Chapitre 11

Je veux partir mais je n’arrive pas à trouver Christine ni même Nic. J'envoie un appel à l'aide, le Batsignal : "S'il-vous-plaît venez me chercher, le plan Alex est tombé à l'eau". Je suis seule face au monde, perdue dans l’immensité de mon incompréhension et des inconnus face à moi. La seule personne que je reconnais est Johan que je suis instinctivement. Plus rapidement qu'il ne faut pour le dire je le retrouve assise en cercle avec d'autres étudiants et un jeu au centre. J'ai tout sauf envie de m'amuser en participant à un jeu, mais les options de divertissement ne sont pas immenses et je n'ai pas envie de réviser. Sortir et rejoindre ma voiture est une option possible mais traverser l'immense parc seule ne me rassure pas. L'agitation n'est plus aussi importante, il semblerait que la plupart des personnes aient décidé de faire de l'urbex dans la cave. Selon leurs dires, il s'agirait du meilleur endroit pour capter les ondes des fantômes. La musique a disparu et le silence commence à faire place.

- Courageuses personnes avant de se lancer dans un marathon d'horreur, nous avons besoin de plus de compagnie. Cette magnifique demeure va nous faciliter la tâche. Avec sa construction qui remonte à 1907, suite à la demande d'un mystérieux fabricant de corsets… Depuis des générations entières se sont succédé, ayant assisté à des drames… Les propriétaires actuels ne sont pas connus, ils sont seulement partis de la villa suite à une discorde liée à son héritage ou la présence d'esprits...

Je suis donc le mouvement et tente d'écouter la conversation et de m'y intégrer. Il touche la boîte de jeu en bois, et l'ouvre. Ce n'est que lorsqu'il sort la goutte et le plateau en bois que je me rends compte qu'il s'agit d'un ouija… 

- J'adore les planches de Ouija… C'est le seul jeu auquel je peux encore jouer avec mon grand-père.

Cette petite blague de Johan a eu l’effet escompté et met des sourires sur la plupart des visages. Cependant, d’autres personnes sont autant interloqués que moi et détaille cette planche dont nous avions tous déjà entendu parler mais jamais vu en face de nous. Elle est des plus classiques et ressemble à tout ce que j’ai pu voir dans les films. C’est une grande planche en bois verni, toutes les lettres de l’alphabet y sont peintes tout comme les chiffres de 0 à 9, c’est étrange je ne savais pas que des chiffres étaient censés être peints. Le fameux “bonjour”, “au revoir”, “oui” et “non” sont aussi dessinés à chaque extrémité. Je profite de l’attention générale sur Johan et la planche pour détailler tout le monde dans le cercle et tenter de mettre des noms sur les visages. 

Nous sommes onze en comptant Johan. Nous formons un cercle parfait, seul Johan est à l’extérieur et se montre plus distant. En plus de moi, seulement quatre filles sont présentes. Elles sont toutes différentes, l’une ressemble à une star des universités et est entourée de garçons qui boivent toutes ses paroles. Je pense qu’elle s’appelle Célia ou quelque chose comme ça. Je suis certaine de l’avoir déjà vu lors d’une autre soirée. Elle n’est pas habillée pour l’occasion, à moins qu’elle souhaite séduire des fantômes. Son haut ressemble à une brassière blanche en dentelles et laisse tout transparaître, tandis que son short ressemble à un culotte taille haute. Elle n’a pas froid comme ça ? Les deux garçons autour d’elle font tout ce qui en leur pouvoir pour attirer son attention et ses faveurs, mais il semblerait que ce soit sur Johan qu’elle ait jeté son dévolu. Il est vrai que c’est un joli garçon. Il n’est pas très grand mais son assurance, sa musculature et son visage digne des drama coréens font chavirer beaucoup de cœur. Il le sait et en profite, il n’hésite pas à charmer et à mettre tout ce qui est son pouvoir pour séduire le plus de monde possible. Fille, garçon, il s’en fiche, il aime être au centre de l’attention comme à cet instant.

Non content de l'absence de reconnaissance que Célia lui apporte, les deux garçons que je n’ai jamais vus au préalable… Peut-être des premières années, ils décident de mettre en commun leur force et de parler plus fort et faire des grands gestes pour attirer son attention. L’un des deux est très grand mais aussi très svelte pour ne pas dire maigre. L’autre est tout son opposé, il est brun et plutôt trapu. Les seules personnes qui me disent quelque chose sont un des garçons qui est d’origine indienne et fait de très belles fiches et un duo d’amies qui font toujours toutes les activités de classe ensemble. 

Je sais que je devrais me retirer mais la curiosité devient trop importante et m’empêche de réfléchir. Je ne crois pas que cela va fonctionner, cependant je suis persuadée que la goutte va bouger grâce à des micro-mouvements imperceptibles de tous. Cela s’appelle l’idéomoteur, je pense que Chri-Chri adorait voir l’application de ce phénomène psychologique, des petits mouvements musculaires inconscients et involontaires, qui vont vous avoir une des plus grandes frayeurs. La véritable question est donc de savoir ce que l’inconscient de tout le monde va faire dire à la planche.

- Pour pratiquer cette séance, nous allons devoir respecter certaines règles. Je ne plaisante pas, il faut être sérieux, l'inverse pourrait avoir des conséquences désastreuses. Nous sommes déjà disposés en arc de cercle autour de la planche, une fois que je vous l’aurais indiqué vous allez disposer le bout de vos doigts, plus précisément votre index et votre majeur, sur la goutte laissée au centre de la planche. Je serai le maître cérémonie, cela va donc être moi qui vais ouvrir la séance en récitant une invocation pour appeler la présence de l’esprit de cette villa. Pour cette séance, j’ai fait attention lors de l’installation de dégager et purifier la pièce. Cela va permettre de dégager toutes les énergies indésirables. Quelques règles avant de commencer : je serai le seul à parler avec l’esprit et vous ne devrez pas enlever vos mains de la goutte tant que je ne vous aurais pas dit le contraire, pas de blague, pas de mouvement de panique. Est-ce que vous avez tous compris les règles ? 

Une mêlée de oui parvient à mes oreilles.

- Très bien, vous pouvez mettre le bout de vos doigts sur la goutte, nous pouvons commencer.

Un souffle d’air vient me chatouiller le bas du dos, il se transforme rapidement en frissons. J’inspire profondément et fait le vide dans ma tête, une petite pause méditation n’aurait pas de trop avant cette séance de spiritisme, histoire de se détendre et d’être en pleine forme. Je me penche en avant et pose mes doigts sur la goutte en regardant les autres participants.

- Très bien pour vos placements, maintenant déplacer lentement en rond la goutte sur la planche.

Nous le faisons tous dans un silence religieux, nos souffles s’accordent, cela ne m’étonnerait pas que nos cœurs battent à l’unisson.

- Je vais maintenant procéder au rituel d’ouverture. Bonjour, nous souhaitons parler à un esprit bienveillant de cette demeure, nous ne voulons aucun mal, seulement vous poser quelques questions. Esprit, es-tu là ?

Nous attendons tous, fixant la goutte et se demandant si cela va fonctionner. Au bout de quelques secondes, Johan reprend. 

- Esprit, es-tu là ? Pour nous répondre, vous pouvez faire bouger la goutte vers le “oui” ou vers le “bonjour”.

Je ressens alors des petites secousses qui nous emmènent vers le “bonjour”. Première étape accomplie. Les personnes présentent souhaitent parler à un esprit. 

- Etes-vous un esprit bienveillant ?

La goutte se dirige vers le “oui”.

- Nous avons quelques questions à vous poser. Est-ce que cela vous convient ?

La goutte se déplace doucement vers le côté opposé indiquant le “non”, les souffles se coupent jusqu’à ce qu’elle change de direction pour retourner à sa position d’origine.

- Très bien, merci de votre gentillesse et de nous accorder votre temps. Si les questions vous dérangent, n’hésitez pas à nous le faire savoir. Pouvez-vous nous indiquer si vous habitez ici ? 

Je suis agréablement surprise par les capacités d’orateur et de maître de cérémonie de Johan. Je ne connais pas grand chose en termes de spiritisme seulement ce que les films et séries de mon enfance m’ont enseigné. La goutte fait un petit cercle et se dirige vers le “oui”. Une des filles du duo rigole bêtement de la situation ou dès que l’outil change de direction.

- En quelle année avez-vous emménagé ici ?

Pour une fois, la goutte se dirige vers les chiffres et indique successivement le 1, 9, 7 et 4. Les questions s'enchaînent et nous détaillent la vie de l’esprit présent. Plus le temps passe et plus je deviens fatiguée, je sens que mes paupières deviennent lourdes. Les autres ne semblent pas impactés, l’impatience commence cependant à faire face.

- Bon, tu peux lui faire faire un truc cool à l’esprit, s’il pouvait se manifester par exemple. 

- Oh oui, Johan fais-le réagir ! s’exclame une autre fille. 

- Très bien reprend Johan en se raclant la gorge. Esprit serait-il possible de nous montrer votre présence ?

Le silence reprend et se dirige de nouveau vers le “Oui”.

- Il sait que dire “oui” ton esprit ou quoi ? Il est débile, on veut du concret ! De l’action, touche-nous, casse un verre, ouvre les fenêtres, merde !

- Otto, tu ne devrais pas parler comme ça à l’esprit. Je suis le médiateur, tu n’as pas à intervenir. Je suis navré, entité, mon ami s’est mal exprimé, il ne voulait pas être malveillant à votre égard. Nous souhaiterions une preuve concrète de votre présence parmi nous, êtes-vous capable de le faire ?

Des frissons commencent à parcourir toute ma colonne vertébrale. Je tente de me concentrer et de ne pas sursauter. Malheureusement cette sensation désagréable ne me lâche pas et commence à me faire ressentir de la peur. Une peur panique, irrationnelle. J’inspire et expire plusieurs fois pour chasser mon trouble et enlever cette sensation de danger immédiat qui me colle à la peau. Je regarde les autres personnes autour de moi et personne ne semble ressentir cet étrange phénomène. Je suis beaucoup trop sous pression pour jouer à ce genre de jeu.

- Booouh ! s’écrit alors un garçon se trouvait à côté de moi.

Au même moment, je ressens une pression sur ma main. C’est une cacophonie sans nom, nous hurlons tous de tout notre saoul. Je crie de peur à m’en épancher les poumons tandis qu’il explose de rire par rapport à sa blague. Je saute en l’air et me dégage de cette ronde. Je n’écoute plus les conseils de Johan et ne respecte plus aucune règle; Je n’écoute même pas sa protestation. Je regarde ma main comme si elle était possédée et part en courant, la peur m’étreint et resserre son étau. Je veux trouver Chri-Chri et partir tout de suite de cette maison. Mon souffle se fait court, je dois chanter la chanson des os du corps humain et me rendre à la cave. 

- Chri-Chri, tu es où ?

Pas de réponse… Je n’en peux plus…

- Chri-Chri !

J’hurle de toutes mes forces, les larmes commencent à monter. J’augmente ma cadence et me dirige vers l’escalier. La porte à côté de moi claque dans un fracas lorsque j’attends le palier, c’est là que je vois une femme et que j’hurle avant de m’écrouler de tout mon long.