Chapitre 1 - La Vie de Corina

Le soleil glissait sur ma peau, l’odeur enivrante des lilas emplissait mes narines et mes yeux fermés m’empêchaient de contempler le paysage que je connaissais par cœur.

Je sentais sous mes doigts la fraîcheur du banc de pierre et j’entendais le clapotis de l’eau que faisait raisonner la fontaine à ma droite. Cet endroit était le même que dans mes souvenirs et pourtant, il ne pouvait être plus différent.

 

J’inspirai profondément pour remplir mes narines du puissant parfum des fleurs avant d’ouvrir les yeux. La lumière aveugla un court instant mes prunelles mauves et fit venir quelques larmes que je chassai du bout des doigts.

Ramassant mon sac, je quittai le patio pour m’enfoncer dans les couloirs du palais. La fraîcheur qui régnait dans ces lieux contrastait agréablement avec la température de ma peau réchauffée par le soleil. L’appel aurait bientôt lieux, je ne devais pas être en retard ou Mythra le remarquerait et je serais encore bonne pour des semaines de surveillance renforcée.

 

Quatre ans avaient passé depuis l’attentat contre l’Impératrice d’Istan et sa fille, Lévira, ma meilleure amie. Si mon père avait été l’un des meilleurs traîtres à l’ancienne couronne, permettant ainsi prise de pouvoir de notre nouvel empereur Deletan Banner, cela ne m’empêchait pas d’être contrôlée bien plus strictement que les autres.

Sans doute était-ce à cause de mon ancienne relation avec feu l’héritière de la nation. Ou tout simplement car ma supérieure, Ophélia Mythra, vouait une haine particulière à ma mère, Héléna Frassati.

 

Ma formation de diplomate était loin d’être une partie de plaisir, enfermée dans le Palais comme dans une prison dorée. Par une habile manœuvre, l’Usurpateur avait réussi à réunir tous les enfants des nobles et bourgeois au sein du Palais Impérial. L’instruction était primordiale dans l'univers dans lequel j'évoluais et il avait su tirer parti de cette nécessité. Un acte de grande mansuétude ou une façon simple mais subtile de contrôler ses alliés comme ses opposants ? Il ne m’avait pas fallu longtemps pour trouver la réponse. Depuis toute petite, j'avais moi-même été formée aux ficelles de l'économie et du pouvoir. Je savais reconnaitre des manipulations politiques lorsque je les voyais. Ou, dans ce cas, lorsque j’en étais victime.

 

Tous, nous étions formés au Palais, étroitement surveillés, à la merci de notre nouveau dirigeant.

 

J’étais donc coincée là, à subir les regards suspicieux de mes congénères mais surtout de Mythra, une Chuchoteuse qui ne manquait pas d’utiliser ses pouvoirs de persuasion sur les serviteurs pour connaître la moindre de vos allées et venues. Les miennes n’étaient pourtant pas compliquées. Je passais mon temps entre la demeure Frassati, les salles de cours et la bibliothèque Impériale dont une partie avait été laissée à la consultation pour les étudiants des Hautes-Sphères. Un cadeau d’intérêt, si seulement la plus grande partie des écrits de valeurs n’avaient pas été détruits dans l’incendie qui avait ravagé le Palais, le soir de la prise de pouvoir par Banner.

Le palais avait été reconstruit à l’identique. Pourtant il m’était impossible de me convaincre que les couloir que je parcourrais étaient les mêmes que ceux dans lesquels je jouais avec ma meilleure amie étant enfant.

Impossible de me resituer cette époque maintenant que tout avait changé, qu’elle était morte et que nous étions gouvernés par un Empereur aussi intelligent que sanguinaire.

 

Depuis quatre ans, les non-humains disparaissaient. De la capitale d’abord, puis de l’Empire tout entier. Oh, ces informations étaient bien cachées aux habitants des Hautes-Sphères. Cela dit, ils en auraient eu vent qu’ils les auraient ignorées. Que valait une poignée de vie non-humaine contre l’opulence de leur mode de vie ? Moi-même, si je me procurais des nouvelles de temps à autres, je ne faisais rien pour aller à l’encontre de ces disparitions. Il se disait à mi-mot qu’elles étaient provoquées par Banner. Qu’il enlevait les non-humains pour pratiquer des expériences terrifiantes sur ces pauvres gens. Ma théorie était qu’il les exterminait, tout simplement.

 

Ces pensées morbides traversaient mon esprit tandis que je débouchai dans le grand hall de l’aile nord du Palais. Autrefois entièrement réservé pour les invités et ambassadeurs voisins, il servait maintenant de lieu de formation pour les rejetons des nantis des Hautes-Sphères. Beaucoup des chambres avaient été reconstruites mais transformées en salles de classe et d’entraînement pour les possesseurs de la Voix, aptitude qu'une grande partie de la population Istanoise possédait. J’aurais bien profité de ces dernières, si seulement mon pouvoir n’avait pas été incontrôlable…

 

 

Le hall bourdonnait des conversations des autres étudiants, empaquetés par petits groupes. Certains me lancèrent des regards de travers alors que j’allais me placer dans un des coins, près de la section réservés aux Chuchoteurs. Non pas que je puisse converser avec mes camarades de section, qui se faisaient un plaisir de m’exclure de leurs badinages. Cela m’était un peu égal, je ne ressentais ni le besoin ni l’envie de leur parler.

 

J'avais toujours été seule. Les relations que notre famille avait entretenue avec la précédente impératrice n'étaient un secret pour personne. Même si maintenant mon père était un politicien très proche de Deletan Banner, les rejetons des autres familles de la haute ne voulaient pas trop m'approcher. Ils ne voulaient pas être des dommages collatéraux si jamais on découvrait que mon père traitait avec les Rebelles. Quelque part, je les comprenais. Personne ne voulait s'attirer les mauvaises grâces de Deletan Banner. Ceci étant dit, ils n'avaient pas de soucis à se faire non plus. A mon grand regret, dès la mort de Sarah et de ma meilleure amie, mes parents avaient tout de suite et sans aucun remords prêté allégeance à l'Usurpateur. Cette trahison, doublée de la perte brutale de mes repères et de ma meilleure amie, m’avait rendue bien plus cynique.

Je me revoyais, cette soirée fatale, enfermée dans le sous-sol de la demeure en attendant que l’armée de Banner passe et mette à sac toutes les maisons d’aristocrates ne voulant pas se soumettre. Je revoyais mon père, rentrer en trombe dans la cave humide, le sourire aux lèvres, les mains croisés derrière son dos et l’air satisfait. Ses paroles, « tout ira bien ». Et tout était allé bien. Pour lui.

 

 

Car moi, en plus de ces suspicions qui pesaient sur ma famille, j'avais le malheur d'être une Chuchoteuse. La maîtrise de la Voix avait beau être un don, on ne conférait pas pour autant le même statut à tous ceux qui possédaient cette aptitude. Ainsi, si les Hurleurs et les Chanteurs étaient on ne peut plus respectés ; on regardait ceux qui maîtrisaient la capacité de Murmurer d'un œil un peu moins amène.

Les Chuchoteurs étaient en fait le plus souvent vu comme des êtres fourbe et retors. Hors bourgeoisie, ceux qui pouvaient Murmurer étaient souvent des voleurs ou des assassins. De quoi m’empêcher de me sociabiliser, donc.

 

De toute manière, qu’aurais-je eu à leur dire, à eux qui se contentaient de vivre en ignorant les malheurs que traversaient le reste de la population ? Leur nombrils avaient l’air de les satisfaire pleinement. Peu leur importait que des gens se meurent, disparaissent ou soient réduits en esclavage, du moment qu’ils obtenaient le poste qui leur avait été promis à l’issue de leur prestigieuse formation.

 

 

 

Une trompette sonna et, en quelques mouvements précipités, chacun alla se mettre à l’endroit conforme. Je pris place dans les rangs des Chuchoteurs, bien au bout de la ligne. Ophélia Mythra fit irruption dans la vaste pièce, suivie de près par deux gardes de haute stature.

 

Ses cheveux bruns flottaient derrière elle. Sa robe bleue évasée, coupe qu’elle affectionnait, lui donnait l’air de l’Impératrice qu’elle n’était pas et ne serait jamais. Il était de notoriété publique, bien que ce ne soit pas officielle, que son lien avec Banner n’était pas que professionnel. Mais ce dernier, si pieux et dévoué à sa divinité Démiourgós, n’aurait jamais accepté de renier sa femme pour se marier avec Mythra. Elle en désespérait mais ne pouvait rien faire d’autre que se plier à cette règle. Se gardant de le reprocher à son amant, elle passait sa frustration sur son personnel et les élèves qu’elle affectionnait le moins.

J’en faisais partie.

 

Le contrôle fut rapide. Appel, déclinaison d’identité et passage de notre supérieure dans les rangs. Personne ne manquait, tous étaient aussi silencieux qu’ils avaient été bruyants la minute d’avant.

Son visage fin encadré par de longues boucles châtains et ses yeux bleus myosotis teintés de mépris nous imposaient le silence sans qu’elle n’ait un mot à nous dire. Elle était magnifique, je ne pouvais pas lui enlever ça.

 

Comme à l’accoutumée, je me préparai à recevoir des commentaires. Sur ma tenue, par promptitude à sortir mes papiers, ou que sais-je. Je la détestais et elle me le rendait bien. Pourtant, malgré l’autarcie qu’elle et mes camarades m’infligeaient, j’étais intouchable du moment que mon père restait un conseiller majeur de Banner.

Dans mon malheur, j’avais la chance d’être une piètre Chuchoteuse. J’aurais excellé dans son domaine qu’elle m’aurait haï d’autant plus, comme elle haïssait ma mère à cause d’une vieille rivalité qui remontait à leurs études ensemble.

 

Cela dit, elle aimait plonger son regard bleu dans le mien, me défiant presque d’utiliser ses talents de Chuchoteuse Illusionniste. J’avais l’impression qu’elle pouvait lire dans mon âme, en sonder le moindre de ses recoins et cela me terrifiait. Malgré tout je tentais toujours de garder la tête haute, sans tenir compte de l’aura qui flottait autour d’elle et me glaçait le sang.

 

 

Pourtant cette fois, elle passa devant moi en m’accordant à peine un regard, le sourire aux lèvres.

Mes camardes me jetèrent des regards en coin, étonnés. Mais ils ne pouvaient être plus stupéfaits que moi.

Curieusement, j’aurais préféré être le centre de son attention aujourd’hui aussi. La voir m’ignorer ne me rassurait pas. Quelque chose avait changé, quelque chose changeait de l’ordinaire. Mais quoi ?

 

 

 

La fin de l’appel survint rapidement et nous fûmes libérés pour aller en cours. J’aurais pu être soulagée de la quitter mais il se trouvait qu’elle serait ma professeure pour ma première heure de classe.

Je gagnai rapidement l’étage, rendue nerveuse par l’appel, mes camarades derrière moi faisaient attention à laisser une distance entre nous. Un périmètre de sécurité pour ne pas se retrouver aussi surveillés que je ne l’étais. Ou bien avaient-ils simplement peur que mon incapacité à utiliser mon pouvoir ne déteigne sur eux.

 

Mythra se trouvait déjà dans la salle lorsque nous arrivâmes. Derrière son bureau, elle attendait, droite comme un piquet. Je pris place tout au fond en sachant que cela ne m’empêcherait pas de me faire remarquer. A chaque cours, je savais que j’aurais le droit à une de ses piques dont elle était si fière. J’espérai presque avoir le droit à une remarque aujourd’hui. Qu’elle m’ignore une fois de plus et ce serait le signal qui me confirmerait que mon instinct ne me trompait pas.

 

Elle ne perdit pas de temps en introduction.

-        Demain a lieu la Loterie, comme vous le savez tous. Je compte sur vous, Chuchoteurs que je m’acharne à former pour vous tenir correctement et représenter au mieux le prestige de votre formation. Je n’ai pas besoin de vous le rappeler, mais le règlement de l’Académie est strict et c’est pour une raison précise : c’est au sein du palais que vous êtes formés, par la grande bonté de notre Empereur qui accepte de vous accueillir au cœur du pouvoir Istanois. Aucun, et je dis bien aucun de vous ne devra entacher sa réputation.

 

Elle fit une pause plus longue que d’accoutumée pour glisser un regard incisif vers moi. Je le soutins, malgré la froideur de ses prunelles bleues qui semblaient me brûler à chaque seconde. Une vague de soulagement desserra la nervosité qui enchaînait mon cœur.

-        Vous avez du potentiel, vous êtes là pour l’exploiter, reprit-elle, et non pas pour le gâcher par un comportement indigne de la formation qui vous êtes offerte. Lorsque les dix représentants choisit pour ce mois-ci franchiront les portes du palais, vous serez irréprochables et leur montrerez la puissance de l’Empire, est-ce clair ?

 

Il y eut un mouvement d’approbation dans la salle, mouvement que je suivi pas. Directement, elle se tourna vers moi. Comme tous les mois, j’aurais le droit à mon discours personnalisé devant le reste de ma petite classe. Compte-tenu des circonstances, je me retins de lâcher un soupir soulagé.

-        Quant à vous, Mademoiselle Frassati… Pas de débordements, pas d’interventions, pas de pouvoir incontrôlés, rien de tout cela, ajouta-t-elle.

 

Sa voix, déjà froide, était devenue glaciale. Je n’avais aucune envie de participer à la Loterie, ni d’y assister d’ailleurs.

J’acquiesçai donc à contre-cœur.

-        Madame, si vous me permettez…, intervins-je alors qu’elle se détournait déjà pour achever son discours mensuel.

 

Elle haussa un sourcil mais me laissa continuer.

-        Si je pouvais être exemptée de la Loterie, peut-être éviterait tout incident… Je ne voudrais pas que les choses se passent comme l’année dernière, terminais-je, consciente que raviver les souvenirs de cet événements ne pourraient que l’énerver davantage.

 

Mais j’avais vraiment envie d’être épargnée de cette honteuse séance de propagande dans lequel nous avions un rôle majeur à jouer.

-        Pour tout vous dire, votre requête a été acceptée. Je voulais vous l’annoncer en fin de cours mais puisque vous abordez le sujet… Pas de Loterie pour vous ce mois-ci.

 

Mon cœur loupa un battement. Enfin. Mythra avait l’air partagée entre la déception de ne pas m’avoir sous sa surveillance durant l’événement et le soulagement de ne pas me trainer ce fléau. Cela expliquait sans doute son relâchement lors de l’appel.

Le reste de la classe aussi, avait l’air satisfait de la nouvelle. Ils ne traineraient pas cette année ma réputation catastrophique devant les heureux gagnants de la Loterie, introduits pour une journée unique au sein du Palais Impérial.

 

Cette mascarade m’écœurait. Il y a trois ans, j’étais persuadée que cette idée révolterait aussi le peuple. Mais j’avais découvert avec effroi que l’événement, grandement médiatisé, plaisait au peuple autant qu’à mes camarades qui adoraient jouer aux parfaits petits soldats de Banner. Cet homme était un monstre ; un monstre d’une intelligence redoutable.

 

 

Le reste de l’heure passa très vite. Consacrée à l’organisation de la Loterie dont j’étais exemptée, je n’avais aucun rôle à y jouer. Oh bien sûr, Mythra ne me laisserait pas pour autant rester chez moi. Je n’en avais pas le droit, à vrai dire. Chaque jour, les rejetons des familles hauts placées devaient être présents à l’appel. Le jour de la Loterie, il se ferait le matin et je devrais moi aussi y être.

Mais je fomentais déjà quelques plans pour me prélasser dans la bibliothèque, où je ne croiserais personne et où je serais en paix.

 

Enfin, Mythra nous libéra. Je rangeai rapidement mes affaires, pressée d’échapper à son angoissant regard que je sentais peser sur moi plus que d’habitude.

-        Mademoiselle Frassati.

 

Je me stoppai net sur le pas de la porte. Un frisson parcouru ma colonne vertébrale. Que me voulait-elle ?

 

Mythra était une Chuchoteuse Illusioniste. Elle était capable de vous charmer pour vous extirper jusqu’au plus profonds de vos secrets. Bien sûr, utiliser un tel pouvoir sans raison était interdit. Mais la peur était plus forte que toute pensée rationnelle et j’imaginais déjà le pire.

Elle allait me regarder, planter ses deux iris si froids dans les miens et elle me mettrait à nu, lirait chacune de mes pensées les plus profondes, découvrir chacun de mes secrets les mieux gardés et j’allais mourir.

 

Je me retournais, prête à affronter ce malheur qui fondait sur moi sans que je ne puisse l’en empêcher.

 

Au lieu de ça, je la vis, assise derrière son bureau, rédigeant sur une feuille. Elle esquissa un sourire en coin, le deuxième de la journée, sans pour autant relever la tête.

-        Vous transmettrez mon bon souvenir à votre mère.

 

Je ne répondis rien, tournai les talons et m’enfuis de cette maudite pièce.

 

Ses paroles tournaient en rond dans ma tête. Rien de plus, rien de moins. Juste cette salutation, d’apparence banale, qui sonnait pourtant comme le gros des avertissements. Comme une menace.

Car s’il y avait bien une personne que Mythra ne mentionnait jamais, c’était ma mère.

 

 

Pourquoi ? Pourquoi ça, pourquoi maintenant ? Quelque chose clochait, j’en avais désormais l’intime conviction.

Mon cœur se serra, mes pas me guidaient d’eux-mêmes vers le réfectoire. Mes pensées, elles, étaient ailleurs.

 

J’avais cru pendant quatre ans pouvoir me reconstruire. Oublier, passer à autre chose. J’étais toujours à l’affut, je prenais garde à ne pas faire un seul faux pas. Une erreur et tout volerait en éclat et j’étais pourtant persuadée de ne m’être trompée nulle part. Alors où était le problème ? Qu’est-ce qui provoquait en moi ces sueurs froides, qu’est-ce qui faisait que je ne pouvais m’empêcher de penser que j’allais de nouveau connaître le chaos ?

Une chose était sûre, je devais redoubler de prudence. Les ennuis n’étaient pas loin et il ne fallait surtout pas que je sois là lorsqu’ils arriveraient.

 

 

Je débouchai sûr le réfectoire, salle immense où nous autres élèves pouvions déjeuner. Adjacents à cette pièce se trouvaient les salles d’entraînement que Banner avait fait aménager pour que nous puissions travailler notre Voix. Je n’y mettais jamais les pieds.

 

Mon esprit se focalisa sur l’instant présent et je localisai rapidement le petit groupe d’étudiants qui m’intéressait.

 

Il était constitué uniquement de garçons qui me regardèrent d’un mauvais œil alors que je m’approchai. Tous sauf Bran, archétype du beau garçon et fils du Chef des Armées de Deletan Banner. Sans un mot, il attrapa son sac, salua ses amis et me rejoint, me glissant au passage un court baiser.

-        Bonjour, toi, me dit-il.

 

Je lui adressai un sourire. Unique personne acceptant de me fréquenter, il affichait notre relation au grand jour. Cela ne me dérangeait pas même si je devais avouer, non sans regret pour lui, qu’il était bien plus attaché à moi que je ne l’étais.

Bran était grand, fort et il aspirait à succéder à son père. Sa seule tare résidait dans sa Voix car Démiourgós lui avait attribué un don de Chanteur, et non pas de Hurleur. Les Hurleurs étaient le plus souvent destiné à devenir des guerriers, et d'ailleurs la plupart, si ce n'était la totalité des militaires ou des héros de guerres étaient des Hurleurs. Bran lui n'était donc qu'un Chanteur, bien qu’il maitrisât parfaitement le Chant de Destruction. Pour son plus grand malheur et celui de toute sa famille, c'était son frère cadet Ewen, qui avait hérité de ce don. Ironie cruelle pour le jeune homme pacifique et porté sur des études de diplomatie.

 

J’avais commencé à fréquenter Bran un an plus tôt. Je me sentais seule et j’avais trouvé en lui un certain réconfort. Il avait, lui aussi, une expérience de la vie avec un don que l’on n’appréciait pas vraiment et son empathie avait été un soutien pour moi à de nombreuse reprise.

 Sans oublier que, contre toute attente, mon passé ne lui posait de soucis. Peut-être s’était-t-il renseigné auprès de son père avant de se lancer mais peu m’importait. Il était là et me faisait sentir moins seule.

Parfois, j’aurais aimé m’attacher à lui, lui offrir ce qu’il désirait. Mais malgré mes efforts, je ne parvenais pas à tomber amoureuse.

 

Lasse de ma journée, j’avais bien besoin de distraction et Bran me semblait être la meilleure manière d’oublier pour quelques heures la menaçante Mythra.

 

Alors que nous sortions du réfectoire, discutant de choses et d’autres, je l’interrompis.

-        Bran, que dirais-tu de venir chez moi ?, lui demandai-je, mutine.

 

Un sourire fleurit sur son visage et il m’embrassa à pleine bouche. Grisée par le baiser, je lui pris la main et nous nous dirigeâmes vers la sortie.

 

Un chauffeur privé m’attendait aux grilles du palais. Nous nous engouffrâmes dans la luxueuse limousine et j’eus le temps de donner mes instructions avant que Ban ne remonte la vitre. Très vite, nous nous perdîmes en baisers, conscients que personne ne pouvait nous voir.

Le trajet jusqu'à la résidence Frassati passa extrêmement vite, presque trop à mon goût. Mais même si l'arrière de la limousine était confortable, j'étais pressée de me retrouver avec Bran dans un endroit plus intime.

Le manoir était immense, les serviteurs et esclaves étaient nombreux. Nous n’y fîmes pas attention en montant les étages qui nous mèneraient jusqu’à mes appartements privés. Arrivés dans ma chambre, je me déshabillai rapidement, empressée. Il me prit dans ses bras et me jeta sur le lit.

 

Un frisson de plaisir parcouru mon épiderme alors qu’il me rejoignait dans les draps de soie. Emportée par le désir, je laissai mes problèmes s’évanouir, emprisonnée dans les bras du beau Bran.

 

 

***

 

 

6 Novembre de l’an 604

 

         Aujourd’hui, je pars. Je laisse tout derrière moi. J’ai le cœur battant, je ne sais pas si je prends la bonne décision mais je ne peux plus rester à Istan, ou même sur Astra.

J’ai trouvé un bateau qui m’emmènera de l’autre côté de l’Océan Continental, sur Ove.

On dit que là-bas la Rébellion s’est reconstruite, qu’ils cherchent des membres prêts à se battre pour renverser Banner et empêcher de nouveaux Temps Sanglants.

Alors, pourquoi ne pas y aller ? J’ai besoin de mettre l’Océan entre moi et les horreurs que j’ai commises, même si je sais bien qu’où que j’aille, ma culpabilité me suivra toujours. La seule façon que j’ai de me racheter, c’est de me battre, de réparer le mal que j’ai fait.

Aujourd’hui je pars vers Ove, je pars vers la Rébellion. Je pars, je scelle mon destin et vais accomplir la vengeance qui me consume de l’intérieur.

Et j’espère sincèrement pouvoir un jour le tuer de mes propres mains.

 

 

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Lucyie
Posté le 19/05/2020
Salut! J'aime vraiment l'ambiance qui se dégage de ces chapitres! Ce format lettre au début était très original et la transition entre le texte "normal" et le journal de l'assassin est vraiment géniale! J'ai hâte de voir la suite.
LysKrysler
Posté le 20/05/2020
Salut, merci beaucoup, j'espère que la suite te plaira aussi ;)
Ysaé
Posté le 13/05/2020
Salut!

La voici donc, notre héroïne! Je me fais déjà une idée d'elle assez précise, celle d'une jeune femme intelligente, éprise de justice et pour autant déjà blasée...
La façon dont tu amènes ton histoire est originale, je trouve, avec cette tragédie qui nous plonge immédiatement au cœur de l’histoire.
L’existence des pouvoirs est un levier très prommeteur, j’ai hâte d’en apprendre d’avantage.
J’ai trouvé que ce chapitre était bien équilibré entre action et explications, dans tous les cas.

J'ai peut-être un peu plus de mal à comprendre la relation avec son petit-copain (en tout cas cela m'a surpris, vu comment elle semblait être une pestiférée), mais ce n'est pas incohérent.

- J’ai noté une répétition du mot « intelligent » pour qualifier Banner

- Comme à l’accoutumée, je me préparai à recevoir des commentaires. Sur ma tenue, par promptitude à sortir mes papiers, ou que sais-je. => il manque des mots dans la seconde phrase

- Cela dit, elle aimait plonger son regard bleu dans le mien, me défiant presque d’utiliser ses talents de Chuchoteuse Illusionniste. => le verbe défier ne convient pas à mon avis, puisqu’il s’agit d’utiliser ses propres pouvoirs.

Hate de lire la suite, à plus !
LysKrysler
Posté le 13/05/2020
Coucou ! Merci pour ton retour complet ^^
Sa relation avec Bran est l'une des seule qu'elle entretient et ça n'est pas vraiment son petit copain, ils sont juste proches elle ne l'aime pas et lui l'aime (bonjour la relation de plan cul qui a mal tourné...)
Et oui elle est traitée comme une pestiférée à cause du mauvais contrôle de ses pouvoirs et évidemment, de la relation qu'elle a eu avec l'ex-héritière ; les gens ont peur que traîner avec elle retombe sur eux, c'est pour ça qu'ils l'évitent ^^ Bran fait exception à la règle puisqu'il est le fils du chef de la milice dont il a des renseignements sur elle et sait qu'elle n'est pas une espionne ou à la solde des rebelles, bref, je sais pas si tu comprends le raisonnement derrière tout ça X)
UnePasseMiroir
Posté le 12/05/2020
Yo, me revoilà ! On rencontre donc la fameuse Corina, dont la situation n'est pas particulièrement enviable ^^ ça permet de s'attacher rapidement à elle ! Au contraire de Mythra qui n'est pas bien sympathique X) elle je la sens pas, mais c'est un peu normal je pense mdr.
L'univers qu'on découvre en même temps est hyper intéressant, même si on a pas encore beaucoup de détails sur les pouvoirs de Chuchoteur et les autres. On est très facilement immergé dans l'ambiance de ton univers (les moodboards sur insta aident à se représenter ^^) et j'adore ! Juste un détail qui m'a fait tiquer : j'étais en train d'imaginer un univers limite grecquo-romain-médiéval, et ça m'a perturbée quand tu es arrivée avec ta limousine ! Genre c'est une limousine comme les nôtres, ou un espèce de carrosse ?

Et la fin en italique là, j'imagine qu'il s'agit d'un extrait du journal de l'assassin ? Au vu des dates ça se passe pas longtemps après l'assassinat de la famille impériale... très intriguant !

J'ai relevé deux petites coquilles au passage :
- L’appel aurait bientôt lieux => lieu
- Sans oublier que, contre toute attente, mon passé ne lui posait de soucis. => -rajoute un « pas » peut-être

Bref c'est un début qui m'emballe ;) j'ai hâte de lire la suite !
LysKrysler
Posté le 13/05/2020
Coucou ! Au niveau du monde d'Hakarta, il y a la présence de technologie, des voitures, etc., mais la technologie est réservée au plus nobles, ce qui fait que tu as un gros clivages entre les campagnes où tu ne vas pas voir de choses "actuelles" pour nous, elle le centre des grosses villes où tu peux croiser des voitures (dont des limousines). C'est expliqué un peu plus tard dans la suite du récit mais globalement, il y a de grosses inégalités au niveau des richesses ^^

La fin est un extrait du journal de l'assassin en effet ! Merci pour les fautes relevées, il y en a toujours deux ou trois qui m'échappent ^^
Je suis ravie que le début de plaise, j'espère que la suite te plaira aussi ;)
NM Lysias
Posté le 10/05/2020
Salutation!

L'histoire s'ouvre en même temps que ce chapitre sur quelques réponses.
Je suis fasciné par le tueur. J'adore ce journal, et les mots qu'il laisse échapper sur les pages.
J'ai rudement envie de le rencontrer.
LysKrysler
Posté le 11/05/2020
Merci à toi pour ton commentaire ^^ Je suis contente que le journal plaise :)
Zoju
Posté le 10/05/2020
Salut ! J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ce chapitre et les textes des premières parties. Ils piquent ma curiosité. J'ai trouvé très fort la lettre de Lévira et le journal de l'assassin. On ressent beaucoup d'émotions. En commençant ce premier chapitre, on comprends un peu mieux les différents textes. En ce qui concerne le personnage de Corina, je me suis vite attachée à elle. Sa façon de pensé est facile à comprendre. On se demande encore qu'est-ce que c'est les différents pouvoirs chuchoteur, hurleur, ... mais je pense que cela va s'éclaircir après. La partie est italique est vraiment intrigante. Si j'avais une toute petite remarque, ce serait la répétition de meilleure amie qui je trouve alourdi un peu le texte. Il revient fréquemment et de manière peu espacé. Ensuite, je ne sais plus où exactement dans le texte, mais il arrive que tu oublie certains mots. Je me souviens qu'il manquait une fois le pas d'une négation. Quoi qu'il en soit, je suis curieuse de savoir où tu vas nous emmener. :-)
LysKrysler
Posté le 10/05/2020
Bonjour et merci beaucoup pour ton retour ! Je note pour les répétitions et les oublis ;)
Je suis contente que tu sois attachée à Corina, d'habitude on me dit qu'elle est insupportable ^^' (elle a ses mauvais traits, c'est sûr), j'espère que la suite te plaira aussi :)
Zoju
Posté le 10/05/2020
Honnêtement, je ne lui ai pas trouvé un trop sale caractère. Après ce qu’elle a vécu, on peut la comprendre. C’est peut-être avec Bran que l’on a un peu de peine. La fin de cette partie avant celle en italique m’avait fait penser qu’elle se « servait » un peu de lui, mais je n’ai pas ressenti ça venant d’elle. Qu’es-ce que les autres lecteurs lui trouvaient d’insupportable ? Simple curiosité de ma part. :-)
LysKrysler
Posté le 21/05/2020
Désolée je viens juste de voir ton commentaire ! Déjà là c'est une légère réécriture donc j'ai un peu lissé les traits de caractère de Corina qui rentrait un peu dans l'archétype de la pétasse, si je puis oser le terme. Et oui, elle se sert de Bran mais il est tout à fait conscient de cela ^^
Zoju
Posté le 21/05/2020
T'inquiète ! Merci pour les infos. :-)
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