Chapitre 19 - Entre tribulations et espoir

En région de Zorrèce.

Ils avaient un but, mais aucun plan. Arthur et Vikthor voulaient se diriger aveuglément vers la capitale. Malheureusement, le chemin se montra plus compliqué que prévu. Tous deux avaient fait des vagues à Erden et pour cela la milice les avait à l’œil. Secrètement, quelqu’un dans l’administration voulait les surveiller. Ils s’en rendirent vite compte lors d’un banal contrôle. Eux, qui voulaient rejoindre la capitale au plus vite, s’étaient retrouvés dans un train pour quitter la région de Zorrèce.

__ Arthur, suis-moi on file, déclara soudainement Vikthor.

__ C’est un simple contrôle de routine, objecta son ami.

__ Ah oui, et pourquoi ils se dirigent vers nous l’arme au poing dans ce cas ?  rétorqua l’Élu.

Des miliciens qui effectuaient un contrôle de papiers, suite aux nouvelles lois, les avaient repérés tandis qu’ils montaient dans un train. Vikthor, malin et combattif, avait entrainé Arthur dans sa fuite. Ainsi, ils avaient pu échapper à l’ordre de rapatriement qui ciblait Vikthor, mais aussi à l’interdiction de quitter le territoire pour Arthur. Les deux acolytes furent surpris de ces mesures.

__ Je ne comprends pas pourquoi nous sommes recherchés ? s’inquiéta Arthur.

__ Je ne sais pas, mais ce n’est pas bon signe.

En réalité, ils n’étaient pas les seuls visés. Apparemment, toute la famille Agape était sous surveillance ainsi que Gaultier ou encore les proches de Vikthor. Tous ceux qui s’étaient offusqués des nouvelles lois ou qui représentaient un risque pour un certain avenir politique devaient faire profil bas. Ils étaient sur la liste rouge des dirigeants et ont surveillé leurs faits et gestes.

__ Nous devons être plus vigilants en tout cas, commenta l’ainé.

Tous ces incidents avaient ralenti Vikthor et Arthur. En effet, ils ne pouvaient plus emprunter les grands axes et encore moins le train. Tels des maquisards, maintenant ils étaient contraints à prendre les petites routes de campagne et à dormir éloignés des habitations. Ils marchaient depuis peu, mais espéré croisé des véhicules pour se rapprocher. 

__ Tout va bien ? Tu me sembles agité, remarqua Arthur.

__ Un coup de chaud, tout va bien, menti Vikthor

Le soleil avait bruni la peau du jeune Élu qui cheminait droit devant lui vers un avenir incertain. Cependant, comme l’avait remarqué Arthur, sa mâchoire carrée se serrer au fur et à mesure de ses pas. Pourtant cela faisait qu’une journée qu’ils arpentaient la région de Zorrèce. Une seule charrette les avait pris en chemin, mais ils étaient vaillants. Toutefois, ils avaient peu dormi et Vikthor commençait à ressentir les premiers signes de fatigue. Depuis qu’il était rentré en contact avec Manon la veille, il avait l’impression de ressentir une agitation et une peur qui n’était pas la sienne. Il songeait qu’en rentrant ainsi en symbiose, ils avaient peut-être créé une sorte de vase communicant entre leurs deux consciences.

__ Alors, continuons droit devant nous, lui répondit Arthur septique.

Devant lui, Vikthor continuait à grincer des dents sans savoir pourquoi. Une douleur le traversait pour repartir aussi tôt. Toutefois, la dernière attaque se montra plus intrusive. L’esprit confus et le souffle court, Vikthor demanda une pause. Ses muscles dessinés semblaient tressaillir à un assaut invisible. Assis dans l’herbe, il essaya de reprendre le contrôle de son corps. Le jeune homme qui ne tombait jamais malade, qui n’avait jamais ni trop chaud ou trop froid, ressentait des sensations inconnues qui voulaient le terrasser.

__ Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Arthur.

Ses mèches brunes retombaient sur le front de Vikthor, cachant ainsi son regard ténébreux rempli d’inquiétude. Le soleil lui martelait la peau, mais celle-ci ne rougissait pas. Son teint hâlé ne reflétait pas le bouillonnement de ses pensées. Il lui fallait quelques instants pour reprendre le dessus sur son corps. En effet, le soleil ne le chauffait plus.

__ Je, souffla-t-il tant bien que mal.

En plein été, il avait l’impression d’être pénétré par des vagues glacées successives. Enfin, il avait cru manquer d’air sans raison apparente.  Si c’était bien ce qu’il pensait, il se devait de faire bonne figure devant Arthur. Selon lui, à ce même instant, Manon devait se faire torturer impitoyablement. Il espérait, au plus profond de lui, pouvoir lui communiquer un peu de force et de sérénité. S’il pouvait ressentir sa douleur et ses craintes, il priait pour qu’il puisse lui transmettre sa vitalité et sa quiétude en échange.

Quand il réussit à reprendre le contrôle de son corps en faisant le vide de son esprit, tout lui parut normal. Il s’efforça, ensuite, de rester serein et placide pour la préserver de toute angoisse. Il ne pouvait en être certain, mais il avait l’impression que cela avait marché. D’un coup, il n’avait plus ressenti de douleur ou de peur étrangère, mais une grande sérénité. L’herbe qui chatouillait ses mollets nus le rappela à la voix qui l’interpelait.

__ Tu, quoi ? J’ai l’habitude de te voir gambader devant, surenchérit Arthur en le voyant ainsi.

__ J’ai connu mieux, mon métabolisme extraordinaire semble, pour une fois, faire des siennes ironisa Vikthor.

Quand il fût prêt, Vikthor se releva pour reprendre la route à grandes enjambées. Le vent décoiffait ses cheveux bruns, les ramenant en arrière. À côté de lui, Arthur activait son pas. Lui, que le soleil n’avait pas épargné, se voyait paré d’un teint rougeâtre dissimulant peu à peu ses nombreuses taches de rousseur. Son sang qui avait afflué dans ses tempes quelques minutes plutôt semblait s’être calmé. Il avait ressenti une certaine agitation quand Vikthor s’était assis dans le champ, mais à présent, il se sentait lui aussi calme et serein.

__ Je préfère te voir ainsi, commenta Arthur.

Ils avaient une raison d’être ici. Arthur devait protéger ses sœurs tandis que Vikthor voulait se battre contre des forces obscures qui s’intéressaient à leur peuple. Ils regardaient droit devant eux comme s’ils suivaient une ligne d’un destin tout tracé. Pour Vikthor, ils ne devaient laisser aucune place au hasard. Par conséquent, chaque soir, il apprenait à Arthur à se battre. Ils ne devaient pas compter uniquement sur leurs pouvoirs, mais sur tous les atouts que leur avait donnés la nature.

__ Tout le monde devrait apprendre à se nourrir par ses propres moyens ! argumenta Vikthor.

L’Élu avait sculpté un arc et il souhaitait qu’Arthur apprenne à s’en servir, mais Arthur n’était pas un bon élève.

__ Je suis plus douée avec mes jambes qu’avec mes bras, constata Arthur après avoir raté sa cible pour la énième fois.

Le soir, chacun s’occupait donc de trouver le souper à sa manière. Vikthor, débrouillard, traquait et chassait lapins ou chevreuils. Arthur lui se servait principalement de sa super vitesse pour foncer sur un lièvre ou autres mammifères à sa portée. L’important était qu’ils puissent reprendre des forces pour le lendemain. Arthur s’appliquait toutefois à réussir les entrainements de son ami. Combats, tire à l’arc ou chasse, tout pouvait lui servir pour retrouver ses sœurs.

__ J’espère que mon peuple ne m’en voudra pas d’être parti sans rien dire, lâcha Vikthor pensif.

Trop éloigné de Mÿrre, Vikthor ne pouvait donner des nouvelles à sa famille. Il aurait voulu s’expliquer avec sa sœur et son amie Sonfà, mais il n’avait pas eu le temps. Il espérait que Bénédit pourrait continuer à mener les physés en son absence. Toutefois, Vikthor devait faire vite, maintenant qu’il avait été intronisé les années de son prédécesseur étaient comptées. 

__ Ils te connaissent, ils savent que tu ne les as pas abandonnés, le rassura Arthur.

Sophya s’évertuait à contacter son frère coute que coute. Il ne pouvait recevoir ses messages, mais elle ne perdait pas espoir. La famille de Louise avait été arrêtée et expulsée de Mÿrre. Tout le monde se demandait pourquoi, mais la réponse était simplement révoltante. Même si leur fille était aujourd’hui décédée, elle était notifiée comme faisant partie d’une union illégale. Par conséquent, sa famille devait s’éloigner des physés au plus vite et refaire leur vie ailleurs. C’était une tragédie. Des parents devaient abandonner la tombe de leur fille unique pour faire plaisir à une administration.

__ Je me demande comment ils vivent tout ça, rajouta l’Élu.

Si Vikthor avait été là ou ne serait-ce que mis au courant de la situation, il n’aurait jamais laissé passer cela. Depuis sa mort, il rêvait beaucoup de Louise. Il avait l’impression qu’elle lui parlait toujours. Dans ses rêves, elle lui disait d’aller plus loin que ces prédécesseurs et de trouver un nouveau bonheur. Vikthor avait du mal à s’y résoudre. Une âme sœur perdue était irremplaçable, on pouvait aimer à nouveau, mais on ne se sentait plus jamais complet.

__ Et toi, comment le vis-tu ?

Depuis la fusillade, une partie de l’âme de Vikthor s’était donc envolée avec Louise. Cependant, maintenant qu’il était devenu l’Élu, son cœur semblait vouloir se reconstruire. Il sentait un manque, mais son âme cherchait à fusionner à nouveau. Il s’était alors mis à espérer qu’un jour, il serait au complet. Il avait eu ce désir lors de l’Oracle, quand il avait vu Louise dans ses souvenirs. La vision de Manon suivant ce rappel douloureux avait renforcé ce sentiment. Troublé, il savait que quelque chose le poussait vers elle. Elle devait avoir besoin de lui et son futur rôle d’Élue devait les rapprocher.

__ Ne t’en fais pas pour moi. Il est tard, prends plutôt des nouvelles de ta femme tant que tu le peux encore, répliqua Vikthor.

Arthur arrivait encore à communiquer avec Marie. Tant qu’il était en région de Zorrèce, le lien de leurs telsmans persistait. Toutefois, il ne permit pas à sa femme de donner des nouvelles aux proches de Vikthor. Chacun d’eux ne devait parler que par le biais de leurs amulettes et Mÿrre était bien trop éloigné d’Eybure pour cela. Maintenant qu’ils étaient recherchés, ils avaient peur qu’on écoute les conversations de leurs proches. Déjà, Marie avait failli à sa promesse en appelant Sophya pour lui expliquer le départ de son frère. Elle était restée évasive, mais si elle était sur écoute, on saurait que son mari et Vikthor n’étaient pas du tout en route pour Mÿrre.

__ Parfois, j’ai l’impression de les sentir près de moi, puis cela part d’un coup. Je pense que Vikthor ressent la même chose, mais uniquement pour Manon, se confia Arthur dans le telsman de sa femme.

__ Vous aviez un lien très fort tous les trois. Je suis certaine qu’elles sont encore en vie. Je parle souvent à Zaven, il ressent la même chose pour Solenne lui aussi. Il faut le voir comme un espoir, lui répondit Marie sentant sa peine.

__ Les enfants vont bien ? Je me doute que ce n’est pas facile sans moi maintenant. Ils sont si jeunes. 

Marie s’évertua à rassurer son mari et lui donner des nouvelles de tout le monde. Il ne parlait qu’avec elle. Endza n’était pas sure pour garder un secret et il en voulait à sa mère de lui avoir caché tout cela. Paskhal n’avait pas encore appris où était réellement parti son fils et malgré des messages d’excuses, il ne le questionnait pas.

À force de se côtoyer, les deux fugitifs étaient devenus meilleurs amis. Ils partageaient tout et la sincérité de leur relation les rendait plus forts. Ils se soutenaient l’un l’autre et ainsi leur motivation ne baissait jamais.  Ils s’étaient raconté leur jeunesse et leurs envies. Vikthor avait parlé de la mort de sa mère à la naissance de Sophya et de son éducation dure qui avait suivi.

__ Notre père était quelqu’un d’aussi juste que son fils, mais ferme. Il nous a appris à nous battre et à nous débrouiller seul dès leur plus jeune âge, raconta Vikthor.

En effet, pour cette famille, les dons n’étaient qu’un plus, mais pas un aboutissement. Ils ne se servaient jamais de leur pouvoir à outrance et en faisaient toujours profiter leurs prochains. Jamais Vikthor n’avait laissé un camarade blessé ou malade se soigner seul. Avec sa sœur, il s’occupait de la ferme de leur père sans utiliser leur don. Il aurait été pourtant facile pour eux de faire pousser des légumes ou des fruits à foison et de jouer avec les saisons.

__ Moi j’ai grandi entouré de filles ! Elles m’ont autant rendu heureux que pris la tête, plaisant Arthur.

L’ainé faisait part de sa jeunesse parmi ses trois sœurs. Il avait souvent dû trancher entre celles qu’on disait jumelles et la cadette. Protecteur, il s’était toujours inquiété pour elles. Il partageait un lien unique avec chacune et les aimait profondément. Il raconta leur balade dans les Monéyiéres à ramasser de la bruyère l’été et à manger des tartes aux myrtilles à la ferme.

Puis ils avaient grandi et il avait ressenti le besoin de protéger Manon particulièrement. Elle qui était promise à remplacer son père, devait se prémunir de la douleur que ce serait de causer également sa mort au fur et à mesure. En grandissant, Paskhal s’était montré dur avec elle. Elle devait un jour guider leur peuple et c’était une tâche importante pour laquelle elle devait se préparer. C’était la première fois, depuis au moins deux-mille ans, qu’un enfant était prédit à reprendre la succession d’un de ses parents.

__ Tout cela était bien loin maintenant, commenta Vikthor.

Ce soir-là, sous la nuit étoilée, les deux fuyards se confièrent comme jamais. Ils imaginèrent ensuite un avenir radieux, tous rassemblé et heureux. Vikthor se montrait impatient à l’idée de rencontrer Manon. Il se voyait déjà lui faire visiter sa ville, elle que son frère disait curieuse. Arthur était certain qu’elle et Solenne s’entendraient bien avec Sophya et Sonfà également. L’image était joyeuse, mais peut-être encore illusoire en ce début de tourmente.

__ Tout ça me rappelle une vieille comptine, conclut Arthur en commençant à chantonner un refrain entêtant.  

La chanson rassurante leur permit de s’endormir après l’avoir chantonné en chœur. Les paroles étaient belles, mais peut-être moins innocentes que ne le suggérait leur rengaine.

‘‘Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant

Là, Là, Là, deux à trois-mille ans et de nouveaux enfants

Dans nos terres et nos maisons, les rires des enfants s’élèvent,

Mais dans l’air, à chaque génération, l’un d’eux se soulève.

Il en va ainsi depuis la venue de Namon, mère créatrice et déesse,

grâce à elle, les trois frères Sirel nous ont sauvés de la détresse.

Un, deux puis trois, tous succèdent à leurs paires,

Le jaune, le rouge et l’orange font briller les pierres.

Un, deux ou trois-mille ans et nous aurons de nouveaux enfants,

Le bleu reviendra bientôt nous guérir et balayer les faux semblants

Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant

Là, Là, Là, deux à trois-mille ans et de nouveaux enfants

Dans les anciennes mers, le passé se terre,

Toutefois, le vent peut en soulever les poussières.

Attention à ne pas retomber dans nos travers,

Heureusement les dons sont là pour éviter les guerres.

Un, deux puis trois, tous succèdent à leurs paires,

Le jaune, le rouge et l’orange font briller les pierres.

Un, deux ou trois-mille ans et nous aurons de nouveaux enfants,

Le bleu reviendra bientôt nous guérir et balayer les faux semblants

Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant

Là, Là, Là, deux à trois-mille ans et de nouveaux enfants

Ils ont parcouru les anciennes mers et guérit nos terres,

Humains et Siréliens nous devons nous en montrer fiers.

Dans le cas contraire, une tempête argentée viendra nous réunirent,

Avec elle, l’enfant de décembre permettra à la déesse de revenir.

Un, deux puis trois, tous succèdent à leurs paires,

Le jaune, le rouge et l’orange font briller les pierres.

Un, deux ou trois-mille ans et nous aurons de nouveaux enfants,

Le bleu reviendra bientôt nous guérir et balayer les faux semblants

Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant

Là, Là, Là, deux à trois-mille ans et de nouveaux enfants’’