Chapitre 31

Par AliceH
Notes de l’auteur : Nous approchons de la fin de notre vol, Ladies, Gentlemen and People. Veuillez boucler vos ceintures.
IMPORTANT ! Je vais retirer les origines antillaises de Noémie car entre son harcèlement lesbophobe ET raciste et sa culpabilité vis-à-vis de sa soeur et le problème dont elle discute avec Camille ici, ça faisait vraiment too much. On va alléger ça (je m'y mets cette semaine, juste à temps pour poster le prochain chapitre, jeudi soir ou vendredi matin - j'en profiterai pour harmoniser les numéros de ces notes de bas de page).

Quand le lundi arriva, Camille était sûre de plusieurs choses :

 

  • Elle ne verrait plus jamais Bérengère puisqu'un contrat avec une autre entreprise de pompes funèbres venait d'être signé (avec des prix plus avantageux).

  • Le dossier des époux Demeulsteer était officiellement classé comme « dossier sensible » et étudié attentivement au bureau national des Death planners.

  • Il lui restait moins d'un mois de grossesse avant d'enfin accoucher et elle était à bout de nerfs.

 

– Moi, je dis qu'elle va buter son mari quand même, entendit-elle dire depuis son bureau.

– Qui ?

– Lydia Demeulsteer, répondit Kévin.

– Pourquoi elle ferait ça ? s'alarma Françoise.

– Pour le fric.

– Mais elle aurait le mal de mort. Ça vaut pas le coup.

– Peut-être que si.

– L'argent fait pas le bonheur.

– Peut-être, mais je préfère chialer dans une Porsche que sur un V'Lille. Salut Véro ! La forme ?

– Moyen. J'essaie de convaincre mon généraliste de me laisser voir un algologue mais il refuse.

– Un algo-quoi ? demanda Kévin.

– Un médecin de la douleur.

– Plutôt spécial comme domaine. Et on dit que les dentistes sont des sadiques.

– Il dit qu'une fois mon poids de grossesse « enfin perdu », tout ira mieux, grommela Véronique.

– Il a eu son diplôme dans un paquet de Bonux c'ui là ! s'écria Françoise.

– Tu fais un concours d'expression de boomer avec Madeline ou quoi ? Pas plus tard qu'hier, elle a placé un « pour des queues de cerise ».

Kévin laissa échapper un cri de douleur exagéré lorsque Françoise le tapa avec un classeur. Camille regarda son propre ventre et se demanda si elle allait garder longtemps son poids de grossesse. Non pas qu'elle avait pris énormément de poids et même, elle s'en foutait, mais cela voudrait dire qu'elle devrait donner tous ses anciens vêtements pour en racheter d'autres. Elle savait déjà qu'elle garderait ses vergetures à vie et ça, ça lui posait plus problème. Si elle ne trouvait pas les vergetures particulièrement laides, ces vergetures en particulier lui rappelleraient chaque jour qu'elle avait été enceinte, qu'elle accouché d'un enfant puis qu'elle avait abandonné celui-ci.

Abandonné.

Parfois, Camille se surprenait à utiliser ce mot alors qu'elle ne le trouvait pas particulièrement adapté à la situation. Certes, son enfant risquait de prendre cet accouchement sous X comme un abandon mais ce n'était pas comme si elle le laissait seul dans un panier sur le seuil d'un orphelinat ou qu'elle le mettait dans une poubelle en espérant (ou pas) qu'un passant le retrouve ! Elle allait le confier à l'assistance publique qui le ferait adopter par des gens très bien qui l'aimeraient de tout leur cœur et qui auraient un teckel nommé Knacki. Elle n'arrivait toujours à écrire cette foutue lettre d'explication. Il lui restait quatre semaines avant d'accoucher sous X or, elle n'avait toujours pas réussi à exposer à ce futur enfant le pourquoi du comment. Malheureusement, il n'existait de guide pratique : « Comment rédiger la lettre d'explications pour son enfant quand on va accoucher sous X » sur Internet (10). À qui donc pouvait-elle demander comment elle pourrait dire les choses à cet enfant qu'elle ne verrait peut-être jamais et dont elle ne voulait même pas ? La porte d'entrée s'ouvrit. Elle entendit les voix d'Isabelle et Maria résonner. Véronique entra dans la pièce puis prit place à son bureau, tout près de celui de Camille qui se redressa soudain. Elle entra à grands pas dans le couloir pour demander à Maria si elle pouvait la voir là, tout de suite, en privé s'il te plaît. Sa collègue était allée vers elle pour lui raconter son histoire personnelle de son plein gré, ce qui lui avait permis de prendre un peu plus de recul sur sa propre situation, de se sentir moins seule. C'était pour cette même raison qu'elle voulait la revoir seule à seule.

– Je peux te poser une question personnelle ? demanda Camille sans prendre de gants, une fois qu'elles furent seules dans la cour.

– Vas-y.

– Je sais que nos situations ne sont pas les mêmes par rapport à l'adoption, tout ça... Mais je ne sais pas vers qui me tourner. Tu es la seule de mon entourage qui sait ce que c'est l'adoption, même si toi, tu as vécu la situation opposée à la mienne.

– Je voulais pas comparer nos deux situations quand je t'en ai parlé, tu sais. C'est pas du tout comparable. Je ne voulais pas non plus te faire culpabiliser par rapport à ta décision.

– Je sais. Je repense à la lettre pour mon enfant. Même avant que tu me dises ton avis et ton ressenti, je sentais que je lui devais une explication. Mais je n'arrive pas à l'écrire

– Est-ce que tu veux expliquer pour toi ou tu veux expliquer les choses pour lui ? demanda Maria.

– Hein ?

– Est-ce que tu veux écrire cette lettre et lui expliquer les circonstances de sa naissance et de ta grossesse de son point de vue, en essayant de te mettre à sa place et de répondre à ses questions, ou de ton point de vue, pour qu'il comprenne ta décision ? Parce que tu parles de t'excuser, mais est-ce que cet accouchement sous X t'attriste vraiment, ce qui serait compréhensible, ou tu culpabilises parce que tu te dis que ton enfant va vouloir des excuses plus tard ?

Dès qu'elle avait su qu'elle ne pourrait pas avorter, Camille avait opté pour l'accouchement sous X, pressée d'être enfin débarrassée de ce poids tout en se traitant de monstre. Est-ce qu'elle ne pouvait pas penser un peu au fait que ce n'était qu'un paisible et innocent bébé qui voulait juste vivre, lui ? Elle ne voyait pas son accouchement sous X comme quelque chose de particulièrement triste. Elle qui voulait juste refermer cette étrange parenthèse de sa vie. Elle considérait ça comme une livraison : elle porterait le colis jusqu'à terme, elle irait le livrer, après elle le déluge. Sauf qu'en l’occurrence, le colis était un petit être humain qui allait grandir et se poser des questions, peut-être même exiger des excuses. Camille ne voyait pas de quoi elle devrait s'excuser : de ne pas vouloir d'enfants ? D'avoir fait un déni de grossesse ? D'avoir confié ce bébé à une famille qui désirait vraiment un enfant ? De l'avoir abandonné, comme il pourrait le penser à l'avenir ?

– Plus pour lui. Je sais que même si je risque d'être triste au moment de le confier ou de penser à lui plus tard, je sais que je prends la meilleure décision pour lui et moi maintenant, expliqua Camille.

– Alors, essaie un autre point de vue. Pars de toi, pas de ce qu'il pourrait vouloir lire, lui conseilla Maria. Pars de ce que tu veux lui dire. S'il veut vraiment savoir d'où il vient, quand il te lira, il comprendra.

Quand celle-ci la serra dans ses bras, Camille se laissa faire. Le bébé donna un coup de pied que Maria sentit. Elle baissa le regard en direction du nombril proéminent de sa collègue pour lui dire :

– Je crois qu'il ou elle approuve.

 

_____

 

(10) Dans notre réalité, oui. Pour le bien de cette fiction, dans cet univers, non.

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Tac
Posté le 28/08/2023
Ah bah Il a beugné la bagnole !

Je lis tout d'une traite, c'est terrible. Je trouve que les derniers chapitres que j'ai lus (entre mon dernier com et celui-ci, peu ou prou) sautent un peu trop d'un truc à l'autre. Je sais que tu as tendance à faire des espèces de flash épisodiques plutôt que suivre à chaque seconde qui passe les faits et gestes de tout le monde, mais j'ai eu une sensation un peu trop intense de saute-lapin.
Autrement J'aime toujours autant, je passe toujours un moment chouette ! (la preuve en est je lis tout d'un coup !)
Plein de bisous !
AliceH
Posté le 30/08/2023
J'ai fait beaucoup de chapitres courts à un moment donné, ça doit venir de là (je devais avoir la flemme, que sais-je), peut-être que ça rendrait mieux si j'essayais d'en regrouper quelques uns ?
Merci encore et bisous !
("Comment tu le marques sur le constat ? Accident avec un vampire sur un parking ?")
Nanouchka
Posté le 20/08/2023
Un repas de famille détendu... Chouette ! C'est beau les questions que ça suscite, la conversation ouverte entre Camille et Noémie — la communication ouverte, tout ça, tout ça. Ce roman me rend toujours aussi heureuse, chapitre après chapitre, c'est chouette ♥ (Je prépare les pancartes pour la manif "à quand le tome 2", je te préviens.) (Comment ça, t'as pas prévu de tome 2 ?)
AliceH
Posté le 30/08/2023
(si si, y'a un tome 2 !)
Bleiz
Posté le 08/08/2023
Salut Alice !

Mes notes au fil de l'eau :

"La passion qu'ont certaines personnes pour Les lacs du Connemara est plus extrême encore." --> j'ai des souvenirs très vifs de moi et d'une cinquantaine d'élèves braillant les Lacs du Connemara au self… C'est une chanson de karaoké très respectable

"Elle soupçonnait que c'était l'ange protecteur des lesbiennes " --> fun fact ! Saint Sébastien est souvent vu comme un protecteur des LGBT. Déformation née lors de la Renaissance. C'est aussi le saint patron des archers (parce qu'il est mort criblé de flèches)

"L'autre bouquet de fleurs, tout aussi grand, était tenu par Noémie qui s'y agrippait comme une moule à son rocher. " --> je trouve ça hilarant que les deux se pointent avec deux bouquets, l'un beaucoup plus gros en plus x)

"– Plus qu'une collègue, j'espère, pour l'embrasser comme ça !." --> poser des limites claires en entreprise et souligner l'importance du consentement, quel homme ce Patrick.

"Noémie s'immobilisa. Camille s'immobilisa. Un oiseau chia sur le pare-brise."--> la beauté du rythme ternaire dans toute sa splendeur

Pas mal la conversation entre Camille et Noémie. On sent bien qu'il y a un bagage émotionnel chez les deux qui est difficile à porter, et qu'elles s'ouvrent l'une à l'autre comme ça, c'est un grand pas pour elles. J'espère que ça va continuer comme ça ! Je trouve aussi intéressant l'importance qu'elles apportent toutes deux aux étiquettes, aux labels etc. Ya du boulot à faire chacune pour dépasser la crainte du regard d'autrui.

À bientôt :)
AliceH
Posté le 30/08/2023
Merci beaucoup et surtout n'oublie pas
TERRE
BRULÉEEEEE
AU VEEEEEENT
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