Dans la grotte de la résistance.
_Et bien… si je m’attendais à ça, déclara Tomàs juste après que Vikthor est fait ses aux revoirs à sa sœur.
Tout le monde lui rendit un sourire. Il avait raison, tout le monde s’inquiétait de tout il y a encore une heure, mais à présent un certain espoir venait les soulager. Oui leurs amis étaient prisonniers, oui ils étaient à la merci d’âmes insensibles et sournoises, mais ils étaient encore vivants. Depuis le temps qu’ils attendaient des nouvelles, chacun se réjouissait d’avoir entendu la voix d’un proche. Si tous savaient que les heures et les jours à venir allaient être bien sombre, ils voulaient aussi profitaient de ces courts instants de joie. Personne ne prit réellement la parole, chacun se serrait dans les bras. Ils chuchotaient des mots d’espoir, répétaient les nouvelles entendues et partageaient ainsi la bonne humeur. S’ils avaient pris connaissance de lourds secrets, ce n’étaient pas ce qu’ils voulaient retenir de cet échange.
_Il semblerait que Manon vous porte particulièrement dans son cœur, déclara Hestia à l’attention d’un Andzrev laissé à l’écart sur sa chaise.
_Je l’espère du moins, lui répondit-il timidement.
Il n’avait pas besoin de lire dans ses pensées pour savoir de quoi elle voulait lui parler. Elle l’avait lu et il ne lui avait rien caché de ce dont il savait sur son l’histoire de son mari. Hestia en avait été tellement bouleversée qu’elle en était presque tombée évanouie à ses pieds. Si parler avec ses enfants lui avait redonné du baume au cœur, il était conscient qu’elle avait beaucoup de choses à digérer.
_Andzrev… souffla Hestia en posant sa main sur sa cuisse avant de reprendre la parole avec plus de détermination. Je tenais à m’excuser pour mon comportement de tout à l’heure. Je comprends pourquoi vous avez aidé à enlever mes filles… Oh je ne croyais pas pouvoir dire ça un jour !
_Cela m’a coûté, soyez-en certaine.
_Je vous crois. Vous l’avez fait parce que vous aviez connaissance de leur destin, de ce qu’elles devaient faire, reprit-elle en plantant son regard d’émeraude dans le sien.
_J’ai lu en vous le secret que vous portiez, oui, admit le télépathe. Et j’ai assemblé les pièces du puzzle avec ce que je savais déjà. Namon les a mis à l’épreuve de la plus cruelle des façons, mais nous serons là pour les aider.
_Oui… beaucoup de monde sera là pour les aider, surenchérit Hestia. Je voulais également vous remercier pour m’avoir montré la vérité sur Paskhal.
_Vous savez… une histoire a toujours deux versions. Oui, il vous a menti depuis le début. Pour ses frères, pour le meurtre de son père, mais…
_S’il ne l’avait pas fait, ils m’auraient tué. Garnel ou Loris, n’est-ce pas ? le coupa Hestia.
_Oui… acquiesça-t-il d’une voix timide avant qu’Hestia ne le laisse de nouveau seul à l’écart.
Grand solitaire, ce n’était pas pour lui déplaire après un voyage en toute proximité avec Flopin. Au contraire, il laissa passer son regard de résistant en résistant, sur des binômes dépareillés ou bien assortis, des amis de longues date ou de nouvelles connaissances. Il les observa silencieusement et se sentit à sa place pour la première fois. Il voyait en eux un nouveau départ. La route ne serait pas facile, loin de là, mais il n’avait jamais été aussi bien entouré. Il se réjouit de voir Sophya préparer son plan d’attaque entouré de Yeghes inoffensifs, d’Oripeaux originaux, et de mères de famille. Tous prêts pourtant à livrer bataille.
_La tempête de sable est vraiment une bonne idée. Nous n’aurons pas besoin de puiser trop dans nos forces pour la maintenir pendant plusieurs jours, déclara Sophya sure d’elle.
_Le don de commander le vent n’est pas rare, vous pourrez vous relayer ou vous soutenir si besoin, acquiesça l’ancien Élu.
_Vous allez choisir des endroits précis ? les questionna Marie intéressée par le plan de bataille.
_Je propose plutôt qu’on lève ensemble une tempête qui partira non loin d’ici et qui soulèvera le sable à des kilomètres à la ronde, répondit Sophya en dessinant un plan au sol à l’aide de la pointe d’une de ses flèches. Ainsi, on rendrait difficile toute traversée du désert. Nous pouvons largement couvrir une bonne partie de la région, affirma-t-elle.
_Que peut-on faire pour vous aider dans ce cas ? s’enquit Flopin en s’approchant du plan récemment gravé dans le sable.
_Eh bien, nous aurions bien besoin de repérage. Nous devons savoir où et quand attaquer pendant cette tempête.
_Très bien jeune fille, vous pouvez compter sur moi.
Andzrev vit alors chacun se proposer à un poste, sans tergiverser. Un léger sourire se dessina sur ses traits ridés, cette image le touchait. Il aurait tant voulu la partager avec sa cousine. Il captura ce moment pour le lui partager à son retour. Il savait qu’un jour, ils combattraient ensemble. À ses côtés. Il aima voir que chacun avait son rôle à cœur, il se demandait en quoi il allait bien pouvoir les aider.
_Nous devons savoir le nombre d’hommes et où ils seront postés, reprit Sophya.
_Oui, mais ils seraient aussi bons de connaitre où est quelle armée ! Nous adapter entre milicien ou Kalokas, ajouta Flopin.
_Oui, d’ailleurs. Pouvez-vous nous détailler leur pouvoir ? demanda Bénédit à l’intention d’Hestia.
_Oui… euh. Mon frère a le don de changer les humeurs de tous ceux qu’il touche. Endza a des bras élastiques, mon père a un don de superforce et c’est un combattant hors pair, commença Zaven pendant que Sophya prenait des notes.
_Pour le reste, Andzrev devrait pouvoir nous aider ! s’exclama soudainement Flopin en mimant d’un geste théâtral qu’il venait d’avoir une idée. Il pourrait découvrir connaitre la constitution de chaque bataillon en rentrant dans la tête de Paskhal !
À cette suggestion, tout le monde se retourna vers le principal intéressé. Faisant semblant d’arriver à pat feutrer vers lui, Flopin fit mine à Zaven de l’aider à rapprocher le siège où le télépathe était vissé. Une fois Andzrev installé au centre de l’assemblé, Flopin réitéra ses propos.
_Oui, c’est une option, mais je la trouve risquée, objecta-t-il.
_Tu ne veux pas te mouiller, piqua Sophya amère.
_Non ! Je pense que c’est un maitre de l’illusion. Je n’ai jamais réellement réussi à rentrer dans ses pensées… Manon non plus. Nous devrions plutôt nous attaquer à quelqu’un proche de lui qui saura nous informer sans me remarquer, proposa Andzrev non sans pression dans la voix.
_Endza, souffla Marie. Elle semble la proie idéale.
_Oui… d’après ce que je sais, elle est bavarde et dévouée à son père. C’est un esprit assez facile à manier, approuva le télépathe malgré la mine désapprobatrice d’Hestia.
_Envahir son esprit suffira ? s’enquit Zaven.
_Je peux également m’essayer sur ton frère et je pense qu’il faudra aussi sonder des miliciens.
_Et bien… nous avançons ! s’exclama Flopin en se frottant les mains.
_Oui, acquiesça Sophya en détaillant minutieusement la joyeuse bande. Nous paraissons mal à sortie, mais le courage nous sauvera peut-être, ajouta-t-elle avant de les laisser pour diriger les actions.
Tout le monde la suivit sans dire un mot de plus. Les ordres étaient simple, regroupés tous ceux qui pouvaient faire lever le vent pour créer une tempête dans un premier temps. Puis créer de petits groupes d’espion pour infiltrer le désert et rapporter des nouvelles du camp adverse. Le nombre de trois avait été choisi par Bénédit pour ces missions. Il y aurait un Physé qui manierait le sable, et deux personnes qui l’accompagneraient discrètement pour prendre des informations sur les positions adverses et se protéger si besoin. Tout en sachant que c’était évidemment pour les avoir à l’œil, Andzrev fut ravi d’être dans le groupe de Sophya et de Flopin.
_Ce sourire… remarqua le roi des vauriens. Tu as hâte d’être au contact du danger ! Ce voyage t’a changé, mon ami.
_Oh j’ai plutôt très envie de voir comment va tourner ton tête-à-tête avec Sophya. Qui de la lionne ou du tigre va gagner la bataille de mot ! le repris Andzrev dans un rire franc.
_Si vous avez fini tous les deux, les reprit Sophya avec sévérité. Il est temps qu’on y aille.
_Tant de sérieux… chuchota Flopin à l’attention de son ami quand la physée eu le dos tourné.
Le trio mal assorti quitta la grotte alors qu’il faisait nuit noire. Tous drapé de beige, il avait hissé Andzrev sur sa jument qui l’avait accompagnée jusque-là. Sophya avait tenu à ce que le télépathe fasse partie du cortège, mais consciente de son handicap, elle avait également souhaité l’accompagner. Elle savait qu’elle était la Physée la plus douée en camouflage qui serait envoyé sur le terrain. Et si besoin, elle ferait voler Andzrev à l’abri du combat s’il le fallait. Flopin quant à lui n’avait pas laissé d’autre choix que de les suivre. Qu’importe où irait son ami, il l’accompagnerait.
_Il va falloir se montrer silencieux, précisa Sophya en adressant sa remarque à Flopin.
_Oh, mais je le serais. Tu sais, j’ai vécu sous terres pendant de longues années. Je sais me faire discret ! rétorqua-t-il dans de grands gestes.
_Discret ? répéta la Physée d’un ton qui soulignait son irritation. J’en doute, mais je demande qu’à le croire.
_Oh, mais tu peux, oui ! s’offusqua Flopin avant de recevoir un coup de talon dans l’épaule de la part d’Andzrev, qui l’intimait de se taire.
Bien qu’agacée, Sophya laissa apparaitre un léger sourire sur ses traits fermés. Elle le cacha, ne voulant pas encourager le troubadour, mais elle n’était pas aussi antipathique qu’elle le laissait paraitre. Au bout de quinze minutes de marche silencieuse, ils s’arrêtèrent sous les indications de l’adolescente. Toujours, sans rien dire, elle se figea à l’écoute du désert sous l’incompréhension de Flopin.
_Que fait-elle ? chuchota-t-il à Andzrev perché sur son cheval.
_Elle attend le signal des autres groupes pour qu’on ne soupçonne pas que la tempête vient de nous.
Flopin ne demanda rien de plus face à la mine sévère de leur meneuse qui se retourna vers eux un doigt levé sur la bouche. C’était bien la première fois qu’on arrivait à le faire taire. Ça, il ne s’en vanterait pas. Heureusement qu’Andzrev serait là pour le lui rappeler en temps voulu. Après quelques minutes, Sophya leur accorda un hochement de tête. Perdu, Flopin questionna du regard son ami qui lui fit un clin d’œil.
_Ils vont commencer, lui expliqua-t-il par télépathie.
Instinctivement, Flopin porta ses mains à son front. Il détestait entendre la voix de son ami dans sa tête. Il connaissait son pouvoir, mais il lui avait toujours demandé d’éviter de l’utiliser sur lui. Il n’aimait pas qu’on puisse connaitre ses petits secrets, bien que le roi des vauriens n’était pas du genre à cacher grand-chose. Sous leurs pieds, le sable fourmilla d’un coup et en petites poignées il se souleva autour d’eux. Puis d’un coup, le vent siffla et toute la vallée sembla disparaitre dans un nuage de sable. Sophya créa une bulle d’air autour d’eux pour les épargner et leur fit mine de la suive. Pas rassuré, Flopin la colla au train. La bulle suivait sa créatrice et se mouvait selon ses gestes.
_Incroyable, se risqua-t-il en touchant la paroi invisible qui le protégeait de la tempête.
Bien qu’elle ne le montra pas, Sophya était contente d’impressionner ses compagnons. Étonnement, avec eux, elle se sentait détendue. Peut-être que le récent échange avec son frère y était pour beaucoup. Elle avait hâte de lui reparler à nouveau. Sans la présence de tout le monde, cette fois.
_Là… il y a un petit groupe pas très loin, murmura Andzrev en pointant une direction entre les tumultes du sable.
_À quelle distance doit-on être pour que tu puisses lire en eux ? l’interrogera Sophya dans son telsman.
_Rapprochons-nous de quelques mètres.
Sans avoir connaissance de leur échange, Flopin les suivit dans le silence. Impatient, il rabattit son attention sur son ami. Bien que ce dernier n’en avait pas conscience, le roi des vauriens le trouvait beau. Discrètement, il détailla son visage toujours triste parsemé par des dizaines de rides. Ces yeux gris ressemblaient à deux éclats de métal qui scintillaient dans la nuit. Souvent humides, ses iris cobalt attendrissaient toujours Flopin. Sans savoir pourquoi, le roi des vauriens s’était pris de passion pour la contemplation de son ami. Il passait son temps à le détailler comme si mémoriser les traits de son visage l’aidait à tuer l’ennui.
_10 miliciens, en repérage commenta soudainement Andzrev par télépathie à l’intention de ses deux compagnons.
Sans répondre, Sophya intensifia la tempête pour déstabiliser le petit groupe caché sous une tente en toile. Puis le télépathe lui fit signe de ne pas insister plus. À ses ordres, elle se figea pour attendre les ordres de télépathe.
_La tempête les a surpris dans leur recherche. Ils ont été envoyés avec d’autres sur nos traces. Ils doivent rendre des comptes au convoi qui arrivera demain.
_Le convoi ? le questionna Sophya par son telsman.
_Paskhal et son armée, Loris et d’autres miliciens et deux ministres, précisa le télépathe à ces deux acolytes.
Toujours peu habitué à communiquer ainsi, Flopin mima quelque chose d’incompréhensible avec ses mains. Pensant encore à une farce Sophya lui fit les gros yeux, le menaçant presque de le taper s’il continuait.
_Parle dans ta tête, je transmettrais tes remarques, intervenue Andrzev conscient de la difficulté pour son ami de ne pas faire entendre sa voix.
_Ont-ils trouvé quelque chose ? se demanda alors Flopin en s’éloignant légèrement de la Physée qui l’intimidait de plus en plus.
_Non et ils n’ont pas de quoi échanger avec les autres groupes. Mais ils sont plusieurs à nous chercher.
_Restons quelque temps avant de reprendre notre chemin, mais ils sembleraient qu’un groupe ait trouvé un campement beaucoup plus grand, expliqua Sophya dans son telsman.
_Beaucoup plus grand ? lui fît répéter Andzrev.
_On me décrit des centaines de tentes, mais presque toutes vides. Pour le moment, précisa-t-elle anxieuse.
Les minutes qui suivirent ne leur apprirent rien de plus. Ils reprirent alors la route à l’affut d’autres bouches à écouter. Ils tombèrent sur deux autres groupes qui ne révélèrent rien de plus. Achot avait raison, la résistance avait la connaissance du terrain. Les miliciens n’étaient pas encore près de les trouver. Pour autant, ils ne pouvaient pas rester cacher indéfiniment. Quand elle jugea avoir eu assez d’informations sur ce qui se passait autour d’eux, Sophya les ramena jusqu’à la grotte. Dehors la tempête courrait toujours. Certains éclaireurs étaient revenus eux aussi, et tous récitaient ce qu’ils avaient vu. On comptait les positions des ennemis, le nombre d’indices récoltés.
_Bien, attendons les autres, mais je pense que nous en saurons plus quand le convoi de la capitale sera arrivé sur place, déclara Bénédit.
_Oui, je repartirais en éclaireur demain avec mon groupe. Nous aurons de nouvelles infos, affirma Sophya en se tournant vers Flopin et Andzrev.
_Oui, nous devons trouver où les combattre, peut être loin de leur campement, acquiesça alors Andzrev.
_Bien, à présent allez-vous reposer, lui ordonna la Physée dans un demi-sourire. Vous avez l’air d’avoir besoin de dormir.
_Oh non, il a toujours cette mine affreuse, se moqua Flopin. Une nuit de sommeil n’y changera rien ! C’est de l’amour qu’il lui faut, ajouta-t-il dans un clin d’œil lourd de sens.
_Bats les pattes ! s’offusqua faussement le télépathe. Personne ne partagera ma couche. Par la Déesse, c’est la dernière chose que je souhaite.
La remarque finit de faire rire Sophya qui se détendit malgré l’annonce d’un futur combat. Elle les quitta elle aussi pour aller se reposer, laissant aux autres souffleurs le soin de remuer le vent dehors. Elle les relayerait demain. Contrairement aux autres soirs, elle mit peu de temps à s’endormir. Elle qui avait l’habitude de dormir la fenêtre ouverte pour admirer les étoiles, ferma les yeux dans la pénombre de la grotte. Elle se rappela aux souvenirs de son frère et leurs amis, Sonfà et Louise. Ses pensées dérivèrent bien loin de sa rébellion, pour la première fois depuis longtemps son cœur semblait s’être apaisé. Les derniers mots de son frère qui résonnaient encore en elle l’avaient aidé dans son deuil et dans son rôle de meneuse.
Je suis fière de toi, se rappela-t-elle endormie.