Ariane était très inconfortablement assise sur un canapé brun d’une rare propreté. Il était incroyablement doux, mais ses vêtements l’étaient beaucoup moins. Elle avait eu l’occasion de se laver lors de leur passage au château, mais entre la poussière des combats, la boue de la forêt et la sueur de la marche, s’asseoir sur ce canapé constituait un crime. Maï Rose, assise à ses côtés, avait d’abord refusé de s’asseoir, mais on ne lui avait pas vraiment donné le choix. Elle passait son temps à constater avec horreur qu’elles ont toutes ruiné le mobilier.
Ariane ne pouvait que contempler les murs décorés de papiers peints décorés de nombreuses fleurs, dont les cepits, qu’elle commençait à reconnaître.
Les quatre filles attendaient avec malaise dans le salon depuis que la maîtresse de maison ; une femme chat rousse, avec les cheveux courts et des boucles emmêlées, avait attrapé les deux anges à part. A la place, elles avaient le plaisir de faire la conversation avec : Sofia. Enfin, Sofia et une petite fille qui ne devait pas avoir plus de 3 ans, copie conforme de sa mère qui leur feulait dessus.
– Elle n’est pas habituée aux étrangers, il ne faut pas lui en vouloir ! rit la loup garou.
– Et toi alors ? Tu es arrivé quand ?
– Hier ! Je me suis tirée quand j’ai vu qu’ils voulaient rétamer la Résistance : pas mon délire. Mais regardez, elle m’aime bien après quelques efforts pour l’amadouer !
Sofia démontra son art en attrapant la petite par les côtés, la soulevant et la faisant tourner. La petite éclata de rire et agita ses petits bras pour en profiter un maximum.
Ah les gosses... pesta Ariane en son plus for intérieur. Maï Rose avait l’air bien plus motivée qu’elle a converser avec Sofia ou la gamine, après tout, c’était son truc de socialiser avec tout type de personne.
– Comment tu t’appelles ? lui demanda son amie avec une voix enfantine.
– J’parle pas aux inconnus ! feula immédiatement l’enfant.
– Eh oh ! Tu parles mieux ! feula Liz en retour.
– Liz, on n’est pas venu ici pour se battre avec des enfants. reprit Aude en empêchant la plus jeune de se lever du canapé.
La minuscule petite fille avec ses grandes oreilles de chat prenant sur la moitié de son crâne était bien loin de se laisser impressionner. Se tenant bien haute et montrant Maï Rose du doigt :
– T’es une envahisseuse !
– Hein ?
– Fait pas attention, les cheveux et vêtements noirs, elles associent ça aux miliciens. Mais regarde Laïa, elle a les yeux gris et pas jaunes, ce n’est pas une méchante.
Laïa se rapprocha du groupe pour examiner de plus près.
– C’est pas jaune. Les yeux jaunes guident aux feux !
– C’est aux flammes, Laïa.
La grande femme rousse était revenue, prenant soigneusement la petite fille dans ses bras avant de s’asseoir dans le canapé en face du groupe et à côté de Sofia. Cette dernière s’empressant de disparaître dans la cuisine.
– Donc vous êtes des lumines ?
– Des lumines ? répéta Maï Rose sans comprendre.
– Des êtres sans magie. énonça Ariane. Oui.
– On a déjà assez de problèmes comme ça. Mais, vos deux camarades acceptent de participer à l’assaut du château si nous vous prenons avec nous. Et on a besoin de monde.
Ariane jeta un coup d’œil vers la porte de la cuisine, d’où les deux anges n’étaient toujours pas ressortis, ils allaient vraiment les laisser quatre jeunes faire la conversation à une mère de famille clairement au-dessus de leurs problèmes ?
– Qui êtes-vous ? demanda timidement Maï Rose qui voulait combler les silences.
– Je m’appelle Kaï Len... Et voici ma petite Laïa... J’habite ici depuis que je suis née...
– Moi aussi ! s’exclama la petite en tendant ses petites mains vers les oreilles de sa mère pour les attraper.
– Pourquoi... C’est si important que ceux du château ne soient plus là ?
Ariane sentait l'embarras la gagner, elle n’avait rien à faire ici, et pourtant Mike et Eleo ne voulaient pas sortir. Tant qu’ils ne partaient pas, Maï Rose allait continuer de poser des questions intrusives que cette femme ne voulait sûrement pas entendre.
– Lorsqu’un enfant est né, il était baigné dans une multitude de fleurs pour lui souhaiter une belle vie. Maintenant, on n’a plus que deux types de fleurs et les envahisseurs ont coupé les communications entre nous. Ils ont monopolisé notre système ferroviaire pour leur guerre. Ont arraché des parents à leurs enfants pour engrosser leur armée.
Après une brève pause, elle reprit :
– Mes enfants n’ont pas pu naître avec leur bain de fleur... Et je veux me battre pour qu’ils puissent élever les leurs dans la paix.
La femme ferma ses yeux fatigués, portant son enfant contre son cœur.
– Je me rappelle une époque où je déambulais dans les champs de fleurs avec mes frères et sœurs. Rien n’était plus important que d’être celui qui ramènerait le plus de fleurs pour le nouveau-né du village. Maintenant, je n’ai même plus de famille encore en vie.
– Si maman ! Il y a moi ! Et Leï !
– Oui, c’est vrai. murmura Kaï Len en essuyant ses yeux larmoyants. Vous êtes mes trésors...
En cet instant, même Ariane avait du mal à rester impassible à la douleur de la femme. Elle embrassait la tête de sa fille avec une telle délicatesse, coiffant de ses doigts les mêmes boucles rousses qu’elle avait faites hériter à son enfant.
– J’ai peur de me battre. avoua-t-elle. Mais si on ne fait rien, d’autres enfants tomberont dans leurs griffes, que ce soit par l’engagement dans la milice... Ou la mort.
– Je comprends... murmura Aude, empathique. On est désolés de ne pas pouvoir aider.
Ariane devrait se sentir soulagée, de ne pas vivre dans un monde comme celui-ci. Mais au fond d’elle, la jeune fille se demandait si le contexte douloureux de leur pays leur permettait de s’aimer et de se protéger avec tant de ferveur. Peut-être que si la France était en guerre, ses parents l’aimeraient autant que Kaï Len chérissait Laïa. Elle aimerait pouvoir ressentir des émotions aussi fortes que la peur qu’elle avait éprouvé en fuyant du champ de bataille, la colère face à l’inconscience de Maï Rose, la tristesse face à un pays ravagé.
Quand elle retournera sur Terre, elle reviendra à cet état de personne qui ne vit pas tout à fait. Qui reste dans sa routine quotidienne sans émotion qui lui retourne l’estomac par surprise. Un sentiment d’embarras s’empara d’elle et ses joues s’empourprèrent. C’était cruel d’envier un pays en guerre.
– Vous êtes des lumines, si vous nous compliqueriez la tâche plus qu’autre chose.
Eleo et Mike sortirent enfin de la cuisine, déclarant :
– On peut y aller.
Ariane voyait le château se rapprocher de pas en pas. Kaï Len était venue avec eux, ses enfants bien cachés dans un sous-sol, avec pour instruction de s’enfuir si leur mère ne revient pas. Plus ils avançaient, plus ils étaient nombreux, les villageois sortaient de chez eux, armes en main, des jeunes, des vieux et mêmes des enfants sortaient pour former une masse. Le groupe se fondait à l’intérieur, protégé par la colère des habitants. 11h25
– Pour cette histoire de miroir. reprit Ariane lentement. Vous n’aurez qu'à le détruire quand nous seront toutes passées.
Le regard horrifié des 3 autres filles se fit sentir.
– Et condamner toutes les personnes qui n’ont pas été sauvées à rester ici pour toujours ? Tu es cruelle !
– Hum... Je n’y avais pas pensé. murmura Mike. On n’est pas obligés de le détruire en entier, juste assez pour que les camions ne passent plus.
Liz soupira de soulagement. Bien sûr, Ariane avait de la peine pour ceux qui étaient encore prisonniers. Mais ce n’était pas une raison pour condamner un monde entier à être exploité par le leur. L’émeute se rapprochait dangereusement du château, elle apercevait déjà les miliciens armés de fusils devant la grande porte. Ils ne vont pas tirer, pas vrai ? Pourtant, elle les vit brandir leurs armes et les braquer contre la foule, enclenchant les tirs. Prise de peur, Ariane voulut s’arrêter en tirant Maï Rose mais Mike, derrière elle, la pressa pour continuer en lui montrant le ciel.
Les bruits de tirs se heurtaient contre une paroi qui montait jusqu'au-dessus d’eux, protégeant tous les villageois contre les tirs. Avant qu’une explosion ne détonne et balaye tout un pan du château qui commença à s’effondrer sur l’émeute et avant même qu’Ariane ne puisse réagir, les pierres dérivèrent de direction pour aller s’écraser sur les gardes, il y avait trop de choses qui se passaient pour qu’elle ne puisse suivre et soudain, elle comprit où était la brèche. Ariane attrapa le bras de Maï Rose pour la tirer vers le pan écroulé alors que des pierres s'effondraient lourdement contre le bouclier, le fendant en deux et s’écrasant derrière elles. Ariane ne faisait que courir, arrivant dans la cuisine et attendant que les gardes sortent tous à l’extérieur pour se précipiter dans le couloir et chercher un chemin vers l’aile Ouest. D’un coup d’œil derrière elle, elle réalisa que seule Liz l’avait suivie, essoufflée et tentant de tenir le rythme. Ariane avait retenu le chemin jusqu’à la première pièce. Si elles s’y rendaient assez vite, elles auraient le temps de faire demi-tour et de vérifier la seconde.
Le chaos se ressentait dans les tremblements du sol, les cris, les tirs. Mais elles ignoraient tout, tout pour se retrouver en face de la pièce qui pourrait les ramener chez elle. Elles atteignirent enfin la porte, mais devant se trouvait une milicienne dont Ariane reconnut le visage immédiatement. Tic… tac…
Nonita les regardait avec des yeux écarquillés, son Lacies SR2 serré contre sa poitrine. Ariane ne pensait pas la croiser, après tout, se faire tirer dans le bras par Maï Rose avait dû la refroidir par rapport à l’armée. Mais c’était bien elle qui se trouvait en face du petit groupe. Sa meilleure amie avait perdu toutes ses couleurs.
– Qu’est-ce que vous faites... là ? Vous faites partie des Résistants ?
Son ton était hésitant, elle avait tout perdue de son enthousiasme qui rivalisait avec celui de Maï Rose, cette dernière suppliant :
– Non, on veut juste rentrer chez nous, laisse-nous passer, s’il te plait !
– Ici ? Mais il n’y a rien, c’est qu’une salle sans importance !
Sa voix tremblait, et Ariane pouvait apercevoir aux coins de ses yeux des larmes. Nonita savait l’importance de la salle derrière elle : Elles avaient trouvé.
– S’il te plaît, on veut juste utiliser le portail, et on n’apparaîtra plus jamais dans ta vie.
Maï Rose s’approche de la jeune milicienne armée et Ariane sentit son cœur s’arrêter. Sa meilleure amie prit la main libre de Nonita :
– S’il te plait, tu peux venir avec nous, si tu veux...
– Je... Je ne peux pas, je suis désolée... Mais...
Nonita posa la main sur la porte, et celle-ci émit des sons mécaniques avant de s’entrouvrir.
– Je... Je ne vous ai pas aidé.
La jeune fille s’éloigna du groupe, son arme toujours en main, et s’échappa dans un couloir. Ariane et Liz restèrent sans voix face à Maï Rose et sa capacité à persuader les autres. Mais elles n’avaient pas le temps de réfléchir, en un instant, les trois filles se glissèrent dans la pièce. La porte se referma dans un fracas qui ne Peut être passé comme inaperçu, Maï Rose s’écria aussitôt :
– Ariane ! Attention !
Une grande figure apparue derrière elles et une lame brillante fendit l’air pour s’abattre sur la porte. Ariane s’élança avec sa propre épée afin de maîtriser la femme qui avait l’air décidé de s’en prendre à elles et les arrêter. D’un geste vif, Ariane fila vers la main de l’adversaire pour la désarmer. Celle-ci répliqua en abattant sa lame sur la sienne, l’envoyant valser sur le côté.
Je suis désarmée ! manqua de crier Ariane, se précipitant sur le côté pour éviter les coups de lame qui s’abattait sur elle. Non, non, non. Plus elle esquivait les coups, plus elle s’éloignait de sa lame gisant au sol, et avant qu’elle puisse échafauder un plan, son dos se heurta contre le mur.
A... A...
– Aidez-moi ! s’exclama Ariane.
Une chaise vint s’éclater sur la tête de la milicienne qui s’évanouit nette sur le sol. Liz se tenant derrière elle, bouillonnante de rage et les poings encore serré sur les pieds de son arme de fortune brisée.
– Merci, réussit à souffler Ariane, épuisée.
– Pas de soucis, elle l’a mérité, elle ne me regardait même pas. marmonna la jeune fille en tâtant le corps de la milicienne de son pied. Elle n’est pas prête de se réveiller après ça.
L’angoisse la saisit au cœur, se retenant de crier :
– Maï Rose ! Où es-
Et sans finir sa phrase, Ariane se retrouva confrontée avec une jeune fille vêtue d’un manteau marron au teint pâle, aux cheveux blonds ternes et aux yeux bleus fatigués, surmontés de cernes de plusieurs jours d’inquiétude. A ses côtés se trouvait une jeune fille aux joues rebondies, aux yeux violets curieux et un manteau similaire. Puis enfin, tout devant, une fille aux cheveux noirs, courts, avec les yeux gris inquiets et un sourire à peine discernable.
Le miroir.
Du sol au plafond, le miroir impeccable et propre devait faire plus de 10m de haut sur 20m de large. Si immense qu’il reflétât l’entièreté de la pièce ainsi que tous ses occupants.
– On l’a trouvé ! s’émerveilla Maï Rose en posant ses mains délicates sur le miroir froid.
Ses yeux gris étaient fixés dans ceux de sa réflexion, fatigués mais remplis d’espoir. Maï Rose se tourna soudain vers ses deux camarades, le visage crispé de peur.
– Il n’y a plus personne pour nous ouvrir le portail...