Miss Fortune allait s'habiller tranquillement quand elle sentit un courant d'air froid derrière elle. Rien de bien étonnant, se dit-elle. Cette bicoque tombe en ruine. Sauf que ce n'était pas un simple courant d'air, mais un signe comme quoi La Mort et Lénore étaient présentes dans la pièce. La démone les fixa d'un air hébété avant de se rappeler qu'elle n'était qu'en sous-vêtements. Elle tenta de cacher son corps tant bien que mal derrière ses bras.
– Miss Fortune, pas la peine d'être prude, j'ai les mêmes attributs que vous. À peu près, tenta de la rassurer Mort.
– Vous m'avez donné un pendentif pour communiquer ! Pourquoi vous venez me voir ? pesta-t-elle à mi-voix, inquiète d'être entendue par Lola.
– On passait dans le coin.
– Dans le coin à environ six cents kilomètres, glissa Lénore. Vous n'avez rien appris sur le plan de-
– Non. Ça ne fait que trois jours que je vous ai vues. Et j'ai d'autres soucis comme ça.
– Autre que le fait que vos tenues ne vous mettent pas en valeur ?
– Oui, j'ai le noble propriétaire de la région qui veut que je travaille pour lui, corps et âme. Plutôt corps d'ailleurs.
– Oh le salaud, remarqua Lénore avec un calme remarquable pour quelqu'un qui insultait quelqu'un d'autre.
– Bien résumé, grommela Miss Fortune qui terminait de s'habiller.
– Je peux aller m'en occuper si vous voul-
– Missy ! Dépêche-toi, le train part dans quinze minutes et je ne vais pas aller au marché seule ! l'appela Lola depuis le pallier.
– Ouste ! Allez faire votre travail au lieu de venir me surprendre alors que je suis presque nue !
–- Et vous, allez... faire vos courses et polir le comptoir miteux de cette auberge miteuse. Vous méritez tellement mieux, ici ou chez nous.
– Si vous le dites. Je vous contacte dès que j'ai des informations.
Une fois son manteau enfilé, elle quitta la pièce en trombe et claqua la porte derrière elle, laissant Lénore et Mort seules. La femme-corbeau glissa avec une moue :
– Je t'avais dit que c'était pas une bonne idée de faire une visite-surprise de si bonne heure. Maintenant, on va passer pour le couple de voyeuses du coin.
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W.Asser III était furieuse. Une fois de plus, maugréa-t-elle intérieurement. Pourquoi le monde s'acharne-t-il à m'énerver en permanence ?
La raison cette fois était la suivante : la police refusait d'enquêter sur Miss Fortune et Sir Prize sous prétexte que « si leur patron dit qu'ils sont en vacances, on va pas aller les emmerdee. » Malgré ses soupçons et son acharnement, elle savait qu'elle ne pourrait pas dévoiler leurs combines à elle seule. Ainsi avait-elle tenté de faire appel aux personnes aux plus à même de l'aider... et elles ne l'aidaient pas du tout. Le policier qui l'avait reçue avait même ricané derrière son dos. Ah oui la W.Asser de la compta', la coincée, la fouineuse, celle qui cherche tout ce qui va ne serait-ce qu'un peu de travers, celle dont on se moque, hahaha, fulmina-t-elle en son for intérieur en retournant à son bureau. Est-ce un mal que de vouloir que les règles et lois soient appliquées ? Que les choses se passent comme elles le devraient ? Et bien, devinez quoi ? J'abandonne. Pour cette fois. Puisque personne ne veut me prendre au sérieux ou m'aider, je laisse tomber. Pour le moment, du moins. J'ai déjà assez de travail comme ça. Une silhouette rebondie lui bloqua le chemin. Herr Mess du Secteur I. Il avait l'air anormalement contrarié. Sûrement en rapport avec son stagiaire disparu. Pourquoi il venait la voir, elle ? Le fait qu'un péquenaud manque à l'appel ne la concernait pas... sauf qu'elle était connue pour avoir des oreilles partout. Il devait penser qu'elle avait du nouveau.
– Je n'ai rien de neuf par rapport à votre petit protégé, Herr Mess, l'informa-t-elle sans même lever les yeux de ses rapports aux colonnes pleines de chiffres.
– Vraiment ? Ses collègues sont mortes d'inquiétude.
– Je doute qu'on puisse réellement mourir d'inquiétude. Surtout quand on est déjà mort.
– Mais-
– Mais rien du tout. Allez voir la police si vous tenez tant à savoir où il est. Et n'invoquez pas encore vos collègues ou des Cavaliers de l'Apocalypse à cause d'un banal stagiaire. Vous en aurez un autre.
– La police n'en a rien à faire.
– Rien de bien étonnant. Maintenant, soit vous prenez l'ascenseur et me suivez jusqu'à mon bureau pour m'aider avec mes notes de service, soit vous retournez travailler et vous vous faites enfin une raison.
Son ton sans réplique n'invitait pas à accepter la première proposition, ainsi Herr Mess retourna au Secteur I la tête basse.
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Miss Fortune et Lola s'étaient séparées pour finir les courses plus rapidement. La démone avait fait ses emplettes auprès du marchand de fruits et légumes et cherchait son tout nouveau porte-monnaie dans la poche extérieure de son sac. En fouillant à l'aveuglette, elle toucha un objet froid qui lui était inconnu. Elle le saisit et l'observa : c'était une montre d'un noir plus profond que le noir le plus profond qu'elle ait jamais vu. Avant qu'elle ne puisse continuer son inspection, un fracas général se fit entendre derrière elle : une foule d'ouvriers en colère se déversait sur la petite place, scandant hymnes et slogans. Elle reconnut le syndicaliste Jean ainsi que d'autres collègues de Sir Prize mais celui demeurait introuvable. Son inquiétude pour lui se transforma vite en inquiétude pour elle-même, vu la colère qui semblait habiter les travailleurs et leur grand nombre. Les marchands essayaient de replier leurs étals tant bien que mal, mais ceux-ci étaient bousculés par les manifestants, quand certains d'entre eux ne les détruisaient pas exprès. Elle se retrouva prise dans le courant où elle se laissa porter de peur d'être piétinée en cas de résistance. Elle chercha Lola du regard et la vit en première ligne, apparemment dans son élément. Même si l'essentiel des ouvriers étaient pacifiques, certains lançaient insultes et projectiles à toute volée. La peur au ventre, elle tenta de s'approcher de son amie. La foule s'arrêta brusquement. La police venait de débarquer, certains officiers sur des chevaux, pistolets à la main.
– Quelle est la raison de cette agitation ? s'époumona celui qui semblait être leur chef, un homme maigre à la moustache fournie.
– Nous manifestons afin que nos demandes soient entendues. Nous voulons pouvoir être certains de la sécurité des usines du Comté, et que les enfants aient droit aux abonnements de train pour pouvoir aller à l'école facilement ! avança bravement Jean.
– Et tu voudrais pas non plus mon cheval et ma moustache, Krasczyk ?
– Non merci. Ça ne me va pas et j'ai déjà assez de mal à nourrir ma famille certains soirs pour avoir en plus devoir donner à manger à un canasson. Mais merci de la proposition Capitaine Lisson.
– Le Comte vient de nous demander expressément de faire en sorte que vous vous dispersiez et rendiez au travail. Si vous refusez, vous n'aurez plus d'emploi. Et vous savez ce que ça signifie ? cracha Lisson en pointant la foule du doigt. Plus d'eau courante, plus de chauffage, plus de médecin, plus d'école et surtout : plus de maison. Toute la petite famille de prolos dormira sous les ponts ! Et avec Baïlutor qui approche, je ne conseillerais pas à ça à qui que ce soit.
– Qu'on crève à la tâche, sous une machine ou sous un pont, on crève de la même façon ! lança quelqu'un dans la foule.
– Je préfère mourir en tentant d'être considéré comme un humain à part entière plutôt que de passer l'arme à gauche sur les bords de la Cheule à faire votre houille !
– Et bien, réjouis-toi. Parce que vu votre refus d'obéir, je crains que nous n'allions devoir faire appel à la force pour vous disperser.
Il leva son arme en l'air et tira avant d'inviter les autres policiers à encercler la foule. Miss Fortune avait réussi à rejoindre Lola dont elle serrait la main de toutes ses forces. Cela ne l'empêcha pas de se faire bousculer et jeter au sol par la foule déchaînée qui tentait de se ruer sur les forces de l'ordre. Les policiers, eux, avançaient vers les ouvriers du haut de leurs montures, tirant à vue sans se soucier de ce qu'ils visaient. Elle entendait les cris de douleur, les rugissements de colère, les bruits de pas, le son des corps qui s'affalaient sur le pavé, le craquement d'un poing balancé à toute vitesse dans un visage, le claquement des coups de feu... Tout ça se mélangeait dans sa tête alors qu'elle demeurait allongée sur le trottoir, envahie d'un énorme vertige. Elle voulait bouger. Elle voulait s'enfuir. Elle avait peur de mourir. Il lui fallut un moment pour se rappeler qu'elle ne pouvait pas mourir une seconde fois, mais ça ne changeait rien à sa panique. Et si elle se faisait écraser par un cheval, ou tirer dessus par un policier ? Comment expliquerait-elle qu'elle ait survécu à une balle dans la gorge ? Comment justifierait-elle sa guérison miraculeuse ? Miss Fortune sentait sa poitrine la serrer et son cœur semblait tambouriner contre ses tympans. Elle était envahie d'une nausée persistante mais restait incapable de faire le moindre mouvement. Le tapage alentour résonnait dans chacun de ses membres avec fracas, la paralysant. Elle entendait tout, voyait tout, sentait l'odeur de la poudre et du sang et elle ne pouvait rien faire.
Elle ne pouvait sauver personne, ni se sauver elle-même.
Elle ne pouvait qu'attendre que tout cela se termine.
Après ce qui lui sembla une éternité, elle remarqua les forces de l'ordre rebrousser chemin et partir vers la maison du Comte qui surplombait la scène comme pour les narguer. Le silence tomba comme une chape de plomb. Un cri le déchira, un bruit atroce qui ne lui semblait pas humain. Avec difficulté, la démone leva la tête pour voir une jeune femme tenir dans ses bras le corps sans vie d'un petit garçon, vêtements et bras gauche en lambeaux. Son corps se mit à trembler frénétiquement alors qu'elle réalisait ce qu'il venait de se passer. Les suffragettes avaient évoqué ces soulèvements populaires dont certains s'étaient terminés par la mort tragique et violente d'innocents, dont des enfants. Elle réagit à peine quand Lola et Hildegarde vinrent la voir pour l'aider à se lever et la réconforter. Elle ne voyait que les corps tout autour d'elle, tous ces gens blessés ou tués pour avoir voulu être reconnus à leur juste valeur. Tant de vies gâchées et d'autres brisées.
Pourquoi ça me touche autant ? Je ne suis pas comme eux. Je ne suis pas humaine. J'ai déjà fait face à la mort. Pourquoi le trépas d'inconnus me bouleverse-t-il ? Pourquoi est-ce que je peux pas passer outre ? Ils ne sont rien pour moi. Juste... Juste de potentiels futurs collègues démons. Je n'ai pas à leur attacher d'importance. Pourquoi ça me touche autant ? Je ne suis pas comme eux. Je ne suis pas humaine, se répétait-elle en boucle dans sa tête.
Le voyage retour se passa sans qu'elle ne s'en rende compte. En un claquement de doigts, elle se trouva bordée dans son lit avant de plonger dans un sommeil de plomb.
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– On a des morts dans la ville où vit Miss Fortune. Enfin « vit »... « Réside » est un mot plus juste, nota Mort qui détailla son globe terrestre où les lieux de morts en masse brillaient en rouge. La Cavalière appuya sur la lumière afin d'obtenir plus d'informations.
– Je crois qu'on l'a assez vue pour aujourd'hui. Je t'avais dit qu'on avait pas à aller la rencontrer, elle va penser qu'on la poursuit, rétorqua Lénore, occupée à cirer ses bottes.
– Une manifestation ouvrière qui a mal tourné. Une petite trentaine de morts.
– Est-ce que tu m'écoutes ?
– Oui, je t'écoute et non, nous n'irons pas la revoir et n'irons pas sur place emporter ces âmes. Mes employé·e·s sont là pour ça. Je suis inquiète pour elle. Non pas seulement parce qu'elle est sur Terre sans autorisation avec un démon plus que louche mais également à cause du propriétaire local qui la harcèle. Sans compter ce qui vient de se passer, conclut-elle en pointant son globe du doigt. Et il faut encore qu'on essaie de la ramener avec son collègue avant que l'Administration ne se rende compte de quelque chose !
– Mort ...
– Oui ?
– Tu crois vraiment que l'Administration Infernale va remarquer quoique ce soit ? Soyons sérieuses. Tu as déjà été confrontée à l'Administration. Tu sais bien qu'elle n'a aucune logique et que la grande majorité des gens qui y travaillent sont des bras cassés. Le temps qu'ils remarquent que quelque chose pégueule, on aura eu le temps de subir deux ou trois Apocalypses.
– Tu n'as pas tort. Et c'est bien la seule chose positive qui peut ressortir de la lenteur et de la bêtise de l'Administration. Mais tu oublies qu'il existe quelques personnes qui ne sont pas des bras cassés...
– W. Asser ?
– W.Asser.
– Son retour de vacances est vraiment mal tombé. Mais n'oublie pas qu'elle est à la tête d'un Secteur. Elle doit avoir du travail. Beaucoup de travail, tenta de la rassurer sa compagne.
– Oui. Tu as raison. Elle a sûrement autre chose à faire que traquer deux démons supposément en vacances.
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– Un problème Cheffe ?
– J'ai les oreilles qui sifflent. Quelqu'un doit parler de moi, maugréa W.Asser III. Océane ?
– Oui ?
– Est-ce que vous pourriez envoyer les factures des travaux de l'Avenue Vogon à ma sœur ? Je dois passer téléphoner.
– Bien sûr Madame, l'informa sa collaboratrice aux yeux entourés d'écailles.
– Merci.
Elle avait pourtant essayé de se concentrer sur son travail. Elle aimait son travail. Elle aimait l'ordre, les chiffres, les comptes bien tenus. Mais un pressentiment ne la quittait pas, la sensation que quelque chose de louche se tramait. Or, W.Asser n'aimait pas rester dans l'ignorance. Ainsi se rua-t-elle dans son bureau, prit le soin de fermer la porte à clef et s'installa dans son fauteuil vert bouteille. Elle saisit son téléphone vert printemps posé sur son bureau vert émeraude et demanda d'une voix verte qu'on la mette en contact avec le Hellish Hotel. Celui-ci se situait sur les bords de la Mer Mortifière qui séparait Pandémonium de Nécropolis. En cette basse saison, c'était le seul établissement à accueillir les quelques rares touristes. Une fois la réception à l'autre bout du fil, elle posa une seule question. Ses yeux s'écarquillèrent puis un petit rictus se dessina sur ses rêves quand on lui répondit. Sans guère plus de politesse, elle raccrocha, satisfaite. Puis elle prit son manteau vert, son parapluie vert et fila prendre un taxi sous la pluie battante.
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Miss Fortune se réveilla alors que la nuit tombait. Encore sonnée par les événements de la journée, elle descendit l'escalier d'un pas chancelant pour arriver dans la cuisine de l'auberge. Lola et Hildegarde étaient toutes deux attablées devant un potage et lui dressèrent un couvert en la voyant dans l'embrasure de la porte. Il s'écoula de longues minutes avant que Lola ne se racle la gorge et ne dise :
– Nous avons quelque chose à vous dire. Et... ce ne sera pas plaisant.
Les sens de la démone se mirent en alerte. Elle fixa tout à tour les deux femmes, les yeux ronds et le cœur battant à tout rompre.
– Autant cracher le gras tout de suite : Sir Prize nous a trahis.Vous a trahie.
Miss Fortune voyait les lèvres de Lola bouger, entendait les sons qui en sortaient, mais ils n'avaient aucun sens. Ce n'était pas possible. Il ne l'aurait pas emmenée hors de l'Enfer pour la planter dans une auberge de seconde (voire troisième) zone. Il ne l'aurait pas laissée sur le bas-côté comme ça. Il n'aurait jamais fait une chose pareille à sa collègue et amie. Elle refusait de penser qu'il puisse être si cruel. Elle revint à la réalité quand elle sentit la main de Hildegarde se poser sur la sienne.
– Missy ? Je comprends que ce soit un choc mais c'est la vérité.
– Qu'est-ce que... Que s'est-il passé ? réussit-elle à articuler.
– Les ouvriers avaient prévu depuis deux semaines de manifester, bien avant cet accident de machine. Lors du jour de marché, histoire de marquer le coup, d'être vus et entendus par le plus grand nombre. Ce devait être secret. Mais Sir Prize, qui travaille avec Jean, le chef du syndicat, a vendu la mèche au Comte.
– Comment pouvez-vous savoir que c'est lui ? Ce pourrait être n'importe qui !
– Parce qu'il n'était pas présent à la manifestation, déjà.
– Et surtout parce que le Comte nous a fait un petit discours cet après-midi. Un discours bien sûr très sympathique et très compréhensif envers nos demandes, ironisa Lola en tapant des ongles sur la table. Il se trouve que Sir Prize était juste derrière lui sur l'estrade, entre les deux amis du Comte que vous avez déjà rencontrés.
Elle réussit à finir son explication juste avant que Miss Fortune ne quitte la pièce avec fracas. Elle remonta les escaliers quatre à quatre malgré la nausée qui l'envahissait. Le souffle court, elle ferma la porte de sa chambre derrière elle et se laissa tomber sur le sol. Les doigts tremblants, elle chercha le pendentif que La Mort lui avait confié. Il représentait les signes de l'Alpha et l'Omega entrelacés, le logo officiel de l'HADES. Elle cliqua sur la pierre noire qui le sertissait et attendit que quelqu'un lui réponde.
Au bout de huit sonneries, on décrocha.
– Allô Miss Fortune ? Un souci ? s'enquit Lénore, la bouche pleine de poulet frit.
– Oui ! Et un très gros ! laissa-t-elle échapper, des sanglots dans la voix.
– Encore un ? se lamenta La Mort. Que se passe-t-il ?
– Sir Prize est parti magouiller avec le chef local.
– Le minche qui veut vous embaucher pour coucher avec vous et s'en sertir sans souci grâce à son pouvoir et son argent comme un... comme un...
– Oui, lui. Sir Prize a trahi les ouvriers avec qui il travaillait, il y a eu des morts lors d'une manifestation qui a mal tourné et lui est parti travailler avec le plus offrant.
– Merveilleux, on avait pas assez de soucis avec Luc qui est parti faire du camping.
– Luc est parti faire du camping ? répéta Miss Fortune qui n'en croyait pas ses oreilles.
– Oui, Luc est parti faire du camping.
–- Mais il n'a jamais été camper, il déteste ça. Et la nature. Et à peu près tout ce qui existe à part les chats et le café.
– Eh bien, voyez-vous... commença Mort d'une voix mal assurée. Pour couvrir votre disparition auprès de l'administration et surtout de W.Asser III, Luc a dit que vous étiez partis en vacances. Le seul hôtel qui est ouvert en basse saison comme maintenant est le Hellish Hotel, sur les rives de la Mer Mortifère. Mais W.Asser les a appelés et ils ont dit ne vous avoir jamais vus.
– Ah.
– Oui, « Ah ». Alors elle est allée le confronter. La seule excuse qu'il a trouvée c'est que vous étiez partis, vous et Sir Prize, faire du camping.
– Mais je n'irais jamais faire du camping ! s'exclama Miss Fortune.
– Je sais. Mais c'est tout ce qu'il a trouvé à dire sur le coup. Ensuite, W.Asser l'a forcé à aller avec elle faire du camping près de la Mer Mortifère histoire de vous retrouver et d'avoir le cœur net. Alors ce serait bien que vous rentriez vite.
– Je confirme, ce serait bien qu'on rentre vite. Mais je ne reviendrai pas sans Sir Prize et sans lui avoir réclamé des explications...
– Ce que je comprends tout à fait. Ah !
Sur ce, La Mort raccrocha. Perplexe, la démone resta un instant les bras ballants avant de retourner au lit. Mais elle ne put pas se rendormir avant de longues heures.
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Lénore darda Hans Sehen d'un œil noir. Alors que sa compagne discutait avec Miss Fortune, elle avait entendu du bruit devant la porte et l'avait ouverte à toute volée. Derrière elle se trouvait le chef de l'OEIL apparemment très occupé à les espionner. Tout penaud, il n'avait pipé mot quand elle l'avait poussé à prendre un siège. Occupée à mâcher les derniers pilons de son poulet frit, elle laissa Mort le questionner :
– Je peux savoir pourquoi vous écoutez aux portes Hans ?
– Luc a disparu. Il serait parti faire du camping.
– Si vous savez où il est, c'est qu'il n'a pas disparu, Hans. Un peu de logique, lui rappela Mort.
– Luc déteste le camping. Et la nature. Et tout ce qui n'est pas du café ou des chats. C'est terriblement louche.
– Pourquoi vous venez me voir, moi ?
– Parce que je vous ai vue dans son bureau la dernière fois. Ça m'a semblé bizarre. Vous n'êtes pas particulièrement proches. Vous aviez l'air de couvrir quelque chose et je pense que ça a un rapport avec ses deux employés qui ont disparu et dont on ne peut pas retrouver la trace !
– Ah bon ? tenta la Cavalière avec un air innocent qui ne trompait personne.
– Vous jouez très mal la comédie, lui fit remarquer Hans sans sourciller.
– Je travaillerai jamais dans le spectacle non plus. Oui, très bien ! Ils sont peut-être sur Terre, et ils ont peut-être détraqué le déroulement du temps dans une région donnée, et ils sont peut-être liés à la mort de plusieurs dizaines de personnes et ils ont peut-être un artefact très puissant et très précieux et peut-être même que l'un d'entre eux est parti magouiller avec un sale minche plein aux as ! avoua Mort en levant les bras en l'air.
– Ils ont quel artefact ?
– La Chronosmontre de Luc.
– Vous avez vérifié dans une Poche ?
– Sir Prize n'en a pas.
– Vous avez pensé à aller les chercher par la peau du cou pour les ramener ici ?
– Je suis pour la non-violence, Hans.
– Et vous avez une idée de leurs motivations ? demanda-t-il.
– Un peu d'action ? Je veux dire, l'Effondrement Final arrive. Avec un peu de rmarchache avec les humains, plusieurs centaines de morts, des pulsions de violence et de haine, ça peut relancer l'économie et la bonne santé de l'Enfer !
– Par Adramelech, ne me dites pas que vous êtes pour leur plan quel qu'il soit...
– D'accord, je me contenterai de le penser très fort.
– Très bien, soupira lourdement Hans Sehen après un long moment de réflexion. Leur plan, aussi improbable et criminel soit-il, pourrait porter ses fruits. Je ne dis rien mais n'en pense pas moins. Vous êtes ma supérieure et je ne m'opposerai pas à vous.
– J'espère bien. Vous allez m'aider ou pas ?
– Je veux surtout aider Luc. Malgré son sale caractère, je sais que je peux l'appeler mon ami.
– Eh bien, rien que ça. Je n'approuve pas votre choix d'amis mais j'apprécie votre contribution. Alors dites-moi, Hans... Vous aimez faire du camping ?