Chapitre 2

Juste comme j’arrive devant la porte, mon portable vibre. Je le sors, et je lis le message que Laurent m’a envoyé. Laurent, c’est mon frère jumeau, né comme moi le 27 mai 1993. Nous avons toujours été très proches, et je suis vraiment content quand je reçois un de ses sms. Nos parents trouvaient notre relation malsaine, si bien qu’à l’entrée au collège, nous sommes allés dans deux collèges différents. Je crois que ça a été une bonne chose. En primaire, nous ne faisions qu’un, je me souviens même que nous refusions de nous faire nommer individuellement, nous nous appelions « Antoine-Laurent » et pas Laurent ou Antoine. Nous répétions sans cesse « Antoine sans Laurent c’est pas Antoine, Laurent sans Antoine c’est pas Laurent ». Au collège, nous avions des amis différents si bien que lorsque nous avons rejoint le même lycée, nous étions bien moins fusionnels. Cette séparation avait quelques avantages. Mes profs de lettres n’ont jamais compris pourquoi, alors que j’avais des excellentes notes sur les devoirs à faire à la maison, je n’ai jamais réussi à dépasser la moyenne lors des devoirs en classe. Je tenais cette matière en horreur. Ce fut la même chose pour Laurent en physique-chimie.

Aujourd’hui, il publie des bandes dessinées qui lui permettent tout juste de boucler ses fins de mois et a une fille, Thalie, qui est aussi ma filleule.

Sa mère est partie quand elle avait à peine un an, sans une lettre, sans laisser d’adresse. Laurent, qui, sous des dehors exubérants, est très secret, ne m’en parle pas, mais je vois bien qu’il souffre et qu’il essaie de faire de son mieux pour combler l’absence de mère de sa fille.

Nous avons aussi un petit frère de 21 ans, Sam.

Après une lecture rapide de son message, je décide de l’appeler :

« Allô ?

- Ouais, salut, c’est Antoine, je bredouille dans le combiné

- Je le sais…C’est marqué sur mon téléphone, y’a même une photo de toi qui s’affiche !

- Ah...

- Tu as de la conversation, aujourd’hui. C’était juste pour savoir…ça te dit d’aller fêter l’anniversaire de Thalie chez Mickey ce week-end ?

- Oui, bien sûr ! Tu veux qu’on dorme là-bas ?

- Oh bah non, on prendra le train, la gare est à 200m de Disney ! Enfin bon, c’est comme tu veux, ajoute-t-il après un silence.

- Non, je m’en fiche. On se retrouve devant la gare ? Le train est à quelle heure ?

- Euh…six heures trente, me dit-il après un silence embarrassé

- Ah oui, quand même !! Ta petite va être crevée, tu ne veux vraiment pas dormir dans un petit hôtel de banlieue ? Je t’invite !

- Mmmh...Il y a un train vendredi vers 18h30. Je me renseigne et je te rappelle.

- Bien. Je dois te laisser, j’ai cours…

- Ok, à plus, herr professor boum-boum !!

- Salut, Laurent… »

Raccrocher me laisse un sentiment de vide. Je crois que je suis beaucoup trop dépendant de mon frère…J’y pense, la main sur la poignée de la porte, quand la cloche sonne. Argh, j’ai cours.

Après deux heures de cours, je vais poser mon sac dans la salle des profs avant d’aller manger. J’ai la boule au ventre, et toute ma joie d’être le jour de la rentrée s’est dissipée.

Je pose mon sac à la va-vite en rentrant, en évitant de croiser Pierrick, puis je descends directement au self, où je passe devant tous les élèves, lesquels m’envoient un regard courroucé : le self est tellement petit qu’ils doivent patienter quasiment une demi-heure tous les midis, donc quand ils voient que vingt profs leur passent devant, ils l’ont mauvaise.

Bien sûr, coup de malchance, qui est en face de moi à midi ? Pierrick. Je découvre alors qu’il est très difficile de fuir le regard de quelqu’un qui mange en face de vous.

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Je suis en train de faire cours quand on frappe à la porte. Je dis « Entrez ! » et c’est la principale qui est à la porte. Ce doit être important pour qu’elle se déplace en personne, de plus elle fait une tête d’enterrement. En fait, c’est à moi qu’elle s’adresse :

« Monsieur Collin, je peux vous dire un mot ?

- Oui, bien sûr, je m’entends répondre, avant de la suivre hors de la classe.

- Je suis vraiment désolée…Il est arrivé quelque chose à votre frère.

- Sam ? Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est grave ? Il est à l’IUT, ils l’ont transféré à l’hôpital ? Je dois aller le chercher ? »

J’enchaîne les questions, et je suis dans un état d’anxiété énorme. Mon Dieu, pas Sam, pas lui, j’ai promis à mes parents de toujours le protéger quand il est né, pitié, tout mais pas ça…La principale reprend, très embarrassée, et avec beaucoup de douceur, ce qui m’inquiète de plus en plus :

« En fait, il s’agit de votre autre frère. Il a eu…un accident de voiture. Je viens d’avoir votre petit frère au téléphone. Ils vous attendent à Bretonneau.

- Il va s’en sortir ? je m’entends demander d’une voix qui n’est pas la mienne.

- Je...je ne sais pas. Je suis de tout cœur avec vous Monsieur, si vous avez besoin de quoi que ce soit…

- Ça ira, merci.

- Peut-être serait-ce plus sage qu’un collègue vous accompagne à l’hôpital ?

- Non, merci, vraiment.

- Bon, eh bien, bon courage Monsieur, me répond-t-elle, l’air inquiet. Je m’occuperai de vos élèves.

- Merci. »

Alors qu’elle rentre dans la salle, je m’appuie la tête contre le mur. Non, ce n’est pas possible…Laurent est fort, pas comme moi, il ne PEUT pas lui arriver quelque chose…Tout mais pas ça ! Puis je reprends mes esprits. Je devrais être auprès de lui au lieu de me morfondre. Je me mets à courir dans l’escalier, entend d’une oreille distraite la sonnerie qui retentit, manque de tomber en arrivant en bas. Je cours le plus vite possible, quelques mètres me séparent de mon vélo, quand soudain, Elsa m’appelle :

« Antoine ! Tu vas où ?

- Je vais…Laurent…Je dois aller à l’hôpital…Ma famille m’attend…je halète.

- Je viens avec toi, réplique-t-elle même si, à mon avis, elle n’a pas dû tout comprendre.

- Non !!

- Si. On va prendre ma voiture. Allez, viens. Il est où ?

- Bretonneau. »