Chapitre 21

Par Hylla

Sofia n’est pas satisfaite. Elle ne l’est jamais.

Ces deux dernières semaines, tout ce qu’elle a essayé manque de sel.

La photographie d’elle, en face d’un miroir, appareil photo à la main ? Trop cliché. Du vu et revu, qui n’apportera rien de différenciant. Oui, elle aime la photographie, et alors ? Est-ce cela, s’appartenir ? Tous les autres participants aimeront la photographie eux aussi, se fustige-t-elle. Cela n’a rien de singulier.

Elle a essayé des mises en scène plus complexes, où une horloge marquerait le temps qui défile. Elle adopte plusieurs pauses : décontractée sur le canapé, à observer le monde par la fenêtre.

Elle a même essayé de prendre son bordel de vêtements éparpillés par terre. Mais elle a du mal à travailler sur le thème sans être sujet de la photo. Cela fait partie de sa vision. Alors, même si le cadre n’est pas travaillé lorsqu’elle travaille avec un retardateur, elle persiste. Ce qu’il lui faut, c’est un angle. Une idée de mise en scène. Une fois qu’elle aura trouvé le bout du fil, elle le tirera sans relâche jusqu’à trouver le nœud du problème. Elle demandera à quelqu’un de pauser pour elle, pour mieux travailler sur la photographie. Baptiste peut-être. Ce serait le plus facile, mais elle aurait alors le sentiment de perdre une partie de son propos. Choisir Ana, ce serait trop cruel.

Ou alors la mère. Oui, la mère, ce serait bien. Elle demandera à Violine. Le choix lui semble évident à présent. Elle comprendra assez son ressenti pour incarner le thème, sans surjouer. Sofia ne connaît pas de comédiens, et elle tient à capturer du vrai.

Elle doit appeler Violine.

À en juger par sa réaction à l’annonce du concours, Sofia espère qu’elle fera de son mieux pour l’aider.

Si Violine ne l’aide pas, elle n’aura pas d’autre idée. Peut-être demander à Baptiste de la prendre, alors. Travailler le cadre en amont, retoucher d’autant plus après…

Non, ce n’est pas optimal, et elle le sait. Il lui faut Violine. Et Violine a besoin d’elle. Violine a besoin de redécouvrir ce que c’est, de s’appartenir en tant que personne individuelle. S’appartenir, ce n’est pas appartenir aux autres. Sofia l’aidera à mettre le doigt sur ce sujet.

Parce qu’elle le décide pour elle, elle juge que chaque femme a le droit de respirer pour autre chose que son enfant. C’est important pour Sofia, de montrer que d’autres personnes à l’inclinaison plus maternelle en arriveraient à la même conclusion : il faut du temps pour soi. Pour s’appartenir.

Mais si elle prend Violine comme sujet, alors la question n’est plus la même. Comment Violine s’appartiendrait-elle ? Pas comme Sofia l’entendrait pour elle-même, c’est une certitude.

Alors, elle commence par sécuriser le premier pas, et écrit à son amie pour lui demander si elle accepterait de poser pour quelques clichés. « C’est pour le concours », ajoute-t-elle, comme pour convaincre son amie d’autant plus de l’importance de sa réponse.

« Je ne sais pas si je serais très à l’aise, ça ne t’aidera pas beaucoup… » répond Violine.

Sofia refuse de baisser les bras si vite.

« Tu t’en es très bien sortie, pour les photos avec Isabella ! »

« C’est vrai… Mais c’était plus naturel d’être ensemble comme si de rien n’était. Poser, c’est autre chose. »

« Et si on faisait ça dans ton élément, tu serais à l’aise aussi, non ? »

« On peut toujours essayer, mais je ne fais aucune promesse sur le résultat ! »

Sofia frétille. Une première victoire sur le chemin de ce projet.

« Si je te disais d’oublier tout le monde dans ta vie, où est-ce que tu serais le plus à l’aise ? »

« Près de l’océan. Ça m’apaise. »

Sofia ne tient plus en place. Les images défilent dans sa tête. Violine qui marche le long de la mer, Violine qui entre dans l’eau… Elle pourrait dire tant de choses, mais elle doit choisir quoi dire. Cela conditionnera tout le cadre. Et puis, si Violine doit finir à l’eau, ce mois-ci n’est peut-être pas le plus approprié si Sofia ne veut pas prendre la photo d’une personne crispée sur le point de faire une crise d’hypothermie.

Elle ne peut plus attendre, et appelle Violine qui décroche aussitôt.

— Pourquoi ça t’apaise ? demande Sofia.

— C’est cette immensité, cette force, quand les vagues s’échouent sur la digue. Ça me fait me sentir toute petite. Ça me rappelle que je suis vivante.

— Ça fait longtemps que tu n’es pas allée en bord de mer ?

— On est allés s’y promener avec Isabella, Quentin et mes parents, après Noël. Mais seule, à prendre le temps de m’y perdre… Ça n’est pas arrivé depuis la naissance d’Isabella.

— C’est ça qu’il me faut, souffle Sofia dans le combiné.

— Je suis censée voir un rapport avec le concours ?

— Fais-moi confiance ! Attends un instant.

Sofia saisit son ordinateur pour vérifier la météo du week-end. Le soleil ne sera pas au rendez-vous, mais il ne pleut pas. C’est déjà ça.

— Tu serais disponible samedi ? Ou dimanche ?

— Je ne sais pas encore, je dois voir avec Quentin…

— Tu me tiens au courant ?

— Je vois ce que je peux faire.

Lorsqu’elle raccroche, Sofia ne tient plus en place. Elle commence déjà à repérer les paysages du bassin d’Arcachon. Elle note quelques plages, le Pyla-sur-Mer, Arcachon et le Grand Crochot, mais aucune ne la satisfait pleinement. Elle aimerait une digue, pour pouvoir travailler davantage la dynamique des vagues, mais elle n’est pas certaine de parvenir à convaincre Violine d’aller plus loin.

Quand Baptiste rentre du travail, Sofia est en pleines recherches sur les coefficients des marées, la topologie des fonds marins et le sens du vent. Elle a compris que chaque plage et chaque heure serait unique. Et même si Violine lui a confirmé qu’elle serait disponible dimanche toute la journée, Sofia ne veut pas gâcher cette opportunité : elle doit se donner toutes les chances pour capturer, dès dimanche, les clichés qui lui seront utiles pour le concours. Elle ne veut rien laisser au hasard.

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