Il était dix heures trente, j’étais à Forcalquier sur le seuil de la villa de plain-pied d’Aubin Pélissier construite à flanc de coteau. Dans la journée de la veille, Clarius était parvenu, au prix d’une certaine témérité, à décrocher les trois rendez-vous escomptés. Il s’était permis de déranger la conservatrice Fatima Benrabah sur son portable un samedi. Elle avait commencé par ronchonner, mais le timbre de sa voix avait changé aussitôt qu’elle eut compris que l’inespéré était peut-être en train de se produire : un mécène majeur pour son exposition Brémond se manifestait. Il n’en avait pas dit plus. Il s’était contenté de convenir d’une entrevue entre elle et moi au musée le lundi suivant. Fort de ce triomphe, il a ensuite contacté Pélissier et les Richaud (ce qui n’était pas le plan). Ne sachant quoi dire ni à l’un ni aux autres, il m’a présenté comme un homme d’affaires collectionneur d’art qui, dans sa galerie, était tombé en arrêt devant le travail de Brémond. Du coup, l’étranger envisageait de sponsoriser la rétrospective tant attendue. Il était censé m’avoir dit connaître plusieurs grands amateurs des tableaux de Brémond qui seraient disposés à me les montrer. Il n’a pas parlé des carnets. Ils ont accepté (l’amour-propre ayant accompli son œuvre). Clarius avait bien tenu compte de mes déplacements professionnels des mardi et mercredi suivants. La rencontre avec les Richaud était pour le vendredi 4 avril dans la matinée. Celle avec l’extravagant Pélissier (qui fixait rendez-vous un dimanche) était imminente.
La porte s’est ouverte sur un homme grand, au corps vigoureusement charpenté, mais arqué sur deux béquilles. D’un mouvement de tête, l’individu coiffé en brosse m’a indiqué le chemin. Je l’ai précédé dans un lumineux living où le mutique m’a fait asseoir en face de lui. Nous étions à une altitude de peu supérieure au toit plat de la tour de la cathédrale. Une aide-ménagère nous a apporté des cafés et des biscuits, puis d’un coup tous les bruits ambiants se sont évaporés. La longue figure aux sourcils broussailleux me sondait. Je passais un scanner, il sirotait sa boisson du bout des lèvres. Il a enfin déposé sa tasse vide, un son est sorti de sa bouche, il a amorcé une longue logorrhée loin de mes préoccupations immédiates. Il discourait sur les tableaux aux murs (tous de Brémond), il s’exprimait comme s’il s’écoutait parler, mais c’était moi qu’il auditionnait, guettant mes éventuels soupirs, mes possibles sifflements. Ce n’étaient pas les toiles qu’il regardait, c’était moi, décryptant mon visage pour en interpréter la moindre vibration de la peau, le moindre frémissement des muscles. Puis, au milieu d’une phrase, il s’est arrêté, une chape de silence est tombée sur nos épaules, bientôt brisée par le craquement d’une navette entre les doigts de mon vis-à-vis qui a repris la parole. Je n’étais pas un amateur de peintures, m’a-t-il asséné, étais-je venu le visiter pour le spectacle d’un infirme divagant sur une artiste dégénérée ? Cela ne m’arrive jamais, j’ai rougi. J’ai dû convenir que, sur le fond, il n’avait pas tort, je me suis confondu en excuses, mais j’ai maintenu que le travail de l’artiste, découvert chez Magnan, me plaisait. Je n’avais pas demandé au galeriste de m’introduire auprès de personnes possédant des Brémond, mais auprès de celles qui pourraient me parler d’elle, de Marguerite. Ces mots ont semblé toucher le monomane qui a redressé le torse. Je lui ai dit qui j’étais et j’ai évoqué le tableau à l’homme ligoté au bateau, dont j’ai affirmé qu’il était la cause de ma décision de soutenir la rétrospective. Je voulais avoir la possibilité de comprendre pourquoi cette artiste avait peint une étoile de David et l’avait ensuite cachée. Onze heures ont sonné. Les yeux de mon interlocuteur m’ont dévisagé. Onze heures ont sonné une seconde fois.
— Je ne vous crois pas, monsieur Brotski.
J’ai voulu tourner ma cuiller dans la tasse, mais elle était vide. Il fallait que je fasse comme avec Magnan, y aller franco. Je lui ai montré la photo du tatouage sur mon smartphone et je lui ai raconté sommairement . Il s’est renfoncé dans son fauteuil, s’est arrondi et a levé sur moi un regard mendiant. Un filet plaintif s’est infiltré dans mes oreilles.
— Voyez-vous monsieur Brotski, Marguerite ne méritait pas le sort qu’elle a eu : finir disloquée au fond du ravin du Viou, après des années et des années de picole, c’est moche.
— Personne n’a donc pu lui venir en aide ?
— Marguerite n’avait pas de famille et son mec comptait pour du beurre. Après la disparition de Lulu, son meilleur ami, elle n’a plus côtoyé que des vauriens. Moi, depuis longtemps, je n’avais plus l’occasion de la fréquenter. Avant mon accident, avant mon divorce, on habitait Manosque. On venait à ses vernissages, c’est tout. Je ne faisais plus partie de son monde.
— Et avant ?
— Avant ? Avant, j’étais jeune. Et ce qui n’est connu que de moi ne concerne que moi.
Il s’est levé, sans ses béquilles, l’aide-ménagère avait terminé son service. Il m’a proposé un pastis que j’ai accepté. On était de nouveau assis face à face. Je cherchais à établir un lien entre mon père et Marguerite, il ne trouvait rien à me dire, mon nom lui était inconnu et il ignorait que Marguerite avait peint une étoile de David dans un tableau. Et ce qui n’était connu que de lui, était-il sûr que ça ne pouvait pas me fournir un indice ? Oui, il en était sûr. J’ai senti que cette fin de non recevoir n’en était pas une. J’ai alors choisi de traiter ce Pélissier selon son apparence, celle d’un cabotin. J’ai fini mon verre et j’ai fait mine de m’apprêter à partir. Le stratagème a fonctionné.
— Il faut tout de même que vous sachiez, monsieur Brotski, que Marguerite Brémond était tout en ambiguïté, à la fois sensible et dure, lettrée et vulgaire, sensuelle et revêche, altruiste et misanthrope. Elle enfouissait sa nature authentique sous des couches de faux-semblants. Elle était mélancolique, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, mais elle voulait faire croire à tout le monde qu’elle prenait la vie à la légère, c’était faux, en réalité, elle survivait, écrasée sous le poids de je ne sais quoi. Il y avait en elle un vide immense qu’elle s’illusionnait combler avec son amour immodéré pour les chats. Après qu’elle a eu cessé d’exposer à Paris, elle a connu des hauts et des bas. Les premières années, surtout des bas. C’est pour ça qu’il y a ici autant de peintures d’elle. Mes parents lui achetaient un tableau par charité chaque fois qu’ils la voyaient déprimer. Ça pouvait être un vieux rebut dont personne n’avait voulu. D’où la variété…
— Vous l’avez donc bien connue, monsieur Pélissier.
— Oui, mais comme un ado peut connaître un adulte, sans jamais savoir sur quel pied danser. Nous habitions la maison en dessous de celle de Marguerite. Mes parents l’avaient achetée en 1969. Minot, j’ai très vite pris l’habitude de me rendre chez notre voisine, j’entrais comme je voulais. Son atelier sous le toit m’envoûtait, l’odeur de térébenthine me faisait tourner la tête, mon esprit s’envolait vers Lure majestueuse qui s’imposait à travers la vaste baie. Petit à petit, les images de ses toiles ont imprégné mon imaginaire. Parfois, j’empruntais en catimini des livres dans sa grande bibliothèque. Les romans fantastiques s’y trouvaient en nombre. Ce que j’y lisais rejoignait ce que je voyais dans certains de ses tableaux.
— Elle-même écrivait, je crois.
— Oui. Marguerite écrivait beaucoup, des poèmes notamment, elle avait un vrai talent. Elle remplissait des cahiers, des carnets, des agendas, et cætera, des supports aux formats très disparates. Quand elle en avait fini un, elle passait au suivant en prenant ce qu’elle avait sous la main. J’en possède un, que je lui ai subtilisé par mégarde. J’ai cru qu’il s’agissait d’un ouvrage imprimé. Il était relié plein cuir et se trouvait dans la bibliothèque. Ce devait être un très ancien cahier qu’elle avait récupéré. Je l’ai feuilleté une fois, puis ne l’ai plus jamais ouvert. Quelque chose en moi m’en empêche.
— Si je puis me permettre, est-ce que ce ne serait pas « ce qui n’est connu que de vous » qui vous bloque ainsi ?
— Peut-être.
Rien n’a suivi, Pélissier s’est tu, je n’ai rien dit, il m’a regardé, a balayé des yeux les peintures tout autour, a soupiré puis enfin a repris. Il fallait bien qu’un jour il sorte de ce si long silence, devant un inconnu, l’exercice serait moins délicat. Un ange est passé, l’invalide s’est levé, droit comme un i. Il a saisi une de ses béquilles qu’il a faite pirouetter au-dessus de lui à la façon d’une canne de tambour-major. Il a soulevé le combiné d’un téléphone et m’a demandé quelle garniture je souhaitais pour ma pizza.
Le rosé provenait de proches vignobles, il a achevé de désinhiber l’histrion qui s’est confié. C’était au début des années quatre-vingt, il devait avoir quatorze ans, il se trouvait seul dans l’atelier de la peintre quand sa virilité s’est manifestée de manière intempestive. Debout face au calme panorama de la basse montagne charnue, enveloppé par la tiédeur du grenier, il ouvrait sa braguette quand une main, se posant sur son épaule, l’a paralysé de honte. Marguerite s’est agenouillée devant lui.
Aux yeux de la loi, il était une victime, a-t-il dit sur un ton neutre, mais aux siens pas du tout. L’expérience demeurait un souvenir exquis, mais tout de même, à cet âge-là, ça déboussolait, il n’était plus jamais entré seul dans la maison de sa voisine. Et la crainte de trouver dans son carnet des allusions à semblables actes lui a ensuite interdit de le lire. Je me suis remémoré les préventions de Magnan. Était-ce affabulation ? J’ai pris le parti de ne pas réagir, je suis allé droit au but.
— Vous acceptez toutefois que ce document soit lu par d’autres, puisque – m’a-t-on dit – vous le prêterez au musée.
— Clarius a donc bavé ! Soit. Sachez alors que je le lirai avant de le leur remettre.
— Ah ! Ne pourrions-nous pas y jeter un œil ensemble alors ? Je ne cherche qu’une trace de mon père. Le reste ne me concerne pas. Vous avez ma parole.
— Ce sera donnant-donnant. En échange, je souhaite être tenu au courant des progrès de votre enquête, et vous accompagner quand ma santé le permet.
Qu’aurais-je pu objecter ? L’animal était dans son biotope, il pouvait m’être utile.
Lui et moi étions assis presque l’un contre de l’autre. Devant nous, couché sur une imposante table de salle à manger en noyer, le cahier attendait son autopsie. Il s’agissait bien d’un in-folio relié plein cuir, qui devait dater du dix-neuvième. Fébrile autant que mon comparse, j’ai posé la main sur le plat usé, l’ai faite glisser vers la droite, puis ai soulevé la couverture. Son revers et la page de garde étaient constellés de gribouillis. L’espace en était saturé. J’ai basculé le livre pour le mettre sur son dos. Du pouce et de l’index de la main gauche, j’ai pincé l’épais volume et en ai fait défiler les pages sous nos yeux. Le vieux papier a exhalé un arôme de vanille que mon voisin a humé avec délice. Les feuilles jaunies et tavelées étaient remplies d’écritures, de dessins, de signes en tous sens. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Mon acolyte m’a regardé et a cru discerner en moi du découragement. Il a pris la relève. D’une main gantée (ce qui m’avait échappé), il a amené l’ouvrage devant lui et il s’est mis à tourner les pages posément, l’une après l’autre.
Dans une position malcommode (devant tendre le cou pour voir), je suivais la progression du feuilletage. L’écriture n’était pas laide et, dans l’ensemble, lisible, elle formait en majeure partie des poèmes, vingt fois remis sur le métier, parcourus de ratures, de biffures, de flèches, de renvois. Il y avait aussi des textes en prose : de courtes phrases, comme des aphorismes, et de longs paragraphes, eux aussi amendés et complétés par des annotations marginales. Il aurait fallu prendre le temps de lire pour comprendre la nature de ces propos. Mais à première vue, il ne s’agissait pas d’un journal. Il y avait des chats griffonnés partout, dans toutes les postures possibles. Les autres dessins étaient des études pour des tableaux, réalisées avec méticulosité, assorties de données sur les personnages et les compositions. Le chat était, là aussi, très présent. D’autres croquis, enrichis au crayon de couleur, représentaient des scènes ou des paysages. Pélissier les a jugés pris d’après nature, mais quoi qu’il en soit, nous étions sujets au même étonnement en observant ces gares dans le brouillard, ces trains enneigés, ces voyageurs emmitouflés, ces montagnes en tenue hivernale, ce cours d’eau gelé, large et interminable. Après qu’une bonne vingtaine de pages eurent été basculées est apparu un édifice à minarets que Pélissier a identifié de suite comme Sainte-Sophie de Constantinople. Putain ! Qu’est-ce que ça faisait là ? Je lui ai suggéré de regarder la mention au bas de la page, il l’a lue tout haut : « 15 février 1954. Salut ! Je viens d’arriver à Istamboul. Je ne savais pas que cette ville se trouvait au Pôle Nord. »
— L’hiver cinquante-quatre, a-t-il poursuivi. Le plus terrible du siècle dernier en Europe. Mais qu’est-ce qu’elle est allée foutre en Turquie ? Je n’ai jamais entendu parler de ce voyage, aller jusqu’à l’extrémité du continent en plein hiver, quelle idée ! Mais oui ! Les dessins, c’est le chemin qu’elle a emprunté. Les gares : elle y est allée en train, peut-être avec l’Orient-Express. Le fleuve, c’est le Danube. C’est évident.
— Oui, je crois que c’est ça. Si on regardait s’il y a d’autres dates.
Nous avons parcouru toutes les pages, on a dénombré vingt-six autres dates. La note qui accompagnait la dernière m’a fait tressaillir : « Igoumenitsa, 4 août 1956. Salut ! Demain, je prends le ferry-boat pour Bari. » La dizaine de pages qui terminait l’ouvrage était couverte de dessins du port, de bateaux, d’oiseaux, de personnages pittoresques, de paysages marins.
— Voilà ! Nous avons la preuve que Brémond est allée en Italie. Qu’est-ce qu’elle y a fait, où est-elle allée ?
— Vous le saurez quand vous aurez lu le cahier suivant. Si vous le trouvez (cela dit sans défaitisme). Mais celui-ci couvre une longue période : presque deux ans et demi. Marguerite a pu traverser l’Adriatique une autre fois, ou revenir en France et repartir.
On a ensuite passé en revue toutes les annotations datées. La deuxième, elle aussi écrite à Istanbul, était consistante. C’était le 17 février 1954. Elle s’ouvrait par la même apostrophe, comme le feraient toutes les suivantes.
Après avoir lu ce texte, je me suis fait l’effet d’un profanateur de sépulture, j’avais amené à la lumière ce que les ténèbres auraient dû retenir pour l’éternité, l’auteur n’avait pas pu vouloir que l’on sache quel inimaginable acte sexuel elle avait commis dans une salle déserte du musée de Topkapi. Le dodelinement de Pélissier attestait qu’il partageait ma gêne, il s’est empressé d’évoquer un autre passage du texte.
— Connais pas ce Poznanski, a-t-il flûté après s’être éclairci la gorge.
— Moi je sais de qui il s’agit, il apparaît dans le dossier que m’ont rassemblé les étudiants parisiens que j’ai engagés. C’était un communiste actif dans la culture à Malakoff. La fille, Angela, faisait aussi partie de l’entourage de Marguerite à cette époque, mais on ignore ce qu’elle est devenue.
— Vous avez engagé des étudiants ?
— Oui. Ils ont fait du bon boulot. Donnez-moi votre adresse mail, je vous enverrai tout dès que je serai à l’hôtel tout à l’heure.
— C’est marrant.
— Quoi ?
— En lisant, j’entendais la voix de Marguerite. Ces mots, c’est elle : elle a écrit comme elle parlait, avec son argot rapporté de Paris, sa trivialité, rien à voir avec ses autres textes.
— Pour moi, Marguerite Brémond était jusqu’à maintenant un être irréel, elle vient de prendre vie. Vous auriez des photos ?
— Oui, j’ai confectionné un album. J’y classe tout ce que je trouve. Je vous le montrerai tout à l’heure si vous voulez. Ce qu’on vient de lire, ça vous avance à quelque chose ?
— C’était quelqu’un de culotté. Maintenant, je l’imagine mieux convaincre mon père de se laisser tatouer sa signature. Josh était tout le contraire de la personne que nous découvrons, il n’agissait jamais dans l’improvisation, tout était pensé. Un caractère aussi différent a pu exercer sur lui une certaine fascination. C’est plausible.
— Oui, c’est un peu ce que j’ai vécu, Marguerite exerçait une sorte de magnétisme sur les gens.
Les vingt-quatre notes restantes n’ont fourni aucun indice conduisant à mon père. Aucun voyage en France n’y était évoqué. Brémond n’avait pas quitté la région pendant toute la période. À Athènes, elle avait été engagée dans un cours privé pour enseigner le français. Elle avait exercé cette fonction pendant deux années scolaires. En fait, elle avait, à tous points de vue, pris de la distance pour échapper au microcosme parisien et construire ses expérimentations picturales loin de toute influence et de toute compétition. Les notes datées et localisées ne comptaient que quelques lignes. L’une d’elles avait cependant un développement semblable à celle d’Istanbul. Il s’agissait, cette fois-ci aussi, d’une expérience peu ordinaire, vécue le 8 septembre 1955 dans un restaurant de la capitale grecque. Sans aucune pudeur, elle avait raconté à ceux qui étaient attablés avec elle ce qu’elle avait fait dans le musée turc.
Mon hôte est ensuite allé chercher l’album photo annoncé. Il l’a posé devant nous et m’a laissé le soin de le manipuler. Marguerite Brémond était une belle femme vivant dans une belle maison. L’artiste était grande, blonde, mince. Souvent habillée à l’as de pique, elle n’en présentait pas moins une allure racée. D’une expression toujours tendre, elle ne souriait pourtant jamais. Devant sa demeure ou dans son atelier, elle était toujours seule. La grosse bâtisse isolée à l’architecture néo-classique possédait trois étages. Un toit à quatre pans la coiffait. Un de ceux-ci était largement mansardé, l’atelier était donc là-haut.
— Vous avez vu la maison ?
— Oui, elle est superbe.
— C’est pour cette maison qu’on a tué le père de Marguerite.
— Que dites-vous ?
— Oui, Suffren Brémond y a été abattu le 25 septembre 1939 sous les yeux de sa fille et de sa femme par le garde champêtre adjoint qui était venu avec deux gendarmes d’Oraison pour l’arrêter…
— Mais pourquoi ?
— Parce qu’il était pacifiste et qu’il avait refusé de déférer à l’ordre de mobilisation générale.
— Et il a tenté de résister ?
— Pas le moins du monde ! Le tir n’était pas justifié, mais le responsable n’a pas été inquiété : c’était le rejeton de riches négociants en matériel agricole. La rumeur dira que la raison du meurtre était que le fonctionnaire et ses parents convoitaient depuis toujours la propriété familiale des Brémond. Le père de Marguerite, avec son maigre salaire, ne parvenait pas à l’entretenir. Ces aigrefins ont voulu précipiter l’affaire, ça ne leur a servi à rien, Claire, la mère de Marguerite, a toujours refusé de vendre.