Un match va commencer. Mon père est comme toujours l’entraineur le plus stressé et fait des allers-retours tout en regardant son plan d’attaque. Pourtant il n’y a pas de quoi, s’agissant d’un match amical avec une autre équipe, même si par malheur on devait perdre, il n’y aurait pas de réelle conséquence. Le coach n’est pas de cet avis, après avoir regardé pour la quatrième fois sa montre en vingt secondes, il part en grandes enjambées chercher son équipe pour faire les échauffements. Les joueurs ne vont pas tarder à arriver sur le terrain et je profite de cette accalmie pour me concentrer sur ma prochaine mission.
Depuis ma conversation avec Camille lors de la soirée équipe organisée chez moi, une véritable obsession s’est développée. Je souhaite être amoureuse, sortir avec quelqu’un, sans pour autant sortir avec la première personne venue, mais pour cela je dois faire des rencontres. Sauf que je ne sors presque jamais de chez moi et que je ne suis pas la plus à l’aise pour parler avec des personnes. Pour lutter contre cela, j’ai eu une idée géniale : m’installer une application de rencontre. Même si je ne rencontre pas l’homme de ma vie dessus, rien ne m’empêchera de parler avec des hommes pour prendre le coup de main. J’ai fait quelques recherches et celle que j’ai installée correspond vraiment à ce que je cherche, on peut mettre beaucoup de filtres pour empêcher de tomber sur les profils qui ne nous conviennent pas. J’ai tout complété, que ce soit ma description, mes photos, il ne manque plus que les filtres et ajouter ce que je souhaite en passant de la taille, de l’âge et d’autres caractéristiques comme la sportivité, la tendance à faire la fête…
Le problème étant que je ne sais pas ce qui me plaît, j’ai tendance à juste me dire pourquoi pas ou a flashé pour des acteurs ou célébrités en tout genre. Je ne crois pas que j’ai déjà rencontré un homme IRL, où je me suis dit : waouh, il est incroyablement beau. Malheureusement sans noter tous ces détails, je ne peux pas plus avancer dans ma quête et m’inscrire officiellement.
Apolline se glisse discrètement, comme à son habitude, à côté de moi, son regard glisse sur mon téléphone et l’application de rencontre que je laisse ouverte. Sans me faire aucune remarque, elle attend tranquillement que je termine ce que je suis en train de faire pour me parler. Je suis l’une des seules personnes de l’équipe à qui elle parle. En y pensant, je pense ne l’avoir jamais entendue prononcer une phrase complète en la présence des garçons.
Si nous avons commencé à parler, c’est parce que j’ai remarqué que lors des entraînements elle avait toujours un carnet et qu’elle prenait des notes. La curiosité a été trop forte et je me devais de savoir ce qu’elle faisait… Après quelques minutes de discussion, elle m’a avoué que c’était son carnet pour mieux comprendre le volley-ball, dès qu’elle entend un terme technique, elle l’écrit pour faire des recherches le soir et mieux comprendre ce sport. J’ai trouvé cette implication tellement adorable, que je lui ai proposé de lui expliquer en direct les diverses actions. Je pose mon téléphone et retourne mon écran pour lui montrer que mon entière attention est dirigée vers elle.
- Salut Apolline. Tu vas bien ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ?
- Oui, ça va merci. Justement, je me demandais si tu pouvais m’éclairer sur un terme que le coach a dit s’il te plait ?
- Aucun problème, dis-moi ce qui te bloque, lui dis-je en posant mon téléphone sur le banc.
- Lors du briefing, le coach a dit que l’équipe devait ne pas oublier de faire écran. Qu’est-ce que ça veut dire ?
L’équipe rentre au même moment sur le terrain pour s’échauffer, je les regarde s’installer et j’hurle tout ce que j’ai en moi pour les encourager. Malgré la popularité de l’équipe, le match était délocalisé et amical, il n’y a presque personne dans la salle les supportant. Je sais que cela peut jouer sur le moral des joueurs et surtout ajouter une pression, je mets donc les bouchées doubles pour leur montrer qu’ils sont soutenus. Après jeté un coup d’œil à Apolline et lui avoir fait signe, elle se lève et applaudit les garçons. C’est la version plus soft de mon fangirlage, mais on va s’en satisfaire. Nous nous calmons après quelques secondes et nous nous réinstallons sur notre banc comme si de rien n’était.
- Alors… lui dis-je en me raclant la gorge pour retrouver une voix presque normale. Lorsque notre équipe sert, les joueurs vont devoir se positionner sur notre terrain de façon stratégique. Pourquoi ?
Apolline me répond en secouant la tête.
- Attends, je vais te faire un schéma. Je peux dessiner sur ton carnet ?
Une fois que j’ai obtenu son accord, je m’efforce de dessiner des bonhommes en forme de bâtons et représenter notre côté du filet.
- Ici, nous avons tous nos joueurs qui sont positionnés de manière stratégique. Même si nous n’avons qu’une personne qui se charge du service, toute l’équipe à son importance. La position des joueurs permet de masquer à l’équipe adverse la trajectoire du service et éviter qu’ils se positionnent de manière adéquate pour le réceptionner. C’est clair ou pas pour toi ?
- Oui je pense que c’est plus clair.
- En plus, cela il ne faut pas vraiment le dire, mais cela permet à l’équipe de reprendre un petit peu de force vu que c’est une partie un peu moins physique.
Ma remarque provoque un petit rire tandis qu’elle plonge dans son carnet pour écrire mon explication et annoter mon schéma.
Le match commence, je suis assise sur le banc tandis que mon père crie des ordres en fonction des actions des adversaires. Apolline est toujours à mes côtés et l’on discute de tout et de rien, cela passe par l’installation de l’application de rencontre, mon problème concernant la beauté, la conversation dérive rapidement sur les derniers mangas qu’elle a achetés. Pendant que l’on discute, j’analyse les six premiers joueurs présents sur le terrain. Étant la meilleure amie d’un pur otaku, je n’ai pas trop de même à comprendre l’engouement entour des mangas. Ils sont cependant lecteurs de deux genres complètement opposés, si bien qu’Apolline ne fera jamais des recommandations à Owen. Il est plutôt du genre shonen, soit des mangas avec de nombreuses actions et des personnages qui sont faibles de prime abord et qui par de nombreux entraînements deviennent de plus en plus forts, seinen, soit des mangas avec une histoire et une intrigue beaucoup plus mature et occasionnellement des shojo, qui va suivre le développement des sentiments des différents personnages, tandis qu’Apolline est plus du genre BL ou yaoi, des mangas mettant en avant des relations amoureuses entre deux hommes.
Elle comprend rapidement que mon attention vacille puisque je commence à lui décrire la scène qui se déroule devant nos yeux.
- Ce match commence très bien pour nous, on remporte les deux premiers points avant de perdre l’avantage, mais que très ponctuellement. Le smash de Théo sur un service de Julmon, nous permet de remonter.
Le temps passe et je vois que nos joueurs sont vraiment dans le jeu et mettent la pression sur les Tikita. Il ne faut pas juger les noms des équipes, mais bon, je juge fort pendant ce match. Notre défense se débrouille très bien pendant le premier set, le ballon siffle et se heurte encore une fois au mur qu’est les Alphas. Seul le bruit de son rebond sur le sol suivi d’un coup de sifflet marque le fin du jeu de cette balle. Ce qui met la pression à l’équipe adverse les poussant à demander un temps mort. Le ballon siffle, frappe fort et ne dépasse par
Les garçons viennent en courant rejoindre mon père et prennent sur le passage les gourdes qu’Apolline et moi leur tendons. Ils ne disposent que de ces trente secondes pour comprendre la nouvelle tactique qu’il faut appliquer en fonction de tout ce que nous avons noté au préalable.Les joueurs ne sont pas les seuls à échanger des regards défensifs et analytiques. De notre position, nous analysons tout, testons des théories, supposons… A chaque point marqué, toute notre équipe fait un petit geste du poing plus ou moins discret. Alors que l’équipe adverse stoppe l’hémorragie, j’entends Owen crier des encouragements :
- Il ne faut pas lâcher, on a toujours l’avantage !
Les positions des joueurs changent suite à la perte du point de notre côté. Un nouvel adversaire se dresse devant les joueurs. Même si le match a commencé depuis plusieurs minutes, les roulements font que l’on change souvent de joueurs en face de nous et de personne au service. Chaque joueur ayant sa spécificité, il faut savoir s’adapter rapidement. La balle se dirige vers Théo et je retiens mon souffle. Il marque en faisant une attaque sublime dans la diagonale. Un cri de joie retentit de notre côté du terrain, au diable la discrétion, les joueurs se remettent tout de suite à leurs places attitrées.
Les ballons s’échangent, les roulements continuent. Le service est manqué par Petit, c’était une prise de risques infructueuse ce qui nous permet de le récupérer. La pression commence à monter , même si nous menons, aucun de nos joueurs n’aime louper un service. De notre côté, nous ne jouons jamais la facilité surtout quand il y a Elyas derrière la ligne blanche. Toujours frôlé avec la limite du terrain, utiliser les défauts des joueurs et se préparer à grommeler en cas de louper. Heureusement pour nous, ce match n’implique pas des sauvetages à répétitions qui sont fatigants pour le moral des joueurs et mettent à mal la stratégie déployée par le coach.
C’est mon moment préféré dans le match, lorsque notre roulement nous permet d’aligner toutes les étoiles et d’avoir le meilleur positionnement possible. Cela signifie qu’Owen est en charge du service, vu la position de ses pieds, je sais qu’il va partir sur un service smashé aka son préféré. L’équipe adverse réceptionne tant bien que mal le ballon, nous donnant une chance en or. Mon écran de téléphone s’allume en me montrant que j’ai reçu une notification :
“ Votre profil n’étant pas complet, vous n’avez pas la possibilité de voir les profils proches de vous.”
Encore ces fichus filtres, qui est beau dans mon entourage ? Qu’est-ce que j’aime ? Ce n’est pas si compliqué, bon sang !
Isaac récupère le ballon sans aucune difficulté et fait une passe haute, la moitié des joueurs présents sur le terrain remonte pour faire une attaque synchronisée. Ils courent tous à la même vitesse, se rapprochant du filet empêchant l’atmosphère de savoir jusqu’au dernier moment qui va attaquer. Owen s’élance dans les airs, ses bras se déroulent pour frapper le ballon. Son bras est en complète extension pendant la frappe, son regard est assuré tandis que le contact se fait avec la paume de la main et les doigts ouverts. Pendant qu’il retombe de manière souple sur le sol, son t-shirt se remet à sa place initiale, m’empêchant de voir ses abdos par la même occasion. L’arbitre siffle et nous indique que le point est pour nous. Le sifflement est aussi synonyme de révélation : ‘Owen est l’homme le plus beau que j’ai eu l’occasion de voir.”