Avachi sur le grand canapé en cuir bordeaux qui ornait son salon vintage, Auguste se sentait mal. Sur le moment il avait joué les durs, pour se convaincre lui même qu’il pouvait le tuer. Mais en vérité, il détestait faire ce genre de choses ; même si il avait l’habitude, la culpabilité venait toujours après coup. Comme c’était dur d’avoir un cœur. Il aurait aimé être un robot, et seulement savoir réfléchir sans s’entraver de sentiments. Enfin bon. Il était obligé de le tuer, de toute façon ; et même si il ne l’était pas, il l’aurait fait quand même, pour prouver à ces gens que personne ne pouvait l’atteindre.
Il n’avait pas encore fouillé le corps, qui gisait à côté de la table en verre tel une photographie morbide. Il n’avait aucune idée de qui était cet homme dont il avait pris la vie mais il paraissait jeune, peut être 18 ans. Ses cheveux étaient clairs, comme ses yeux d’un bleu perçant. Sa mâchoire semblait taillée au couteau, et ses lèvres étaient encore roses. Il était beau, il fallait l’admettre. Mais pas de pitié, ce garçon lui voulait du mal, après tout.
Auguste se leva avec difficulté de son canapé et entreprit de ramasser les débris de café étalés partout sur le sol. Il regretta quelque peu d’avoir tant rempli ce bol, ce n’était pas nécessaire de gâcher tout ce café. En plus, il s’en était renversé sur le jean, et avait dû le remplacer par un pantalon noir taillé. Après tout, cela le rendrait plus crédible pour son rendez-vous qui aurait lieu dans quelques heures seulement.
Il prépara une seconde fois sa boisson et la bu tranquillement, avant de retourner dans sa chambre. Il récupéra son téléphone posé sur sa table de chevet, et appela un de ses employés pour venir se débarrasser du corps. Il arriverait dans 25 minutes, il avait donc le temps. Il lut quelque page de son roman préféré, qui ne l’ennuierait décidément jamais. Quelques pages plus tard, il se décida à commencer son œuvre.
A sa grande surprise, lorsqu’il arriva dans la salle à manger, le jeune homme n’avait pas bougé ; il état toujours allongé au sol dans la même position, face contre terre. Puis Auguste se rappela qu’il était mort.
Il entreprit la recherche, à commencer par les poches de son costard ; un téléphone portable, le dernier iphone. Il le déverrouilla avec face ID. Quelle idiotie, cette sécurité. Il apprit que l’homme était un simple employé d’une boîte ordinaire, qui travaillait comme tueur à gages à ses heures perdues. Il était orphelin, sa mère était morte en accouchant et son père à cause de l’alcool, à ses 5 ans seulement ; le pauvre enfant s’était retrouvé à naviguer de familles en familles.
Quelle vie morose. Auguste n’était pas forcément le mieux placé pour le juger, mais il le fit quand même. Car il n’était pas gentil. Et oui, la vie n’était pas un conte de fées.
Il fut interrompu dans ses pensées par la sonnette, ce qui l’agaça fortement. Il alla ouvrir la porte à son salarié, et lui désigna du doigt la pièce dans laquelle gisait le cadavre en le fixant du regard le plus noir possible. Quel plaisir.
Une heure plus tard, à 11 heures précises, il n’y avait plus aucune trace de la venue de quiconque chez Auguste. Il sortit de sa demeure, sans toucher à ses clés, obstiné à ne jamais verrouiller la porte. Il monta dans la voiture de service que sa propre société lui finançait et démarra. La route était longue jusqu’au lieu de la rencontre, mais il comptait tout de même arriver à midi tapantes, quitte à avoir une amande.
Après 50 minutes de route, il ralentit enfin devant l’immense bâtiment qui l’accueillait. Presque entièrement en verre, on voyait de plus en plus haut des gens qui s’agitaient dans des bureaux chics. Il trouvait qu’ils ressemblaient à des playmobils, inutiles.Auguste resta quelques secondes dans la voiture, son cœur accélérant tout à coup son allure; il détestait rencontrer des gens, parler au gens, voir des gens. Cela le mettait dans des états dans lesquels il n’avait aucune envie de se voir; ses mains moites l’énervait, ainsi que sa respiration sifflante et les remontées acides dans sa gorge sèche. Il ferma les yeux et imagina l’océan. Le doux clapotis des vagues contre les rochers, les odeurs maritimes qu’il appréciait tant. Sa respiration se calma peu à peu, et son cœur ralentit sa course. Il se décida à ouvrir la porte de la voiture.
Il s’avança en direction de la porte, qui s’ouvrit pour laisser sortir une vieille femme. Il détestait ce genre d’entrée automatique de supermarché, elles lui donnaient l’impression que l’humain faisait tout son possible pour ne plus rien avoir à faire, pas même appuyer sur une poignée.
Auguste s’avança lentement devant l’homme à l’accueil. Il lui rappelait vaguement quelqu’un; ses cheveux crépus était grisonnants, et sa peau foncée était ridée par son âge avancé. Il paraissait extrêmement paisible, mais lorsque qu’il leva la tête pour s’adresser à Auguste, il écarquilla les yeux et sembla surpris. Mais il se remit assez vite de cette émotion, et lui fit entendre sa voix:
-Bonjour! Comment puis-je vous aider ?
Auguste était décontenancé par cette voix qu’il fut persuadé d’avoir déjà entendue. Mais c’était sans importance.
-J’ai rendez-vous avec une dame répondant au nom d’Amélia Fox, lui répondit-il enfin.
-Très bien, c’est au troisième étage, première porte à droite de l’ascenseur. Il me semble avoir entendu parler de vous. Personne ne sait pourquoi Madame Fox souhaite s’entretenir avec vous, il y a beaucoup de rumeurs qui courent à votre sujet.
- Et bien je vais en découvrir la véracité car je ne sais pas vraiment moi-même ce qui m’amène à vous parler aujourd’hui, répliqua Auguste.
-Faites attention à vous, Monsieur Leroi, murmura le vieil homme.
Auguste s’éloigna en lui souriant. Cet homme l’inquiétait presque autant que cette entrevue; pourquoi avait-il tant l’impression de le connaître? Pourquoi lui avait-il recommandé de prendre garde? Il secoua vivement la tête et entreprit de monter les escaliers; il détestait les ascenseurs. Il trouva la porte qui l’attendait, inspira le plus d’air qu’il put contenir dans ses poumons, et souffla doucement par les narines. Son cœur essaya de reprendre sa course folle, mais Auguste ne pouvait se permettre de paraître ridicule devant Madame Fox. Alors il laissa une seconde ses pensées divaguer et toqua à la porte, trois coups discrets qu’il regretta instantanément; il aurait dû frapper plus fort, montrer directement qu’il pouvait être respecté. Elle allait probablement croire que c’était un gamin perdu, sans défense. Mais il pensait probablement trop.
-Entrez!
La voix douce qui venait de l’enjoindre à entrer dans la pièce le ramena à la réalité. (chapitre pas terminé)