Aurore de jeunesse (6) - L'escalade

Par Pouiny

Le lundi, j'avais perdu espoir d'avoir des nouvelles sur la santé d'Aïden, regardant le paysage sur mon vélo avec un peu de déception. Je le garai comme à mon habitude un peu plus loin du lycée, me servant toujours des deux mêmes anti vols, mais au moment où je me redressais pour partir, je vis la silhouette d'un homme me faire face et me glacer le temps :

« Aïden, c'est toi ?! M'écriai-je en sursautant, bien plus effrayé que je le souhaitais. Tu m'as fait peur ! Qu'est ce que tu fais là ?

– C'est mon père qui vient de me déposer ici... Je ne pensais pas que tu serais là. »

Il se tenait sur une béquille d’un coté et en tenait trois autres dans sa main, peu à l’aise. Sa cheville droite était désespérément au-dessus de sol, coincée dans une attelle.

« Alors ?

– Une bonne entorse, me répondit-il avec un regard triste. Je n’ai plus le droit de faire de sport pendant deux mois.

– Deux mois ! C’est dur ! »

Il ne répondit rien de plus et un silence gênant commença à s’installer entre nous. Cherchant vite à me sortir du malaise, je remarquai sa main dont les béquilles glissaient désespérément. Je profitai de cette faille pour lui en prendre deux :

« Tu as l’air d’être en difficulté… Tu veux que je t’aide ?

– Ce n’est pas de refus ! Je dois les rendre à l’infirmier.

– Bon… Alors on est parti ! »

Les deux béquilles dans la main, je commençai à marcher doucement de sorte à ce qu’il puisse me suivre. Le pauvre avait l’air de ne vraiment pas être à l’aise à cloche-pied, faisant une grimace à chaque pas.

« Tu n’as jamais marché en béquille, toi, je me trompe ?

– Pourquoi, toi oui ?

– Évidemment ! Plein de fois, même ! C’était mon jeu préféré, à l’hôpital.

– L’hôpital ? »

C’était une véritable question, mais pour une obscure raison, je ressentis dans le ton d’Aïden une sorte de peur, comme si ce simple mot réveillait des cauchemars enfouis.

« Mes parents travaillent en hôpital et ils m’emmenaient souvent sur leur lieu de travail quand ils ne pouvaient pas rentrer me faire à manger.

– Ah bon… Tu ne t’es jamais fait mal comme moi, donc.

– Pas dans mes souvenirs, en tout cas.

– Tu aimes bien, l’hôpital ? Me demanda Aïden alors qu’on passait l’enceinte du lycée.

– Pas vraiment. Je trouve ça plutôt oppressant. Ça ne m’a jamais réveillé aucune vocation, en tout cas !

– D’accord… Je comprends. »

Nous arrivâmes devant la porte de l’infirmerie qu’Aïden ouvrit sans aucun complexe. On fit face à l’infirmier qui venait manifestement d’arriver dans son bureau.

« Ah, Aïden ! Tu as vu le médecin ?

– Oui, je suis immobilisé pour un mois et pas de sport avant deux, selon ses prévisions. Après, ça peut dépendre.

– Oui, évidemment. Tu as mes béquilles ? »

Jusque là un peu en retrait, je m’avançais en tendant les béquilles à l’infirmier. Celui-ci, surpris, les pris en m’analysant du regard :

« Bastien, c’est ça ?

– A votre service, monsieur, fis-je en une fausse courbette.

– J’ai rencontré ton père il n’y a pas longtemps. Il m’a déjà parlé de toi. Tu lui ressembles beaucoup !

– Je me demande bien ce qu’il a pu vous dire mis à part que je suis un bon à rien, commentai-je en riant.

– Il m’avait confié tes problèmes dans les études. Vous vous êtes bien trouvés, tous les deux ! »

Aïden sembla comme se fermer comme une huître à la suite de cette phrase. Comprenant très vite le malaise, je continuai avec mon ton habituel :

« Justement, monsieur, ce n’est pas contre vous, mais le devoir nous appelle ! Partons immédiatement en quête de savoir et de gloire, Aïden. »

Le sourire que me fit l’infirmier semblait aussi bien amusé que consterné, alors qu’on quittait son espace de travail pour l’air libre. Nous arrivâmes dans la cours de récréation, et alors que j’allais saluer mon camarade et partir vers ma salle de cours, il me retint.

« Attend, s’il te plaît. J’ai quelque chose pour toi. »

Surpris, je le vis poser ses béquilles et chercher frénétiquement quelque chose dans son sac. Puis, alors que j’hésitais à lui proposer mon aide, il déposa son sac à terre et me tendit brusquement juste sous mon nez un sandwich ressemblant presque à celui que j’avais donné au professeur quelques jours plus tôt. A ceci près que celui-ci ne venait pas de la cafétéria du lycée comme le mien, mais semblait plutôt avoir été préparé à la maison. Ébahi, je ne pus pas trouver quoi dire de suite, le voyant la tête baissée, les joues rouges et les yeux fermés comme si une montagne allait lui tomber sur la tête. Voyant que je ne réagissais pas, il avança légèrement, avant de dire :

« Vraiment désolé… Pour mon comportement ! »

La situation me parut si absurde, si comique, que j’éclatai instantanément de rire. Il rouvrit les yeux, pensant peut-être que je me moquai, et commença à s’insurger :

« Mais pourquoi tu ris ! J’essayais d’être sympa ! »

Mais ses protestations ne me firent que rire davantage. Toute la pression, la méfiance et l’inquiétude que j’avais emmagasiné ces derniers mois me semblèrent comme être balayé d’un revers de la main, et malgré l’obligation de me plier en deux en me tenant le ventre, je me senti incroyablement bien. Comprenant qu’il ne fallait plus rien attendre de moi, il restait en équilibre sur son pied en silence, assez gêné et un peu perdu. Quand après plusieurs minutes, je pus enfin récupérer mon souffle, il me retendit à nouveau sa baguette de pain, presque irrité. Je m’essuyais les yeux et eut un grand soupir de soulagement, avant de lui prendre enfin son cadeau des mains.

« Ça faisait longtemps que je n’avais pas ri comme ça. Merci, Aïden. Si tu ne participes pas à l’escalade après les cours, tu préférerai qu’on partage ça après ?

– Je vais quand même assister au cours d’escalade, donc ça ne me pose pas de problème.

– Tu plaisantes ? Tu vas participer avec une cheville dans cet état ?

– Je peux toujours assurer…

– Attends, attends, attends. On en discutera plus tard, je dois aller en cours. Mais ne pense pas t’en sortir à si bon compte !

– T’inquiètes pas. A ce soir !

– Garde le, s’il te plaît, dis-je en lui retendant son cadeau. Je ne voudrais pas l’abîmer. Tu me le redonneras là bas ! »

Je commençai à m’éloigner, et par réflexe, je tournai la tête. Il regardait avec une tête étrange encore l’objet que j’avais déjà pu apercevoir il y a plusieurs mois en arrière. Il regarda le ciel, et commença à se diriger vers l’arrière du bâtiment. Assez interrogatif, je me notai de lui poser la question une fois les cours passés.

 

Les cours passèrent avec une légèreté déconcertante. La tête tournée vers la fenêtre, jouant avec mon stylo, je rêvassais à ce qui allait se passer à l’escalade, tout en jonglant avec mon stylo. Parfois, je notais une phrase de cours, où un morceau de couplet. Pendant les cours de mathématiques, je révisais mes accords de piano sur ma feuille quadrillée, repensant à ma musique, dans le vague.

 

La fin des cours fini par sonner et je partis guilleret en direction du mur d’escalade. J’étais tellement pressé que même le professeur arriva après moi. Après les salutations d’usage, nous commencions à sortir le matériel, cordes et baudrier, quand le bruit régulier de béquilles me fit lever la tête. Aïden s’approchait de nous, accompagné de quelques autres élèves du club. En levant une de ses béquilles, il me fit un signe.

« Salut, Bastien !

– Salut ! Tu nous aides à vérifier le matériel ? »

Il acquiesça, et on commença à vérifier les baudriers alors que le professeur commençait à accrocher les cordes.

« Tu vas escalader, ce soir ? Me demanda Aïden d’un ton léger.

– Oui, j’ai besoin de me défouler !

– Tu as un assureur ? »

Comprenant bien vite ou il voulait en venir, je le regardais avec un suspicieux.

« Ne me dis pas que tu veux assurer qui que ce soit dans ton état ! Tu ne peux même pas poser le pied à terre !

– Ça va, je tiens debout et mon pied peut quand même toucher le sol… Je peux le faire !

– Aïden, c’est dangereux. Tu as demandé son avis au professeur ?

– Monsieur ? Cria Aïden. Vous me donnez l’autorisation d’assurer Bastien ?

– Hein ? Quoi ?

– Tu vois, il est d’accord. »

Son petit sourire innocent me fit désespérer de sa santé mentale. Je l’emmenai vers le professeur pour demander son avis, celui ci sembla hausser les épaules.

« Si c’est toi qui escalades, je suppose qu’il n’y aura pas de problème.

– Mais monsieur !

– Aïden, tu fais attention, et Bastien, tu ne tires pas trop. La cheville n’est pas ce qui est le plus exposé, donc à moins d’une chute violente, ça ne devrait rien aggraver.

– Merci, monsieur ! Tu viens, Bastien ? »

Fier de sa victoire, mon acolyte se dirigea vers une des pistes utilisable, commençant à vérifier son baudrier. Comprenant que j’avais perdu, je laissai tomber et commença à m’accrocher à la corde.

 

Notre lycée avait pour spécialité l’escalade, et pour cause : Proche des montagnes, notre mur un peu éloigné de l’établissement était un véritable mur de montagne naturel où quelqu’un avait accroché des prises en plastiques. Loin d’être lisse, il n’était pas obligatoire d’utiliser les prises classiques et l’on pouvait parfaitement escalader en ne se servant que de la pierre et des trous causés par l’érosion. Ainsi, les dernières pistes utilisables pouvaient atteindre une vingtaine de mètres et il était également possible de se reposer, assis sur le bout du mur naturel, une fois arrivé tout en haut. Plus d’une fois j’avais profité de la vue en récompense de la difficulté de l’exercice.

 

L’escalade était un sport très introspectif et psychologique. Bien plus que la physique, très souvent la peur était ce qui pouvait m’empêcher d’avancer. En cela, l’assureur était très important. Son rôle, en plus de prévenir de la moindre chute, pouvait aussi de rassurer ou guider son grimpeur. Rester immobile trop longtemps en escalade était souvent le pire. J’avais tendance à jouer à l’instinct et de ne pas réfléchir trop sur la sûreté de mes prises, pour ne pas me bloquer.

 

Je n’étais pas spécialement effrayé par le vide, mais je pouvais rapidement être mal à l’aise après une certaine hauteur. Si je n’étais pas dans le bon esprit, je pouvais vraiment être incapable de monter. Mais ce soir là, je fus assez fier de moi. Prenant une piste assez difficile et haute pour mon niveau, je réussi néanmoins à arriver au bout une première fois. A chaque hésitation, Aïden, en bas, me guidait et m’encourageait, de façon très factuelle et calme, qui me faisait oublier mes appréhensions.

« Allez, Bastien, tu as une prise rouge à portée de bras, à droite !

– Tu rigoles, je suis pas assez grand !

– Ton pied droit, sers-t-en pour faire de l’élan ! »

C’était la chose la plus difficile à faire pour moi. Me retrouver sans prise, sans contact avec rien, même pendant moins d’une seconde, faisait battre mon cœur. Je sentis la prise autour de mon baudrier se resserrer :

« Tu n’as rien à craindre, je suis prêt !

– Pars pas du principe que je vais forcément tomber !

– C’est toi qui paniques, je te dis que tu en es capable ! »

Je fermai les yeux, et inspirait longuement.

« Mou ! Tu m’empêches de bouger correctement ! »

Instantanément, l’attache se fit moins forte. J’ouvris les yeux, et fit un petit bond. Ma main droite fit le mouvement le plus vif possible et l’attrapa sans aucun problème. Mon pied trouva naturellement une aspérité sur laquelle s’appuyer. Mon cœur battit à nouveau et je me pris à rire.

– Reste concentré, il reste encore quelques mètres !

– Laisse moi être un génie ! »

Enfin, après quelques efforts supplémentaires, je pus enfin m’asseoir sur la montagne et regarder le ciel avec bonheur. Après avoir verrouillé mon esprit contre la peur, je pouvais enfin être heureux.

« C’est bien, en haut ?!

– C’est génial !!

– Allez, descends !

– Oui, moulinette ! »

Je me mis en position, et en une petite minute, j’avais redescendu tout ce que je venais d’escalader plus tôt. Une fois sur le plancher des vaches, je me pliai en deux pour respirer. Aïden me sourit gentiment :

« Ça va, tu es encore vivant ?

– Ça va… C’est tuant !

– Allez, à moi !

– Quoi ?! »

Je ressautais sur mes pieds et manquait de l’assassiner du regard.

« Dois-je te rappeler que tu as une entorse à la cheville et des béquilles à même pas trente centimètres de toi ?

– Ça va, je peux très bien faire ça sans mon pied droit, me fit-il avec un ton odieusement léger.

– Je ne sais pas si tu es fou où inconscient…

– Tu es un bon assureur, non ? Je n’ai donc rien à craindre en essayant. »

Je ne pris même pas la peine de répondre, secouant la tête sans même savoir quoi dire. Puis, son regard d’ordinaire si perdu prit cette fois-ci la peine de me fixer.

« Je sais que je ne vais pas pouvoir courir pendant deux mois, mais si je m’interdis de tout sport pendant toute cette période, je vais juste exploser… J’en aurais besoin, s’il te plaît. »

Surpris de le voir pour une fois parler de lui, mes yeux le fixèrent sans rien dire. Il paraissait particulièrement sincère, et peut être même assez triste. Comprenant que j’étais en train de me faire avoir, je me détachai en soupirant.

« Au moindre problème, je te redescend et je t’assassine, c’est compris ?

– Très clair. Merci, Bastien. »

Pas très convaincu de mon choix tout de même, je lui tendis la corde en maugréant et on se prépara chacun de notre coté.

 

J’avais déjà remarqué Aïden et ses capacités en course et badminton, mais étant très centré sur moi-même durant les séances d’escalade, ce fut la première fois que je remarquai ses aptitudes dans ce domaine et je crus que j’allais véritablement devenir jaloux. Avec aisance et légèreté, c’était comme si Aïden n’avait jamais peur de se jeter dans le vide. Très vite, en tant qu’assureur, je me rendis compte à quel point j’étais inutile, malgré un appui de moins. Se servant de son pied blessé pour s’équilibrer, il compensait en utilisant tout le reste. Il pouvait même utiliser son genou plutôt que sa cheville quand un appui sur le coté droit était nécessaire. Il grimpa pas forcément plus rapidement que moi, mais je fus persuadé qu’avec sa cheville en bon état, il m’aurait très largement battu. Il arriva tout en haut et s’installa où j’étais plusieurs minutes auparavant. Sans aucun complexe, il me regarda de tout en haut :

« J’ai gagné !

– C’est bien ! Allez, redescends, on va manger !

– Apporte mon sac, on a qu’à manger ici !

– T’es malade ?!

– Tu n’as jamais escaladé en rappel ? »

Il semblait, pour la première fois depuis que je le connaissais, vraiment heureux. Comme si l’ombre qui le hantait avait décidé de disparaître au grand air. Et surtout, il n’avait l’air de ne pas vouloir redescendre, même pour une fortune.

– Allez, Bastien, ça te fera un bon exercice !

– C’est bon, j’ai compris ! Quelle tête de mule... »

Escalader en rappel n’était pas ma spécialité. Je l’avais déjà fait, mais il me suffisait d’un coup d’angoisse pour ne plus être capable de me décrocher du mur. Mais ne voulant pas avoir l’air de me dégonfler devant lui, je commençais à m’équiper et recommençais l’escalade.

 

Ayant fait le mur quelques instants auparavant, je me souvenais encore des endroits à éviter et des prises intéressantes, ce qui facilita l’ascension. Néanmoins, les passages difficiles le furent d’autant plus que je ne me sentais pas vraiment protégé. Le poids dans le dos de son sac me perturbait bien plus que je ne l’aurais cru.

« Allez, Bastien, ne t’arrêtes pas, tu y es presque !

– Qu’est ce que tu met dans ton sac pour qu’il soit aussi lourd ! Si je tombe en arrière, c’est de ta faute !

– Ça va te muscler, ce n’est pas si terrible ! »

Aïden me parlait dès que je me figeai et m’empêchait ainsi, peut être sans qu’il ne s’en rende compte, de me laisser totalement envahir par la peur.

« Allez Bastien, tu y es presque, courage !

– Je vais mourir !

– Mais non, c’est juste un peu d’effort ! Tu l’as fait tout à l’heure, la prise rouge ! La prise rouge, Bastien !

– Je peux pas !

– Très bien, alors pars à gauche ! Prise violette, a ton pied gauche ! »

Me sentant bloqué, j’obéis instantanément, mais je me retrouvais vite sans savoir comment avancer :

« Mais il n’y a rien, à gauche !

– Très bien, alors retourne sur cette foutue prise rouge à droite !

– Quoi ? »

Je lui lançai un regard presque haineux. Il me souriait gaiement, avec une innocence presque provocatrice. Mais je réussi cette fois ci, encore, à me décoller du mur et attraper la prise. Je sentis mon cœur exploser dans ma poitrine, quand Aïden ajouta encore :

« Voilà, là tu es un génie ! Allez, courage, il ne te reste presque rien !

– Je vais te frapper !

– Oui, viens, je t’attends ! »

Mais il ne put s’empêcher de rire. Et me déconcentrant de ma peur, je pus finir l’ascension. J’arrivai enfin tout en haut après plusieurs litres de sueur, et m’asseyant a coté de lui, je fis même l’effort de regarder en bas, me ce fut bien furtif.

« Bravo ! »

Il me tendit sa main, et je tapais dedans. Puis, je lui tendis son sac, dont il sorti deux sandwichs. Je le laissais fouiller dans ses affaires, commençant mon pain que j’avais fortement mérité, regardant le paysage aux alentours.

« C’est drôle, on est pas si haut que ça et pourtant le paysage n’a rien à voir avec le plancher. »

Le soleil commençait à se coucher sur les montagnes. Son éclat amoindri et pourtant si fort éclairait en biais la route et les bâtiments aux alentours. Perdu en périphérie de la ville, il n’y avait au final pas tant d’activité que ça, à part plusieurs champs et le lycée à quelques mètres. Une ruine d’un ancien château au loin sortait de la montagne. Puis, quand je retournai la tête, je vis qu’Aïden prenait un appareil photo avec un objectif démesurément grand, que je n’avais pas vu. Sur ses genoux reposait l’objet rond que j’avais pu apercevoir plusieurs fois, qui était donc bien une boussole, dont les aiguilles tremblotaient. Le clic de son appareil se fit entendre plusieurs fois, puis son œil sorti de l’objectif :

« Regarde de ce coté. C’est un champ de tournesol.

– Tu es sûr ? Il n’a pas l’air très fleuri…

– Oui, je vais souvent par là bas.

– Attends, attends, on va reprendre depuis le début. Qu’est ce que tu fais avec un appareil aussi immense dans ton sac de cours ?! »

Je n’osais pas trop m’agiter, plusieurs mètres au dessus du sol, mais j’étais particulièrement surpris.

« Ça fait plusieurs mois que je prend des photos de soleil tous les jours. Je n’avais jamais eu l’occasion d’avoir un point de vue pareil avant, donc je ne pouvais pas passer à coté.

– Oh. Tu es un artiste, donc. »

Je ne sus pas vraiment pourquoi ce fut la première chose que j’eus trouvé à dire. Beaucoup de questions se bousculaient dans ma tête, mais j’avais peur de mettre les pieds dans le plat.

« Tu penses ?

– Eh bien, même si tu me le demandes… Monter en haut d’un mur d’escalade pour prendre une photo de soleil, pour moi, ça ressemble à un projet artistique comme on peut en faire dans ma classe…

– Si c’est un projet artistique… Je crois que j’en ai perdu le but. »

Il rangeai son appareil, machinalement, alors qu’une larme coulait sur son visage. Elle avait été si discrète que j’aurai pu la prendre pour une goutte de sueur. Je ne pouvais pas comprendre à quoi il faisait allusion. Que pouvais-je dire ? Je posais mon bras sur ses épaules, espérant être réconfortant, et je commençais à bredouiller :

« Si ce sont les béquilles qui te font peur, tu sais, j’ai un porte-bagage à l’arrière de mon vélo… Je pourrais te transporter aux lieux que tu veux. Je ne garantis pas un voyage agréable, mais ça serait mieux que rien, non ? »

Sûrement surpris par ma proximité, il me regarda avec des yeux embués, sans rien dire. Je retirai rapidement mon bras, gêné, puis enchaînais :

« Enfin, si tu ne veux pas de mon aide, je comprendrai, mais sache que si tu as besoin d’un chauffeur… Ça me fera les mollets, c’est pas mal, non ? »

Il eut un petit rire amusé et sécha ses yeux d’un revers de la main :

« C’est gentil de proposer. Merci.

– Et tu sais quoi ? Puisque tu as besoin de faire du sport pour te sentir bien, compte sur moi pour te faire vivre un enfer ! Je vais te coacher tous les jours, et tu verras que tu regretteras bien vite de ne pas profiter de ton repos ! »

Son sourire m’avait encouragé et bridait ma timidité. Surpris, il bredouilla :

« Sérieusement ?

– Évidemment, sérieusement ! Tu vas voir, je vais te préparer un programme qui te permettra de te dépenser sans rien risquer ! Mon père est médecin, tu sais, je suis le mieux placé pour faire ça !

– Et bien… Pourquoi pas ?

– Sérieusement ? Tu n’as pas peur de me voir tous les jours ?

– Quoi, sérieusement ? C’est toi qui vient de me dire que c’était sérieux ! Et on verra bien, si tu arrives à me pousser à bout.

– Pari tenu ! »

Et je lui tapai dans la main, comme pour conclure un marché. Alors qu’on rigolait, le professeur remarqua enfin que nous étions tous les deux perchés à plusieurs mètres du sol :

« Bastien ! Aïden ! Mais qu’est ce que vous faites ! Redescendez immédiatement !

– Redescend en premier et assure moi une fois en bas, me conseilla Aïden.

– Compris. J’y vais... »

Et sans demander mon reste, je redescendis de la colline. Une fois au sol, nous nous fîmes passer un savon par le professeur qui ne pouvait pas approuver notre attitude. Nous nous confondirent en excuse avec un regard entendu. Aucun de nous deux ne croyait à cette pièce de théâtre.

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