Chapitre 2

Par Merixel

Lorsqu’il ouvrit les yeux à nouveau, Noé se trouvait sur une paillasse, à même le sol comme il était de mise dans la plupart des maisons de Smadja. Une douleur lancinante lui déchirait le visage et la soif le tiraillait. Il porta avec délicatesse la main au niveau de sa blessure et rencontra un pansement rugueux. Déboussolé, il repoussa la couverture qui l’avait gardé au chaud jusque-là, et s’assit en tailleur sur la couche. Il balaya du regard les murs nus et blanchis à la chaux. Aucune décoration ne venait les égayer. Le jour perçait à travers une petite lucarne et l’air encore frais du matin rapportait des arômes de bois et d’humus.

Il avisa un gobelet qui trônait sur un coffre à l’autre bout de la pièce et tenta de se lever, mais, alors qu’il poussait sur ses jambes, sa vue se brouilla. Une douleur mordante irradia au niveau de sa blessure et un fort haut le cœur le contraint à se rasseoir.

Noé prit quelques inspirations afin de reprendre ses esprits. Dépité, il se rallongea et se couvrit, fixant avec envie le récipient hors de sa portée qu’il pouvait voir à nouveau nettement. Il ne parvenait pas à se souvenir pourquoi et comment il était arrivé jusque-là. Une nuée de questions se bousculaient dans sa tête, comme des lucioles prises au piège dans une bouteille.

Et puis il la vit. L’amulette. Accrochée sur le montant de la porte. Et l’attaque de la créature lui revint en mémoire en un claquement de doigt. La frayeur qu’il avait ressentie à ce moment-là l’envahit à nouveau.

— Papa ! hurla-t-il, étouffé par l’angoisse qui resserrait sa gorge.

Il releva la couverture au-dessus de sa tête en tremblant, comme si une telle armure avait eu le pouvoir de le protéger de la créature.

 

Soudain, Noé perçut le claquement précipité de sandales sur le sol dallé et la porte s’ouvrit sur Azah, la grande prêtresse. Il la reconnut à sa longue chevelure argentée et à la bague serpentine sertie d’améthystes qui ornait son index gauche. Elle portait une robe colorée de teintes vives qui descendait jusqu’à ses chevilles. Elle saisit le gobelet et s’approcha de la paillasse. Noé eut un mouvement de recul. Azah releva sa jupe et s’accroupit, puis elle lui tendit le récipient. Il s’en empara et but goulûment. Puis il se retourna vers elle.

— Où est mon père ? aboya-t-il, scrutant chaque expression de son visage.

La prêtresse s’assit sur ses genoux d’un mouvement plein de grâce. Un parfum de jasmin flottait autour d’elle. D’une voix douce et maternelle, elle s’adressa au garçon :

— N’aie pas peur Noé, tu es en sécurité dans la maison de la Mère.

— Où est mon père ? insista-t-il, le visage durci par la colère.

— Nous allons nous occuper de toi et tu verras, tu te rétabliras bien vite, ajouta-t-elle pour le rassurer.

Mais loin de l’apaiser, la façon qu’avait la grande prêtresse de détourner la conversation le rendait furieux.

— Où est mon père ? Où est-il ? réponds-moi ! hurlait-il à s’en abîmer la voix.

Azah secoua la tête de dépit.

— Il t’a sauvé, il a affronté la créature, dit-elle avec affection.

Elle posa une main sur le poignet de l’enfant, qui le retira aussitôt. Elle ajouta d’une voix tremblante :

— Je suis désolée Noé, il n’a pas survécu à ses blessures.

— Non tu mens ! Il va bientôt venir me chercher. Il doit être avec le troupeau, c’est sûr !

Azah secoua la tête. Le cœur serré et les yeux emplis de larmes, elle tenta de la ramener à la raison :

— Tu ne te souviens pas ? Voilà deux jours, nous t’avons retrouvé gisant sur les rochers dans les monts brumeux.

— Mais père n’était pas avec moi ! Tu te trompes, s’étrangla-t-il dans un sanglot.

 

Azah ne comprenait que trop bien la réaction de Noé. Il niait la mort de son père pour se protéger de la douleur insupportable qu’elle générait. Cet enfant, si jeune, n’avait jamais connu sa mère, morte en lui donnant naissance. Son père avait été sa seule famille. Son univers. Et celui-ci venait d’exploser. Il avait tout perdu.

Noé pleurait à chaudes larmes. Il lui semblait que son cœur pourrait exploser.

Azah, attristée, tenta de le prendre dans ses bras, mais il la repoussa vivement voyant en elle l’instigatrice de ses malheurs.

— C’est à cause de toi tout ça ! La grande prêtresse est censée nous protéger ! À quoi servent toutes ces amulettes et toutes ces célébrations ! cracha-t-il, les larmes coulant sur ses joues.

Azah pris cette attaque comme une gifle en plein visage. Elle allait tenter de se justifier, mais à quoi bon ? La colère avait pris le contrôle du petit berger.

Il se tourna vers le mur, remonta la couverture au-dessus de sa tête et se roula en boule.

Azah comprit qu’il avait besoin d’être seul. Gardant son calme, elle soupira et conclut :

— Tu dois te reposer pour guérir de tes blessures. Je reviendrai tout à l’heure pour refaire ton pansement. En attendant, Sara t’apportera de quoi manger et boire. Et n’hésite pas à appeler si tu as besoin de quoi que ce soit d’accord ?

Noé resta muet et immobile. Azah n’insista pas et quitta la pièce le cœur gros.

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