Le match est terminé. Pourtant, dans la chambre d’hôtel que nous partageons avec Isaac, les applaudissements de la foule résonnent encore dans ma tête. Après une grande journée remplie de matchs, de stress, d’actions réussis et loupés, nous avons besoin de nous détendre. Un repos bien mérité après avoir gagné tous nos matchs de poule, nous assurant une place pour les jeux de demain.
Je m’effondre sur mon lit, lâchant un soupir de soulagement tandis qu’Isaac trainait dans la salle de bain pour se débarrasser de son maillot de sport trempé de sueur. La douche était la priorité après un grand match, histoire d’enlever toute cette énergie accumulée. À cet instant, je souhaite juste me reposer, mes muscles sont tenus et douloureux, un passage chez le kinésithérapeute sera obligatoire demain. Je ne pense pas à la douleur, mais à la sensation de satisfaction qui me prend après cette victoire bien méritée. Toute l’équipe peut être fier de ce qu’elle a accompli, les fautes étaient bien entendues présentes, mais la cohésion était parfaite, nous n’avons rien lâché et combattu avec acharnement. Elyas a été un véritable soutien pendant ce match, rattrapant les ballons et les actions loupées.
Je prends mon téléphone par automatisme, switchant entre Instagram et TikTok, les deux retenant mon attention pendant de longues minutes. Alors que je le tiens toujours, le son se coupe tandis que l’écran s’allume m’indiquant un appel entrant tout comme La Marche Impériale qui résonne. Je me tâte, j’ai envie de refuser l’appel, mais je me doute qu’il ne va pas arrêter de m’appeler. Voulant m’éviter le dérangement d’une dizaine d’appels alors que je souhaite me reposer.
- Que souhaites-tu David ?, comme toujours lorsque je lui parle, mon ton se fait sec, sans appel. Je n’ai pas besoin d’épiloguer avec lui, le minimum me suffit.
- Parler de tes statistiques, me répond-il sur le même ton.
- Je n’ai pas envie d’en parler avec toi, la discussion est close.
- Mon fils ne fait pas le sport qu’il devrait, je dois au moins m’assurer qu’il devienne pro dans le sous-sport qu’il pratique. Il faut absolument que tu gagnes les prochains matchs, j’ai travaillé si dur pour ça. Je veux que tu te concentres à fond sur ces derniers matchs. Chaque erreur compte et tu pourrais tout gâcher d’un coup.
La pression qui pèse sur moi devient écrasante, la suite est assez floue puisque je ne l’écoute pas. Je réponds des Mmmmh de temps à autre meublant la conversation. Ma patience atteint cependant sa limite lorsque j’entends Isaac ouvrir la porte de la salle de bain. En un regard, il voit que je suis au téléphone et se déplace silencieusement jusqu’à l’autre moitié de la pièce pour ouvrir le mini-bar et se sortir une bouteille d’eau froide.
- Je suis occupé David, je vais raccrocher.
En entendant le prénom de mon père, mon coéquipier lève les yeux intrigués. Je lui fais signe de me lancer une bouteille d’eau, il le comprend rapidement et me fait un lancer parfait. Dès qu’elle atteint ma main, je la vide d’un trait, l’effort intense du match m’a assoiffé.
- Tu sais quel jour on est ? me dit Isaac tandis que je jette la bouteille d’eau à la poubelle.
- Le jour de notre victoire écrasante ?
- Ce n’est pas ça, mais s’il est vrai que nous avons remporté de nombreux matchs aujourd’hui grâce aux efforts et aux compétences d’un passeur extraordinaire, je ne me souviens plus de son nom… Je l’ai sur le bout de la langue…Flûte… Christ…Quelque chose…
- Christenson ? je réponds amusé.
- C’est ça, Isaac Christenson qu’est-ce qu’il était bon aujourd’hui, comme tous les jours d’ailleurs, un vrai trésor pour l’équipe…
- Tu devrais faire attention, il y a un gros truc accroché à toi… Je crois que c’est…
Je me penche sur le côté pour fixer la masse invisible.
- Oui c’est bien ça : ton égo surdimensionné.
- Je n’appelle pas ça un égo surdimensionné, mais connaître sa propre valeur. Tu as vu mes passes parfaites ? Pile comme vous les aimez, la bonne force, au bon endroit, au bon timing. Je suis un dieu vivant, bordel.Le dieu du volley-ball, on devrait m’appeler Godall, non il faut le mot passeur dedans…
- Le dieu vivant, il va arrêter de se la raconter et me dire la réponse de sa devinette ?
- Tu m’as pourri mon groove ! C’est le jour de SNK, un épisode vient de sortir et j’ai mon PC gameur avec moi, on se le mate ?
Il a réussi à me convaincre à la simple mention de L’attaque des Titans, ces épisodes sont précieux et nous les attendons toujours avec impatience.
- Installe ton matos et je prends des chips, je me dirige directement vers le mini-bar, nous allons finir par payer cher nos consommations, mais pour l’instant, n’y pensons pas.
- Des cochonneries alors que nous sommes des athlètes de haut niveau ? Mon cœur mérite mieux.
- Vois ça comme un hommage à Sasha.
- Mmmmh, en plus c’est une forme de pomme de terre. Ok je te l’accorde, c’est parti pour les chips. Ramène-toi, j’ai tout installé ! me dit-il en terminant de connecter son ordinateur portable à la télévision de la chambre.
Notre chambre devient rapidement un repaire amassant un assortiment de chips, de bonbons et de sodas. L’anticipation monte au fur et à mesure que l’on s’installe, prêts à plonger dans l’univers captivant de cet anime.
Les vingt prochaines minutes vont êtes magiques, cette série sait nous tenir en haleine. L’écran de la télévision s’illumine, révélant les derniers instants du dernier épisode et le générique de début. Un silence religieux s’installe entre nous tandis que l’on absorbe chaque détail, oublieux du monde extérieur. Comme toujours, l’épisode est intense, avec la quantité parfaite d’actions et de rebondissements, ce qui nous fait bien trop souvent réagir par des exclamations. La pression monte à son comble alors que l’on s’approche de la fin de l’épisode.
Cependant, mon attention est détournée par la sonnerie de mon téléphone et la musique qui retentit : "Kimi da yo kimi nanda yo egao wo kureta” sans réfléchir à ce que je fais, je me lève et appuie sur la barre espace de l’ordinateur mettant en pause nos destins. J’exagère un peu, mais c’est ce que doit ressentir Isaac à qui j’inflige cette pause. Je décroche sans pour autant m’excuser, encore une fois, je ne fais pas attention au monde qui m’entoure.
- Salut Man-Man, qu’est-ce que tu me racontes de beau
- Rien de spécial, je voulais juste prendre de tes nouvelles après ce match et aussi d’Isaac je sais que vous partagez une chambre. Vous allez bien ? Pas trop de courbatures ? J’ai pris dans ma valise des produits miracles pour ça donc n’hésite pas à me dire et je vous les dépose, aux garçons aussi d’ailleurs.
Je souris suite à son monologue, sa nervosité s’entend à des kilomètres.
- Man-Man…
- Oui ?
- Respire.
Elle prend une profonde inspiration, suivant mon conseil à la lettre.
- Pardon, je suis un peu nerveuse. On se voit demain vu que c’est votre jour de repos ?
- On se voit demain, c’est une évidence.
- Très bien, je vais donc raccrocher.
- Salut Man-Man.
La ligne ne se coupe pas, je n’entends que sa respiration gênée.
- Euh…Salut.
Enfin, la tonalité résonne montrant la fin de l’appel. Je le recule de mon oreille en souriant. Isaac ne perd pas une seconde et semble avoir oublié la peine que lui a causée la mise en pause de l’épisode.
- Alors, comment vous allez appeler vos futurs gosses ? me lance-t-il en haussant les sourcils.
Puis il reprend en prenant une voix plus aiguë :
- Même pour une fille je ne prendrais pas le risque de louper l’intrigue… À l’époque, j’aurais dû préciser et si cette fille est Manon ?