Chapitre 17 : Le mensonge est le meilleur des masques

Je n'étais pas du genre à avoir de nombreux amis. Pourtant, j'en avais quelques-uns. C'étaient les seules personnes qui méritaient ma confiance et avec qui j'étais moi-même sans me soucier de ce qui m'était arrivé dans le passé, de ce que j'avais fait, de qui j'étais, ni même de ce que je comptais faire. J'en avais peu, mais c'était suffisant. Je n'aimais pas être entouré d'indésirables.

C'était pourquoi j'avais accepté avec plaisir l'invitation d'un de mes plus proches amis, Mitt, à son mariage. Je connaissais sa femme Dolly depuis un bon bout de temps, de très longues années, et j'avais entendu parler de tous les détails de leur mariage. Leur grand jour était enfin arrivé.

Évidemment, je comptais y aller avec Heather.

Alors qu'il était presque l'heure de partir, je me demandai si elle était prête. Elle était vraiment comme n'importe quelle femme. Elle était capable de prendre des heures pour choisir une simple tenue et se maquiller. Ce n'était vraiment pas pour cette raison que je pouvais aimer une femme.

J'entrai dans la chambre pour voir où elle en était. Elle avait revêtu une petite robe beige à bretelles. On aurait dit qu'un léger voile lui recouvrait le corps. Elle remarqua mon entrée dans la pièce tandis qu'elle s'apprêtait à enfiler son collier. Je m'approchai d'elle, le lui pris et le glissai autour de son cou, puis le fermai.

— Tu es ravissante, lui murmurai-je à l'oreille.

— Toi aussi tu es sublime, renchérit-elle en souriant.

Elle se tourna vers moi. Je pus l'observer en détail. Les magnifiques boucles rousses de sa chevelure cadraient à la perfection son visage pour se donner un air faussement angélique.

En effet, elle était ravissante. N'importe qui remarquerait sa présence. Elle n'allait pas passer inaperçue, au contraire.

Je constatai alors une once d'inquiétude sur son visage. Elle se faisait du souci pour quelque chose dont j'en ignorais la raison. Je finis par le lui demander et elle me répondit aussitôt d'une manière simple et efficace :

— Je ne connais personne là-bas.

Je compris immédiatement son angoisse, mais elle n'avait pas besoin de connaître tout le monde. Elle se souciait parfois de trop de choses. Bien trop innocente...

— C'est un mariage, on ne connaît personne généralement... et puis tu n'auras qu'à rester à mes côtés, la rassurai-je tendrement.

Elle ne semblait pas très convaincue, mais fit comme si. De toute manière, elle n'avait pas le choix. Elle avait accepté de m'accompagner, il était déjà trop tard. De plus, il fallait absolument que je me montre avec elle alors qu'elle était aussi bien fringuée, maquillée et coiffée.

— Tu es vraiment sublime, la complimentai-je de nouveau. Cette robe t'embellit vraiment, tu ne peux pas savoir à quel point...

— Ne dis pas de conneries, dit-elle plutôt gênée.

Cette robe faisait ressortir les courbures de son corps. Quelque chose dont elle n'avait pas l'habitude de porter. Bien trop sexy pour elle. Elle se sentait déjà mal à l'aise. Elle ne devrait pas. Elle était sensuelle, sexy et attirante, mais en aucun cas vulgaire.

Je m'approchai d'elle et l'embrassai une dernière fois avant de partir. La journée allait être chargée.

 

*

 

En compagnie de Heather, j'entrai dans l'église où allait se dérouler le mariage. Voilà bien une des rares fois où je mettais les pieds dans ce genre de lieu. Ça faisait tellement longtemps, quand j'étais encore pur et innocent.

Les lieux étaient plutôt sombres, aux couleurs ternes, et petits. Rien de spécialement attirant. Après tout, je détestais ce genre d'endroit...

Mitt ne tarda pas à me remarquer parmi la foule et s'approcha de moi.

— Cole ! Te voilà enfin ! s'écria-t-il, vraiment enthousiaste à l'idée de me voir.

— Tu pensais vraiment que je ne viendrais pas à ton mariage ? plaisantai-je.

— J'y ai cru pendant un instant. Ça serait bien ton genre.

On avait beau être amis, il me connaissait mal. Comme toutes les personnes de mon entourage. Il n'y avait pratiquement personne qui me connaissait vraiment. Ce pouvait être triste pour certains, mais je m'en fichais totalement.

Mitt se tourna vers Heather et la dévisagea. Il était sûrement en train de se poser des questions sur elle. Ça ne datait pas de maintenant. Dès le moment où je lui avais annoncé que je venais accompagné, ceci lui avait titillé l'esprit et il avait tout fait pour en savoir plus sur cette mystérieuse personne. Je lui avais promis que je ne la lui présenterais que le jour venu. Ce jour était arrivé et je tenais mes promesses envers ceux en qui j'avais une certaine forme de confiance.

— Mitt, je te présente Heather, ma copine. Heather, voici Mitt, un ami.

Il lui serra la main par politesse. Elle semblait plutôt gênée. Le moindre contact était tellement déstabilisant pour elle. Ça me prouvait encore une fois à quel point elle pouvait être seule.

— C'est bien la première fois que Cole me présente une de ses petites amies. À croire qu'il n'en a aucune, remarqua Mitt à l'intention de Heather d'un ton assez moqueur.

Celle-ci en sourit, ce qui devait sûrement l'amuser. Elle tentait de comprendre, mais en vain. Comme à son habitude...

— Mitt, ne dis pas n'importe quoi, rétorquai-je en le fusillant du regard.

— C'est vrai quoi ! Tu ne me présentes jamais personne. À croire que tu restes toujours seul.

— Tu te trompes, le contredis-je.

— En tout cas, ça me fait plaisir de te voir en couple, lâcha-t-il, souriant.

C'est vrai que je ne m'étais jamais présenté comme étant en couple auprès de mes proches. Certains me considéraient même comme un célibataire endurci. Ils n'avaient pas tort. L'amour ne m'intéressait pas. Cependant, je pouvais prétendre avoir trop de travail, que j'avais certaines priorités dans la vie. Les gens n'y voyaient que du feu.

— Et comment va Dolly ? demandai-je.

— Elle est tout excitée, depuis le temps qu'elle attendait de pouvoir se marier. Mais elle avait raison d'insister. Peut-être que vous deux aussi vous franchirez le cap.

— Peut-être, soufflai-je, pensif.

— Qu'est-ce que j'aimerais pouvoir me rendre à ton mariage, s'enthousiasma-t-il.

— Ne te fais pas trop d'illusions non plus.

Voilà quelque chose que j'oubliais à chaque fois au sujet de Mitt. Il était toujours très joyeux. Rien ne semblait l'arrêter. Il remontait toujours la pente et pourtant, il en avait vécu des choses. D'un certain côté, c'était assez impressionnant. Mais je n'avais pas les mêmes méthodes que lui.

Il s'éloigna de nous pour aller à la rencontre d'autres personnes.

— Vous semblez bien vous entendre, constata Heather.

— Oui... Mitt est plutôt sympa... C'est le genre d'amis avec qui on peut se permettre de dire n'importe quoi et d'être soi-même sans être jugé... Mais peu importe... On s'installe ?

 

*

 

Le mariage se déroula sans le moindre souci. Le prêtre fit son blabla. Mitt et Dolly présentèrent leurs vœux. Échange d'alliances. Blabla du prêtre. Baiser. Lancer de pétales. Rien d'extraordinaire, mais j'attendais quand même mon tour.

Après la cérémonie, tout le cortège se retrouva dans une grande salle de réception pour manger ensemble. Chacun avait eu sa place attitrée. J'étais bien évidemment à côté de Mitt et Dolly, à la table centrale. Je n'étais pas de la famille, mais j'étais un ami très proche. C'était suffisant.

Entre deux plats, Dolly décida de lancer son bouquet. Elle ne l'avait pas fait à la sortie de l'église, elle souhaitait le faire ici. Elle faisait comme elle voulait. C'était son mariage après tout. 

— Et enfin le moment que vous attendez tous, je vais lancer mon bouquet ! s'exclama Dolly pour attirer la foule.

De nombreuses femmes vinrent s'approcher dans l'espoir d'être l'élue ou tout simplement de montrer leur supériorité.

Dolly lança son bouquet. De nombreuses mains se levèrent voulant l'attraper au vol, en vain. Le bouquet tomba par terre, en face de Heather. Le destin était un connard pour certains. Elle le regarda longuement puis se tourna vers moi, assez hésitante. Je restais de marbre, qu'elle pense ce qu'elle voulait.

Immédiatement, une femme se saisit du bouquet. Elle sautillait déjà de joie à l'idée de son futur mariage.

— Je l'ai ! Je l'ai !

— Attention ! Voici le prochain mariage ! annonça Dolly en la pointant du doigt.

Heather regardait la femme qui venait de ramasser le bouquet tandis que je ne cessais de la fixer. J'avais compris le message, ce n'était pas la peine d'éviter mon regard.

— J'ai compris, ne t'en fais pas, me dit-elle comme si elle grimaçait. Je ne me sens pas prête.

— J'espère que tu le seras un jour, lui murmurai-je.

Elle se sentit de plus en plus gênée et prétendit avoir besoin d'aller aux toilettes pour m'éviter. Je la vis s'éloigner de moi. Pourquoi voulais-je tant m'accrocher à elle ? Ça n'avait pas de sens... mais quand je la voyais, je ne me posais plus la question.

C'était idiot.

Je la vis croiser Dolly sur son chemin. Toutes les deux commencèrent à discuter, plutôt souriantes. C'était un bon signe. Soit elles parlaient du mariage, soit elles parlaient de moi. J'étais persuadé qu'il s'agissait de moi. Heather était plutôt intimidée, je le voyais. Elle resserrait son sac entre ses mains. Je la connaissais si bien. Trop bien même.

Je m'asseyais sans quitter Heather des yeux. J'eus l'impression qu'il y avait une légère pointe d'angoisse dans son regard, mais impossible d'en savoir davantage. Mitt vint me déranger en s'installant sur la chaise à mes côtés, un grand sourire aux lèvres. Visiblement, son mariage l'avait réjoui mieux que n'importe quoi qu'il aurait vécu dans sa vie. 

— Cole, rassure-moi, combien l'as-tu payée Heather ? Je suis sûr qu'elle a dû te coûter bonbon. 

Était-il vraiment en train de sous-entendre que j'avais payé Heather ? Il n'arrivait vraiment pas à me croire, aussi étrange que cela puisse paraître. 

— Eh bien, je vais sûrement t'étonner, mais absolument rien, répondis-je sincèrement. Mis à part l'argent qu'elle a dépensé pour s'acheter ses vêtements, mais apparemment ce n'est pas de la prostitution quand on est en couple. 

Il en restait bouche bée. Oui, je venais de dire que j'étais en couple, assez impressionnant de ma part. 

— Ça change de d'habitude, lâcha-t-il, toujours aussi perturbé par cette annonce. J'étais persuadé que tu aurais ramené une escorte juste pour me provoquer. Je le sentais venir... Mais en couple... Ça, je ne m'y attendais pas. À moins que tu joues le jeu à fond !

Dans le fond, l'idée était assez plaisante. Me ramener avec une pute et prétendre filer le parfait amour juste pour l'emmerder, voilà ce que j'aurais dû faire. Si seulement je n'avais pas Heather...

— Alors tu l'aimes ? me demanda-t-il d'un ton on ne peut plus sérieux. 

Soudainement, je me posai la question. Je ne m'y étais jamais confronté. 

Qu'est-ce que Heather me faisait ? Je n'en savais rien à vrai dire. Je me sentais surtout très con à ses côtés, comme si tout ce que j'avais contrôlé jusqu'alors avait été inutile, comme si ça m'avait enfoncé plus qu'autre chose. 

En fait, je me sentais juste con, un vrai con. Le genre de cons à qui il fallait tout lui expliquer. C'était ça que je ressentais. La connerie au sommet de sa gloire. 

Mais la connerie et l'amour, ce n'était pas semblable. J'avais été de nombreuses fois con. Ça ne voulait rien dire. 

— Ce n'est pas sérieux, lançai-je d'une voix hésitante. C'est juste... comme un test. Pas du tout du sérieux. 

Il laissa échapper un bref rire, toujours mêlé à cette même pointe d'étonnement. 

— C'est ce que tout le monde dit. Ce n'est rien, ce n'est pas sérieux, mais en réalité, c'est déjà trop tard. 

— Contrairement à ce que tu crois, il n'y a rien de sérieux. Juste de la baise, rien de plus. 

Il n'était pas prêt à me croire. J'étais même sûr qu'il allait me ressortir tout ça encore des années après. 

— Cole... Toujours fidèle à toi-même. L'alcool, l'argent et le sexe, soupira-t-il. 

C'était une belle manière de voir les choses, ma manière de vivre. Bien mieux que n'importe quelle autre vie. Pour rien au monde je ne changerais...

Je pris mon verre de champagne pour en boire une bonne gorgée. Parler d'alcool m'avait assoiffé. 

— N'empêche, ça serait vraiment marrant si c'était vraiment sérieux. On pourrait se faire une sortie couple, lâcha-t-il comme si c'était une bonne idée. 

Une sortie couple ? Ce n'était pas parce que j'avais ramené Heather qu'il fallait aussitôt faire des plans sur la comète. 

De plus, je me voyais mal faire une quelconque sortie en couple. Où est-ce qu'on irait ? Qu'est-ce qu'on pourrait faire ? C'était le genre de sortie bien trop romantique pour moi. Et puis c'était bien trop tôt. Il n'y avait rien entre Heather et moi. Pourtant, c'était une bonne idée pour duper tout le monde. 

— On en reparlera un autre jour ? demandai-je pour éviter le sujet plus ou moins discrètement.

Il hocha la tête, comprenant que je venais de mettre fin à cette discussion. Je croisai Heather du regard, elle venait de sortir des toilettes.

— C'est la première fois que tu regardes quelqu'un comme ça, déclara Mitt, plutôt enjoué. 

Je ne quittai pas Heather des yeux. Elle croisa de nouveau Dolly. La discussion entre filles avait repris de plus belle à ce que je voyais. 

— Peut-être bien...

Je me tournai vers mon ami, un air malin sur le visage. 

— Qu'est-ce qu'il se passe vraiment entre vous deux ? m'interrogea-t-il en espérant une réponse sérieuse.

— Du sexe, c'est tout. 

Pourtant, ce n'était pas que du sexe. Avec elle, ce n'était pas un coup à la va-vite dans les toilettes d'un bar douteux. Non, c'était dans mon lit ou le sien la plupart du temps et nous pouvions y passer toute la soirée. Si elle avait été une pute, tout mon budget y serait passé. 

Mais elle n'était pas une pute. Jamais je ne l'avais payée. C'était bien là une grande différence. Heather était... une femme tout à fait normale. Le genre de femme que j'aurais pu croiser dans la rue si j'osais regarder aux alentours. 

Et je limitais ça à du sexe. Du sexe. Alors pourquoi ce n'était pas qu'un quart d'heure au lit ? Mais j'étais incapable de dire ce qui se passait vraiment entre nous. Après tout, je ne pouvais pas lui révéler les vraies raisons de cette relation. Tout ceci était faux, un énorme mensonge pour tromper tout le monde sur mon identité. 

— Juste du sexe, prétendis-je. On baise, tout le temps et n'importe où. C'est juste ça. Sauf que je n'ai pas à la payer à la fin...

Et même qu'elle me remercie par un sincère sourire. 

Elle me remerciait toujours comme si j'étais le seul homme à pouvoir lui provoquer cette sensation de confort. 

— Je vais fumer, annonçai-je en me levant. 

Mitt ne m'arrêta pas. Je m'approchai de la sortie sans quitter Heather du regard, le cœur serré. 

Ce n'était que du faux. Pas de l'amour. Jamais de l'amour. Ça n'existait pas. 

Juste un mensonge comme un autre de ma vie. 

Un mensonge, mais pas le plus gros de ma vie. 

Heather finit par croiser mon regard. Le sien semblait concerné tandis que j'ignorais ce que le mien reflétait. De la peur peut-être ?

Croyait-elle vraiment à cette relation ou avait-elle conscience que ce n'était qu'un jeu ? On s'était adonnés à un des jeux les plus dangereux... Peut-être que j'en ignorais encore les pires conséquences. 

Elle allait sûrement venir me voir. Je sortis mon paquet de cigarettes pour lui faire comprendre que je sortais fumer. 

J'avais juste besoin d'être seul, de prendre l'air. Enfin, surtout de me retrouver juste avec moi-même. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
ManonSeguin
Posté le 28/02/2021
Finalement, il a pas mal raison en disant "Souvent c'est trop tard quand on dit ça" parce que c'est vrai... On se berce d'illusions sans vouloir admettre qu'on aime quelqu'un et que cette personne compte pour nous. On se fait du mal plus qu'autre chose mais je crois que c'est un automatisme :) Je me demande comment Cole va procéder à tout ça dans sa tête ? :D
MissRedInHell
Posté le 30/03/2021
Yep yep ! Surtout que Cole a un énorme blocage sur l'attachement, alors tomber amoureux, encore plus compliqué. x')
Vous lisez