir, poser la question frontalement serait vu comme insultant.
Et jusque-là, tu n’as jamais rencontré quelqu’un qui t’intéresse suffisamment.
Aussi.
— Eh bien ? reprit-elle. On est devenu mutique ?
— Je réfléchissais.
Derrière le masque, ses yeux brillèrent. Ils s’éloignèrent de nouveau avant de se retrouver ; la danse était classique, permettait d’évaluer la grâce et la légèreté des danseurs.
— À moi, j’espère ?
Aioros sourit.
— Je cherche des indices sur ton identité, admit-il.
— Tu ne trouveras pas, rétorqua-t-elle.
— Je ne suis pas sans ressources.
Elle sourit à son tour. La danse se terminait ; ils s’inclinèrent pour se saluer comme le voulait la coutume. L’orchestre enchaina sur un morceau plus entrainant, mais elle attrapa sa main pour le conduire à l’écart.
— Je n’abuserai pas davantage, dit-elle. En revanche, je te propose un jeu. Identifie l’un des danseurs, et je répondrai à l’une de tes questions.
Elle ne précisa pas qu’elle ne révèlerait pas son nom ; c’était logique, après tout, et cela aurait été bien trop simple. Et puis, c’était un défi. Par deux fois elle avait prouvé son talent à débusquer l’identité des joueurs ; qu’elle en attende autant de lui était normal
Trois fois, précisa Saeros. Tu oublies qu’elle a eu ton frère, aussi.
Aioros balaya la salle du regard. La soirée était bien avancée, et nombreux étaient les danseurs à déserter la piste pour aller se servir en rafraichissements. Des groupes se formaient et se reformaient ; certains disparaissaient dans les couloirs, et il doutait de les revoir avant l’aube.
Une cape verte accrocha son attention. Un vert pâle, associé à des bottes souples en daim, sur un pantalon sombre. Plus important, l’individu portait un bracelet de perles scintillantes. Aioros toucha doucement le bras de sa compagne.
— Masque vert, dit-il doucement. Avec la cape assortie.
Elle plissa les yeux.
— D’après son bracelet, il appartient au Clan des Pierres. Et vu la combinaison des pierres, je dirai la sœur du chef Macheriel do Zao en personne.
— Impressionnant, murmura-t-elle. Je ne connaissais pas ce langage.
Quand les yeux bleu clair se posèrent sur lui, pensifs, Aioros se demanda un instant s’il ne s’était pas trahi involontairement.
— Tu es quelqu’un d’indéniablement cultivé… et tu peux poser ta question.
Il y avait déjà réfléchi ; le trouverait-elle prévisible ?
— Où puis-je te revoir ?
Elle resta un long moment silencieuse et Aioros se surprit à se demander quelles pensées tourbillonnaient derrière son masque. Avait-elle choisi la couleur pour mettre ses yeux en valeur ?
— Le Clan des Nuages profite de la présence de la Seycam dans la capitale, dit-elle enfin. Et si Valérian sey Garden est là ce soir, ils vont se féliciter de leur succès. Oh, tous ne l’auront pas reconnu, mais, les rumeurs vont enfler. Ils organiseront un autre bal prochainement.
Elle se rapprocha encore ; Aioros retint son souffle.
— Il se peut que j’y sois, poursuivit-elle. Si tu m’y trouves, peut-être pourrons-nous continuer cette intéressante conversation ?
— Ce sera un honneur et un plaisir, s’inclina Aioros.
T’as conscience que ton rythme cardiaque s’emballe sans aucune logique, là ?
La ferme, Saeros.
*****