CHAPITRE 22

Par Taranee
Notes de l’auteur : Encore un nouveau chapitre, on s'approche de la fin à grands pas. Il y a peut-êtres quelques fautes d'inattention dans le chapitre, pourriez-vous me les faire remarquer pour que je les corrige ?

PRESENT : JIO

 

            Le coup envoya Jio valser contre le mur du fond du réfectoire. L’adolescent poussa un cri étranglé et retomba par terre, mal en point. Il ne se releva pas. Allisen s’approcha, victorieux.

- Regarde-toi. Tu es à moitié mort. Le combat n’a commencé que depuis quatre minutes. Tu n’es pas très résistant.

Des rires se firent entendre dans la foule qui regardait le duel. Jio n’avait que peu de supporters. Enfaite, il ne savait même pas s’il en avait. Il ne bougea pas. Pas encore. Soll s’approcha encore. Il croyait qu’il avait gagné, il venait le narguer.

- Désolé, gamin. Mais je suis plus fort que toi. C’est normal, après tout, j’ai été ton maître.

L’homme tendit la main pour l’aider à se relever. Ou plutôt pour sceller la défaite de Jio. L’adolescent se releva d’un bond, attrapant le bras de son adversaire pour le tordre avec brutalité.

- Ce n’est pas fini !

Allisen poussa un cri rauque qu’il essaya d’étouffer. Mais le jeune homme l’avait entendu. Il sourit, ne lâcha pas prise. Donna un coup de pied dans le tibia de son ennemi. Depuis le lancement du duel officiel, Allisen avait l’avantage. Il l’avait pris dès le début, en attaquant par surprise. Mais ça ne pouvait pas durer, non. Jio devait prendre l’ascendant à son tour.

            La lame fendit l’air dans la direction de l’œil de Jio. L’adolescent esquiva l’attaque de justesse, il sentit l’arme lui entailler la pommette et le sang commença à couler le long de sa joue, tiède. Le mage d’ombres s’écarta dans un saut agile. Il atterrit près des tables de la salle qui avaient été calées contre le mur. Le public s’écarta pour lui laisser la place, ou, peut-être, pour qu’il se fasse mal en tombant sur le sol de pierre. Allisen fanfaronna.

- Tu prends ton envol Jio ? C’est dommage, moi qui commençais à croire que tu n’étais pas un lâche, finalement.

L’intéressé serra les dents, recula d’un pas lent vers le mur. Allisen s’approchait. Il souriait, demandait à la foule s’il devait épargner ce pauvre gosse, évoquait en riant le nombre de fois où il avait mis Jio au tapis. Il tissait un lien avec le public, persuadé d’avoir gagné. Il avait baissé sa garde, lui qui était censé être un mercenaire redoutable. Sa vanité le perdrait. Jio en profita. Saisissant avec force la chaise qui se trouvait juste derrière lui. Il s’élança vers son adversaire, lui asséna un coup puissant dans l’épaule. L’élan donné à l’objet fit reculer l’adversaire qui manqua de tomber, se rattrapant de justesse. La chaise se brisa, les morceaux tombèrent autour de Jio. Allisen lui lança un regard surpris et vicieux.

- Je suis déçu, Jio. Oui, déçu de te voir utiliser des techniques aussi lâches après tout ce que je t’ai appris pendant ces cinq années où tu as été mon élève.

Le public hurla à la triche, traita Jio de lâche. Le garçon recula, acculé sous ces critiques. Les critiques des gens qu’il ne connaissait pas, les critiques de ceux qui avaient peur. Des critiques qu’il avait toujours entendu.

 

PASSE :

 

            L’enfant entra dans la salle de douches, ses affaires à la main. Alors que la porte claquait, les hommes qui se préparaient devant les miroirs crasseux se retournèrent. Il n’y avait que des adultes. Tous avaient au moins une dizaine d’années de plus que lui, si ce n’étaient vingt. Ils l’observaient, le mépris dans les yeux. Ce matin, Jio avait tabassé un homme jusqu’à l’inconscience. Encore. Le garçon s’avança le long des lavabos jusqu’à en trouver un, au milieu de la salle, qui était libre. Il s’y installa, déballa ses affaires. Du coin de l’œil, il vit un homme s’écarter de lui avec empressement. Il entendit les murmures inquiets et haineux des autres hommes. Son nom était évoqué, et aussi celui de l’homme qu’il avait passé à tabac. Il tendit l’oreille, feignant de continuer à sortir ses affaires.

- Mais si, tu sais, le gosse qui a essayé de s’enfuir y’a un an ! Il avait tué deux hommes.

- Lui ? Mais il est tout petit !

- Chut ! Fais gaffe à ce que tu dis, il va t’entendre ! On dit qu’il est instable.

- Il est pas bien dans sa tête ce gosse.

Jio tourna la tête et adressa un regard noir aux hommes qui eurent un mouvement de recul. Allez-y, se dit-il, tremblez, répandez des rumeurs. J’en ai rien à faire. Il eut un mouvement de tête agacé, puis tourna les talons pour prendre une douche libre, juste à gauche, à côté de la porte d’entrée. Quand il passa à côté du groupe, en leur lançant un regard rapide, les hommes sursautèrent. Voilà ce qu’il était devenu. Un garçon violent, qui inspirait la terreur. Il n’avait fallu que quatre ans pour le changer ainsi.

 

PRESENT :

 

            La rumeur enflait dans la foule. De murmures, elle passa à paroles, et bientôt, c’est en cœur que les mercenaires criaient leur mécontentement. Allisen avait la guilde entière avec lui. Jio, lui n’avait que sa haine. Le vieux mercenaire lança une attaque. Une tentative de coup de pied que Jio para sans difficulté. Le poing arriva juste après. Jio l’évita tout juste en plongeant sur le sol. Il attrapa au passage une assiette qui traînait et la lança avec force en direction du visage d’Allisen. De nouveau, des cris de protestation s’élevèrent. Et cette fois, deux mercenaires se détachèrent du groupe pour tenter de saisir Jio et de l’immobiliser. Il n’y avait personne pour les arrêter, personne pour leur rappeler qu’un duel s’effectuait entre une personne et son adversaire uniquement. Il n’y avait personne, tout simplement car Jio était détesté par toute la guilde. Il devait gérer en même temps les attaques d’Allisen et celles des deux mercenaires. Et, malgré ses esquives habiles et ses quelques ripostes, il finit par être acculé. Les deux mercenaires se saisirent de lui, lui promettant les pires tortures pour avoir osé tricher et le noyant d’insultes. L’adolescent se débattait. Il essaya d’utiliser sa magie mais on lui asséna un coup dans la tempe. Il était assommé, les idées s’embrouillaient dans son esprit. Il entrevoyait Allisen qui s’approchait qui dégainait sa magie. Il allait porter le coup final. Jio se démena, il essaya d’échapper à l’étreinte des mercenaires, et il réussit, pendant deux secondes. Il avait plus de force qu’eux. Mais ils étaient deux, et bientôt, ils furent trois à le retenir. Et malgré toute l’ardeur qu’il y mit, il ne put échapper à leur prise. Le combat prenait une tournure dramatique. Allisen se pavanait, les spectateurs s’impatientaient. Ces derniers jours, Jio avait été impitoyable. Il avait piétiné la fierté d’une dizaine des mercenaires les plus doués de la guilde. Ces mercenaires avaient des amis, des collègues, qui se sentaient menacés par la présence du mage d’ombres. Ces gens n’étaient pas pour la victoire de Soll ; ils étaient pour la défaite de Jio. Soll asséna son premier coup. Violent, en plein ventre. Jio s’empêcha de crier. Voilà. C’était comme ça que ça allait se terminer. Il allait perdre, une fois de plus. Et il allait prouver qu’il ne serait jamais à la hauteur de cette ordure. Le deuxième coup lui parut moins douloureux, ou peut-être était-ce seulement parce que Jio sentait petit à petit qu’il perdait connaissance. Et le troisième coup…

- S’y mettre à quatre pour défaire un pauvre gosse… Je me demande où est passée votre fierté.

            Il y eut d’abord des exclamations étonnées, et d’autres, effrayées. On entendit des bruits de pas désordonnés, comme ceux d’une foule qui s’empresse de s’écarter. Jio, toujours maintenu par ses adversaires, ne put pas se retourner. Mais il avait reconnu cette voix, et cet accent faussement chaleureux qui cachait à peine un ton de menace. Il entendit Soö s’approcher de sa démarche lente et calme. La démarche de quelqu’un qui a le pouvoir. Il tourna la tête juste à temps pour voir une main s’abattre sur l’épaule de l’homme qui retenait son bras gauche. Ce dernier balbutia un « maître » interrogatif auquel Soö répondit d’une voix posée.

- Lâche ce garçon, veux-tu ? Il me semblait avoir organisé un combat entre deux personnes. Pas le lynchage d’un jeune homme.

Jio sentit l’étreinte se desserrer autour de son bras gauche. Le bras droit resta prisonnier, cependant. Il commençait à s’engourdir. Et la personne qui se chargeait de le retenir crut bon de s’exclamer d’un ton véhément :

- Le gosse a triché. Il s’est servi d’une technique de lâche.

Il avait jeté un rapide coup d’œil à la chaise que Jio avait brisé et Soö suivit son regard, comprenant ainsi de quoi il retournait. Le maître de la guilde avisa ensuite l’assiette qui s’était échouée pas loin d’Allisen. Un autre coup d’œil lui permit de remarquer le couteau que Soll tenait dans sa main et avec lequel il avait entaillé Jio à la joue. L’adolescent ne put pas voir son sourire, mais il imagina les lèvres de Soö se retrousser en un rictus parfaitement monstrueux.

- De la triche ? articula le maître : Il n’existe pas de triche, dans le monde d’un mercenaire. Seulement des moyens de parvenir à ses fins.

Allisen ne disait rien. Il attendait, pétrifié, la conclusion de cette histoire. Soö continua.

- Allisen Soll a une arme, ce jeune garçon n’en a pas. N’est-il pas normal, à ce moment, de prendre tout ce qu’il peut pour s’en servir d’arme ?

Il avait posé cette question à toute l’assemblée, et personne ne répondit.

- Allons, lâche le garçon. Continuons ce duel sans provoquer de catastrophe.

Il y eut un gémissement hésitant, puis Jio ne sentit plus aucune pression sur son bras droit. Il se retourna et put enfin voir ce qu’il se passait. Les deux mercenaires qui l’avaient saisi retournaient dans le public, dépités. Ce même public, observait la scène comme autant d’yeux accusateurs dirigés vers Jio et vers Soö. Ce dernier était là, au milieu de la salle, faisant face à Jio. Il s’approcha et lorsqu’il fut assez proche pour que seul l’adolescent puisse l’entendre, il murmura :

- Je t’ai sorti du pétrin une fois. Montre-moi qua ça valait le coup.

Puis il s’écarta, se dirigea vers Allisen Soll qui attendait toujours à la même place. Il lui donna une petite tape sur l’épaule. Enfin, s’adressant à toute l’assemblée, il proclama :

- Que le combat reprenne !

Jio serra les dents. Soö semblait tenir à ce que le duel se déroule sans encombre. Avait-il quelque chose derrière la tête ? Certainement. Mais quoi ? Comment savoir ce qu’il préparait ? Il avait présenté ce duel sous forme d’une occasion de se venger des humiliations que Jio avait subies à cause d’Allisen. Mais cet évènement pouvait cacher autre chose. Le tout était de savoir sur qui Soö voulait porter son influence en organisant cette rencontre. Allisen Soll ? La guilde entière ? Ou Jio lui-même ?

            Le coup vint le heurter dans la joue sans qu’il n’eût pu le prévoir. L’adolescent se retourna, se préparant à riposter, mais son agresseur n’était pas là. La deuxième attaque le fit tomber. Il se retourna juste à temps pour éviter le coup de pied que Soll s’apprêtait à lui asséner. Le vieux mercenaire avait retrouvé son humeur arrogante et il s’exclama :

- Si distrait, Jio ! Tu estimes que je ne mérite pas ton attention ? Tu vas le regretter, gamin.

Merde. Il n’avait pas le temps de réfléchir à ce que Soö avait derrière la tête. Le combat était engagé, les coups d’Allisen étaient puissants, en recevoir causait des dégâts critiques. Il n’avait plus le choix, même si ce combat était un piège, il devait le gagner ! L’enjeu était bien plus grand qu’il ne le paraissait. Ce n’était pas un règlement de comptes, c’était un retour de bâton, une vengeance pure et cruelle pour toutes ces années de souffrance. Un déversement de la colère accumulée. Il ne s’agissait pas d’un combat amical pour tester ses compétences. Jio menaçait la hiérarchie mentor-élève qui régnait à la guilde. S’il perdait, tout resterait comme avant, et les apprentis continueraient d’apprendre dans la douleur et le sang. S’il gagnait, il ferait vaciller le système des mercenaires, et les élèves commenceraient à douter de l’autorité absolue des professeurs. Il fallait gagner. Sur cette pensée, sa magie sortit en une brume noire. Allisen poussa un rire sans joie et répondit à l’appel de Jio, appelant à son tour sa magie. La pièce s’emplit d’une brume légère. Juste assez fraiche pour être menaçante. Pendant une seconde, Jio se sentit comme démuni, puis il se reprit. Cette sensation n’était due qu’à l’apparition de l’aura de Soll. Les deux combattants, debout, chacun d’un côté de la salle, se sondaient. Allisen prenait son pied. Jio voulait en finir au plus vite. Il attaqua le premier.

            Créer des choses vivantes avec sa magie lui était devenu familier et les tentacules noirs fusèrent avec une précision mortelle vers sa cible. Allisen para, faisant apparaître un mur de brume et, au même moment, l’adolescent lançait plusieurs lames d’ombre qu’il venait de faire apparaître. Allisen s’écarta, le jeune homme ne lui laissa pas le temps de reprendre son souffle. Il enchaînait les attaques, les unes après les autres, sans relâche. Elles étaient dangereuse, mortelles, même. Mais Jio s’en fichait. Il se fichait bien de ce qui pouvait arriver à Allisen Soll. Ses sentiments avaient pris le pas. Son passé l’avait rattrapé. Et il se battait maintenant avec autant d’ardeur que quand il était plus jeune. Il n’avait pas de tactique, son corps esquivait les attaques de son ancien mentor, son esprit s’occupait de manipuler la magie. Son esprit était encombré, en ébullition, et il ne vit pas qu’il était en train de perdre du terrain. Quand il s’en rendit compte, il était déjà trop tard. Son dos heurta le mur au moment même où Allisen portait une attaque des plus violentes. Une masse de brume était apparue dans ses mains et il l’abattit brutalement sur le jeune homme. Le cri que poussa Jio était affreux, mêlé aux craquements de ses côtes qui se brisaient. L’adolescent s’écroula en sifflant de douleur, les larmes lui brûlaient les yeux. Il se tenait les côtes, retenant un nouveau hurlement. Allisen lui asséna un coup de pied qui acheva de le mettre à terre. Le vieux mercenaire attrapa Jio par le bras et le releva de force, le maintenant debout car, visiblement, il ne pouvait plus faire ça tout seul.

- Tu croyais pouvoir me battre, Jio ? Tu croyais vraiment pouvoir me battre ?

- Lâ… Lâche-moi…

- Je n’ai pas entendu ta réponse. Allez, dis-moi, Jio :  Tu avais la prétention de croire que tu étais de taille à me battre ?

Il le secoua, le jeune homme, presque inerte, ne ressemblait plus qu’à une poupée de chiffon entre ses mains. Une poupée. C’était donc ça. Il n’était destiné qu’à être un pantin aux mains de ceux qui l’avaient toujours malmené. Il essaya de se dégager faiblement. Il n’avait plus de force. Ses blessures le faisaient souffrir. Quel idiot il avait fait d’accepter ce duel ! Soll colla son visage contre le sien avec un rictus grimaçant.

- Je te l’avais déjà dit, Jio. Mais tu ne m’écoutes jamais : Tu es faible. Et tu le seras tant que tu ne comprendras pas qu’un pouvoir comme le tien est fait pour tuer des gens.

Le crachat atterrit en plein sur la joue du mercenaire. Allisen passa une main sur son visage, avisant le projectile avec étonnement. Et Jio profita de cette demi-seconde d’inattention.

Rassemblant toutes ses forces, il lança son bras un coup de poing assez puissant pour faire reculer son adversaire. Il tomba, se releva, donna un coup de coude dans le visage de son ancien mentor qui poussa un cri de douleur. Puis il crocheta ses jambes, et Allisen tomba. Il essaya de se relever mais Jio ne lui en laissa pas le temps, plantant un pieux fabriqué par sa magie dans le bras de l’homme. Le sang gicla, éclaboussa les chaussures de Jio. L’adolescent le remarqua passivement. Il continua de frapper, sans relâche. Il ne pensait à rien ; à rien, sinon à détruire cet homme qui se trouvait en face de lui, à le tuer, pour enfin se libérer de son emprise. Il releva le pieu, le replanta avec force. Et dès qu’Allisen essayait de se relever, il lui donnait un coup de pied, le forçant à rester par terre. Cela dura deux minutes, Soll hurlait à la mort quand le pieu entrait au contact de son corps. Jio levait et abaissait l’arme qu’il avait créé sans aucune once de compassion. Et puis l’adolescent s’agenouilla, poussa un rire dément et essoufflé.

- Ose dire que je suis faible, maintenant. Vas-y.

Allisen gémit. Jio se retint de hurler. Ses côtes lui faisaient atrocement mal.

- Alors, Allisen Soll ! Tu vois ? J’ai réussi ! Et tu ne vas plus jamais m’emmerder parce que je vais te tuer !

Sur ces mots, il leva une ultime fois son arme, visant le cœur. Ses oreilles bourdonnaient, la salle était remplie de murmures affolés, et Soö regardait la scène avec une lueur de satisfaction dans les yeux. L’arme fendit l’air aisément, se préparant à s’enfoncer dans le cœur de l’ennemi.

- Jio !

Il arrêta son mouvement alors que l’ombre commençait à s’enfoncer dans la chair de son adversaire. Il tourna la tête, les sourcils froncés.

            Maz s’était frayé un chemin dans la foule jusqu’au premier rang. Elle se détachait des spectateurs qui l’observaient avec respect.

- Jio. répéta-t-elle : Ne fais pas n’importe quoi.

L’intéressé enfonça un peu plus son arme et Allisen poussa un gémissement.

- Tu as déjà gagné le combat, Jio. Regarde-le. Regarde-le bien. Il ne se relèvera pas.

- Qu’est-ce que j’en ai à faire ? aboya le garçon : Cet homme est un salaud de la pire espèce. Qui se souciera de sa mort ? Qui, à part moi ?!

- Qu’est-ce que tu as, Jio ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu deviennes…

-Elle s’arrêta, hésita. Jio la provoqua.

- Pour que je devienne quoi ? Dis-le, Maz, pour que je devienne quoi ?

- Un monstre ! Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu deviennes un monstre !

La réplique était agressive, pleine de rancœur et de tristesse. La surprise cloua le bec de Jio.

- Tu es un monstre, Jio ! Un monstre, un monstre ! Un monstre !

- Tais-toi !

- Non ! Tu es un monstre ! Regarde-toi ! Tu t’apprêtes à assassiner un homme ! Toi qui hais les mercenaires, toi qui hais cet endroit, qui critique les assassins… Tu deviens aussi cruel qu’eux ! Ce n’est pas toi mon ami ! Ce n’est pas toi, Jio !

Elle ne pleurait pas. Elle énonçait ces vérités cassantes, les unes après les autres, comme des attaques qu’elle lançait sur son ami.

- Si, c’est moi ! Ça a toujours été moi ! J’ai été brisé, Maz ! Brisé par cet endroit ! Les gens brisés, ce ne sont pas des gens bien ! Vas-y, traite-moi de monstre ! J’en ai marre de me cacher ! Je veux me venger, Maz, me venger de cet homme !

- Et tu l’as fait ! Tu en as bien assez fait. Réfléchis deux secondes. Le tuer t’apportera-tt-il quelque chose ?

- Oui.

- Non, ça ne t’apportera rien.

Tout le monde s’était tu pour écouter l’échange. Maz s’était rapprochée, Jio n’avait pas bougé. La main crispée sur son pieu, il ne savait pas quoi faire.

- Jio. Si tu le tues, tu seras un connard.

Le dernier mot vint le frapper comme une gifle. Il ouvrit de grands yeux, articula le nom de Maz. Elle ne lui laissa pas le temps de continuer.

- Moi, je ne veux pas être l’amie d’un connard.

Ces mots rebondissaient dans l’esprit du jeune homme. Maz l’observait, impassible. Le pieu disparut de la main de l’adolescent, il se leva, s’approcha, attrapa la main de la jeune fille, la serra. Elle ne fit rien pour résister.

- S’il te plaît, dit-il, reste mon amie.

Il avait presque les larmes aux yeux, il le sentait. Il était couvert de sueur et de sang, il claudiquait. L’adolescent le regarda droit dans les yeux, comme jamais elle ne l’avait regardé. Elle sourit. Un petit sourire qui venait du fond du cœur.

- Bien sûr, murmura-t-elle.

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