CHAPITRE 12

Par Taranee

PRESENT : ELIJAH

 

            Une semaine. C’est le temps que mit Elijah pour se décider à accepter la proposition de Jake McDorsey. Il lui fallut une semaine pour se convaincre qu’il ne risquait rien, que ça ne pouvait que lui apporter de la connaissance, qu’il en avait besoin pour la mission qu’il allait accomplir. Ce matin-là, après un petit-déjeuner frugal et une courte discussion avec Nethan pour savourer leur récente réconciliation, il se rendit, seul dans l’aile ouest. On entendait des échos de combats, des discussions animés, mais on ne voyait rien. Les portes restaient closes. Le jeune adulte s’avança dans le couloir, écoutant les sons étouffés qui s’échappaient des différentes pièces, puis arriva enfin jusqu’à la dernière porte, au fond du couloir. C’était une porte blindée, en fer. Très simple, assez large. Ce qui était derrière devait être important vu la taille du verrou. Après quelques instants d’indécision, il se décida finalement à toquer six fois contre le battant, comme prévu. Il entendit à peine les pas la porte était trop épaisse, mais bientôt, le panneau pivota, laissant apparaître un Jake détendu, une petite lueur mesquine dans les yeux. Elijah le salua rapidement avec une certaine raideur et entra dans la pièce.

            Elle n’était pas bien grande mais l’absence de mobilier la rendait presque immense. Il y avait seulement une chaise, et un homme, assis dessus, ou plutôt, immobilisé dessus au moyen de menottes. Elijah fronça les sourcils. Il avait un mauvais pressentiment. Il voulut reculer, sortir immédiatement de cet endroit dont la sordidité lui parut évidente, tout à coup, mais il se heurta à la porte fermée à clé. L’homme attaché à la chaise était en sueur, il semblait totalement paniqué, une blessure zébrait sa mâchoire et Elijah esquissa un pas dans sa direction pour examiner la plaie. Qui sait ? Son pouvoir aurait pu avoir une utilité…

- Ne bouge pas.

Il tourna la tête. Jake se tenait à côté de lui, droit comme un pic. Il ne bougeait pas et se contentait d’observer cet homme blessé avec dédain.

- Ne bouge pas. répéta-t-il : Rejoins-moi.

Elijah obéit. Il s’approcha de McDorsey, en proie à une angoisse grandissante, et le flot de questions jaillit avant qu’il n’ait pu le retenir.

- Qui est cet homme ? Pourquoi est-il attaché à une chaise ? Il ne faudrait pas le soigner, le détacher ? C’est quoi cet endroit, pourquoi je suis ici, moi ? Et toi, qu’est-ce que tu vas lui faire ? Pourquoi tu ne réponds pas, bon sang ?!

- La question n’est pas « Qu’est-ce que je vais lui faire » mais ce que toi, tu vas lui faire.

- Qu’est-ce que tu veux…

- Cet homme a été un agent infiltré dans le groupe des chasseurs de prime. C’est l’agent qui maintenait le plus de contacts avec le LERM puisque nous n’avons pas réussi à infiltrer qui que ce soit dans ce fichu labo. Cet homme, que tu vois ici, s’est rendu coupable de trahison. Il a prévenu les chasseurs de nos plans. Par sa faute, huit mages de notre organisation ont été capturé pendant une opération de rapatriement de mages. Huit de nos compagnons sont enfermés au LERM, et c’est uniquement sa faute. Regarde-le Elijah, ce misérable. Je ne m’étais pas douté une seule seconde qu’il aurait pu être un traître. Je ne l’ai su qu’après.

Il marqua une pose. Il y eut un silence pendant lequel l’homme gémit. Elijah eut une expiration tremblante et son regard se porta lentement vers Jake. Ce dernier devait faire une tête de plus que lui et ça le rendait menaçant. Au bout d’un moment, McDorsey se tourna vers son invité et se plaça derrière lui, le poussant un peu vers la chaise.

- En plus des huit prisonniers, deux mages ont été tués au cours de la bagarre. Cela fait en tout dix victimes. Cet homme devrait être puni, tu ne crois pas ? Alors moi, dans toute ma gentillesse, je te laisse décider de son sort.

Elijah sentit qu’on lui mettait quelque chose de lourd entre les mains. Il tâtonna, reconnut une gâchette, un cran de sécurité. Un revolver. Décider de son sort ? Voulait-il dire « décider de le tuer » ? Non. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas tuer quelqu’un. Il n’oserait plus se regarder en face, il n’oserait plus toucher Nethan, avec ses mains souillées par le sang. Mais Jake continuait de susurrer dans son oreille, comme un mauvais génie.

- Allez… Il faut bien que tu prouves ta valeur. Ce n’est que justice, après tout. Tu ne penses pas ?

Il continua encore à lui murmurer ces phrases empreintes d’une douce cruauté. Elijah se retourna, furieux.

- Arrête ça. Ce n’est pas drôle.

McDorsey éclata de rire. Son visage était hideux, déformé par ce rictus dément, et son œil révulsé le faisait paraître plus fou encore.

- Drôle ? Haha ! Drôle ? Mais Elijah, mon cher œil-d’or ! Je ne plaisante pas, voyons ! Vas-y, tue-le ! Prouve ta valeur ou alors meurs !

Il avait sorti un flingue de sous son t-shirt et le pointait sans retenue sur son camarade. L’autre homme les regardait avec des yeux agrandis par l’effroi. Elijah était acculé, la porte était verrouillée. Il ne pouvait pas fuir. Mais il ne voulait pas mourir, merde ! Pas ici, pas de façon aussi bête ! Pas à cause d’un pauvre fou à la personnalité instable… Il entendit le « clic » qui annonçait que la sécurité de l’arme de Jake avait été enlevée. Il leva ses mains précipitamment.

- Ok, OK ! Je vais le faire !

- C’est bien. Allez, avance petit. Respecte ton aîné.

Elijah avala sa salive et s’avança vers le centre de la pièce. Le prisonnier commençait à s’agiter. Il tirait sur ses menottes, essayant de s’en défaire, et secouait la tête à mesure qu’il voyait le mage aux yeux d’or approcher. Le revolver était froid, dans sa main, et pourtant, il avait l’impression que l’arme lui brûlait la peau. Il la serra un peu plus. Il resta planté là, à observer cet homme, ce malheureux qui n’avait peut-être pas eu d’autre choix que de trahir les libellules. Lorsqu’il sentit le canon d’un pistolet lui frôler l’arrière du crâne, il s’écarta prestement et leva son arme, la pointant sur le blessé. Ce dernier poussa un hurlement désespéré, un dernier appel à l’aide qui resterait sans réponse. Elijah le tenait en joue, mais il ne tirait pas.

- Vas-y. répéta McDorsey d’une voix froide comme la mort : Vas-y où tu iras le rejoindre lorsque je l’aurai abattu.

Le jeune homme lâcha un juron. Il n’avait pas le choix. Il voulait vivre. Il avait encore des choses à faire sur cette terre. Alors il murmura un mot d’excuses, cessa d’écouter les supplications déchirantes de l’homme, ferma les yeux, et appuya sur la gâchette. Il y eut bien une détonation, mais rien ne vint après. Il n’entendit pas l’impact de la balle, ni le cri de douleur du traître, ni même le son des gouttes de sang qui tombaient sur le sol sporadiquement. Il n’entendit rien et cela l’incita à ouvrir les yeux. Le pistolet ne fumait pas. Aucune balle n’avait été tirée. Il entendit un éclat de rire derrière lui. Il se retourna et Jake rit de plus belle en voyant son visage.

- Oh, tu devrais voir ta tête, Meyer ! On dirait que tu as vu quelqu’un ressusciter ! Tu croyais sérieusement que j’allais te confier une arme chargée sans être sûr que tu n’allais pas t’ne servir pour me tuer ?! Haha, ce que t’es drôle !

Elijah refréna son envie de gifler cet homme à peine plus vieux que lui. Il commençait sérieusement à douter de l’humanité de cette personne. La personne en question reprit parole, d’une voix enfin calme et posée.

- Plus sérieusement, œil-d’or. Je t’ai observé. Dès que tu as compris que j’allais tirer, et j’étais prêt à le faire, tu n’as plus hésité. Tu as appuyé sur la gâchette. Tout le monde n’aurait pas eu ce cran. En plus, j’ai observé ta position. C’était une balle à blanc mais ça tu ne le savais pas. Tu as automatiquement mis un pied derrière et mis ton bras gauche sous le droit, celui qui tenait le revolver : tu as fait en sorte d’atténuer le recul de l’arme. En plus, tu n’as même pas tressauté lorsqu’il y a eu la détonation. Ce qui me fait penser que tu t’es déjà servi d’un flingue, et pas qu’une fois ; même si tu n’es pas un expert. J’ai raison ?

- Oui.

Elijah n’essaya même pas de le cacher. A quoi bon, puisque McDorsey l’avait remarqué dans sa façon de tirer. L’homme s’approcha tout près de lui et le jeune mage de soins put voir les tâches gris foncé qui parsemaient ses yeux d’argent.

 

PASSE :

 

            - Dis Caleb… T’es sûr qu’on va pas se faire prendre ?

- Evidemment Elijah ! Ce que tu peux être une poule-mouillée parfois !

Caleb prit la main de son ami et l’incita à s’avancer. Il venait d’ouvrir la porte de la salle de repos des médecins avec la clé qu’il avait dérobé dans la blouse de l’un d’eux et était déjà entré dans la pièce. Mais Elijah hésitait, se dandinait d’un pied sur le l’autre, ne sachant s’il devait entrer ou pas. Et si la pièce était piégée ? Et s’il y avait une alarme, des caméras ?

- Bon sang, Lee ! Il n’y a aucun piège ! Regarde je suis dedans ! Tu vois un médecin par ici ?

Elijah fit « non » de la tête.

- Très bien ! Alors entre maintenant ou alors retourne tout seul au dortoir !

Le garçon se décida finalement à entrer. Dans la nuit qui enveloppait le labo, on ne distinguait pas les murs de la pièce. On pouvait entrevoir la silhouette d’une longue table qui trônait au centre de la pièce, des fauteuils dans le coin à droite, et une rangée de casiers où les médecins entreposaient leurs affaires. C’est vers les casiers que se dirigea Caleb. Comme aucun nom n’était marqué dessus, il essaya d’ouvrir chacune des portes avec la deuxième clé qu’il y avait sur le porte-clés. Au huitième casier, on entendit un léger déclic suivi d’un grincement métallique quand le jeune adolescent ouvrit la porte. Les deux amis poussèrent des cris de joie silencieux et passèrent en revue le contenu du casier : deux blouses blanches, un paquet de gâteaux, un bloc note avec deux ou trois stylos accrochés aux feuilles, et un petit tas d’enveloppes qui semblaient remplies. Avec un rire espiègle, Caleb en ouvrit une. C’était une lettre, courte, d’où s’échappaient encore des effluves d’un parfum pour dames. Elijah se pencha par-dessus l’épaule de son camarade pour lire.

Cher Nils, mon tendre ami.

C’est moi, ton admiratrice de toujours, qui t’écris depuis l’extérieur.

Ici, il fait beau. Le soleil caresse tendrement nos peaux, la douceur du printemps est revenue. Les enfants courent sur la plage avec des rires joyeux, quelques couples se baladent sur la bande de sable, et moi, je les observe, je les regarde passer en pensant à toi. C’est dommage que tu ne puisses pas quitter Nirim…

Le deuxième tome de mon roman avance, mon éditeur est très satisfait et attend la suite avec impatience. Il ne cesse de me répéter que je vais révolutionner le monde du livre. Je t’enverrai un exemplaire, quand il sera imprimé, en espérant qu’il passera au contrôle du courrier.

N’oublie pas de bien manger et de dormir, même si tu as beaucoup de travail. Et tu sais quoi ? J’apprends à cuisiner ! Je ne suis pas très douée encore mais je m’améliorerai. Et je te préparerai un plat délicieux pour ta sortie de Nirim !

Nous nous rapprochons tous les deux de nos rêves ! Bientôt, tu seras un scientifique reconnu ; cela m’excite tellement !

A très bientôt !

Ta chère amie,

Lys.

Il y eut d’abord un moment de calme, puis les deux enfants éclatèrent de rire.  Elijah asséna une bourrade à Caleb et celui-ci essuya les dernières larmes qui brillaient au coin de ses yeux avant de déclarer, hilare :

- Oh bon sang, qu’est-ce que c’est que ça ?! C’est un peu plus qu’une amie, si tu veux mon avis ! Alors les médecins ont une vie à côté du labo ?

Et ils repartirent dans un fou-rire larmoyant. Soudain, des pas se firent entendre dans le couloir. Lointains, indistincts. Les deux garçons s’empressèrent de ranger leurs trouvailles dans le casier. Au moment de retirer sa main, Caleb se cogna contre quelque chose de dur et poussa un juron. Il plongea la main dans le casier, tâtonna un peu, et en sortit la cause de son offense. Il était là, d’un noir luisant, neuf. Accompagné d’une boîte de balles, prêt à servir. Le revolver pesait lourd dans la main des deux cambrioleurs en herbe. Caleb referma le casier et le fourra dans son pantalon de pyjama.

 

PRESENT :

 

- Ce n’est pas un crime de savoir se servir d’une arme, œil-d’or. Surtout quand on est un mage et qu’on a affaire à des types comme les chasseurs de prime. N’aie pas honte de tes capacités. Jamais. Même si ce ne sont pas les plus reluisantes.

Jake rit.

- Que veux-tu ? Il faut bien que des gens soient doués pour tuer… Qui nous débarrasserait des traîtres, sinon ?

Il posa une main sur l’épaule d’Elijah en passant devant lui puis alla ouvrir la porte, l’invitant à sortir.

- Bref. On se revoit dans quelques jours dans mon bureau, je t’enverrai quelqu’un. En attendant, vas te reposer, je dois régler quelque chose.

Le mage aux yeux d’or le contourna et sortit de la pièce, jetant un dernier coup d’œil à l’homme, toujours attaché sur sa chaise. Jake lui adressa un sourire rassurant et referma la porte. Juste avant qu’il ne parte, Elijah entendit un « bang » suivit d’un cri étouffé.

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Canopus
Posté le 14/06/2022
J'aime toujours autant leur complicité aux deux. Enfin, "complicité" n'est pas le mot, leur relation plutôt XD

Et puis Jake.... Jake bordel! Son caractère est génial, tu arrives très bien a le décrire tout en laissant une part de folie, incompréhension, bravo!

Les passages au passés sont toujours aussi bien fait et bien mit.

Bravo encore pour ton travaille formidable!
Taranee
Posté le 14/06/2022
Merci pour ton commentaire,
"Jake... Jake bordel !" c'est aussi ce que je pense ! Tu n'imagines même pas à quel point je m'éclate quand j'essaie d'imaginer ses réactions à différentes situations !
Néanmoins, les passages de Jake avec Elijah sont assez compliqués à écrire car, il peuvent s'entendre à merveille et le lendemain avoir envie de s'entretuer. Leur complicité dépend donc de l'humeur de Jake ^^'.
Par ailleurs, c'est ce qui fait que leur relation est complexe et c'est ce qui la rend riche, de mon point de vue...
Canopus
Posté le 14/06/2022
Tu m'étonnes qu'il doit être à la foi dur et génial à écrire XD En tout cas t'y arrive très bien ;)
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