Chapitre 1

CHAPITRE 1

 

25 Décembre.

Haut les cœurs, c’est une belle journée qui commence. Enfin, c’est ce qui devrait être. Je me lève un peu groggy. C'est une période que je n'aime vraiment pas beaucoup. D'un geste sec, j'ouvre les rideaux de ma chambre. La pluie qui cogne contre mes fenêtres me déprime. Je n'ai plus qu'une envie, replonger dans ma couette bien chaude. Mais, un coup d'œil au réveil posé sur la table de chevet me l'interdit. Mes dernières journées au travail ont été plus qu’éprouvantes. J’ai enchaîné énormément d’heures supplémentaires. Avec mes collègues caissières, on s’est échangé nos cadeaux, puis je suis rentrée dans ma petite maison qui me semblait tellement triste et froide que je ne me suis pas attardée très longtemps.  Après avoir avalé un bol de soupe, je me suis endormie comme une souche avant vingt-deux heures. Une nouvelle longue et dure journée m'attend. Pour bien commencer, je file sous une douche brûlante. J’enfile à la va-vite un vieux pull noir et un jean. C’est casual mais ça reste correct. Je nettoie ma petite salle de bain à fond. Lorsque tout est bien nickel, je descends enfin déguster un bon café. Il me faudra au moins une cafetière entière pour pouvoir supporter cette journée... Comme d'habitude, en ce jour de fête, ma famille a décidé de se retrouver chez moi. Ma mère, ma sœur et son cher fiancé qui est mon ex, vont débarquer chez moi dans quelques heures. Ma mère vit dans une grande demeure à la campagne. Quant à ma sœur, elle habite dans une grande villa moderne et travaille de chez elle. Mais c’est toujours chez moi qu’est organisé le déjeuner de Noël. Il est plus que temps que je m'active.

Grâce au service traiteur de mon magasin, j’ai commandé presque tout le déjeuner. Ça m’a soulagé d’un sacré poids ! Les bouchées apéritives, le plateau de fruits de mer, la traditionnelle bûche crème au beurre hautement écœurante que personne n’aime, mais qui est tellement indispensable. Pour avoir un minimum de plaisir, j’ai aussi pensé à prendre un mélange de mignardises et des macarons.

Pour le plat principal, j’ai opté pour des pintades qui sont en train de rôtir tranquillement. Il ne me restera plus qu’à faire réchauffer des pommes dauphine et de faire une salade.

Je range vite fait ma cuisine et file dans la salle à manger. Je sors une belle nappe sur laquelle je dispose ma plus belle vaisselle Ikea, de jolies assiettes, des beaux verres à vin. Les couteaux à droite, les fourchettes à gauche, surtout ne pas faire d'impairs. Ils seraient bien trop contents de me le faire remarquer !

Du cagibi, je sors le sapin artificiel encore décoré. Je l’installe exactement au même endroit que l’année dernière. De-ci de-là, j’allume des bougies.

Un bac à linge vide sous le bras, dans mon salon, je ramasse tout ce qui traîne et qui ne devrait pas être là ! Mon ordinateur, mes carnets, une vingtaine de stylos, des paquets de bonbons presque vides, des mouchoirs, des boîtes de dvd, etc... Par acquit de conscience, je passe la main entre les coussins du canapé et j'en ressors, non pas un ni deux, mais bien trois paires d'écouteurs et un câble de chargeur pour mon téléphone ! Eh, voilà donc où ils étaient passés !  

Alors que je monte dans ma chambre avec le bac sous le bras, j'en profite pour repasser par la salle de bain. J'observe celle qui me fait face et je me dis que je pourrais peut-être faire un peu mieux. Je ramasse mes cheveux mi-longs châtain et une queue de cheval haute. J'accroche de grosses créoles argentées à mes oreilles. Je les adore, mais je n'ai jamais osé les porter. Et sur un coup de tête, je retire mon gros pull plein de bouloches et passe un magnifique petit top en cachemire gris perle. Je ne l'ai porté qu'une seule fois. Le jour où je suis allé en rendez-vous avec mon éditrice et où j'ai signé mon premier contrat. Oui, je suis une caissière avec une vie secrète. À mes heures perdues, j’écris des romances. Ou en tous cas, j’en écrivais !   C'était il y a deux ans maintenant, presque dans une autre vie. Ce soir-là, le champagne a coulé à flots et mon couple a sombré. Comme le Titanic, il a été percuté par un iceberg nommé Lola. La belle, la gaie, la blonde, la grande, la fraîche Lola, ma sœur, mon contraire. Mon ennemie intime ! Charlotte et Lola ! Elle est tout ce que je ne suis pas. Elle est tout ce que je voudrais être ; moi, je ne suis que la sérieuse, la fade, la pâle, la gentille la molle, la petite, la discrète Charlotte … Je n'ai jamais fait le poids face à elle ! Eh oui, c'est paradoxal, moi et ma taille 40, elle est sa taille 36 ! Lorsque j'ai surpris Sébastien et Lola en plein roulage de pelles, je n'ai même pas été surprise, déçue oui, mais pas surprise... Soudain, je cède à ma petite folie. J’ouvre mon tiroir et choisis ma paire préférée. Aujourd’hui, je vais encollanter mes jambes et dégainer ma plus belle jupe. Et, pour me redonner la pêche, après cette pénible introspection, j'allume mon enceinte connectée et je balance ma musique en aléatoire.

Bon, il est déjà onze heures, comme ils sont tellement parfaits, ils vont arriver tous ensemble vers midi moins dix. Je vérifie la cuisson des pintades, prépare le plateau de fromages puis ouvre les bouteilles de vin rouge.   

Invasion moins trente minutes, je sirote un énième café tout en surfant sur les réseaux sociaux. Une notification de mail retentit. Un spam, de la pub, non, mon éditrice. Un jour férié, aie aie aie, ça n'annonce rien de bon ! Fébrilement, je clique dessus. Et le lis en diagonale. Je relis patiemment chaque mot en essayant de tout assimiler correctement. Ma chère éditrice et amie, Émilie a décidé de quitter le navire et va voguer vers de nouveaux horizons. Je ne l'ai jamais prise au sérieux lorsqu'elle me parlait de tout plaquer pour faire le tour du monde en voilier. Elle me laisse donc aux bons soins de JS. Catastrophe... C'est une catastrophe !!! Elle seule comprenait toutes les peurs qui m'habitent. Elle seule a compris mon incapacité temporaire à écrire de la romance, ou autre chose. Comment vais-je pouvoir expliquer tout cela à une inconnue, aussi sympathique soit-elle ?

C'est un signe... encore un de plus ! Le signe du début d'une bonne grosse journée de merde !

L'espace de deux secondes, j'ai la tentation de poster sur un groupe d'entraide la tuile qui vient de me tomber dessus, mais après ça, mon téléphone va bipper tout l'après-midi ce qui va attiser la curiosité de ma famille. En plus, je suis soumise à un minimum de confidentialité, mais mince… « Ça fait chier ! » Je me sentais déjà tellement perdue avec elle à mes côtés, maintenant qu’elle ne sera plus là, ce sera encore plus difficile. Tu parles d’un bon gros cadeau de merde !

Encore assommée par cette nouvelle, je dispose sur la table les présents que je vais offrir à ma chère famille. Pour maman, un abonnement dans un spa. Pour Lola et Sébastien, un coffret cadeau catégorie sport extrême. Rien ne leur plaira, mais c’est fait exprès… Lola qui est esthéticienne va rager lorsque maman ira au spa et en plus, elle déteste la vitesse, les montées d’adrénaline alors que lui, il adore ça ! Paf, dans le mille. C’est un excellent coup double qui se profile.

Un coup d’œil rapide à ma montre et je constate que je suis presque en retard. J’allume le four et y glisse les petits fours. Je ne tiens plus en place. Je n’ai qu’une hâte : que cette journée se termine. Je fais les cent pas entre ma cuisine et le salon. J’entends une nouvelle notification de mail et, alors que je tends la main vers mon téléphone, la sonnerie de la porte d’entrée retentit.

Plus le temps de consulter le dernier psychodrame que l’univers m’offre, je plaque un sourire on ne peut plus faux sur mon visage et c’est parti :

— Joyeux Noël !

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