Hugues se tenait devant l’Impératrice. D’un simple geste du doigt, il fit glisser une mèche de cheveux, tombante, derrière sa petite oreille. Il put sentir, l’espace d’une seconde, l’intense température de sa peau. Pourtant, aucune chaleur ne s’échappait de ses traits. Une immobilité glaciale sur son visage. Des yeux rivés sur le vide.
« Un problème avec elle ? demanda Swaren, tournant frénétiquement en rond.
— Vous stressez beaucoup, Sénateur. Quelque chose vous agace ?
— Vous me le demandez ! Ha ! » Il vérifia une vingtième fois que sa montre était bien réglée, fulminant tel un enfant. Puis, il reporta son attention sur le maire, qui s’assurait que la coiffure de la princesse était toujours bien en place. « Neuf heures, ce n’est ni huit heures cinquante-neuf, ni neuf heures une ! C’est ! Neuf ! HEURES ! Il en a presque une de retard !
— Vous stressez donc bien.
— Nous sommes tous en péril si ce plan ne se déroule pas comme prévu, et il se permet de prendre son temps… Dites. À mon humble avis, la coiffure de la princesse devrait être refaite d’ici à la semaine prochaine, nul besoin de l’arranger de la sorte, Consul.
— Je vérifie que tout est en ordre. Vous en faites tout autant, habituellement. Plus le temps passe et plus vous perdez vos qualités, Sénateur. Quelle impatience, par ailleurs. »
Voyant Swaren retenir une remarque cinglante, Hugues dut faire de même pour son sourire. Pour une fois, l’Araignée se trouvait dans sa poche, et non au-dessus de sa tête prête à tomber sur lui, suspendue par un fil discret. Mais, parvenir à passer entre les mailles de sa toile, cela n’était pas chose facile. Un petit hibou, peut-être, y arriverait. Deux prédateurs dans les mains du maire, quelle aubaine cela était !
Mais, lui aussi avait toutes ses raisons d’angoisser, si tout ne se déroulait pas comme prévu. Bien que la petite chose brune qui se tenait devant lui parvenait à dissiper tous ses doutes.
Tu l’as magnifiquement bien ouvragée, Abel. Dommage pour Swaren que je ne puisse étudier tes travaux de sitôt.
« Bon, il vient ? souffla le sinistré.
— Il viendra. Nous avons encore du temps. Dites-moi plutôt, les cloches ne risquent plus de sonner, rassurez-moi ? Je ne voudrais pas qu’elle tombe en panne pendant le couronnement.
— Hein ?… Ah, le sonneur… Il s’est encore échappé, mais je l’attraperai.
— Décidément, non, vous ne ressemblez plus au Lorace Swaren que je connais.
— Mêlez-vous de vos affaires, Lewis. Fournissez-moi ce que je vous ai demandé, et j’aurais toutes les raisons du monde de vous paraître aussi tranquille qu’à l’accoutumée. Mon temps devient de plus en plus précieux… Bon sang un oiseau ça vole vite, s’il pouvait filer avec la même allure jusqu’ici ! »
Enfin, la porte de la chambre s’ouvrit. Devant l’imposant lit royal se plaça un petit homme, cheveux grisonnants, et de grosses lunettes littéralement rivées sur son visage. Il prit soin de ne pas adresser un regard au sinistré qui, quant à lui, lui lançait deux yeux médusés.
« Comment…, bafouilla Swaren. Mais… Lewis ?
— Oui ? intervint le consul, laissant la jeune fille à son miroir.
— Vous m’expliquez ?! C’est Owlho que nous attendions !
— Oh, à neuf heures oui. À dix heures, c’est notre ancien ami qui devait passer. J’ai affaire avec lui, mais rien ne vous empêche de rester. »
Swaren resta estomaqué, et vit le petit homme s’avancer vers l’Impératrice en devenir, toujours sans un regard pour lui.
« Elle se porte bien ? demanda Emil Cosprow.
— Pour l’instant à merveille, soupira Hugues. Mais ce n’est pas d’elle que vous devez vous occuper.
— Je n’en aurai de toute manière pas les capacités, cela me dépasse de très loin ! Mais ma curiosité l’a emporté. Dites-moi tout, Monsieur le Maire. Que me vaut l’honneur d’être invité ici ? »
Aucune méfiance. Il est plus malin que l’Araignée, dommage qu’il nous ait quittés. La témérité ne semble pas l’avoir passé, avec l’âge. Faisons en sorte que ni lui ni moi ne le regrettions.
« Vous êtes au courant pour l’Empereur, n’est-ce pas ?
— Nullement.
— Ne faites pas l’innocent, je vous prie. J’aurais besoin de votre savoir-faire. Votre, ancien, savoir-faire. »
Le petit homme le fixait jusqu’ici de ses télescopiques pupilles, tête relevée. Mais, il finit par abaisser cette dernière, la secouant, accompagnant l’action d’un soupir sonore.
« Tout ce chemin pour ça hein…
— Vous étiez très efficace dans la collecte d’informations. Personne ne vous égalait, pour déceler les plus intimes secrets de nos prisonniers. Oiseaux, machines à écrire, ou ordinateurs… Rien ne nous permet aujourd’hui de tout connaître. Vos liseuses étaient redoutables, en revanche, et nous manquent cruellement. »
Cosprow gardait la tête baissée, sans mot dire. Et sans gestes. Le consul continua donc :
« Bien entendu, votre prix sera le mien. À ma connaissance, vous et M. Swaren n’êtes point en bons termes ?
— Mêlez-vous de ce qui vous regarde, Lewis, siffla Swaren en quittant son mutisme. Cet homme n’est d’aucune confiance, et je compte bien l’écraser comme il se doit.
— Bon courage ! se vanta l’ingénieur.
— La ferme. Tu boufferas de la paperasse pour toujours. Rien que pour toi, je concevrai le sinistré le plus durable qui soit. Cela te plairait, d’obtenir la vie éternelle ! Tapoter sur un clavier toute la journée, tu sais y faire.
— Bon ! l’ignora joyeusement Cosprow. Monsieur le Maire, votre proposition m’enchante, mais aucun prix ne saurait me forcer la main. J’avais espéré un bien meilleur accueil, à base de café glacé, d’amnistie, ou que sais-je. Mais non, devoir écouter cette repoussante tarentule et être mêlé à vos affaires… Très peu pour moi ! »
Hugues garda le silence, autant pour espérer que Swaren ouvrît sa bouche – enfin, façon de parler – que pour réfléchir. Mais le sinistré ne lui offrit pas ce plaisir, il put ainsi penser en toute tranquillité.
« Alors je vous redonne une place au Sénat. (Swaren s’éloigna, excédé.) Vos recherches seront financées, et mises sur le devant de la scène. Toutes vos actions à l’encontre du parlement seront oubliées.
— Non.
— Votre protégée sera à l’abri, et la perte de votre ancien assistant compensée. M. Swaren ne pourra se mêler de vos travaux.
— Eh bien, vous semblez avoir oublié quelque chose, Monsieur le Maire ! » Cosprow s’avança en sa direction, et bondit sur le lit, debout, afin d’être à sa hauteur. Il approcha ses télescopes des yeux du grand homme, qui gardait toute son immobilité.
« J’aime m’amuser dans mon coin. J’ai quitté le Sénat de mon plein gré. Je chatouille l’Araignée par plaisir. Et j’aime le café froid ! Merci de ce piteux accueil. »
Il bondit hors du matelas et fonça en direction de la porte, que Swaren vint bloquer, d’un air calme.
« Un problème, Sénateur ? sourit l’ingénieur, toisant de sa petite taille le sinistré.
— Non. Je souhaitais simplement vous conseiller de surveiller vos petits cafards. Certains sont moins attentifs que vous. »
Enfin, il ouvre la bouche. Toute cette mascarade n’aura finalement pas servi à rien.
Hugues surveilla la réaction du petit ingénieur, dans l’espoir d’y déceler les vérités tant attendues. Entre ces deux-là se tramait un secret dont il n’avait pas été mis au courant. Et il espérait bien en découvrir tous les tenants et aboutissants.
« De nouvelles sottises, mon cher Lorace ? ricana l’ingénieur. Ou mieux, des infos périmées ! Faut se mettre à la page, vieille branche.
— Vous avez donné un ordinateur à Abel Lewis, n’est-ce pas ? »
Vu la mine déconfite de l’ingénieur, cette information n’eut pas l’air d’une obsolète. Souhaitant se faire oublier au maximum, Hugues attendit patiemment qu’ils continuassent, les yeux tournés sur la brune, le visage dardant son reflet. Voilà qu’ils parlent de feu mon aîné, maintenant.
« Je vois que vous êtes bien renseigné, sourit Cosprow après un instant de doute. En quoi cela vous avance-t-il ?
— Oh, je garderai simplement mon conseil. Gardez de près vos petits compagnons. Qui sait où trainent leurs sales pattes. »
Traduction, l’ordinateur d’Abel a été utilisé.
« Hm », répondit simplement Cosprow, avant de quitter pour de bon la pièce. Il sembla bousculer quelqu’un sur son chemin, un jeune homme au sourire maladroit. Swaren leva les yeux au ciel, plus qu’agacé par cette nouvelle venue.
« Heureux d’être à l’heure ! s’exclama Owlho.
— Nous avions dit neuf heures, non dix !
— Vous en êtes sûr ? Néanmoins ! cher Sénateur, ravi de vous revoir. (Il s’inclina.) Je vous remercie de la confiance que vous m’avez accordée pour la sélection l’autre jour, ce fut un véritable honneur de vous rencontrer ce jour-là.
— Tout le… plaisir… fut pour moi.
— J’ose espérer que pour cette entrevue, nous ferons plus ample connaissance ! Le maire vous a parlé de mon petit secret, non ? Par ailleurs, j’ose espérer que personne ne nous écoute ? »
C’est ça, jouez les inconnus. Ça ne prend pas avec moi, petits magouilleurs.
« Monsieur le Maire ! s’inclina Owlho, cette fois-ci devant l’intéressé. Je suis honoré de vous rencontrer en personne. Oh, et, bien entendu, future majesté ! » Il conclut ses courbettes à l’adresse de la jeune fille, qui lui tournait le dos.
Et il continue. Tu veux m’amener sur ce terrain ? Bien, jouons ainsi.
« Enchanté également, répondit-il. Bon, fermons la porte. Je tiens à mettre une première chose au clair. »
Hugues verrouilla lui-même la serrure, puis claqua des doigts, laissant trois robots débarquer depuis des portes dérobées. Des robots servants, qui se dirigèrent vers la princesse, pour la dévêtir de sa robe et défaire sa coiffure, pourtant étudiée depuis des heures.
« Je ne veux plus de ce sonneur de cloches en ville. S’il agit durant le couronnement, la princesse sera affectée, et tous verront la supercherie. Nos têtes tomberont dans l’heure. Car croyez-moi, Cosprow connaît toute la vérité et ne manquera pas de la partager, avec preuves à l’appui.
— Il sait pour l’Empereur… C’était pour s’assurer de cela, sa visite ? hasarda Swaren, rassuré. Il aurait mieux valu m’en parler, dans ce cas. »
Entre autres. Tu frôles la vérité, petit insecte.
« Swaren, vous ne parvenez pas à enfermer le sonneur. Pourquoi ?
— Quelqu’un l’en empêche, intervint Owlho, qui venait se servir sur un petit plateau de pâtisseries. Enfin… quelqu’un libère notre Quasimodo, pour être plus exact ! »
Le sinistré darda au musicien un regard foudroyant. Plus encore quand sa cible lui tendit un petit biscuit, tout sourire.
« Vous le saviez, depuis le début ? siffla Swaren.
— J’ai des yeux partout, ne l’oubliez pas. Partez du principe que j’ai croisé le chemin de tout le monde rien qu’aujourd’hui ! Oh… je n’aurais peut-être pas dû vous saluer, du coup ? Peu importe. Oui, bien entendu que le sonneur est libéré, à chaque fois. Et sa précieuse aide parvient non seulement à le dénicher, mais également à passer par les mailles du filet.
— Donnez son identité, lui intima Hugues, sans lui laisser le temps de continuer.
— Oh, j’aimerais bien. Je sais que quelqu’un le libère, mais je ne sais pas qui. »
Ce fut cette fois à Hugues de perdre patience et de frapper la main du musicien, qui lui tendait une sucrerie, dents décorant son visage.
« Abrégez !
— Bien…, maronna Owlho en se massant les doigts. Les cloches ne sont pas censées brouiller les machines. Pourtant, elles le font. J’en suis venu à une conclusion simple : notre prisonnier sait utiliser l’aura. »
Continuant son explication, le jeune homme fouillait dans le service à thé et les tiroirs, à la recherche de consommables ou de feuilles à infuser. Il se permit même d’interrompre sa petite tirade pour déranger les robots, réclamant du thé noir, avec trois sucres « s’il vous plaît ». Puis, voyant Hugues virer au rouge, il précipita son explication :
« Qui sait utiliser l’aura sait influencer ce qui l’entoure, par vibrations. Et il semble qu’une onde peut en corrompre une autre. Enfin, d’après mes recherches. Ma fille m’a aidé, ses notes sont excellentes en physique. Ainsi, avec l’aura, toutes les machines dégénèrent complètement ! Ce qui arrive lorsque les cloches sonnent en journée est le même phénomène que lorsque le prisonnier est libéré.
— Les cloches sonnent après qu’il est libéré, non avant, intervint Swaren, notant tout scrupuleusement sur une machine-à-écrire-au-poignet.
— Certes ! Je ne parle pas du sonneur, mais de son samaritain. J’ai tenté plusieurs fois l’expérience : voler jusqu’à la prison – car oui, je sais à chaque fois où vous l’enfermez – et attendre. Et systématiquement… ma chouette tombe en panne. Vous n’imaginez pas la tristesse que j’éprouve à devoir les achever, alors qu’elles battent des ailes avec désespoir. Vous avez déjà eu un vieux chat ? C’est pareil.
— Abrégez…
— Soit ! Son libérateur utilise l’aura, brouille toute machine à proximité, et lorsque je peux enfin observer, pouf ! disparu. Voilà tout. Et en général, les cloches sonnent peu après, ce qui effraie mes petites protégées. »
Il sortit de sa poche, comme par magie, une petite chouette aux yeux d’améthyste. Il lui caressa le museau, alors qu’elle tremblait en voyant le visage rouge de colère du grand monsieur à barbe grise. Hugues perdait patience : aucun réel détail, des histoires de magie, et pas l’ombre d’une solution.
« Et alors quoi ? Aucune proposition ? Rien ?
— Vous ne m’en avez demandé aucune.
— Elle est bien simple, la solution, se vanta Swaren en rangeant sa petite machine. Doubler la garde autour du sonneur. Et…
— Suuuurtout pas ! l’interrompit Owlho, levant un doigt. Vous ne ferez que rendre son sauveur plus méfiant, pour un résultat identique. Vos robots subiront le même sort que les autres machines.
— Me prenez-vous pour un idiot ? Je placerai mes employés cette fois, ceux à la langue coupée. Ils ne savent pas écrire, aucune chance qu’ils ne communiquent sur ce qu’ils sont censés garder. Et je leur fais confiance pour réussir à coincer le gêneur. »
Hugues opina d’un air satisfait, enfin convaincu par une solution tangible et sérieuse. Il ignora par ailleurs la mine ennuyée du musicien, qui espérait sans doute plus de fantaisie dans leur folle entreprise. Tout cela n’était pas à son goût et, peu importèrent ses raisons pour le maire, il pensait fort probablement déjà à son prochain coup. Que l’intéressait donc, celui-là ? La richesse ? La vengeance ? Des connaissances pour les faire chanter tous les deux ? Il ne demandait rien, et se contentait de proposer son aide.
Si les évènements tournent en notre faveur, cela devra sûrement l’arranger. Il n’aurait eu aucune autre raison d’agir sinon. Mais en quoi cela le sert, que je devienne l’unique dirigeant de cette ville et de l’Empire ?
« Dites-moi, Owlho.
— Che chuis toute ouïe, Monshieur Léouis, mâchouilla Owlho.
— Pourquoi avoir espionné toute la ville pendant bientôt trois ans si ce n’est pas pour faire usage de vos connaissances ? Quel objectif vous fixez-vous, en me proposant vos yeux et vos oreilles ?
— Hm ! il déglutit et prit une gorgée. Plus de quatre ans, en réalité. Mais j’étais bien plus discret à l’époque, avec seulement dix chouettes. L’on aurait dit des maquettes d’étudiants en école d’ingénierie, qui se seraient fait la malle lors de travaux dirigés. Et pas des plus efficaces. »
Il porta son regard sur la chouette aux yeux mauves, qui sautillait sur l’épaule de l’Impératrice, dont les cheveux étaient peignés par les robots servants. Hugues le suivit, s’étonnant de voir cet oiseau doté de plus de vie que celle sur laquelle il s’appuyait.
« Eh bien, c’était le cas à l’origine, reprit Owlho. Un projet d’étudiant, qui m’avait tapé dans l’œil. J’ai de suite acheté son brevet, par l’intermédiaire de ma fille. Elle lui a plutôt… tapé dans l’œil ! eh ben, pour un hasard de mots. Au fil des ans, elle m’a aidé à en développer plus d’une centaine… Aujourd’hui, des dizaines de milliers. C’est à ne plus s’y retrouver.
— Mais pourquoi ? », demanda patiemment Hugues en s’installant sur une des ottomanes, un cigare sorti. Près de lui, la princesse, désormais vêtue d’une robe simple, les yeux posés sur la fenêtre donnant sur la cour du palais. « Que vous servent donc des dizaines de milliers d’yeux de ce genre ?
— À rien. »
Cette affirmation, bien prononcée et sans tremblement, lui fit tousser sa fumée. Swaren, qui n’écoutait que d’une oreille, fut ramené au présent avec une intense lueur verte dans ses orbites, comme courroucé par ce qu’il venait d’entendre. Le professeur, néanmoins, ne se lassait pas de sa boisson, y trempant un petit gâteau.
« À rien ? osa répéter Hugues.
— Bien entendu. (Il haussa les épaules.) À quoi, sinon ?
— C’est bien ce que je vous demande ! Des années à espionner pour… rien ?
— Bien sûr que non… Des années à mettre en place un petit système bien rodé, plutôt. Pensez-vous que Lorace Swaren a développé son réseau en une matinée ? S’il est aussi influent, c’est grâce à son âge. Je ne compte certes pas attendre ma retraite avant de commencer à espionner, je me suis donc activé. Mais en me faisant remarquer. Qui sait ? Une araignée serait peut-être venue taper à mon carreau. »
Le double sens, quel qu’il fût, ne sembla pas plaire à Swaren, qui prit sur lui pour taire une quelconque remarque cinglante. Hugues en fut pour une nouvelle frustration, de ne pas savoir ce qui se tramait entre ces deux-là : peut-être complotaient-ils de concert pour prendre le pouvoir, une fois la couronne définitivement écartée ?
“Je regretterai ce que j’ai fait”, hein… Merci pour cette piste, Joshua.
« Mais, reprit le professeur, je dois avouer que certaines connaissances pourraient m’aider à l’avenir. Le jour où j’ai découvert ce qui se cachait derrière le sonneur de cloches, j’en ai profité pour y garder deux beaux yeux aviens. De rien ! »
Il finit sa tasse en retenant un gloussement satisfait, et vint s’installer sur le lit, tenté de s’allonger, mais retenu dans son élan par deux paires d’yeux foudroyants. Il s’appuya simplement sur ses bras, tendus en arrière, les jambes croisées et, surtout, la bouche sèche.
« Une deuxième tasse, serait-ce possible ?
— Non, dit sèchement Swaren en empêchant un robot de quitter la pièce. Mais, que cherchez-vous alors ?
— Vous vous intéressez à moi, Sénateur ? Cela me flatte !
— Considérez que nous sommes deux, grogna Hugues, alors veuillez ne pas nous faire attendre.
— Je ne souhaite qu’une seule et unique chose », dit-il laconiquement et avec lenteur, fixant la jeune femme brune qui se tenait immobile auprès du consul. Elle n’avait pas bougé, et lui n’avait cessé de lui jeter de furtifs coups d’œil le long de cette entrevue. Cherchant sa réponse, il se leva, arrangea le col de sa redingote et les boutons de ses manches, pour se placer à une parfaite équidistance de ses interlocuteurs.
« Le bonheur de ma fille. »
Swaren se pinça le nez – autant que cela était concevable – et Hugues, la main, comme pour vérifier qu’il ne dormait pas. Mais, relevant les yeux, il vit qu’Owlho se préparait à les quitter, main sur la poignée de la porte.
« Attendez, dit-il en se levant prestement, professeur !
— Monsieur le Maire ?
— Une dernière question. Qui était cet étudiant ? Celui qu’a convaincu votre fille. »
Le professeur écarquilla les yeux et, après un instant, pouffa de rire. Il se cacha les lèvres, comme honteux de son geste, et reprit un faux air sérieux, plein de malice.
« Je pensais que vous l’aviez deviné ! Mes paroles sont sujettes à beaucoup d’interprétations, dites-moi.
— Son nom ?
— Abel Lewis. »
Il ne contint pas son sourire et, la porte désormais ouverte, emprunta la sortie.