Chapitre 3 : Un pauvre vaut bien mille riches

Notes de l’auteur : Hum hum...je sais que j'ai mis un peu de temps à poster ce chapitre...mais j'ai vraiment été surbookée ces derniers moments, et ça n'avait pas été possible plus tôt. Enfin, maintenant, ça devrait mieux aller. ^^
Voilà, un chapitre que j'aime bien, mais que j'ai corrigé par rapport à l'original à cause de Montmartre. Je ne veux certainement pas critiquer le quartier, et je rappelle que je ne suis pas Parisienne, et que je m'informe comme je peux. Et que j'aime beaucoup ce quartier, alors me tapez pas si je "déforme" la réalité. ^^(Je ne suis que victime des "on dit")

Chapitre Trois : Un pauvre vaut bien mille riches

 

Xavier regardait la Lune depuis sa fenêtre. Quand il l’observait si longtemps le soir sans retenir un long soupir, cela signifiait qu’il était malheureux. Oui, parce que Xavier, comédien talentueux de son état, n’aimait pas sa vie. Il vivait depuis vingt longues années à Montmartre, un quartier vivant, mais qu’il jugeait trop pauvre à son goût. Lui-même faisait partie du pourcentage de la population dite « pauvre ». Aussi était-ce pour cette raison qu’il n’avait jamais voulu le dévoiler à Ludivine, issue d’une autre classe sociale. Il avait honte. Si honte.

 

Il détourna son regard de la Lune et en balaya la pièce. Une petite chambre vieille et abîmée. Xavier ne vivait pas dans le luxe. Il n’avait même pas le luxe d’habiter dans un immeuble en bon état. Sa mère, avec son seul petit revenu de caissière, pouvait seulement payer le loyer de la bâtisse partant en brioche qui leur servait de toit. Le jeune homme pouvait à peine manger à sa faim, et se privait parfois pour ne pas revenir trop cher à sa famille. Sa mère, pourtant, refusait qu’il manquât de nourriture, quitte à faire quelques sacrifices.

 

- Chéri ? appela doucement Elena, sa mère, en poussant la porte de la pièce.

- Oui ? répondit-il en sortant de ses pensées.

- Je pensais — surtout, ne le prend pas mal mon ange — que nous pourrions peut-être vendre tes livres de mathématiques, non ?

- Pardon ?!

 

Calme. Rester calme. Ne pas l’étrangler. Ne pas hurler. Sa mère n’avait jamais estimé justement sa passion pour les sciences, de même qu’elle ne comprenait pas son goût prononcé pour le théâtre. Pour elle, Xavier était intelligent, et c’était comme un don du Ciel, qu’elle ne jugeait pas utile de « perfectionner » avec des livres d’arithmétique.

 

- Oui, tu comprends, tu ne t’en sers plus, et…

- N’importe quoi ! Je les utilise encore.

 

Xavier s’entraînait souvent avec ses livres, qu’il avait lui-même payés pour ne pas perdre la main. Il voulait aller loin, très loin. Aussi loin que lui permettraient ses neurones. Et pourtant… il s’était échoué sur le rivage d’une modeste école de théâtre.

 

- Voyons Xavier ! Ces livres t’ont coûté une fortune, et ça ne nous ferait pas de mal de les vendre. Surtout qu’ils sont en très bon état.

- Je ne vendrai pas mes livres ! s’emporta le jeune homme. Je les ai payés de ma poche, je m’en sers encore, et ils sont à moi !

- À quoi te servent-ils vraiment ?! Après tout, tu as décidé de faire le malin et de suivre des études dans une stupide école de théâtre ! D’ailleurs, où ça va te mener, hein ? Nulle part !

 

Allez, l’éternel disque de la mère culpabilisée se remettait en marche. Elena n’avait jamais approuvé le fait qu’il devînt comédien. Xavier savait très bien pourquoi.

 

- Et dire que tu aurais pu entrer à l’École Polytechnique !

 

C’en était trop pour lui. Il éclata comme une bombe.

 

- Et avec quel argent, Maman ?! hurla Xavier à pleins poumons. Avec quel argent ?! Vas-y, donne-moi le fric si tu tiens tant à ce que j’y entre !

 

Elle pinça des lèvres. L’argent pour que son fils réalisât de grandes études, elle ne l’avait pas. Mais elle refusait de le reconnaître.

 

- La Bourse de Mérite, ça existe ! riposta-t-elle, pète-sec.

- Elle n’aurait pas été suffisante, tu le sais très bien !

- Et bien, tu n’avais qu’à travailler comme tout le monde !

- Comme tout le monde ?! Et Liz, elle travaille peut-être, elle ?! explosa Xavier, furieux.

 

Liz était sa sœur. Âgée de 21 ans, elle ne faisait rien de ses journées, à part sortir encore et encore dans les rues de la capitale. Elle n’avait aucune qualification, et ignorait à quoi pouvait ressembler un employeur de sa vie.

 

Sa mère ne répondit pas et battit en retraite. Elle quitta la chambre à reculons, frustrée de voir que son fils avait encore eu le dernier mot. Elle savait très bien que Xavier avait exercé une multitude de petits boulots durant ses deux années de préparation au concours d’entrée de l’École Polytechnique. Elle le savait, mais elle était trop fière pour le reconnaître.

 

Pour travailler et gagner l’argent qui lui permettrait de faire des études, il avait préféré suivre sa préparation scientifique au concours de l’X par correspondance. Malheureusement, cela fut inutile, car bien qu’il l’eût réussi, il s’était désisté peu après les résultats : trop de frais, pas assez d’argent. Ses économies lui avaient donc servi à prendre en charge ses frais personnels (téléphone, vêtements…). Pour se consoler de son « échec social », il s’était même offert un ordinateur portable, que sa sœur lui enviait terriblement.

 

Enfin, l’école de théâtre où étudiaient ses deux amis lui avait tendu les bras, et il s’y était réfugié en qualité de boursier (boursier… pour ne pas dire que la Direction l’avait dispensé de frais d’inscription sous l’influence de Benjamin).

 

Tant d’efforts pour si peu. Xavier soupira et se laissa tomber sur son lit. Pour une fois, il aurait aimé être à la place d’Emma. Il lui enviait son argent, et elle lui enviait son talent. Malgré ses tourments, le jeune homme avait pu compter trois lumières dans sa sombre vie, dont deux particulières qui étaient désormais son seul point de repère.

 

D’abord Aline, qui l’avait aidé à surmonter toutes les épreuves auxquelles il avait dû faire face. Elle avait toujours été son épaule, et c’était elle (avec Pierrick, bien évidemment) qui l’avait ramassé à la petite cuillère dans les moments où il avait été excessivement mal. Récemment, sa nouvelle étoile n’était autre que Ludivine en personne. En si peu de temps, elle lui avait inconsciemment redonné assez de forces pour se remettre à 100 % de sa récente dépression nerveuse. Elle lui apportait beaucoup, mais une question le taraudait. Que pouvait-il lui offrir en retour ?

 

Son téléphone vibra et il répondit à contrecœur. C’était Pierrick, fier comme un pape, qui lui annonçait que Ludivine s’intéressait à lui.

 

- Non ?! s’écria le jeune homme, stupéfait.

- Si ! Elle m’a demandé si tu sortais avec Aline, et…

- Avec Aline ?!

- Et comme je lui ai répondu que non, tu ne sortais pas avec elle ; elle m’a demandé si tu sortais avec une fille !

- Jure !

- Je te promets !

- Ah mais c’est… c’est terriblement gé…

- T’emballe pas trop vite vieux ! Quand je lui ai demandé si elle s’intéressait à toi, elle m’a dit que non.

- Non ?! Impossible !

 

Tout en parlant, Xavier réfléchissait. Il avait approximativement neuf chances sur dix de sortir avec Ludivine. C’est Pierrick qui, comme d’habitude, cassa tous ses espoirs.

 

- Et qui te dit qu’elle n’a pas déjà un mec ?

- Merde. J’y avais pas pensé.

 

 

- Hey Aline !

 

L’interpellée termina d’attacher son scooter à un emplacement fait pour cet usage et se releva pour voir qui l'apostrophait. C’était Ludivine, qui fonçait droit sur elle, un petit sachet en plastique à la main. La jeune femme n’eut pas le temps de se pousser, que la blonde la percutait déjà de plein fouet.

 

- Oh ! s’écria-t-elle en s’accrochant à son scooter, alors que son agresseur se cramponnait à elle pour ne pas tomber.

- Oh oh ! répéta son amie, affolée, en voyant le sol se rapprocher dangereusement d’elle.

 

Leurs bons réflexes de comédienne leur permirent d’éviter de s’étaler sur le trottoir. Xavier, accoudé à la fenêtre de sa loge depuis le début de la scène, riait silencieusement devant ce petit spectacle.

 

- Lulu, fais attention la prochaine fois que tu charges quelqu’un ! T’es plus dangereuse qu’un taureau !

- J’ai reçu ma paye ! J’ai reçu ma paye ! s’exclama Ludivine, sans tenir compte des propos de la jeune femme.

- Ta paye ? Tu travailles ?

- Non, non ! Je parle de mon argent de poche pour le mois. Mes parents me l’ont envoyé hier ! Y’a une grosse partie pour m’acheter du congelé (oui, pour manger, tu vois), et l’autre partie, rien que pour moi ! Et je me suis acheté un kilo de bonbons sur le chemin !

 

Elle agita fièrement son sachet rempli à bloc de gourmandises sous le nez d’Aline.

 

- Tu as du réglisse ? s’informa Xavier à voix haute.

 

Les deux comédiennes levèrent le nez, surprises de sa présence.

 

- Oui, j’en ai, répondit Ludivine. Mais je t’en donnerais seulement si tu me dis où t’habites !

- Hum… c’est du chantage ! Je crois que je vais aller voir Mathilde… Tu sais, elle te fait de la concurrence ! Elle a acheté un kilo et demi de bonbons hier.

 

La jeune fille plissa le nez, vexée. Aline, elle, haussa un sourcil en prenant connaissance du chantage.

 

- Les miens sont bien meilleurs.

- Je n’en doute pas. Garde-moi au moins un rouleau de réglisse s’il te plait, Lulu ! Je saurai te récompenser de ta gentillesse ! Tiens ! Bonjour Emma, comment vas-tu aujourd’hui ? Mal ? Oh…j’en suis vraiment navré, très chère !

 

La blonde venait justement d’arriver, emmitouflée dans sa veste issue d’un grand couturier.

 

- Et alors clochard, tu fais la manche ? répondit-elle en levant un œil moqueur vers lui.

 

Ludivine fronça les sourcils, alors qu’elle n’était pas au courant de la pauvreté de l’intéressé. Aline, elle, foudroya sa camarade du regard. Quant à Xavier, irrité par cette sorte de vérité, il saisit la bouteille d’eau à côté de lui, et versa son contenu sur Emma. Elle poussa un long cri aigu et resta pétrifiée (et accessoirement, aspergée).

 

- Ah ! Mon brushing !

- Ah ! Ton brushing ! s’écria le jeune homme, faussement horrifié.

- Putain !

- Putain !

- Arrête !

- Arrête !

- Connard !

 

Il marqua une pause, puis sourit d’un air mauvais.

 

- Connasse !

 

Et il claqua la fenêtre. Alors qu’Aline pouffait silencieusement de rire, Ludivine proposait naïvement un bonbon à Emma pour la consoler. Celle-ci refusa sur un ton agressif, et entra dans l’école d’un pas impérial.

 

- Bah alors Emma, qu’est-ce qui t’es arrivée ? Il pleut dehors ? s’étonna Benjamin en voyant son élève arriver trempée de la tête aux pieds.

- C’est Xavier ! pesta la jeune femme. Il a balancé de l’eau sur ma tête !

- Non ?!

- Si !

- J’en ai marre qu’elle se foute de ma gueule parce que je suis le premier à arriver en cours, si tu vois ce que je veux dire ! riposta ce dernier, qui faisait son apparition dans le petit salon de la Section A, énervé.

 

Benjamin comprit aussitôt ce à quoi son élève faisait allusion. Xavier, ne voulant pas rester une minute de plus à chez lui, se pointait à l’école de théâtre si tôt que l’établissement était encore fermé lorsqu’il arrivait. Déserter Montmartre était pour lui un immense soulagement. Cela lui permettait d’oublier pour une journée entière qu’il était sans-le-sou. Sa propre expression « arriver le premier en cours » sous-entendait sa pauvreté, et son prof était bien le premier à le savoir.

 

- Emma, va te sécher… soupira Benjamin. Et tourne sept fois ta langue avant de parler. J’accepte très mal le genre de remarques que tu fais à Xavier.

- Humpf ! fit cette dernière en tournant les talons pour retourner jusqu’à sa loge.

 

À peine sortait-elle de la pièce, qu’Aline et Ludivine arrivaient.

 

- J’ai des bonbons ! J’ai des bonbons ! s’écria la blonde, en tourbillonnant comme une toupie, son petit sachet à la main. Ouh !

 

Étourdie, elle manqua de tomber, mais Xavier réussit à la remettre droite sur ses pieds.

 

- Oh ! J’ai la tête qui tourne…

- Bien fait, ironisa le jeune homme.

- Seigneur, cette fille est intenable ! soupira Aline, exaspérée par l’attitude de la petite blonde. C’est l’effet d’avoir touché sa « paye » ou autre chose qui la met dans cet état ?

- Je vous montre juste ma bonne humeur ! Fifty Sixty, née en cinquante, sexy soixante…

- Et voilà qu’elle se met à chanter ! Xav’, fait quelque chose !

- Si excitante, s’extasie…Ouuuuh !

- Ça suffit Lulu ! s’écria le comédien en plaquant sa main contre la bouche de l'agitée. En plus, ça dépasse ton innocence ! Reste en dessous du seuil des 18 ans !

 

Pour toute réponse, elle agita son sachet de bonbons.

 

- Humpf ! J’ai des bonbons ! articula-t-elle du mieux qu’elle put.

 

 

Une fois calmée, Ludivine et ses amis se rendirent dans leur salle de répétition habituelle. Ce matin-là, l’improvisation, l’art d’inventer et de jouer sans réfléchir, était de mise.

 

- Deux heures d’impro’, ajouta Benjamin.

- Ouch !

- Je me passerais de tes commentaires, Pierrick. Je disais donc, que je vais vous mettre par deux, et que j’attends une improvisation de cinq minutes…

- Fastoche.

- Pierrick, tais-toi. Cinq minutes, avec trente secondes de préparation.

- Trente secondes de préparation ?! s’étouffa le jeune homme. Benji, c’est tout bonnement impossible !

- Trente secondes, et pas une de plus, répéta le prof, montrant qu’il ne changerait pas d’avis.

 

Ludivine et Xavier se retrouvèrent ensemble, bien que Benjamin eût longtemps hésité à les réunir. Ils furent d’ailleurs les premiers à improviser devant leurs camarades.

 

- Vous avez trente secondes. Top chrono ! annonça alors le prof, montre en main.

- J’ai une idée, s’exclama Ludivine en s’éloignant rapidement avec Xavier dans le coin de la salle.

 

Elle lui chuchota quelques mots à l’oreille auxquels il répondit par des hochements de tête. S’en suivirent d’autres propositions et de nouveaux mouvements de tête.

 

- Stop ! s’écria Benjamin.

 

Xavier prit la main de la jeune fille et ils se dirigèrent ensemble au milieu de la salle de répétition. Après un regard entendu, ils commencèrent à marcher, tout doucement, vers leur public.

 

- Oh un papillon ! s’écria Ludivine, émerveillée.

- Oh un écureuil ! imita le jeune homme, le nez en l’air.

- Oh un lézard !

- Oh un coquelicot !

 

Pierrick pouffa de rire. Il ne pouvait jamais s’en empêcher. Les deux comédiens continuaient à s’extasier dans une forêt imaginaire. Ils avançaient toujours tranquillement. Au bout d’un moment, Xavier partit à gauche, et Ludivine à droite. Leurs mains encore enlacées les empêchèrent de continuer leur route.

 

- Hey Lulu ! Qu’est-ce que tu me fais là ?! On avait dit qu’on irait à gauche !

- C’est pas vrai ! On n’avait rien dit du tout, sauf qu’on irait à droite !

- Arrête ton délire ! s’exclama le jeune homme en tirant sur la main de sa partenaire.

- Mais arrête, toi ! Pourquoi tu ne veux pas qu’on parte à droite ?

- Ton chantier est trop au soleil. Je veux un peu d’ombre.

- Je préfère la lumière. Et mon chemin est tout propre, comparé au tien ! Le tien est boueux !

- Ludivine…

- Xavier…

- On va à gauche.

- On va à droite.

 

Ils eurent beau tirer chacun de leur côté, leurs corps ne voulaient pas suivre. S’en suivit une dispute dans laquelle ils ne se lâchèrent toujours pas la main.

 

- Tu m’énerves !

- Toi aussi !

- Très bien ! Puisque c’est ça, je m’en vais toute seule de mon côté ! Tchao !

 

La jeune fille dégagea sa main de l’emprise de celle du comédien, et tourna les talons vers sa droite. Xavier, les bras ballants, l’observa faire quelques pas. Il décida, en une seconde, de réagir. Cependant, il n’avait pas vraiment réfléchi à ce qu’il allait faire.

 

- Hey ! s’écria-t-il en rattrapant le bras de Ludivine.

 

Il la tira vers lui d’un coup sec et leurs lèvres se retrouvèrent plaquées les unes contre les autres. Elle ouvrit grand les yeux, surprise et choquée. Le temps qu’elle réalise ce qu’il venait de faire, le baiser était déjà terminé.

 

- Et bien, on a qu’à aller tout droit ! fit joyeusement le jeune homme en la prenant par les épaules.

 

Elle ne dit rien, encore trop secouée. Benjamin vint à sa rescousse, et annonça la fin de l’improvisation.

 

- Ça va, c’était pas trop mal.

- C’était pas facile… répliqua Xavier, frustré.

 

Le jeune homme n’écouta pas la réponse de son professeur. Les yeux d’abord rivés sur une Ludivine immobile, il la vit ensuite se ranimer et sortir en courant de la salle.

 

 

- Je comprends qu’elle soit choquée ! Elle ne s’y attendait pas ! commenta Aline, à midi.

- Moi non plus, je ne m’y attendais pas. C’est le but d’une improvisation d’abord ! Mais c’était quand même « une bonne surprise », non ?

- Que pour toi alors !

- Attends, c’était juste un bisou ! Un effleurement !

- Un effleurement un peu inattendu.

- T’es bien décidée à me casser, toi, aujourd’hui !

- Tout à fait. Je suis du côté de Ludivine.

- Je te remercie de ton soutien.

- De rien.

- En tout cas, Xav’, vu qu’elle s’est enfermée dans votre loge, tu ne peux plus accéder à ta bouffe ! se moqua Pierrick.

- Hors de question que je saute mon sandwich ! Je vais forcer l’entrée de la loge, et m’expliquer avec Lulu. Et après, je mange.

 

Il laissa ses amis dans le petit salon de la Section A et se dirigea vers la loge qu’il partageait avec la comédienne. Il essaya d’ouvrir la porte, mais Ludivine s’était enfermée à l’intérieur. Avec le peu de patience qui lui restait, il décida de toquer à la porte.

 

- Lulu, ouvre-moi.

- Non.

- Allez, s’il te plait.

- Non.

- Faut qu’on s’explique.

- J’ai pas envie.

- Tu m’avais dit que j’aurais des bonbons.

- T’en auras pas.

- J’aimerais récupérer mon sandwich.

- Tant pis pour toi.

- Bien. Puisque c’est comme ça, je vais aller m’acheter un Panini au Nutella chez le marchand du coin. À ce qu’il paraît, ils ne font que deux euros.

 

Il fit mine de s’en aller — et se cacha derrière le premier mur venu — avec la certitude d’avoir touché le point faible de Ludivine. La gourmandise. En effet, il entendit le loquet de la porte s’ouvrir doucement. La jeune fille passa la tête par l’entrebâillement, regarda à droite et à gauche et, enfin, jeta un dernier coup d’œil à sa pièce de deux euros. Elle allait quitter l’endroit lorsque Xavier surgit du bout du couloir. En le voyant arriver si vite, elle voulut refermer l’entrée mais il força le passage. Quand il fut à l’intérieur de la loge, il referma la porte à double tour et se tourna vers la comédienne, qui s’était reculée.

 

- Ludivine, qu’est-ce qu’il y a ?! Pourquoi tu me fais la gueule ?!

- Ouvre la porte ! réclama-t-elle, en reculant au fur et à mesure qu’il approchait.

- Non. D’abord, on s’explique.

- Arrête, tu me fais peur…

 

Recroquevillée contre la fenêtre, elle tremblait et était pâle comme un linge. Déconcerté, Xavier resta bras ballants en face d’elle. Ne connaissant pas assez bien Ludivine, il ne pouvait pas s’imaginer qu’il y eut de bonnes raisons de l’effrayer en pareille circonstance.

 

- Mais Lulu, je ne veux pas te faire peur, fit-il doucement. Qu’est-ce que tu crains ?

 

Elle ne répondit pas. Lorsqu’il la prit dans ses bras, elle resta d’abord interdite. Après avoir respiré l’odeur rassurante du jeune homme, elle se détendit et se laissa flotter contre lui. Ils ne sauraient dire combien de temps ils restèrent enlacés. Ils étaient si bien. C’était comme s’ils s’avouaient tout, en silence. Sauf que Xavier ne savait toujours rien.

 

- Tu ne me feras plus jamais peur, hein ? murmura-t-elle finalement.

- Promis, répondit-il sans pour autant comprendre.

- Et la prochaine fois que tu veux m’embrasser, tu me préviens d’abord, hein ?

- Si tu veux… Même pour une improvisation ?

- Même pour une improvisation.

 

Xavier aurait voulu lui poser plus de questions mais il se retint, presque persuadé que Ludivine ne lui en dirait pas plus. Elle avait déjà enterré la hache de guerre, alors il ne valait mieux pas la contrarier.

 

- Tu veux un bonbon ? proposa Ludivine doucement.

 

C’était ça, le signe de réconciliation.

 

 

- Tout est arrangé ! Xavier a mangé son sandwich. Ludivine propose à nouveau des bonbons et entrevoit de s’offrir un Panini au Nutella pour le goûter. Par contre, du côté d’Aline, on n’a rien pu faire. Elle est toujours aussi chiante !

- Bouffon !

 

C’était les dernières nouvelles de Pierrick, qui les claironnait à qui voulait l’entendre, lors de la reprise des cours à 14 h. Il s’agissait de quatre heures d’interprétation programmées. Les cours étaient, une nouvelle fois, encadrés par Benjamin. Il avait commencé à distribuer les scénarios à ses élèves. Dès qu’ils l’eurent entre les mains, ils le lurent avec une pointe d’empressement mêlée à la curiosité.

 

- Oh des maths ! s’exclama Xavier, qui tournait les pages à l’allure d’un TGV.

- Oh non ! geignirent les autres à l’unisson.

- Oh putain, c’est génial !

 

Il était le seul à se réjouir. Il s’arrêta sur le passage qui parlait d’arithmétique, et perdit aussitôt son sourire.

 

- C’est naze ! C’est que des additions ! Et du niveau cours primaire : « Un plus un est égal à » ?

- Deux, répondit Ludivine, qui, pour une fois, répondait juste à une opération.

- C’est ridicule ! s’énerva le jeune homme.

- Quand c’est ridicule, c’est forcément Ionesco, lança philosophiquement Pierrick.

 

La pièce, La Leçon, était pour le moins étrange. Son dramaturge était bien connu comme un auteur phare du théâtre de l’absurde, et n’était autre que Ionesco.

 

- Il n’y a que trois personnages dans cette pièce, expliqua Benjamin. Comme vous êtes dix, je ne peux pas vous mettre par trois. Mais ce n’est pas grave, puisque vous ne jouerez qu’un morceau de l’œuvre. Les filles, vous ferez l’Élève. Les garçons, vous ferez le Prof. Sauf Pierrick, qui jouera la Bonne.

- La Bonne ? s’étouffa l’intéressé.

- Oui…la femme de ménage, quoi.

- Mais… ! Je refuse d’être travesti ! Pourquoi moi d’abord ?! pesta le comédien, rouge de fureur.

 

Néanmoins, il fut obligé d’accepter le rôle qu’on lui proposait. Il dut également faire face aux moqueries de ses camarades, en particulier lorsqu’il enfila une perruque blond platine et un tablier rose. Ludivine avait beau essayer de le réconforter dans son malheur, mais Aline était celle qui riait le plus fort.

 

- Courage ! disait la petite blonde, tout en sachant que ses efforts ne servaient à rien.

- Hey Monsieur Propre, par ici j’ai du linge ! appelait la brune avant de partir dans un nouveau fou rire.

- Je vais me suicider… soupira Marie, la Bonne.

 

Durant ces quatre heures, les élèves jouèrent des petits morceaux de la pièce, avec l’aide de leur scénario (car tout comédien qu’ils fussent, ils ne pouvaient apprendre en dix minutes un texte). Une fois encore, Ludivine et Xavier avaient été mis ensemble, grâce à leur excellent niveau. Assis à une table l’un en face de l’autre, leur script à côté d’eux, le jeune homme apprenait les maths à son Élève.

 

- Bon. Arithmétisons donc un peu.

- Oui, très volontiers, monsieur, fit Ludivine d’une voix enjouée.

- Cela ne vous ennuierait pas de me dire…

- Du tout, monsieur, allez-y.

- Combien font un et un ?

- Un et un font deux.

 

Xavier était émerveillé.

 

- Oh, mais c’est très bien ! Vous me paraissez très avancée dans vos études. Vous aurez facilement votre doctorat total, mademoiselle.

- Je suis bien contente. D’autant plus que c’est vous qui le dites.

- Poussons plus loin : combien font deux et un ?

- Trois.

- Trois et un ?

- Quatre.

- Quatre et un ?

- Cinq.

- Cinq et un ?

- Six.

- Six et un ?

- Sept.

- Sept et un ?

- Huit.

- Sept et un ?

- Huit…bis.

- Très bonne réponse. Sept et un ?

- Huit…ter.

- Parfait. Excellent. Sept et un ?

- Huit quater. Et parfois neuf.

- Magnifique ! Vous êtes magnifique ! Vous êtes exquise. Je vous félicite chaleureusement, mademoiselle. Ce n’est pas la peine de continuer. Pour l’addition, vous êtes magistrale. Voyons la soustraction. Dites-moi seulement, si vous n’êtes pas épuisée, combien font quatre moins trois ?

 

Ludivine fit la moue, embêtée. Son personnage maîtrisait très mal les soustractions.

 

- Quatre moins trois ?… Quatre moins trois ?

- Oui. Je veux dire : retirez trois de quatre.

- Ça fait… sept ?

 

Après plusieurs tentatives, d’exemples et d’explications, elle n’arrivait toujours pas à répondre juste aux questions simples de Xavier. Ce dernier commençait à montrer des signes d’agacement. Ils manquèrent même de se disputer, car Ludivine ne voulait pas admettre que deux moins un revenait à un.

 

- Écoutez-moi, mademoiselle, si vous n’arrivez pas à comprendre profondément ces principes, ces archétypes arithmétiques, vous n’arriverez jamais à faire correctement un travail de polytechnicien. Encore moins ne pourra-t-on vous charger d’un cours à l’École Polytechnique… ni à la maternelle supérieure.

 

Le comédien haussa mentalement un sourcil. Et dire qu’il aurait pu y être, en ce moment, à l’École Polytechnique… Il se rassura en se disant qu’il maîtrisait parfaitement les additions et soustractions, et que c’était bien un minimum à savoir.

 

L’interprétation des deux comédiens s’arrêta juste après l’intervention de Pierrick, qui ne voulait pas que Xavier enseigne la philologie à Ludivine. Marie avait eu beau tempêter, le secouer dans tous les sens, elle n’avait pas eu le dernier mot.

 

- Bien, monsieur, bien, roucoula Pierrick d’une voix aiguë. Mais vous ne direz pas que je ne vous ai pas averti ! La philologie mène au pire !

- Je suis majeur, Marie !

 

Et à son meilleur ami de sortir en roulant des fesses, tout en lançant un « C’est comme vous voudrez ! ». Arrivé à ce point-là, une spectatrice nommée Aline explosa littéralement de rire. Benjamin la fit taire en l’envoyant poursuivre la pièce en duo avec Tristan. Là encore, Pierrick fit une apparition très remarquable, et elle se força de rester dans son rôle et de ne pas se moquer de lui.

 

Au fur et à mesure que la pièce avançait, l’Élève souffrait, le Professeur était aveuglé par une étrange folie et Marie tentait de le persuader de ne pas commettre le pire. Les comédiennes devenaient de plus en plus insolentes, bien que Benjamin dut intervenir plusieurs fois pour corriger leurs défauts d’interprétation.

 

Simon et Claire marquèrent le point final de la pièce. Le Professeur, devenu fou par la leçon, apprenait le mot « couteau » à son Élève. Il tenait fermement un couteau invisible à la main et l’agitait comme un pendule. La comédienne souffrait le martyre. S’en suivirent un meurtre et un viol imaginaire, sous-entendu par un soubresaut sur l’Élève assassinée sur sa chaise.

 

À cet instant précis, Xavier mit ses mains devant les yeux de Ludivine pour ne pas la choquer. De la même façon qu’un meurtre, un viol sur scène, même implicites, étaient rarissimes, et généralement interdits par les lois classiques du théâtre. Il dévoila sa vue lorsque Simon tenta de tuer Marie, qui en savait trop sur ces homicides. Pierrick avait intercepté le coup, et donné deux gifles à son maître.

 

- Petit assassin ! Salaud ! Petit dégoûtant ! s’écria-t-il de sa voix fluette. Vous vouliez me faire ça à moi ? Je ne suis pas une de vos élèves, moi !

 

Convaincue par les mots doux du Professeur, Marie l’aida à enterrer les corps des quarante élèves. La pièce finit lorsqu’un nouvelle Élève invisible sonna à la porte, pour une nouvelle leçon.

 

Il ne restait plus qu’une demi-heure avant la fin des cours, et Benjamin en profita pour critiquer ses élèves. Ceux-ci étaient exténués. Ludivine n’écoutait même pas ce qu’il disait. Elle s’était endormie contre Xavier, et il ne s’en plaignit pas. Elle était beaucoup trop mignonne pour qu’il ose la réveiller. Et à ce moment-là, il se dit qu’il donnerait n’importe quoi pour passer sa vie à la regarder dormir. Seulement, il n’avait rien à donner.

 

 

Le lendemain matin, les élèves de la Section A étaient censés suivre un cours appelé Caméra. Même si aucun d’eux n’était intéressé par le septième art, le Programme les obligeait à apprendre à jouer devant une caméra, écrire un scénario, réaliser un court-métrage, et à pratiquer toutes les autres activités communes à l’art cinématographique.

 

Tous étaient arrivés à l’école, débordant d’énergie après avoir bien dormi toute la nuit (quatorze heures de sommeil pour Ludivine). Comme à son habitude, Xavier avait été le premier à se pointer aux portes de l’établissement, à sept heures précises (alors que les cours ne commençaient qu’à dix heures). Étrangement, Benjamin n’était toujours pas là.

 

- Il va arriver… pensa le jeune homme, en sortant de son sac La Leçon de Ionesco pour l’apprendre.

 

Sans Benjamin, venir plus tôt le matin ne servait à rien. Sans son prof, Xavier s’ennuyait à mourir et n’avait personne à qui parler. En plus, l’accès au quartier général de la Section A était fermé à double tour, et Madame Suzette ne voudrait certainement pas lui ouvrir. Il songea à appeler Ludivine, mais se ressaisit, se doutant qu’elle dormait comme un loir à cette heure-ci.

 

Deux heures plus tard, ses camarades pointèrent leur nez petit à petit. Ils s’étonnèrent aussi de l’absence du professeur, mais pensèrent qu’il serait là pour le cours Caméra. Les comédiens s’assirent sur les petits escaliers menant à leur étage.

 

- Salut tout le monde ! claironna Ludivine, la dernière arrivée.

- Salut ! répondirent en chœur les autres.

- Bah, qu’est-ce que vous faites dans les escaliers ?

- On attend Benji.

- On attend aussi qu’on vienne nous ouvrir.

- Mais il n’est pas là Benjamin ? s’étonna-t-elle.

- Oh, je suis certain qu’il ne va pas tarder, fit alors Grégoire.

 

Malheureusement pour eux, l’heure avançait et leur professeur n’était toujours pas là. Madame Suzette qui passait dans le couloir, une tonne de dossiers dans les bras, manqua de faire une crise cardiaque en découvrant les comédiens boucher l’entrée de la Section A.

 

- Non mais je rêve ! Qu’est-ce que vous faites tous assis dans les escaliers ?!

- On attend Benji…

- Non mais je rêve ! répéta-t-elle, énervée.

 

Puis elle se radoucit, non sans lancer un regard venimeux aux élèves. À cet instant, la Section A ne put s’empêcher de la comparer à un sucre acide.

 

- Benjamin n’est pas là. Vous devriez rentrer chez vous.

- Qu’est-ce qu’il a ? demanda Ludivine, inquiète.

- Ça ne vous regarde pas. Maintenant, fichez le camp au lieu de faire des embouteillages dans les couloirs !

- On ne fait pas des embouteillages dans les couloirs, on en fait seulement dans les escaliers ! protesta Mathilde.

- Ouste ! répliqua hargneusement Madame Suzette.

 

 

Un quart d’heure plus tard, devant l’école de théâtre, les dix élèves n’en revenaient toujours pas.

 

- Je rêve ou elle nous a vraiment foutu à la porte ?! s’exclama Simon, choqué.

- Tu ne rêves pas, répondit Emma, pète-sec. Elle en rêvait… elle l’a fait !

 

Après avoir pesté lourdement contre la standardiste, les comédiens se demandèrent ce qu’ils allaient faire de leur journée libre, et Ludivine retourna à nouveau dans l’établissement pour s’acheter des bonbons.

 

- Et si on allait à Aquaboulevard ? proposa alors Mathilde. Après tout, en semaine et dans la journée, il n’y a pas grand monde. En plus, hors-saison, c’est moins cher !

- C’est une bonne idée, approuva Aline. Nager un peu nous fera le plus grand bien !

 

Aquaboulevard était un parc aquatique réputé de Paris. Rien de mieux pour se relaxer après une semaine de travail stressante et fatigante.

 

- Oh allez, j’ai trop envie d’y aller ! s’exclama Claire, en tirant sur la manche du pull à Pierrick.

- Mais je suis d’accord, moi ! protesta ce dernier.

- Moi aussi, répondirent huit voix en cœur.

 

Seul Xavier n’avait pas donné son avis.

 

- Et toi alors, tu veux venir avec nous à la piscine ? demanda Grégoire.

- Je ne sais pas… J’ai des choses à faire…

- Hey ! D’habitude, tu ne dis jamais non ! fit remarquer Aline.

- Je ne vous ai accompagnés qu’une seule fois, et c’est bien suffisant ! Et puis, sérieusement, tu crois que je vais passer vingt euros là-dedans ?! Tu rêves ! Sais-tu ce que je peux m’offrir avec vingt euros ?! Un mois d’électricité ! Presque deux mois de forfait !

- Ah, j’avais oublié… notre clochard a besoin de s’éclairer et de se chauffer, roucoula Emma.

- Toi, ta gueule.

 

Au même moment, Ludivine sortit de l’école, les mains remplies de petits en-cas sucrés et de sachets de bonbons. Tristan eut tôt fait de l’intercepter.

 

- Hey Lulu ! Tu veux venir à Aquaboulevard avec nous ?

 

Devant le silence et l’air étonné de la jeune fille, il précisa.

 

- À la piscine, si tu préfères. C’est vingt euros l’entrée.

- Vingt euros ?! Pas donné !

- Je croyais que tu avais reçu ta paye ? ironisa Aline.

- Oui, mais…

- Je peux t’offrir l’entrée si tu veux, s’empressa de dire Xavier, oubliant son contre-argument de tantôt.

- Non, non, c’est bon. J’ai les sous, mais je ne peux pas venir…

- Bah pourquoi ?

- Parce que. Je ne peux pas, c’est tout. Je dois écrire le scénario pour Benji et je dois passer chez mon parrain, sinon il va râler…

- Ça peut attendre, tu sais, fit Pierrick. On doit rendre le scénario dans trois semaines.

- Puis je n’ai pas de maillot…

- On peut passer en ville pour t’en acheter un.

- Puis non, je n’ai pas envie d’aller à la piscine en fait, fit la jeune fille, adoptant sa dernière excuse.

- Oh Lulu ! Si tu n’y vas pas, je n’y vais pas non plus ! s’exclama tristement Xavier.

- Si Xavier n’y va pas, je n’y vais pas non plus, continua Aline.

- Si c’est le cas, je préfère rester chez moi ! C’est nul d’aller à la piscine, sans pouvoir embêter le Rhinocéros ! dit Pierrick, les bras croisés.

 

Aline le foudroya du regard. Cet idiot ne perdait vraiment aucune occasion de critiquer ses (légères) formes. Heureusement, aller à la piscine pourrait être un excellent choix pour dissimuler un meurtre. Personne ne se douterait, lorsque le maître-nageur repêcherait le corps de Pierrick, que ce serait elle à l’origine de cette prétendue noyade…

 

- Mais si vous ne venez pas tous les quatre, ça ne sert à rien qu’on y aille, nous aussi ! remarqua Claire, l’air désolée.

- On n’y va pas alors, conclut Tristan, en jetant un regard de cocker à Ludivine.

 

Tout dépendait d’elle. Si elle ne voulait pas avoir sur le dos la privation d’un tel divertissement aux autres comédiens, la jeune fille était obligée d’accepter de venir avec eux.

 

- Qu’est-ce que vous êtes chiants ! pesta-t-elle, furieuse d’être vaincue et de ne pas pouvoir éviter la honte d’aller à la piscine.

 

Ayant oublié les états d’âme de son compte bancaire, Xavier afficha un grand sourire, et glissa son bras autour de ses frêles épaules.

 

- Tu verras, on va bien s’amuser !

- Humpf…

 

 

Les comédiens s’étaient donné rendez-vous à un endroit précis, de sorte que chacun d’entre eux puisse aller chercher ses affaires pour se rendre à Aquaboulevard. Ludivine avait été la dernière arrivée au point de rencontre, et ses amis l’avaient soupçonnée d’avoir traîné en chemin.

 

Xavier n’avait pas bien mis longtemps pour comprendre pourquoi Ludivine ne voulait pas venir avec eux. Sur le moment, il s’était dit qu’il pourrait l’admirer en maillot de bain sans se sentir coupable. Quand il vit qu’elle était restée plus de dix minutes dans sa cabine pour se changer, preuve qu’elle ne voulait pas en sortir, il pensa que son corps était peut-être la raison de cette distance. Et il n’avait pas eu tord. Ludivine était sortie de sa cabine enroulée dans une grande et épaisse serviette de bain, avec la mauvaise humeur pour accessoire.

 

- Je vous déteste… grogna-t-elle en bousculant Tristan et Simon.

- On le sait, ça fait vingt fois que tu nous le dis.

- Non, mais là, je ne vous pardonnerai pas… jamais de la vie.

- Évidemment, répondit Aline, comme si cela coulait de source.

- Je vous hais.

- Tant mieux ! lança Emma, en secouant ses longs cheveux blonds.

 

Elle flottait dans son bikini rose. À côté, Ludivine ressemblait à un boudin, sa grosse serviette embobinée autour d’elle. Mais elle en était plutôt fière.

 

- Je croyais que tu n’avais pas de maillot de bain, Lulu, ironisa Xavier.

- Je t’emmerde… siffla-t-elle, énervée.

 

Ils haussèrent tous un sourcil ; c’était rare lorsqu’elle devenait vulgaire. Le jeune homme, toutefois attendri, la prit par l’épaule et la serra contre lui. Elle grogna.

 

- Tu verras, un saut dans le jacuzzi te remettra d’aplomb.

- C’est obligé, garantit Claire.

 

Ils arrivèrent enfin devant le bassin, et tous s’exclamèrent joyeusement, sauf une.

 

- Le sol fait mal aux pieds.

- Ça pue le chlore.

- Il fait trop chaud.

- J’aime pas le maître-nageur.

- J’en ai marre.

- Je veux rentrer chez moi.

 

Telles étaient les critiques de Ludivine. Tandis que ses camarades se ruaient vers l’immense étendue d’eau, la jeune fille avait pris la direction des transats… et s’était allongée sur le premier venu, sans ôter sa serviette.

 

- Mais quelle feignasse ! soupira Simon, tout sourire.

- Ah non ! Lulu, viens te baigner ! tempêta Xavier, qui était déjà dans l’eau avec les autres.

- Non, non, non, non ! continua-elle, têtue.

- Attention, Lulu, je viens te chercher ! menaça Pierrick. Fais gaffe à tes fesses !

 

Du haut de son transat, elle lui tira la langue. Le jeune homme sortit alors de la gigantesque piscine et se rua sur la jeune fille, qui l’attendait plus ou moins de pied ferme. Il la força à se lever de sa chaise longue, et lorsqu’il réussit, il déroula sa serviette tout en la retenant fermement. Elle avait beau se débattre, elle n’arrivait pas à se défaire de son étreinte.

 

- Lâche-moi ! Allez ! brailla la comédienne, en se débattant de toutes ses forces.

 

Il la traîna jusqu’au bord de l’eau. En la voyant ainsi, Tristan, Simon et Grégoire restaient pétrifiés. Xavier aussi, mais d’un degré beaucoup plus élevé. Dans son joli petit maillot de bain, Ludivine n’était plus… Ludivine.

 

- Wow ! lâcha Tristan. Qu’est-ce qu’elle est bien foutue !

- Veinard ! lança Simon à l’attention de Xavier qui, les bras ballants, regardait dans le vide.

 

Si le comédien était blanc comme un linge, Emma n’avait jamais été aussi verte. L’ossature délicate de Ludivine avait de quoi attirer bien des jalousies. La seule remarque que l’on pouvait émettre, c’était que son corps de femme ne concordait pas avec son visage d’enfant.

 

- Arrête ! Lâche-moi ! Pierri…

 

Pierrick trébucha sur le pied de la jeune fille, et ils tombèrent tous les deux à plat ventre dans l’eau. Quand ils refirent surface, il la lâcha, et elle recracha l’eau qu’elle avait avalée. Xavier ne bougeait pas plus qu’avant et, inquiète, Aline voulut réagir.

 

- Hey ! Xav’ ! Neuf fois neuf ?

 

Il ne répondit pas.

 

- Neuf fois neuf ?! insista Aline.

 

Comme elle n’avait toujours pas de réponse de sa part, elle lui donna une calotte derrière le crâne, qui le ramena sur Terre. En revanche, son esprit se promenait encore un peu partout.

 

- Xavier ! Racine de 25 ?!

- Euh… fit-il, penaud.

- J’hallucine ! C’est la première fois que tu ne réponds pas quand je te demande un truc super simple ! Pierrick, viens-là, on a un grave problème !

 

Avant que celui-ci vienne régler la situation à sa manière (un bon coup de poing dans le ventre aurait largement fait l’affaire), Xavier avait retrouvé tous ses esprits et l’avait fait comprendre à sa meilleure amie.

 

- 81. Et 5. Et… waw, mazette ! Ludivine !

 

Elle s’était recroquevillée sous l’eau, mais il avait tôt fait de la rejoindre pour l’entraîner dans un bassin un peu plus profond. Personne ne fit d’allusions à son corps, faisant comme si de rien n’était. Cela détendit Ludivine qui, après avoir repris ses repères, ne quitta plus Xavier d’une semelle.

 

Accrochée à lui, surtout lorsqu’elle n’avait pas pied, il la faisait tourner et la promenait un peu dans l’eau. Elle lui faisait quelques petits câlins, et il ne regrettait plus d’avoir sorti vingt euros de sa poche pour passer un moment aussi agréable. Fidèle à ses ambitions, Aline essayait de couler Pierrick quand celui-ci la traitait de « rhinocéros ». Soucieuse de son bien-être, Emma était partie faire un tour dans un sauna. Claire et Mathilde jouaient comme deux enfants avec les jets d’eau. Quant à Grégoire, Tristan et Simon, ils plongeaient un peu dans tous les sens et glissaient le long des toboggans. Les comédiens s’amusèrent aussi une demi-heure dans les rivières à contre-courant, dans lesquelles Ludivine ne voulait plus lâcher Xavier et s’accrochait désespérément à son cou, de peur d’être emportée loin de ses amis.

 

Aline avait trouvé dans Aquaboulevard des milliers d’idées de meurtres, et elle eut même le loisir d’en tester plus d’une. Quand Pierrick l’avait insultée de « baleine », elle avait essayé de le noyer sous une cascade. Hélas, il avait survécu. Elle avait aussi pensé à le faire tomber de leur bouée lorsqu’ils avaient glissé le long d’un immense toboggan (80 m de descente), mais là encore, la jeune femme avait lamentablement échoué. Elle faillit réussir à le tuer dans le bassin tourbillon, mais Mathilde l’avait inconsciemment sauvé en se cognant à lui sous l’eau (le choc avait été si violent que Pierrick était remonté à la surface).

 

Les comédiens trouvèrent le temps de profiter de tous les divertissements proposés par le parc aquatique. Ils avaient notamment beaucoup apprécié les vagues, qui se déclenchaient toutes les demi-heures, où Ludivine se laissait bercer avec Xavier. Il avait semblé à leurs camarades qu’ils s’étaient énormément rapprochés.

 

Un peu après les dernières vagues en date, les garçons décidèrent d’aller acheter quelques boissons et glaces pour se remplir l’estomac. Ludivine, Aline, Emma, Mathilde et Claire passèrent chacune leur commande, et ils partirent faire leur petite course. En attendant leur retour, elles s’étaient allongées sous les lampes à UV, dans l’espoir de prendre un peu des couleurs.

 

- Hey, salut ! s’exclama une voix qu’elles ne connaissaient pas, dix minutes plus tard.

 

Les comédiennes se retournèrent et virent un jeune homme qui, tout sourire, s’avançait vers elles. Il était plutôt charmant, d’une taille moyenne, brun et bronzé. Il leur était impossible de lui donner un âge.

 

- Salut, répondit automatiquement Claire, la grande bavarde de la troupe.

- Ça vous dirait d’aller nager un peu avec moi ? On pourrait peut-être aller au jacuzzi, non ?

- Bah…

- Tu le connais ? souffla discrètement Emma à l’oreille de Claire.

- Non, répondit celle-ci en haussant les épaules.

- Pourquoi pas ? dit alors Mathilde. Ça vous tente les filles ?

 

Aline hocha la tête, peu convaincue. Ludivine guetta les réactions d’Emma et Claire, et comme elles opinèrent du chef, elle fit de même.

 

- Cool ! s’exclama-t-il, heureux. Moi, c’est Lionel !

- Et bien, voici Aline, Emma, Mathilde et Ludivine. Et moi, c’est Claire.

- Claire, Emma, Aline, Mathilde, et… Ludivine, répéta le jeune homme, pour se souvenir.

 

Aline lui décocha un regard noir, dont il ne se rendit pas compte, trop occupé à dévorer Ludivine des yeux.

 

- Et t’as quel âge ? voulut s’informer Emma.

- Hum… fit-il en se retournant vers elle. 16 ans !

- 16 ans ?! répéta Aline, secouée.

- Oui, je sais, je ne les fais pas, se vanta Lionel.

- Pour un peu, on ferait du détournement de mineur !

 

La jeune femme le considéra gravement du haut de ses 19 ans. Mathilde, Claire et Emma avaient plus ou moins le même âge qu’elle. Et même Ludivine, avec ses 17 ans tout neufs, était plus vieille que lui ! La différence d’âge ne le dérangeait visiblement pas : il draguait les cinq comédiennes d’une façon qu’il pensait discrète (mais qui ne l’était pas).

 

- Hey, mais c’est quoi ça ?! s’étonna-t-il, en prenant délicatement la main de Claire.

- Du vernis, répondit cette dernière au tac au tac.

 

C’était en effet un vernis à ongles, mais d’une couleur orange vif qui sautait aux yeux. Il jeta un rapide coup d’œil aux mains d’Aline dont les ongles n’étaient pas orange, mais noirs.

 

- Et ben… lâcha Lionel, stupéfait.

 

Il réussit à les convaincre d’aller nager avec lui. Elles étaient toutes un peu réservées, sauf Claire qui lui racontait sa vie, et Aline qui ressentait une extrême méfiance envers ce jeune garçon dont elle ne savait rien.

 

- Dans la famille, on est tous beaux ! se vantait-t-il, en bombant le torse.

- Microbe, sifflait alors la comédienne, perfide.

 

Ils s’éloignèrent un peu plus du bord du bassin, Mathilde et Ludivine sous les bras de Lionel, Claire sur son dos, et Emma s’accrochant à l’épaule de Claire pour ne pas se fatiguer. Aline suivait seule derrière, toujours aussi suspicieuse. Ils étaient allés au jacuzzi, où le jeune homme leur avait fait part de ses toutes dernières blagues Carambar.

 

- C’est un Noir qui se promène dans un champ de blé. Il y a une explosion… et paf ! Ça fait des Chocapic !

 

Ou encore…

 

- C’est une petite fille qui entre dans une boulangerie, pour commander un gâteau d’anniversaire pour sa sœur. Le truc, c’est qu’elle a une voix bizarre, vous voyez. Alors le boulanger lui demande comment s’appelle sa sœur, et elle répond « Plumelle, parce que quand elle était petite, une plume est tombée sur son berceau ». Et le mec lui demande « Et toi, comment tu t’appelles ? » et elle lui répond « Poutrelle ».

 

Lionel était vraiment fier de ses blagues ; il jetait souvent des petits coups d’œil aux filles, avec un grand sourire goguenard, pour les voir rire. Et les comédiennes s’esclaffaient, comme Benjamin le leur avait un jour appris dans un cours qui s’intitulait « Savoir faire semblant de rire ». Aline regrettait amèrement les blagues de Pierrick, et pensa qu’il aurait été dommage de le noyer sous un mur d’eau.

 

- Qu’est-ce qu’il est lourd, ce gamin !

 

Voyant qu’elle était toujours distante, Lionel voulut la détendre en lui massant les épaules.

 

- Relax ! lança-t-il en commençant un massage énergique sur les épaules d’Aline.

- Argh ! hurla la jeune femme qui ne s’y attendait pas.

 

Il lui faisait involontairement mal, et elle se dégagea aussitôt, furieuse.

 

- Bas les pattes ! Prévenir, ça ne te tuerait pas, putain !

 

Si un regard pouvait bien tuer, c’était bien le sien. Mathilde et Claire lui firent de gros yeux, la suppliant mentalement de se contenir. Elle se mit alors en retrait dans le jacuzzi, pour râler silencieusement et tout à son aise. Lionel l’oublia instantanément, de même que les autres filles, et attira Ludivine contre lui. Celle-ci était trop pétrifiée pour réagir. D’une main, il caressait ses cheveux, et de l’autre, il lui faisait des papouilles.

 

- Bordel, Xavier, qu’est-ce que tu fous ?! pesta Aline en silence.

 

Alors que la tête de Lionel était perdue dans le cou de la jeune fille, celle-ci jetait des regards désespérés vers la plage extérieure, pour voir si Xavier et les autres comédiens revenaient. Mais il n’y avait toujours personne, et elle dut subir les lèvres de son terroriste contre sa peau. Aline, révoltée en voyant la scène, se leva d’un bond pour les séparer.

 

- Ludivine, tu as les lèvres toutes bleues ! On devrait sortir de l’eau et se mettre sous les lampes chauffantes, d’accord ? La baignade a assez duré !

- Oh… oui, c’est une très bonne idée. J’ai froid, très froid, dit alors la petite blonde, en faisant mine de claquer les dents.

 

Elle sortit si rapidement du jacuzzi, suivie de ses amies, que Lionel eut du mal à réaliser ce qui venait de se passer sous son nez. Elles étaient déjà loin quand il se leva à son tour.

 

- Hey, les filles, attendez-moi !

- Merde, on n’aura pas réussi à le perdre, soupira Mathilde.

 

Elles plongèrent sous l’eau pour rejoindre leurs serviettes, mais Lionel avait essayé d’attirer Ludivine dans le bassin bouillonnant pour un tête-à-tête intime.

 

- Et nous alors ? s’énerva Emma, qui n’aimait pas être délaissée.

- Mais qu’est-ce qu’il me fait chier ! pesta Aline, cherchant une nouvelle excuse pour tirer la jeune fille des vilaines pattes du jeune homme.

- Oh ! Regardez ! Ils sont là ! Ils sont là ! s’exclama Claire, en sautillant de bonheur dans l’eau chlorée.

 

Elle pointait du doigt la plage extérieure. Xavier, Pierrick, Tristan, Simon et Grégoire étaient revenus, et s’inquiétaient à présent de ne plus retrouver leurs camarades là où ils les avaient laissées.

 

- Elles sont là-bas, fit alors Tristan, après avoir repéré les filles au milieu du bassin.

- Où est Lulu ? Je ne la vois pas.

- T’inquiète pas pour elle, Xavier, elle est plus loin. Mais…oh ! Elle n’est pas seule !

- Hein ?!

 

De son côté, Aline leur adressait de grands signes de détresse pour qu’ils viennent à leur rescousse. Pierrick saisit rapidement le message, et trouva une nouvelle comédie pour éloigner Lionel. Pendant que Xavier jetait des regards noirs à son rival (il ne pouvait rien faire, car il avait les bras chargés de boissons et de glaces), son meilleur ami envoya Grégoire sur le terrain (ou dans l’eau, au choix).

 

- Lulu ! Lulu ! s’écria celui-ci, en nageant le plus vite possible vers elle.

- Oui ? répondit la jeune fille, dans un hurlement de joie.

 

Elle repoussa assez brutalement Lionel et se dirigea vers le comédien. Les autres filles avaient déjà fait un cercle autour de lui, contentes de sa présence.

 

- Ton frère Pierrick t’appelle. Tes parents au téléphone.

 

Bobard simple. Le comédien ne s’était vraiment pas cassé la tête. Ludivine s’empressa de sortir de l’eau, suivie de près par ses camarades et par Lionel qui ne comprenait toujours pas ce qui se passait. Elle rejoignit Pierrick, qui lui prêta son téléphone portable, faisant croire à un appel urgent. Même s’il n’y avait pas de communication, la jeune fille faisait mine d’être en grande discussion avec ses parents qui, ô malheur, désiraient qu’elle rentre dans l’immédiat à la maison.

 

- Il faudrait rentrer, fit-elle alors à ses amis, en claquant des dents.

 

Elle ignorait totalement Lionel, de la même façon que les autres comédiens. Sauf Xavier. Car c’était avec le regard dur, la mâchoire serrée et le visage fermé que Xavier avait réceptionné l’adolescent. Ce dernier avait eu raison de se faire petit, car le jeune homme n’aurait pas hésité à lui sauter dessus s’il avait osé dire un seul petit mot.

 

Xavier, voyant que Ludivine grelottait sur place, l’enroula avec bienveillance dans sa serviette, et elle se pelotonna contre lui à la recherche d’un peu de chaleur. Pas un instant il ne s’était arrêté de foudroyer Lionel du regard qui, vraisemblablement, avait réalisé que le comédien était non seulement plus vieux que lui, mais qu’il tenait aussi particulièrement à la petite blonde.

 

De son côté, Aline secouait Pierrick en le suppliant de lui raconter une blague.

 

- Je t’en prie ! J’ai vraiment besoin d’entendre tes conneries ! Il en va de ma survie !

- Bon, d’accord ! Je me demandais… Serais-tu une lointaine cousine des hippopotames ? Parce qu’avec tes fesses, ça laisse à croire !

 

Tout en disant cela, il avait reculé, sachant très bien qu’elle ne tarderait pas à réagir à ses propos. Ce qui ne tarda pas, évidemment, mais il était déjà loin quand elle se lança à sa poursuite.

 

- Bouffon ! Reviens ici, je vais te tuer !

 

Le regard vide, Xavier observait Aline cavaler après son meilleur ami, tout en frictionnant le dos de Ludivine. Elle avait posé ses lèvres sur l’épaule du jeune homme pour les réchauffer un peu. Lionel restait immobile derrière Grégoire, ne sachant ni que faire, ni que dire.

 

- On devrait vite ramener Lulu chez elle, avant que ses parents pètent un câble, proposa Simon. On mangera ce qu’on a acheté sur le chemin.

- Oui, approuvèrent les autres.

 

Ludivine profita de l’air absent de Xavier pour lui demander là où il habitait.

 

- Hum ? fit-il sans comprendre.

- Où tu vis ?

- Montmartre, répondit-il enfin sans réfléchir.

 

Les yeux de la petite blonde s’illuminèrent, et il se rendit compte trop tard de ce qu’il avait révélé.

 

- Cool ! s’écria Ludivine, joyeuse.

- Non, pas cool du tout.

- Tu m’amèneras, hein, Xavier, tu m’amèneras ?

- Oublie ça.

- Allez !

- Non.

- Pourquoi tu ne veux pas m’amener, hein, dis, pourquoi ?

- Lu…

- Juste pour promener, au moins, hein, Xavier, s’il te plait !

- Divine…

- S’il te plait, s’il te plait, s’il te plait…

- Arrête un peu, je t’en prie, tu me donnes mal à la tête !

 

Elle s’arrêta de le secouer comme elle le faisait justement, et le considéra avec des yeux dignes d’un cocker.

 

- S’il te plait, supplia-t-elle d’une petite voix.

- Ça ne marchera pas avec moi, Lulu. Garde ta comédie pour plus tard. D’ailleurs, je n’aurais jamais dû répondre. Tu m’as pris par surprise.

 

Ludivine allait répliquer, mais Lionel avait déjà attiré son attention, en s’approchant prudemment vers elle. Il ignorait si Xavier était son petit ami, mais le comédien avait l’air si proche d’elle qu’il valait mieux faire passer doucement la pilule.

 

- Hey Lulu, je vais y aller, puisque tu ne vas pas tarder à rentrer chez toi. Tu me passes ton numéro de téléphone ? demanda-t-il, en espérant ne pas s’attirer les foudres du jeune homme.

 

Manque de bol pour lui, Xavier lui tomba sur le dos.

 

- Et toi, fous-lui la paix ! T’es déjà assez lourd comme ça, pas besoin d’en rajouter ! Tu ne vois pas qu’on en a marre ?!

- Ça va mec, on peut partager…

- Partager ? Partager ?! Mais partager quoi, bougre d’âne ?! Non mais j’hallucine ! Va plutôt partager le bac à sable avec ta cousine, merde, au lieu de tous nous saouler !

 

Lionel, sonné, ne répondit pas. Son rival prit cela comme une bataille en retraite.

 

- Au revoir, petit, fit Xavier en lui adressant un petit signe de la main.

 

Il s’éloigna par obligation, déçu et perplexe. Les comédiens, eux, étaient soulagés.

 

- Enfin débarrassé ! s’exclama Emma. Non mais, quel chacal ce gamin !

 

 

À la sortie du parc aquatique, la troupe se sépara. Mathilde et Simon accompagnaient Ludivine au Sud de Paris, tandis que les autres remontaient vers le Nord. La blonde avait préféré se rendre chez son parrain, parce qu’elle n’avait pas la moindre envie de faire réchauffer son repas congelé du soir. Son parrain lui préparerait sans doute son plat préféré, les lasagnes.

 

Pendant que celui-ci s’activait aux fourneaux, la jeune fille regardait le journal télévisé, affalée sur le canapé du salon. Elle pensait beaucoup à Xavier, et plus précisément, à Montmartre. Elle ne comprenait pas pourquoi il avait fermement refusé de l’y amener, ne serait-ce que pour une promenade.

 

- Romain ! brama-t-elle.

- Quoi ? marronna son parrain, en faisant son entrée dans la pièce.

 

Les parents de la jeune fille avaient confié sa responsabilité à leur meilleur ami commun, déclaré son parrain depuis sa naissance. Romain, avoisinant la quarantaine, s’était bien vite rendu compte que surveiller sa filleule à Paris était une tâche très difficile…surtout quand on savait que la comédienne se baladait un peu partout dans la capitale.

 

- C’est où Montmartre ?

- Montmartre ?

- Oui.

- Au Nord. C’est une colline.

- Ah.

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Pour savoir. Xavier habite là.

- C’est qui Xavier ?

- Un copain de l’école. C’est joli Montmartre ?

- Joli ? Oui. C’est joli, chaleureux et vivant. Mais c’est un coin assez pauvre d’après ce que je sais. Ça l’est un peu moins depuis qu’ils ont intégré le village à Paris, mais il y a des coins qui sont assez « désuets ». Tu me diras, ça rajoute du charme au quartier. Mais bon, évite de t’y balader toute seule…

- Pourquoi ?

 

Il adorait sa filleule, mais sa curiosité était parfois lourde. Par exemple, lorsqu’elle avait sept ans, c’était lui qu’elle harcelait pour savoir comment les bébés venaient au monde. Romain s’était vite énervé, d’autant plus que la petite Ludivine épargnait totalement ses parents de cette terrible question.

 

- Te connaissant, tu te perdrais dans Montmartre, et tu te retrouverais place Pigalle !

- Pigalle ? répéta Ludivine, sans comprendre.

- Des choses qui ne concernent pas une jeune fille de 17 ans comme toi, répondit-il finalement, devant le regard insistant de la comédienne.

 

Il n’en fallut pas plus pour qu’elle arrête de poser des questions. Xavier était pauvre. Elle venait de comprendre sa situation difficile, et se sentait tout intimidée. La jeune fille en venait même à avoir pitié de lui, ce qu’il n’apprécierait certainement pas. Les parents de Ludivine n’avaient jamais eu de soucis financiers, et tout le monde dans sa famille vivait — très — aisément. C’était la première fois que la comédienne se retrouvait face à une situation de ce genre, et elle trouvait ceci assez déstabilisant.

 

Une odeur de lasagnes flottait dans l’air et vint lui chatouiller les narines. Inspirée, Ludivine se fit la promesse, du haut de ses 17 ans, de sortir Xavier de Montmartre et de sa misère. Bien sûr, elle ne savait pas du tout comment s’y prendre, mais avec le temps, elle était persuadée qu’elle y arriverait.

 

 

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vefree
Posté le 05/07/2009
Ce chapitre est vraiment une tranche de vie de jeunesse joliment racontée. Certes, c'est sans surprise, mais c'est bien de lire une plaisante histoire sans serrer les fesses de peur pour les héros ou se déprimer avec eux.
La petite idylle de Ludivine et Xavier est vraiment très plaisante. On y ressent tous les émois des premières amours, les doutes, les peurs, les joies, les surprises. J'aime bien.
On sent bien que le petit Lionel, tu l'aimes bien. Pourtant ce genre de personnage a le don de m'irriter un maximum. Je lui serais tombé sur le râble bien plus vite que ça, moi. huhu !
La Ptite Clo
Posté le 05/07/2009
=D *Kâââlins à Vefree*
Et bien écoute, je suis gâtée aujourd'hui ! Bon. Je ne sais pas quoi dire, à part que tes commentaires me font très plaisir, et que je t'en remercie. =)
C'est vrai que je parle beaucoup de la fin d'adolescence, mais j'ai beaucoup de mal avec les histoires très compliquées. Bref.
En tout cas, encore merci, et bien des bisous pour toi !
(PS : Ouais, je l'adooore Lionel, je l'adore tellement que j'ai failli le claquer le jour où je l'ai rencontré xD)
Cricri Administratrice
Posté le 01/07/2008
Remoi ! Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais j'adore Xavier et Ludivine =) Ah, Xavier, je le trouve de plus en plus touchant, c'est vraiment un chouette personnage que tu as créé là : son côté génie en maths et comédien surdoué, c'est pas banal. Mais en plus il est fauché comme les blés et il en a honte. Rien que pour ça je le trouve émouvant. Et Ludivine ! Quand on y réflechit, elle a tout pour elle : elle est jeune, sublime, talentueuse, aisée financièrement. Le genre de personnage dont on se dit, présenté ainsi, qu'il est impossible de s'y attacher. Eh bien toi, tu y arrives. Tu lui insuffles une vulnérabilité, une fraîcheur et une candeur qu'on ne peut pas faire autrement qu'aimer.<br />
Et Aline ! Elle est formidable, cette fille ! J'adore sa personnalité en béton armé et sa manière de protéger Ludivine des assiduités de ce cher Lionel (quel cas, celui-là, ainsi c'est du vécu ? o_O'). Et Pierrick aussi, il est fameux. Il craquerait pas un peu pour Aline, à force de la taquiner ainsi ? (cricri voit déjà tous les couples qu'elle aimerait voir ensemble ^^)<br />
Et puis, pour ne rien ôter au plaisir de la chose, tu assaisonnes ton histoires de références au milieu du théâtre, c'est passionnant, ça lui donne une vraie consistance ! :DReponse de l'auteur: Reee et re-merci ! xD Je crois que le personnage de Xavier est l'une de mes grandes fiertés. C'est la première fois que je fais face à un matheux de papier, c'est très difficile... (j'ai passé pas mal de temps dans Wikipédia catégorie Maths) xD Mais ça me permet de l'opposer lui, intelligent et pauvre, à Lulu, "riche" mais...pas très fute-fute. Aline est peut-être la seule qui a une psychologie aussi compliquée que Xavier ; tu verras plus tard qu'elle n'était pas comme ça quand elle a rencontré Xavier (et qu'elle est devenue comme ça à cause de lui, justement). Et pour sa romance avec Pierrot...xD Je ne dirai rien ! xD xD xD  (hey ! on trouve des sadiques cinq fois plus pires que moi sur PA...comme toi, Flammy, Aaricia, Louna, Diabo...et je t'en passe des ertes et des pas mûres ! xD).
Pour ce qui est de l'anectote, Lionel, c'est du 100% histoire vraie. L'été dernier, cet imbécile a cru qu'il pouvait se draguer trois filles en même temps. Malheureusement, on avait pas de Vavier & Copour nous défendre. Mais y'a plusieurs passages vrais, comme le massage...je peux t'assurer que j'ai hurlé de douleur parce qu'il l'avait fait sun coup de soleil terrible. Le vernis à ongle,aussi, pour une copine. bref...pleins de petites choses. J'étais un peu sceptique, et comme j'étais la plus âgée, j'étais super distante, mais la plus jeune s'était faite prendre dans ses filets...et pour pas que ça aille plus loin... j'ai mis mon téléphone dans mon sac, et j'ai appelé la victime sans être vue. J'ai raccroché desuite et elle a joué la comédie (ah, on passe à table ? okay Man', on va arriver). VLAAAAN ! XD
Blablatage 100% inutile mais bon...encore merci et gros bisouuu ! xD
Flammy
Posté le 07/03/2008
Cloooooo, missaaaaante >.< (Comment ça ça ne se fait pas de commencer un commentaire en hurlant sur l'auteur ? >.< C'est pas civilisé ? Et alors ? :P *sort*)<br />
'Fin bref, t'es un monstre TT.TT Oui oui, toi, te caches pas >.< J'avais tout copié sur mon portable pour te lire, me suis dit, avec 69 pages, c'est bon, je tiendrais bien la semaine, et ba non, rien, nada, j'ai tout lu en deux jours et après j'avais plus rien à lire TT.TT Missante, en plus, pendant ces deux jours, j'ai pas fait grand chose d'autre xD 'Fin bref ^^' <br />
J'ai lu tout pratiquement d'une traite pour une seule et simple raison, j'ai beaucoup aimé ^^ J'ai tout de suite été prise dans la lecture et j'ai vraiment eut du mal à m'arrêter, c'est tout fluide et ça se lit tellement tout seul que je suis arrivé à la fin sans comprendre que c'était la fin XD<br />
Juste un truc, j'adore Lulu *_* Elle est toute mimi mignonne avec ses bonbons et ma manie de dormir partout XD A mon avis, ça cache quand même quelque chose, parce que pour dormir dans le métro, faut le faire ^^' Pis j'aime aussi beaucoup Xavier, d'habitude j'aime pas trop ce genre de personnage "trop parfait" mais il se prend pas beaucoup trop au sérieux et j'adore ça ^^ (En fait, plus j'y repense et moins je sais pourquoi je l'aime mais ça change rien XD). Pareil avec Aline ^^ Pour ce qui est du "chieur" du chapitre trois, il tellement chieur que je l'adore comme ça XD Il me rappelle un copain que je connais, ça doit être pour ça ^^'<br />
'Fin bref, j'aime tout beaucoup, et j'attends avec la suite avec impatience pour voir ce qu'elle nous réserve ^^ <br />
Pluchi !Reponse de l'auteur: Oh Flammy ! ^^ Merciii beaucoup pour ta reviews ! Comment ça je suis méchante ? Mais nooon, pas du touuut ! ^^ Breffons, ça me fait très plaisir de savoir que tu as aimé le début de cette fic (et quel courage pour avoir tout imprimer, et tout lu comme ça !) ^^ T'as de la chance que je ne sois pas surbookée en ce moment, je vais pouvoir poster le prochain chapitre rapidemment. Donc, re-merci ! ^^
Lulu, c'est ZE marmotte en chef (et je l'adore vraiment ce perso, elle sait me faire sourire). Hum...à la basen je ne voulais pas rendre Xavier si parfait...(mais après, je me suis aussi rendu compte que l'image qu'il donnait) ; disons qu'il a de l'assurance, qu'il est très intelligent (mais ça, j'y peux rien) et que bon...il a son caractère quand même. XD Et Aline aussi, je l'aime bien. ^^ Elle a une psychologie intéressante, tu verras pourquoi.
Et ben...le chieur du chapitre 3, mon Lionel adoréééé, j'espère que c'est pas ton copain, sinon je te plains ! XD Parce que celui-là, de chieur, il fallait vraiment le vivre pour voir à quel point il était...chiant ! XD
Enfin, encore merci à toi, je te fais plein de gris bisous, j'espère que la suite te plaira ! ^^ Mouwaaaaks !
Clo' 
Sunny
Posté le 01/03/2008
Ouh qu'elle est mignonne cette petite Lulu... ^^ Tant d'affection et de bonne volonté, ça fait chaud au coeur. J'avais déjà plus ou moins lu ce chapitre sur FP, et mon avis n'a pour ainsi dire pas changé : j'aime !! XDReponse de l'auteur: XD Merci ma Sunny Delight d'amouuuuur ! J'en conviens, Lulu est très attachante (elle m'éclate trop XD)
Roh, ispice de tricheuse va...le truc, c'est que je fais une troisième correction quand je poste sur PA, donc y'a toujours quelques petits changements par rapport à FP... Allez bisouuus ! ^^ 
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