Le déroulement du défi prenait la forme d'un duel au tir à l'arc. Une flèche chacun. Celle qui atteint la cible la plus lointaine remporte la victoire. Naturellement, avec sa vision d'aigle qu'il vantait tant, Heimdall n'envisageait rien d'autre que la place de vainqueur. Faisant valoir le déséquilibre des forces, Loki demanda que l'épreuve ait lieu à la lumière du jour. Une demande entendue et acceptée dans un élan de pure condescendance.
C'en fut trop pour Sygn, qui ne supportait plus leurs jacassements. Puisqu'elle n'avait pas le droit d'approcher Lokten, elle s'en éloigna ; en fait, elle s'éloigna d'eux tous, à l'exception de Spiegel, qu'elle attira sur ses talons par un sifflement. Personne ne la remarqua et c'était tant mieux.
Dans les profondeurs de la forêt, où se terrait le petit gibier, se terrait aussi un peu de sérénité. Sygn racontait à Spiegel les derniers événements - pas tant dans l'espoir d'obtenir une réponse que dans celui d'y voir un peu plus clair. Le souffle régulier de la jument, mouchetant l'obscurité de petits nuages de vapeur, composait une berceuse réconfortante. Tout en marchant, Sygn plongeait les mains dans sa crinière chaude, un contact dicté par une vieille habitude, une vieille manie dictée elle-même par l'angoisse.
La nuit se reflétait dans les yeux noirs de Spiegel. Ils étaient si grands, si profonds, que s'y peignaient le ciel étoilé et le spectre translucide des lointaines branches d'Yggdrasil. Sygn y décela aussi son propre reflet et il n'avait rien du portrait cruel jeté à la surface du lac. Cette image-là portrait la bienveillance d’une amie, ravivée à chaque battement de ses longs cils. Sygn s'y voyait plus forte. Sa bouche enflée et son œil aux canaux éclatés n'y transparaissaient pas comme des faiblesses ; plutôt comme des preuves : elle avait tenu tête à dieu !
Cela entraînerait des conséquences, fanfaronnait une pensée sombre. Mieux valait peut-être partir maintenant, avant d'attraper d'autres blessures. Partir était la solution tentante, et après ? Partir pour aller où ? Aucun pays ne serait assez lointain, assez caché pour se dissimuler aux fantômes de Lopten.
Une ombre vint obscurcir sa contemplation. Avec précaution, Sygn glissa la main glissa dans la besace qui n'avait pas quitté son épaule et fit volte-face, une lame argentée pointée sur celui qui était venu l'épier.
« Par l'œil du Borgne, baissez ça ! s'écria Loki.
— Je ne vous fais pas confiance !
— Comme tout le monde, sembla-t-il regretter avec un haussement d'épaules confus.
— Et vous êtes ici ! s'emporta-t-elle. Qui veille sur Lokten tant que vous êtes ici ?
— Ils ne savent même pas que je suis parti. »
Et pour appuyer son affirmation il se dédoubla. Rien ne différenciait la copie de l'original. D'ailleurs, dans les cabrioles de l'un et de l'autre, Sygn s'y perdit jusqu'au moment où les deux n'en reformèrent qu'un seul.
« Pourquoi me suivez-vous ?
— Pourquoi être partie ? Rétorqua-t-il.
— Vous n'avez pas besoin de moi.
— Moi, non. Mais lui, si.
— Et comment pourrai-je lui être du moindre secours avec ce défi idiot que vous avez accepté de relever ? Heimdall vous a provoqué sur son propre terrain, vous n'avez aucune chance de le vaincre !
— Et d'où tenez-vous une conviction aussi pessimiste ?
— Sa vue, bien sûr ! Heimdall voit-au-delà !
— Je vous en prie, Heimdall n'a pas meilleure vue qu'un vieillard avec une cataracte ! Je pourrais gagner les yeux fermés.
— Je vous conseille de les garder ouverts ! Les gens ont raison. Ceux qui écrivent et ceux qui parlent de vous.
— Et que savez-vous de ce que disent les gens ? En connaissez-vous beaucoup ?
— Il y a toujours une mauvaise surprise avec vous, tôt ou tard. C'est ce que disait Torunn, c'est ce que disaient tous ses contes. C'est bien le seul point sur lequel s'accordaient mes parents.
—Vous savez ce que l'on dit de moi aussi ? Que je suis plein de ressources, et plein de surprises.
— Surprenez-moi en tenant parole, dans ce cas.
— Ne soyez pas si caustique, pria Loki en bondissant comme un cabri. La tête de Lokten est toujours sur ses épaules, non ? Et c'est là l'œuvre de mes sages paroles !
Sygn posa un regard quelque peu perplexe sur lui. En dépit de ce qu'il se disait à son sujet, il était le premier à se soucier de son opinion, ce qui le différenciait indubitablement.
« Que va–t-il se passer ? Qu'est-ce qu'on fait ?
— Oh ? On ! Parce que vous faîtes partie de l'histoire maintenant !
— Dans l'éventualité où vous remporteriez le défi, mon frère sera trop furieux pour laisser Lokten lui échapper. Et Heimdall, trop orgueilleux. Torunn disait que...
— Vous ne voulez pas avoir à l'affronter, votre frère. Sous peine de vous retrouver seule après tout cela, parce que vous n'avez jamais envisagé autre chose que de marcher dans son sillage. Vous êtes aussi liée à lui que ne l'est son ombre et qu'est-ce qu'une ombre, sans celui qui la projette ? C'est un fantôme, une parcelle de néant errante et dénuée de but. J'ai connu les doutes qui vous traversent en ce moment-même, il y a longtemps. Ils sont terrifiants mais vous verrez. Vous les surpasserez. Laissez-les vous traverser. »
Pour Sygn, il était plaisant de le croire. De se laisser séduire par ses promesses. Il était plaisant de penser que quelqu'un avait déjà surpassé ce qu'elle affrontait. De ne pas être condamnée à la solitude. Malgré tout, elle refusa, en cet instant, d'implorer aide ou explication. Elle refusait de s'écraser sous la haute silhouette du dieu malicieux. L'idée de lui paraître impressionnable, quand bien même elle l'était, la repoussait. Heureusement, elle put compter sur le soutien de Spiegel, qui frappait le sol de son sabot nerveux et qui soufflait bruyamment pour dissuader celui qui peinait sa maîtresse d'approcher. Loki battit en retraite - à raison d'un pas, par simple précaution.
« Vous m'avez demandé de vous conduire à Vanaheim et je n'envisage pas de me dérober. Nos chemins convergent, Dame Sygn. Faîtes-moi confiance. Essayez, au moins.
— Fort bien, mais de cela, je veux une garantie. »
Loki, mains dans le dos, contorsionna toute sa carcasse pour observer sous toutes les coutures la main que Sygn lui tendait.
« Que demandez-vous comme assurance ?
—Votre parole.
—Hm, fit-il en toquant la langue contre son palais. Ce genre de pacte… cela ne va pas marcher. Désolé.
— Je ne cherche pas à faire de pacte. Je demande votre parole.
— Par le passé, on m'a enchaîné, on m'a enfermé, on m'a torturé pour s'assurer de ma soumission. On m'a brisé comme on brise la volonté d'un animal sauvage avant de le dresser. On m'a aussi brisé comme on brise la coquille d'une noix. On m'a abandonné dans des cavernes, en proie aux serpents, à la faim et à la soif. A la morsure du gel ou à la brûlure du soleil. On m'a maintenu la tête dans l'eau, jusqu'aux limites de la noyade. Ceux que j'ai rencontré avaient des moyens bien plus fermes que les vôtres et pourtant, rares sont les occurrences où ils ont obtenu gain de cause.
— Votre soumission ? Même si j’avais les moyens de l’obtenir, je n'aurais pas l'idée d'en exiger tant. Votre parole, me suffira. »
Paré de son élégance habituelle, Loki emprunta la main froide de Sygn - qui ne se déroba pas - et la frôla de ses lèvres, avant de la relâcher doucement. Il se plut à deviner un soupçon de gêne sur ses joues rosées.
« Vous ne regretterez pas, Dame Sygn, la remercia-t-il.
— Sygn, cela suffira, Seigneur Loki.
— Loki, sera tout aussi suffisant. »
Sygn demeura en suspens quelques secondes. Un cap venait d'être franchi. Une alliance, un marché, elle ignorait encore le mot à apposer.
« Assurez-moi qu'aucun mal ne sera fait à mon frère, s'il vous plaît.
— Seule sa fierté risque d'être ébréchée.
— Il s'en remettra. »
Sur ces mots, leurs chemins se séparèrent. Loki s'en retourna vers les Jardins et Sygn profita de la nuit pour chasser sur le territoire des chouettes et des hiboux. A l'écart de tous, elle sommeilla quelques heures, bien au chaud entre le flanc et la crinière épaisse de Spiegel.
Nul ne s'émut de son retour. La lumière du soleil effleurait l'horizon sans que l'astre, lui, ne se montre encore. Sygn déposa ses prises au sol, les dépeça, les pluma avant de les mettre au-dessus des flammes en prenant bien soin à ne pas lever les yeux, à ne pas risquer de croiser ceux de Siegfried.
En dépit des estomacs vides et de l'appétissante odeur fumée des lapins et des perdrix, nul ne se pencha pour la humer, nul ne s'approcha du foyer. Assise, genoux relevés contre la poitrine, Sygn tendait les mains vers les flammes orangées qui léchaient la viande, tandis que Siegfried, Lazare, Heimdall et Loki se disputaient le plus gros morceau de viande.
Sygn coula un regard discret vers Lokten, assoupi un peu plus loin. Le cuir du bâillon déchirait sa bouche. Qu'arriverait-il si elle le libérait là, tout de suite ? Qu'importe s'il redevenait un dragon. Qu'importe s'il lui en voulait. Non. Il était encore trop faible. Marcher, faire le tour du lac n'avait rien de difficile à côté d'une cavale. Il leur fallait des chevaux et un peu de patience.
Les premiers rayons percèrent les nuages violacés. Heimdall prit en main l'arc et se familiarisa avec l’effort nécessaire à la tension de sa corde.
« Avant que nous débutions, Loki, j'aimerais savoir ce que représente ce garçon pour toi. Pour quelle raison, sa survie te préoccupe-t-elle tant ?
Puis, dans une lenteur surnaturelle, il ajouta :
« Serait-ce ton fils ? Pardonne mon indiscrétion, mais je ne te savais pas si passionné par ta descendance. Tu as davantage coutume de la laisser derrière toi, et elle se débrouille infiniment mieux ainsi.
— S'il avait été mon fils, pas une chaîne n'aurait étranglé sa gorge sans que la tienne ne te soit tranchée, claironna joyeusement Loki. Car c'est ainsi que tu mourras, cher Heimdall. Les Nornes l'ont tissé.
— Et pourquoi ne pas accomplir leurs prophéties maintenant ? Ne suis-je pas là, devant toi ?
— Je veux que tu meures aveugle, Heimdall. Et cela ne tardera plus. Ne sens-tu pas ta clairvoyance te filer entre les doigts ? Ne plisses-tu pas longuement les paupières pour voir ce qui te sautait aux yeux autrefois ? Tu déclines Heimdall. Comme ton Père. Et comme lui, tu mourras seul et vaincu.
—Parle, Loki. Parle. C'est tout ce dont tu es capable. »
La courbe du soleil émergeait, peignant de rose le ciel matinal. L'heure était venue. Du pied, Heimdall traça une ligne sur le sol, derrière laquelle il prit position. Le bras tendu devant lui, le second, tirant sur la corde de toutes ses forces, sa vision décelait un passage entre les arbres, de l'autre côté du lac. Un passage à peine plus gros que le chas d'une aiguille. La plus longue ligne sans obstacle depuis ce point des jardins. Heimdall réajusta plusieurs fois sa posture, sous l'œil concerné de Lazare. Et, au premier soupir d'impatience, il décocha sa flèche.
Elle fendit les airs, survola le lac, frôla les arbres, perça le tissage irrégulier des branches et des herbes sans froisser son empennage. Son sifflement s'atténuait à mesure que son image se rétrécissait. En entamant la seconde moitié de sa courbe, elle ralentit et puis, après avoir longuement longé le sol, elle s'y enfonça doucement. Là où Heimdall l'avait déterminé. A peine oblique, presque parallèle à la terre, elle s'était plantée au pied d'un frêne, dont la présence ne se révélait que par le léger reflet de son écorce.
Saluant son propre exploit, Heimdall abaissa l'arc et le tendit à Loki. Selon son étude des environs, il n'existait aucun point plus éloigné et accessible. Tout au plus, Loki pouvait-il l'égaler mais cela paraissait hautement improbable.
Loki observa l'arc sans grand intérêt avant de s'en emparer et de l'armer d'une flèche qu'il avait lui-même taillé.
« Un instant ! intervint Heimdall. Comment savoir qu'elle n'est pas truquée ?
— Truquée ? Quel outrage de supposer que je triche !»
Heimdall la lui prit des mains, la soupesa avec précaution mais, à sa propre déception, ne ressentit aucune trace de magie et ne remarqua aucune gravure, aucune rune dessinée. Il la prêta ensuite à Lazare qui, hormis une finesse excessive et un poids dangereusement léger, ne nota rien de particulier. La flèche avait une facture correcte quoique grossière. Ainsi, fut-elle rendue à Loki.
« Puis-je tirer dans la direction de mon choix ?
— Fais comme bon te semble, s'impatientait Heimdall, pourvu que tu restes derrière cette ligne !
— La flèche qui atteint la cible la plus lointaine remporte le duel, c'est bien ce que nous avions convenu ?
— Tire-la avant que je ne te la plante dans le cou ! »
Loki décocha d'abord son sourire le plus narquois à Heimdall, qui, alors, trahit un doute. Sur quoi, il se décida enfin à armer sa flèche.
A quoi joue-t-il ? se demanda Sygn
La finesse de cette aiguille ne suffira pas, pensa Heimdall.
Elle sera détournée par la plus légère des brises, savait Lazare.
Trop heureux d'avoir sur lui tous les regards, Loki tendit la corde de l'arc. Il ferma un œil, puis l'autre tandis qu'il se choisissait une trajectoire. Sur le point de relâcher la corde, il baissa l'arme et vérifia que son pied ne transgressait pas la ligne réglementaire. Il réarma et, d'un regard jeté par-dessus son épaule, il vérifia que tous l'épiaient.
C'était bien le cas.
Un son aigu, constant, à peine audible, se mit à résonner dans la clairière. C'était le langage secret des bêtes nocturnes et celui-ci éveilla une chauve-souris, pendue la tête en bas à une branche. Répondant à l'appel, elle s'envola. Loki tendit à peine la corde, bien en deçà à son point de tension le plus élevé, et puis, la relâcha.
La flèche pénétra mollement le corps de l'animal, qui couina de mécontentement. Ses battements d'ailes ne s'en trouvaient même pas perturbés. La chauve-souris s'éloignait à toute allure, pareille à un cheval frappé par une cravache. Sa silhouette piaillant se réduisit en une tâche dans le ciel qui bientôt, se dilua et disparut. Il y a fort à parier que jamais, elle ne revint dans les Jardins de la Sorcière.
« Bon, et bien, on dirait que ma flèche est allée plus loin que la tienne, observa Loki, le regard tourné vers le ciel et la main placée en visière.
— Ce n'était pas notre accord !
— La cible la plus lointaine, ce sont tes mots, non ? Je paris que ton arbre est plus près que ma chauve-souris.
— Tu n'es qu'un sale tricheur, vociféra Heimdall. Cela ne compte pas, il n'était pas convenu que...
— Je me trouvais derrière cette ligne, j'ai joué avec une flèche que tu as toi-même vérifié, il n'y a aucune triche, ici. »
Tout ne fut plus qu'éclats de voix retentissants, insultes, menaces diverses, provocations en pagaille et moqueries en tous genres. Sygn en arrivait presque à admirer la répartie constante de Loki, qui à elle seule, maintenait Lokten en vie. Elle crut que les dieux allaient en venir aux mains - ou à leurs magies respectives, lorsque les braises éparpillées autour du foyer s'enflammèrent subitement, interrompant leur dispute. La dangereuse entité qui se contentait de dorer le gibier plus tôt, le dévora d'une bouchée. Siegfried fit un bond en arrière, alors que Lazare eut immédiatement le réflexe d'étouffer les flammes. Il s'activa sous les regards passifs et quand la brume grisâtre se dissipa, quelque chose lui sauta aux yeux. Quelque chose qui le glaça :
« Lokten. »
Toutes les têtes se tournèrent vers lui.
Lokten. Il avait disparu.
« C'est toi qui as fait ça ! Aboya-Heimdall en pointant Loki du doigt.
— Comment veux-tu que je sois responsable de quoi que ce soit ? Je suis là, avec vous, depuis le début !
— A d'autres, Loki ! Où est-il ?
— Je n'en sais rien ! »
Hors de lui, Heimdall traversa les flammes. Sa main, avec la prise d'un étau de métal, se referma sur la gorge de Loki. Ses ongles perçaient la chair du démon qui se débattait comme un poisson arraché à l'eau.
« Tu es pitoyable. Je rendrais service à tous en... »
Il se tut.
Une première étincelle rougeoyante venait de lui éclater au-dessus de la paupière. Il voulut la cueillir sur le bout de ses doigts, quand une deuxième, lui piqua la joue. Puis une troisième sur le nez et encore une autre dans l'œil. Ce fut bientôt tout un essaim qui bourdonna autour de sa tête, harcelant tous ses sens, agressant sans répit de sa multitude de dards. Il s'agitait dans ses oreilles, menaçaient de rentrer dans sa bouche, son nez et ses yeux. Contraint de relâcher Loki, Heimdall beuglait de douleur en se tortillant comme un asticot sur un hameçon.
Et la nuée se dissipa aussi vite qu'elle était apparue.
« Je vais vous faire la peau, à toi et à ta traînée !
Cette fois, Sygn accepta bien volontiers la présence assombrissant de Loki, entre elle et le Protecteur d'Alldrheim. Ses mains vibraient douloureusement, mais cela semblait bien dérisoire en comparaison des yeux de Heimdall, dont le blanc avait pris la teinte sombre du sang. Elle avait fait ça, réalisa-t-elle sans comprendre comment. C'était arrivé. Un mélange d'excitation et de peur grandissait dans sa poitrine. Il ne s'agissait plus d'impolitesse, d'arrogance, d'effronterie. C'était bien pire que cela et pourtant, elle espérait pouvoir recommencer.
« Nous n'avons pas de temps à perdre, intervint Lazare. Il faut vite se mettre à la recherche de Lokten avant qu'il ne gagne trop de distance !
— Papa ! La jument a disparu aussi !
— Il a dû partir avec ! enrageait Heimdall.
— Il est à pied, on a une chance pour le rattraper ! »
Même Heimdall s'exécuta devant l'autorité militaire de son archer. Dans la lumière sanglante du matin, ils s'élancèrent dans la direction supposément empruntée par Lokten. La seule possible, d'après Lazare.
Ce tour sans conclusion laissa Sygn sur sa faim. Cependant, elle supposait fortement que pour en connaître les secrets, il lui suffisait de patienter ou, tout au plus de flatter le magicien. Quelques minutes, suffiraient à ce qu'il trépigne et ne cède à l'appel de la vanité.
En attendant, elle se dépêcha de rassembler ses affaires.
« Prête à partir, remarqua Loki.
Il jeta un œil à la besace, pleine à craquer de pommes d'or.
« Cela devrait largement suffire.
— Alors ?
— Alors quoi ?
— Vous savez très bien. »
Il feignit l'incompréhension mais clairement, il jubilait. Son vrai moment de gloire, c'était maintenant. Et Sygn avait trop besoin de sourire pour ne pas entrer dans son jeu. Loki voulait un public et elle était plus que disposée à lui en offrir un.
« Lokten ? Comment l'avez-vous aidé à s'échapper ?
— Vous voulez vraiment le savoir ?
— Faut-il vous supplier ? »
Il croisa ses longs bras sur son torse chétif et releva la tête dignement, sans que son sourire en coin n'échappe à Sygn. Elle s'étonna de le voir s'éloigner sans un mot. Aussi curieuse qu'il fût prétentieux, elle le suivit jusqu’au pied de l'arbre, autour duquel traînaient les entraves du fugitif. Le regard de Sygn les remonta jusqu'à trouver les poignets qu'elles ceignaient toujours. Un peu groggy, Lokten se tenait là. Tout bêtement. Pas plus subtil qu'un bambin dans sa première partie de cache-cache. De l'autre côté du tronc.
Et plus loin, trahie par le son de sa mastication, se trouvait Spiegel, arrachant aux buissons leurs baies d'hiver. Sygn ignora ce qui la réjouissait le plus, entre les deux. La pulsation de son cœur lui inspira quelque chose de léger, d'heureux.
« Le véritable secret, commença Loki, c'est la simplicité. Faire évader ce garçon, à moitié mort...
— A moitié mort ? Il est à peine assoupi.
— Faire évader ce garçon, à moitié mort, reprit-il, tout ceci sans préparation, sans complice caché, en silence et sous le regard de tous... (sa langue claqua contre son palais) Cela aurait été impossible. Heimdall me connaît, il sait que l'impossible est de mon ressort, naturellement, mais je crains qu'il ne voie plus sublime que je ne le suis réellement.
— Cela doit vous arriver souvent, j'imagine.
— Tout le temps ! admit-il en appréciant la flatterie. Mais ne m'interrompez pas.
— Pardonnez-moi. Continuez, je vous en prie. »
Il fronça ses fins sourcils d'un air soupçonneux.
« Toujours est-il qu'un plan aussi complexe aurait été épuisant à mettre en place, pour un maigre résultat et au vu de mon talent, tout cela aurait un terrible gâchis. Ce dont j'avais besoin, c'est qu'ils croient tous en l'évasion de Lokten. Pas qu'il se soit réellement échappé.
— Je m'attendais à ce que vous utilisiez votre masque, pour être tout à fait honnête avec vous.
— Ne m'interrompez pas, vous ai-je dit ! Allons, bon. Où en étais-je ? Ah oui ! Heimdall a vu rouge et a chargé tout de suite. Quelle perte de temps, de chercher quelque chose qui n'a même pas disparu !
— Il est passé devant lui sans le voir, comprit-Sygn à voix haute.
— J'ai fait apparaître ces liens. Alors qui de mieux placé pour les défaire ? Il ne m'aura suffi que d'un claquement de doigts pour les faire disparaître, et un coup d'œil pour que le bel endormi se déplace discrètement tandis que tous me regardaient. Rien de plus, » se félicita Loki.
Après avoir salué la performance, Sygn s'accroupit auprès de Lokten. Avec un certain automatisme, elle passa une main sur son front et dégagea son visage des mèches qui le voilaient. Sa bouche dégoulinait de bile, mais au moins, la menace Heimdall ne pesait plus sur lui.
« Tu te sens prêt à y aller ? demanda-t-elle doucement.
Lokten hocha mollement la tête en s'habituant à la lumière. Sur le point de se relever, il s'immobilisa comme un chien à l'arrêt.
Lazare se tenait près du foyer de braises.
« Nous partons maintenant, annonça-t-elle avec autorité.
— Je savais que tu partirais un jour, mais pas de cette manière, regretta Lazare en se rapprochant d'eux.
— Les chiens ne font pas des chats. Laisse-nous.
— J'étais pris entre deux feux, comprends-le Sygn. Ta mère est plus fragile qu'elle ne veut bien l'admettre et... Tout s'est passé si vite que.... Je sais que tu cherches un moyen de prouver que tu peux t'émanciper de nous et je ne t'en empêcherais pas mais...
— De nous ?
— Notre famille, dit-t-il en venant poser une main bienveillante sur son épaule.
Quand il distingua la crispation de sa mâchoire, soulignée par la gestuelle de Spiegel dont le poitrail se bombait, Lazare adopta une certaine distance.
« Notre famille ? répéta Sygn. Tu veux parler de Siegfried et toi, prêts à n'importe quoi pour garder maman ? Quand je pense que durant les mois que tu passais hors de la maison, tu... Tu as toujours tout fait pour lui plaire, tu te roulerais dans la boue comme un porc si elle te le demandait !
— Elle m'a quitté, confessa-t-il d'une voix profondément émue. Elle a retrouvé une place parmi les siens. Elle n'a plus besoin de moi.
— Il dit vrai, appuya Loki.
— Oh ! Vous l'avez vue ? Comment va-t-elle ? Vous le savez ! Dîtes-le moi, comment va-t-elle ?
— Les retrouvailles ont été… électriques, concéda Loki.
— Elle t'a quittée ! rappela cruellement Sygn. Elle t’a quittée et malgré tout, tu rappliqueras dès qu'elle te sifflera. »
Ce fut le mot de trop. La main de Lazare s'abattit sur sa joue. La réplique de Spiegel ne souffrit d'aucun délai : elle fonça sur lui et referma sa puissance mâchoire sur ses doigts ; elle aurait pu les déchiqueter si telle avait été la volonté de sa cavalière. Lazare battit en retraite, la main enroulée dans sa chemise pour étouffer la chaleur du sang qui en ruisselait. Sygn braquait sur lui un regard rougi de haine.
« Va-t'en !
— Je suis ton père, tu ne peux pas me renier !
— Je ne veux plus jamais te revoir. »
Et Spiegel qui défend Sygn c'est tout ce qu'il me fallait !!
Franchement je suis obligée de commenter chaque chapitres ils sont tous incroyables !
Vraiment, je suis on ne peut plus sincère quand j'affirme que ton écrit et ton talent sont magnifiques !
Je suis ravie de savoir que ce petit filou de Loki te plaît 😁 Quand il est dans ce mood de sale petit con, c'est un plaisir de l'écrire en tous cas 😁😁😁