21 h ~ Bextel University / Fraternité House
En marchant sur les pavés qui mènent à cette soirée étudiante, je tente de me convaincre que c'est une bonne idée. Que sortir, m'aérer l'esprit, faire un peu la fête, ne pourrait pas me faire de mal. Un sifflement suivi de rires gras me fait lever les yeux sur un groupe de gars affalés sur les marches du porche, tous en sweat aux couleurs de l'université, sifflant un groupe de filles qui passe à quelques mètres d'eux.
Ok. Clairement, ce n'est pas une bonne idée.
Je baisse les yeux vers ma main, serrée dans celle de ma meilleure amie qui me tire vers l'avant d'un pas déterminé. Elle m'entraîne vers l'entrée de cette maison de fraternité, bien décidée à m'immerger dans cette soirée. Malgré mes protestations, malgré mes hésitations.
Note pour moi-même : apprendre à dire non à Maya, et surtout m'y tenir. Un jour, ça pourrait vraiment me poser problème.
— Allez Lili, souris un peu !
Elle me lance un regard pétillant, son enthousiasme presque contagieux. Mais malgré l'air innocent qu'elle se donne, je roule des yeux, agacée, ce qui la fait rire. Une odeur de joint nous enveloppe brièvement, et je fronce le nez en passant près du fameux groupe de mecs sur les marches. Maya glousse en voyant mon expression dégoûtée.
— Tout va bien se passer ! Elle serre ma main, un sourire rassurant sur le visage. Je te promets, ma puce, qu'on va passer une super soirée !
Son pouce caresse doucement le dos de ma main, un geste qui se veut réconfortant, mais dès qu'on franchit le seuil, je suis envahie par le vacarme de la musique, l'odeur âcre de la bière bon marché et les cris d'étudiants déjà bien alcoolisés. Le chaos de la soirée me submerge instantanément, et je sens chaque fibre de mon corps me crier que je n'ai absolument rien à faire ici.
Je scrute les filles présentes dans ce salon immense, où les meubles ont été repoussés contre les murs pour faire place aux danseurs et aux couples en pleine séance de flirt. Un rapide coup d'œil à ma tenue, un simple jean délavé avec un débardeur blanc et des baskets, me rappelle à quel point je suis hors contexte. Autour de moi, toutes semblent prêtes à défiler, habillées avec élégance, perchées sur des talons, coiffées et maquillées comme pour une Fashion Week.
Mes yeux reviennent vers Maya, qui, sans surprise, ne fait pas exception. Elle arbore une robe noire ajustée, mi-cuisse, qui souligne parfaitement ses courbes, et ses longues jambes sont sublimées par une paire d'escarpins noirs vertigineux de dix centimètres. Elle semble parfaitement à l'aise, glissant parmi la foule d'étudiants déjà bien éméchés.
Comment fait-elle pour avancer si vite dans cette foule ?
— Ralentis, Blondinette ! protesté-je.
— J'ai besoin d'un verre ! réplique-t-elle en riant.
Son regard balaie rapidement la pièce, et dès qu'elle aperçoit le bar improvisé dans la cuisine, son visage s'illumine. Elle se retourne, m'attrape par le poignet, qu'elle avait relâché un instant plus tôt, et m'entraîne avec une assurance déconcertante. Elle se faufile à travers la foule sans la moindre difficulté, traçant un chemin fluide entre les groupes d'étudiants, sans ralentir.
Je tente tant bien que mal de suivre, ma main fermement tenue par la sienne, et je sens qu'elle jubile intérieurement. C'est son terrain de jeu, pas le mien.
En entrant dans la pièce, Maya relâche une nouvelle fois mon poignet et scrute les lieux, comme si elle cherchait quelque chose... ou quelqu'un. Restée légèrement en retrait derrière elle, je laisse mon regard vagabonder sur les personnes présentes. Bien que la cuisine soit aussi grande que notre salon, elle est bien trop exiguë pour contenir autant de monde.
Certains sont assis sur les comptoirs en marbre, d'autres adossés aux meubles, tandis qu'une foule compacte entoure l'îlot central, désormais transformé en table de beer pong improvisée. Partout, des bouteilles d'alcool fort et des dizaines de bières vides s'empilent, donnant un air de chaos festif à l'endroit.
Je plains d'avance celui ou celle qui devra nettoyer tout ça...
La buée sur les fenêtres témoigne de l'écart de température entre l'extérieur et cette chaleur suffocante. Je me félicite d'avoir attaché mes cheveux avant de venir et, par réflexe, je passe une main sur ma nuque, un geste que je regrette aussitôt en sentant la sueur perler.
Sincèrement, j'aimerais être n'importe où sauf ici...
— Tu as réussi à venir alors ?
Je sursaute presque en entendant un grand brun interpeller Maya derrière nous. Elle se retourne d'un bond, et un immense sourire éclaire aussitôt son visage. Ce sourire-là, je le connais bien : c'est celui qu'elle réserve spécialement aux flirts.
Voilà qui confirme que ce type est la personne qu'elle cherchait depuis qu'on a mis les pieds ici et je commence à penser que son excuse de "te changer les idées et te sortir de l'appartement" n'était pas la seule raison pour laquelle elle a insisté pour venir à cette soirée.
Perdu dans sa contemplation de Maya, il ne semble pas m'avoir remarquée, alors j'en profite pour l'observer de plus près.
Il est grand, facilement vingt centimètres de plus qu'elle sans ses talons, élancé, mince mais athlétique, un look qui correspond parfaitement à l'archétype du bad boy universitaire. Ses cheveux châtains clairs, ses yeux verts perçants et son style vestimentaire plutôt sombre – jean noir, t-shirt révélant des avant-bras tatoués, contrastent fortement avec sa peau pâle. Charismatique et indéniablement séduisant, il est clair qu'il en est bien conscient. Les bottines noires ajoutent la touche finale à son allure, lui donnant un air un peu sombre et mystérieux, mais dès qu'il sourit, c'est comme si l'ambiance s'éclairait : son sourire est franc, lumineux, et il semble sincèrement heureux de voir Maya ici.
Après quelques secondes, son regard finit par se poser sur moi. Il m'adresse un hochement de tête en guise de bienvenue, accompagné d'un sourire rapide, avant de se concentrer à nouveau sur Maya, avançant doucement vers elle.
D'un geste fluide, il remonte une main vers son visage, attrapant une mèche de ses cheveux blonds qu'il enroule lentement autour de son doigt. Ses yeux suivent le mouvement, visiblement absorbés par ce simple geste, et il mordille sa lèvre inférieure avant de replacer la mèche derrière son oreille. Un sourire joueur se dessine sur son visage, et ses yeux verts retrouvent ceux de Maya, pétillants de malice.
Il sait ce qu'il fait, putain !
Il recule en riant doucement, passant une main dans ses cheveux bruns déjà en bataille. Le geste met en évidence la chevalière en argent qu'il porte à l'annulaire, et sans vraiment m'en rendre compte, mes yeux s'attardent sur elle.
— Je suis content que tu aies pu venir, Maya.
Son regard se pose sur moi.
— Qu'est-ce que je vous sers, les filles ?
— Deux shots ! s'exclame Maya avant même que je puisse réagir.
— Quoi ? Non, Maya...
— Je t'interdis de refuser, jeune fille ! réplique-t-elle en me lançant un regard autoritaire. Je ne t'ai pas sortie de l'appart pour que tu te morfonde toute la soirée, je te signale !
Je lève les yeux au ciel, mais son expression ne laisse aucune place à la négociation.
L'inconnu, désormais appuyé contre l'encadrement de la porte, les mains dans les poches, observe notre échange avec un sourire taquin. Une de ses sourcils est levé, et il semble apprécier ce petit spectacle. Je fixe Maya en espérant encore qu'elle cède, mais elle arbore déjà cette moue déterminée, celle qui dit clairement « Tu ne me résisteras pas ».
Je soupire en fermant les yeux, lève les deux mains en signe de capitulation, et avant même que je réalise, elle pousse un petit cri de victoire, toute fière d'avoir eu gain de cause.
Sans perdre une seconde, elle tourne son doigt vers le brun, visiblement prête à mettre à exécution son plan de la soirée.
— Ok, Dean, il nous faut quelque chose de fort pour que ma meilleure amie oublie que son ex est un connard qui refuse de la laisser tranquille !
Je croise les bras, résignée à abandonner tout pouvoir de décision ce soir. Mes yeux se posent sur le fameux Dean, qui affiche un sourire amusé. Il fait mine de réfléchir quelques secondes puis, se détachant nonchalamment de l'encadrement de la porte, pose son bras sur les épaules de Maya, la rapprochant subtilement de lui. Elle lève les yeux vers lui, un sourire espiègle aux lèvres, et je remarque le petit éclat complice qui passe entre eux.
Il se penche légèrement, une lueur taquine dans le regard.
— Alors, trois tequilas, ça vous va, mesdemoiselles ? Ça devrait faire son effet.
Maya acquiesce avec enthousiasme et Dean se tourne vers moi, attendant mon approbation avec un regard insistant. Quand je finis par hocher la tête, il me lance un clin d'œil complice avant de se détourner pour préparer les shots. Je l'observe prendre un couteau, un citron et trois verres, à peu près propres, qu'il remplit avec une bouteille de tequila déjà bien entamée qui traîne sur le comptoir.
Je m'approche de Maya, qui suit ses mouvements avec un sourire en coin et, visiblement, une attention toute particulière. Je me penche alors vers son oreille et murmure, assez bas pour que seule elle m'entende :
— Alors, tu vas finir par m'avouer qui est ce bad boy qui se transforme en barman à ton bon vouloir ?
Maya me donne un coup sur l'épaule, accompagné d'un regard noir.
— Aïe, putain !
Elle étouffe un rire, mais son regard reste perçant, presque accusateur.
— Dis pas de bêtises, murmure-t-elle en glissant un regard vers Dean
Un sourire en coin se dessine sur mon visage. La voir ainsi, un brin déstabilisée, me donne presque envie de la taquiner un peu plus.
— Ah bon ? Dis pas de bêtises ? Pourtant, il semble très... attentif à tes besoins, je réponds en insistant sur le mot "attentif" avec un clin d'œil.
Maya se penche vers moi pour me lancer un chuchotement dramatique.
— Charlie, je te jure, si tu continues, tu bois les trois shots à toi toute seule !
Je m'étrangle de rire et lui adresse un regard faussement horrifié. Dean revient avec les shots et une pincée de sel, parfaitement préparé pour notre petit rituel. Il nous tend les verres, un sourire malicieux aux lèvres.
— Prêtes, les filles ?
Maya et moi échangeons un dernier regard complice avant de lever nos verres. Je me lèche distraitement le coin de la main avant de la lui tendre pour qu'il y dépose une pincée de sel.
— Je propose qu'on trinque au fait que tu aies largué un connard, qu'en dis-tu ?
Je ne peux m'empêcher de rire à sa proposition et hoche la tête, amusée. Nos trois verres s'entrechoquent dans un cliquetis joyeux. Je commence par lécher le sel sur ma main, avant de boire la tequila cul sec, laissant la brûlure familière envahir ma gorge, puis je mords dans le citron vert, grimaçant face à l'amertume.
Quand la chaleur de l'alcool s'estompe, une pensée me traverse.
Un jour, il faudra vraiment que j'apprenne à dire non...
***
Les verres s'enchaînent, et je dois l'admettre : Maya n'avait pas tort. Cette ambiance festive me fait du bien. Je finis même par rire franchement avec Dean, qui, bien que désastreusement mauvais au beer pong, se révèle plutôt sympa. Entre ses anecdotes ridicules et les blagues douteuses de ma meilleure amie, j'arrive presque à oublier le chaos des dernières semaines.
Les observer se tourner autour est assez divertissant. Maya, déjà totalement sous son charme, ondule des hanches, le frôle en passant, et lui lance des regards dignes des plus grandes scènes de films interdits aux moins de 18 ans. Quant à lui... il semble faire de gros efforts pour se retenir de la plaquer contre un mur, ce qui, j'en suis persuadée, ne déplairait pas du tout à ma chère colocataire.
À un moment, Maya m'attrape par la main et me tire dans la pièce principale. Elle me murmure à l'oreille qu'il est temps de passer aux choses sérieuses et de montrer au monde que je suis de nouveau célibataire. Je lui rétorque, en riant, que ce "monde" se résume à une bande d'étudiants ivres qui ne prêteront même pas attention à moi. Elle hausse les épaules, un sourire espiègle aux lèvres, et répond simplement que c'est déjà un bon début.
Dean, quant à lui, s'est calé sur l'accoudoir d'un canapé repoussé contre le mur, à quelques mètres de nous. Il tente d'échanger quelques mots avec les personnes autour de lui, mais je le vois, depuis ma place, lancer des regards brûlants au corps de la blonde face à moi. Maya danse, balançant ses hanches au rythme d'une vieille chanson de Shakira. Les yeux mi-clos, la bouche légèrement entrouverte, elle remonte ses mains dans ses cheveux dorés, les élevant au-dessus de sa tête dans un mouvement lent et calculé. De là où je suis, je distingue la mâchoire de Dean se contracter, ses dents serrées à s'en faire péter la mâchoire, quand un étudiant ose s'approcher un peu trop près. Mais Maya l'esquive habilement, me faisant tournoyer avec un rire léger avant de revenir subtilement face à sa véritable cible.
Elle est parfaitement consciente de l'effet qu'elle produit sur Dean. Elle maîtrise cet art de le rendre fou en jouant avec la limite, en le poussant toujours un peu plus vers l'inévitable. Elle sait qu'il finira par céder, perdant tout contrôle, et c'est là qu'elle prendra le dessus.
Un vrai démon caché sous un visage d'ange, maniant l'art de la séduction comme personne !
Et moi ? Eh bien, j'essaie de suivre le rythme sans avoir l'air trop gauche... Là où Maya est toute sensualité et aisance, je ne suis qu'une rousse timide et maladroite, priant pour ne pas trébucher au milieu de la piste de danse. Au milieu de tous ces talons vertigineux, je dois être la seule en baskets. Ma meilleure amie est dans son élément, en pleine transe, complètement insensible aux vapeurs d'alcool, aux odeurs de sueur, et à l'audace de certains couples autour de nous qui semblent avoir oublié qu'ils sont en plein milieu d'un salon.
Elle rouvre les yeux sans que je m'en rende compte, trop occupée à dévisager la fille qui vient de me bousculer sans aucune gêne et son rire retentit malgré la musique beaucoup trop forte. Je la fixe, un sourcil levé.
— Tu te moques de moi, Blondinette ?
Un sourire malicieux se dessine sur ses lèvres, et elle me prend la main avant de se pencher pour murmurer à mon oreille :
— Arrête de trop réfléchir, Lili, et amuse-toi un peu. Tu l'as bien mérité, non ?
Je hoche la tête. Elle a raison, après tout. J'ai 21 ans, célibataire, étudiante en journalisme dans l'une des meilleures universités du pays. J'ai bien le droit de me lâcher pour une fois, non ? De profiter sans me poser mille questions ? Et surtout, j'ai bien le droit de ne plus passer mes soirées à me justifier face aux messages de mon ex, qui ne pige toujours pas pourquoi j'ai préféré arrêter notre relation après plus de deux ans.
Ce n'est pas à moi de résoudre le casse-tête de son ego, si ?
Je soupire, réalisant soudainement que, même si sortir m'a fait du bien, je rêve surtout de rentrer, de me lover sous un plaid avec un bon livre, de plonger dans un monde fictif... là où mon "book boyfriend" ne m'inondera pas de messages pour savoir pourquoi je ne me rends pas compte à quel point il était génial. À cette pensée, un sourire en coin se dessine sur mes lèvres : il serait peut-être temps que je me donne enfin cette soirée solo et apaisante que je repousse depuis des jours. Pas de drama, pas de complications, juste moi, un thé brûlant, et les pages d'un roman qui me promettent un peu de répit.
Je laisse mon regard errer dans la foule, cherchant une échappatoire et surtout une façon de distraire Maya pour filer en douce, mais elle semble bien trop enjouée, le sourire radieux, virevoltant au rythme de la musique. Mon esprit passe en revue des excuses que je pourrais lui donner, mais elles sonnent toutes fausses même dans ma tête. C'est alors qu'un grand brun se glisse derrière elle, posant une main assurée sur sa hanche.
Enfin, il a craqué ! Parfait, exactement le genre de diversion dont j'avais besoin.
Il l'enlace fermement par derrière, collant son torse au dos de ma colocataire, et d'un geste assuré, il la ramène contre lui, ses doigts glissant sur sa hanche, relevant subtilement le tissu de sa robe noire. Son nez se perd dans ses cheveux, et il murmure quelque chose à son oreille avant de laisser ses lèvres frôler son cou, juste assez pour la faire frissonner sans jamais appuyer son baiser. Il a peut-être officiellement "craqué", mais à le voir jouer ainsi, on sent bien qu'il a trouvé en elle une adversaire de taille. Maya, électrisée, lève brusquement les mains pour enrouler ses doigts autour de sa nuque, le forçant à poser enfin ses lèvres là où elle les attend.
C'est le moment idéal pour m'éclipser en douce. Maya est bien trop absorbée par ce grand brun pour remarquer ma disparition, et je sais qu'elle ne m'en voudra pas trop demain. Avec un dernier coup d'œil vers elle, je m'éloigne, traçant mon chemin vers la porte d'entrée, le cœur soudain plus léger.
En sortant de la fraternity house, je me rends vite compte que l'hiver s'invite déjà dans les rues de Bextel. L'air est glacé, et un rideau de pluie dense s'abat devant moi. Pas question de rentrer à pied dans cette tempête, sous peine de finir trempée et frigorifiée. À l'abri sous le porche, je prends quelques instants pour observer les torrents d'eau qui dévalent le trottoir, et soupire en réalisant qu'il ne me reste plus qu'une option : commander un taxi.
Je sors mon téléphone de ma poche arrière, entre les adresses, et attends patiemment que la course soit confirmée, espérant que ce trajet de nuit me rapproche enfin de la chaleur de mon appartement et d'une soirée de calme bien méritée.
Dix minutes d'attente ? Sérieusement ?
— Putain !, je grogne en replaçant une mèche derrière mon oreille, mon regard balayant les silhouettes rassemblées sous le porche.
L'odeur de leur cigarette, mêlée à celle de la pluie, m'arracherait presque l'envie d'en allumer une moi aussi. Je soupire en me rappelant que c'est Maya qui a gardé mon paquet dans son sac.
C'est alors qu'une sensation étrange me pousse à tourner la tête sur la gauche. Un frisson me parcourt la nuque lorsque mes yeux rencontrent ceux d'un étudiant adossé au mur, une bière à la main, qui me fixe sans aucune gêne.