Chapitre 25 - L’aparté du phénix

Dans la citadelle de Garnel Asage, 

retour au moment de la mort de Manon. 

Je ne comprends pas pourquoi mais je vole. Je me sens enfin libre. Je ne le sais pas encore mais je suis morte. On m'appelle au loin. C'est une voix qui me paraît tellement familière et qui m'est pourtant inconnu. Une partie de moi à envie de saisir la main qu'on me tend mais je suis aussi irrésistiblement attiré par le haut. 

Ça y est, je pense comprendre. Je viens de tirer ma révérence. J'ai peut-être abandonné trop vite. Ai-je été lâche ? Je devrais attraper les bras que la voix me tend derrière moi. Elle est grave et rassurante. Elle résonne en moi comme jamais. Je pourrais retrouver ma sœur et en même temps je sais déjà ce qu'il m'attend en bas. Je pourrais revenir à moi ou du moins essayer mais je vole. Quelque chose d'autre m'attire vers le haut. 

Je suis tellement sereine à l'idée de l'affronter. Je dois être la seule à les voir mais des milliers de cheveux semblent sortir du plafond. Ils sont longs et sauvages telle des racines qui sortent du sol. Ces étranges lianes ressemblent à mes cheveux indisciplinés. Toutefois, elles sont beaucoup plus fournies et étendues. Au milieu de cet amas, un visage semble se dessiner. 

Ça y est je n'entends plus la voix derrière moi, je suis désormais seule face à mon destin. Seule face à la mort. Doucement un nez prend forme dans la masse chevelue. Fin et arrondi, il me donne une impression de déjà-vu. Au-dessus de lui, un triangle blanc prend également consistance. Il est pratiquement translucide et laisse apparaître quelques éclats colorés. 

Il m'attire, je voudrais le toucher mais je ne peux pas bouger. Alors je vole juste lentement vers lui. Il me rappelle ma sœur et la pierre de son telsman. Je pourrais m'y perdre à force de le regarder. D'un coup, deux immenses yeux prennent vie sous la chevelure. En amande et pourvu d'un vert profond, ils ressemblent à s'y méprendre aux miens. 

Toutefois, ils sont soulignés par de jolies arabesques bleus. Namon est en face de moi. Tel un reflet dans un miroir auquel je semble me heurter, elle est là à m'attendre. Je vois à présent toute sa tête. Le reste de son corps semble perdu dans sa crinière brune. Son visage est plus grand que le miens. Elle me domine, un sourire sage peint sur ses lèvres bleu nuit. 

Je la reconnais, je lui ressemble. Je suis l'un des fruits de sa création. J'ai l'impression d'être une représentation d'elle, comme l'un de ses enfants. J'en suis peut-être un, bien plus que je ne l'imagine. Je n'arrive pas à discerner sa couronne, pourtant des éclats brillants se dissimulent dans sa chevelure. Du jaune, du rouge, de l'orange et du blanc s'irisent dans la lumière de notre aura bleutée. 

J'aimerais pouvoir la toucher ou ne serait-ce que lui parler mais je ne peux pas. Je reste là, bloquée, le regard focalisé sur elle. Elle aussi, elle m’observe. Sa tête se penche d'un côté puis d'un autre comme pour m'examiner. Je devrais peut-être avoir peur mais ce n'est pas le cas. Je sais qu'elle m'attend depuis longtemps et que je dois vivre ce moment. 

Pourquoi ? Ainsi soit-il. 

Nous sommes liées. Là, l'une en face de l'autre nos cheveux s'emmêlent. Nos pointes se tressent ensemble comme si elles faisaient partie des mêmes mèches. Namon ne bouge pas, on se regarde profondément sans rompre le silence. Il y a quelque chose de mystique. Si je ne sentais pas mes entrailles me tirailler, je pourrais perdre la notion du temps. 

Derrière moi, des millions d'âme souffrent. Je sens mon père, je sens ma mère, mon frère et enfin mes sœurs. Cependant, ils ne sont pas seuls. Tous ceux que j'ai connu endurent un moment douloureux mais aussi de total inconnu. Mon peuple m'appelle, je peux sentir le pouvoir de leurs telsmans. Ils me réclament mais je suis déjà partie. Enfin, je crois. 

Ma poitrine me fait mal et d'autres ont l'air de la suivre dans la douleur. Je perçois des feux orange, rouges, jaunes et blancs qui s'éteignent le temps d'un instant. Je ne sais pas réellement à quoi cela correspond mais ça m'attriste profondément. Je sens un équilibre instable. Namon est toujours là face à moi. Elle ne me parle pas mais je l'entends. Sa voix qui est la mienne, s'immisce en moi. 

_ La divine triade a été mise à mal mais il ne peut en être ainsi. Je t'attendais, ma fille. Tu sens toutes ses âmes souffrir ? Elles t'appellent, elles ont besoin de nous. 

Je ne peux lui répondre. C'est un monologue qui se crée au sein de mon esprit. Suis-je encore consciente ? Je ne comprends pas. Namon est-elle là pour m'accueillir ? Je ne sais pas. Elle donne l'impression d'avoir attendue cet instant depuis longtemps. Toutefois, j'ai également le sentiment d'y avoir été préparé. 

Ses mains immenses sortent de sa chevelure, elles m'encadrent doucement le visage. Ce simple geste maternel me rappelle celui de ma mère. Elle me caresse lentement la tempe, comme pour profiter du moment. Je ne sais pas si le temps est suspendu ou s'il file à toute allure. Nous sommes dans une autre dimension, entre la mort et la vie. 

_ Ce n'est pas ton moment !  Ressaisis-toi mon enfant, c'est juste un détour nécessaire. Je t'attendais. Je suis ton destin, le reflet dans ton miroir, la seconde face de ta pièce. Pour devenir qui tu dois être, il te faudra souffrir. Certains s'opposeront à toi, d'autres te soutiendront. Tu es autant le canon d'une arme que la tempe innocente sur laquelle on la presse. Tu devras te montrer forte quand ils te voudront faible mais fragile quand ils chercheront ta puissance. C'est ainsi et seulement ainsi que tu vaincras le maléfique Garnel Asage et tous ceux qui ont voulu ta perte. Il te faudra patienter pour cela mais il viendra un jour où tu les balayeras tous. Sois patiente. 

Je ne saisis pas ses paroles énigmatiques. J'aimerais être en paix mais je sens un tourbillon venir à moi. Mes pouvoirs s'accrues, je ressens la présence de tous les habitants de la citadelle. Je sens les miliciens, je perçois aussi ceux que j'ai tué. Derrière moi on s'agite, j'entends Andrzev et ses acolytes. Une autre âme égarée m'appelle. Un physés, malade et torturé. Je ne sais qui c'est, je ne le connais pas et je ne l'ai jamais vu. Pourtant il est là, lui aussi, dans cette prison de pierre, prise au piège comme Andzrev, comme moi.   

Solenne semble mourir de tristesse dans sa cellule. Je la ressens au plus profond de moi, comme si j'étais en elle. J'aimerais la calmer, la réconforter mais je ne peux pas. Plus maintenant. J'ai l'impression d'assister à mes funérailles alors que je doute qu'on me fera l'honneur d'un sacrement. C'est un appel à l'aide ou une mise en garde, je ne sais pas trop. Je perçois aussi la puissance de mon père. 

Il est sonné mais je lui ai redonné vie. Moi qui n'ai jamais voulu lui succéder, je lui transmets un peu de souffle. Cette vision m'apaise au plus haut point. Je me perds dans mes pensées alors que la Déesse me scrute toujours, les mains posées sur moi. Soudainement, elle colle son front au miens. J'ai l'impression d'être bénit et de recevoir un peu de son savoir, de son pouvoir à travers la Sélénite qui nous sépare. Est-ce une illusion ou une réelle transmission ? Je le ne sais pas. Pas encore. 

Je pourrais sentir la chaleur de son souffle si elle respirait. Cependant, moi non plus je n'expire plus d'air. Je flotte juste dans nos cheveux entrelacés. L'air c'est pour les vivants, moi je suis bloquée au-dessus de mon existence entre Namon qui me retient et mon corps qui m'appelle en bas. Cependant, le contact froid de la Sélénite apposée sur mon front me donne l'impression de revivre un peu. 

Son nez se pose sur son exacte reproduction qu'est le miens. Elle pourrait m'embrasser, mais elle ne le fait pas. Elle communique avec moi par la pensée. Nos esprits ont fusionné. Je sais que ce n'est pas mon moment. Des choses difficiles m'attendent en bas et tant que je ne les aurais pas vécus, je ne retrouverais pas la Déesse. La mère fondatrice, ma mère. 

_ Ce n'est pas le moment, laisse passer l'instant. Gardienne des nouveaux enfants, tu dois te plier pour relever ton peuple. Laisse venir la vague, ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment. Aie confiance en ceux qui croisent ton chemin. Bientôt tu en sauras plus sur l'erreur que tu dois réparer. Fais d'Andzrev ton alié. Ecoutes moi et pars, ce n'est pas le moment !    

La Déesse se détache peu à peu de moi. Maintenant je revois son sourire confiant. Le bout de mes doigts me pique comme si je ressors d'une longue léthargie. Je commence à bouger mes mains et je provoque de petites nuées bleutées au tour de moi. Namon les regarde et me répond par un sourire encore plus franc. Une de ses mains ressort de sa chevelure pour me pointer du doigts. Doucement il s'approche de moi pour me frapper en plein cœur. 

Je tombe, je tombe, je tombe ! 

J'ai l'impression de dévaler sur des kilomètres puis j'heurte le sol. Mes mains et mes pieds me font mal, ils fourmillent à leur tour. J'ai la sensation de manquer d'air et ma cage thoracique se soulève comme jamais. On crie autour de moi, on me bouscule. Je suis de nouveau dans mon corps, dans cette pièce où j'ai connu la mort. On me parle et je ne peux répondre qu'une seule chose. 

_ Ce n'est pas le moment, ce n'est pas le moment. 

Ce soir j'ai affronté la mort et rencontré ma créatrice. Je ne sais pas ce qu'elle a prévu pour moi mais un long chemin m’attend. Aujourd'hui, l'un de mes verrous mentaux à céder et l'apparition d’une mèche bleue dans mes cheveux en est l'unique preuve. Je prendrais le temps qu'il faut pour libérer tout mon pouvoir. Je protégerais mon peuple avec la vague de mon aura. Ce n'était pas mon moment mais à cet instant j'ai compris que je le ferais regretter à tous ceux qui m'ont fait du mal. Que ma tempête s'abatte sur vous !