Qui sommes-nous pour juger ? Dans de rares moments, nous sommes confrontés à des situations qui nous paraissent tout à fait abérantes voir improbables et dans ce genre de moment la première pensée qui nous vient alors c’est «Je n’aurais certainement pas réagit ainsi», mais qu’en savons-nous réellement ? Nous ne nous connaissons pas vraiment ou du moins pas comme on l’espérait et parfois il arrive que l’on se surprenne soi-même. On se dit certainement pour se rassurer que nous aurions agis différemment, mais il est fort à parier que ce n’est qu’un triste mensonge que l’on se sert à soi-même. Pour ne pas céder à la panique, notre cerveau tends à chercher des éléments auxquels se raccrocher, des petits bouts de logiques qui pourraient nous aider à réaliser que tout compte fait, nous sommes des êtres humains tout à fait décents et respectables. Sauf que dans la réalité, ce n’est pas le cas. Dans la peur ou alors pris de court, nous ne savons pas comment réagir sauf par instincts. L’homme est un animal. Il attaque et il se défend.
Tout comme ces gens.
Je ne peux pas dire que je cautionne leur action, mais je ne peux pas non plus leur en vouloir d’avoir essayé d’attirer mon attention d’une façon ou d’une autre. Ils me paraissent désespérés. Suffisamment pour croire que je peux leur venir en aide d’une quelconque façon que ce soit, ce de quoi je doute profondément.
Nous guidant jusqu’à ce qui semble être une taverne plus poussiéreuse que pleine de vie, nous sommes cordialement invités à nous installer autour d’une table tandis que certains s’affairent à allumer des chandeliers afin d’éclairer le lieu. Le Duc quant à lui, ne m’a adressé ni un mot, ni un regard. Je présume que notre précédent échange ne lui a guère fait plaisir. Nous sommes deux dans ce cas. J’aurais sincèrement aimé qu’il comprenne ma position et qu’il réalise que tout ce que je faisais, tout ce que j’entreprenais été dans l’unique but de me faire avancer dans le jeu. Mais il ne voit qu’une enfant à qui il peut commander les actions. Ça me déçois. Je pensais qu’il était le mieux placé pour voir en moi la jeune femme que je m’apprête à devenir et je pensais même que cela le ravirait de constater que je prends enfin les rennes de ma vie en main.
- Tout d’abord, je tiens à m’excuser pour la façon dont les choses se sont passées, mais comprenez Votre Altesse, qu’ici à Celestia, chaque jour est un combat et que nous n’avons pas pour habitude de recevoir de simples...visiteurs disons.
- Il ne me semble pas que je sois la principale concernée par les excuses.
Un raclement de gorge, un échange de regard, mais pas un mot entre les deux hommes.
- Donc revenons-en à nos moutons : Qui êtes-vous ? insisté-je en renouvelant ma question précédemment posée.
- Robin. Je suis... ce que l’on pourrait appeler le chef du village. Êtes-vous au courant de la situation que connaît la province ou pas vraiment ?
- Je dirais que j’ai quelques notions, mais je suis loin d’être une experte. Tout ce que vous pourrez me dire pourrait m’être utile.
- Avant cela, j’ai une question pour vous : Que pensez-vous du jeu dans lequel vous êtes plongée ?
Je présume qu’en toutes autres circonstances, on s’attendrait probablement à ce que je loue le système du Ruler Game et je l’aurais fait si je n’avais eu d’autres choix, mais pas là. Là, je n’ai pas envie de mentir, de me cacher derrière de grands mots et faire de grands palabres. Je ne suis pas en mission séduction dans le but de m’assurer les likes de ces pauvres gens. Je suis là pour leur montrer que ma façon de faire, de penser et d’être est très différente de celle de mon père.
- Vous me demandez mon avis sur un jeu crée dans l’unique but d’asservir un peu plus la population, et ce, afin de choisir le prochain souverain du Royaume ? pouffé-je. Pour moi, ce n’est qu’une vaste plaisanterie. Un dirigeant ne devrait pas être choisi de cette façon, il devrait être élu de façon collégiale, sélectionné pour ses qualités et ses idées. Il devrait être la main tendue qu’un peuple attends. Il devrait être une sorte de balise de repérage pour tous ceux dans le besoin. Qu’est-ce que ces trois mois vont réussir à démontrer si ce n’est que ce sont encore et toujours les plus favorisés qui vont l’emporter ?
- Vous ne vous pensez pas gagnante ?
- Je pourrais l’être, si ce n’était pas qu’une opération de charme gigantesque. On est élu gagnant qu’à partir du moment où la majorité de la population nous a «aimé». Trois mois pour séduire plus de la moitié de la nation. Je ne suis pas du genre à dire «l’espoir fait vivre»quand il faut simplement voir la réalité en face.
- Pour quelqu’un de votre âge, votre discours est...
- Depuis quand l’âge fait-il la maturité ? Non pas que je veuille faire un cours d’Histoire, mais le Roi Nettiv Ier, ayant rassemblé et formé le Royaume de Nettivia, n’avait-il pas treize ans lorsqu’il remporta ses premières batailles ? L’âge ne fait pas la personne.
- Et que fait la personne selon vous ?
- L’expérience. La vie. J’ai conscience d’avoir encore beaucoup à apprendre de façon générale, mais je déteste être regardée de haut vis à vis de mon âge.
- Ce n’était nullement mon attention.
Au fond, ce propos n’est-il pas adressé à une toute autre personne également présente ? Je suis d’ailleurs surprise que jusqu’à présent, le Duc soit resté dans le silence sans même m’accorder un coup d’oeil. Compte-t-il jouer la carte de l’ignorance longtemps ?
- Cela fait des années que Celestia a été abandonné par la capitale, par le Roi. Bien avant qu’il soit décidé que la province servirait pour le Ruler Game. L’état dans lequel nous nous trouvons actuellement est critique et notre village n’est pas le plus mal loti. Nos terres sont devenues un immense terrain de jeu pour des hommes comme Roxan tandis que nos femmes, nos enfants et d’autres ne sont que monnaie d’échange. Troc. Trafic d’êtres humains, prostitution, jeux illégaux, marchés noirs...un mal frappe Celestia depuis trop longtemps maintenant. A quelques kilomètres d’ici, plus au nord encore se trouvent deux frères connus pour servir de passeurs à Roxan. Il y a une semaine, ces hommes sont venus dans le village et ont attrapés un petit groupe de jeunes. Vous dites que vous voulez nous aider, c’est le moment de le montrer.
- Hors de question ! s’écrie brusquement le Duc sortant de son silence en se levant en toute hâte
Mon regard se perd sur le Duc qui pour une fois me regarde sévèrement, présageant certainement ma réponse.
- Votre Altesse, je vous en conjure...Ne faites pas ça.
- Votre Excellence, nous avons déjà eu ce genre de conversation vous et moi me semble t-il et vous connaissez donc ma position. Il est inutile de revenir dessus, souligné-je
- Votre Altesse, vous n’avez ni les moyens, ni les capacités d’accepter ce genre de requête plus que grotesque. Vous n’êtes pas un garde, ni un soldat, ni une quelconque personne capable d’aller affronter deux hommes seuls. Vous êtes...
- Je sais ce que je suis. Néanmoins, j’accepte leur requête.
Sinon, pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici si c’est pour leur tourner le dos à la dernière minute ? Quelle Reine se découragerait devant le moindre petit défi ? Et puis c’est l’occasion de mettre à profit le travail de Valerian.
- Qui nous dit qu’elle ne va pas faire comme tous ces nobles ? Nous tourner le dos dès qu’elle partira d’ici en nous laissant croire qu’elle va nous aider ? siffle une voix.
- Ouais il a pas tort, on peut pas lui faire confiance.
- C’est vrai ça.
Je vois. Il leur faut donc une preuve de bonne foi, je présume ? Rien de plus normal, le fait qu’ils s’attardent déjà à bien vouloir me parler leur demande certainement beaucoup alors je ne peux pas attendre plus de leur part.
- Étant donné que vous vous êtes pris d’affection pour mon compagnon, pourquoi ne le garderiez-vous pas dans ce cas ? Je reviendrais pour lui.
- Vous seriez prête à vous aventurer seule, sur un territoire inconnu, non armée, dans l’unique but d’aider des gens que vous ne connaissez pas et dont vous ne savez rien ? relève Robin en me regardant avec surprise.
- Je vous l’ai dit, je ne suis pas là pour perdre mon temps à essayer de vous jouer des tours. Que vous me croyez ou non, ce n’est pas mon problème majeur. En revanche, si je peux faire en sorte d’améliorer une situation largement causée par les miens, dans ce cas, autant que je m’y mette maintenant.
- Je ne sais pas si je dois admirer votre grand courage ou avoir pitié pour la folie qui détourne votre esprit de la dangerosité de la chose, continue-t-il.
- Je vous laisse choisir. Néanmoins, informez-moi quand vous aurez prit une décision car soit j’y vais seule, soit j’y vais avec lui.
- Très bien, vous pouvez y aller ensemble, souffle t-il
- Robin !
- Mais ! J’ai une condition.
- Je vous écoute.
- Prenez quelqu’un du village avec vous...pourquoi pas Rex, ici présent ?
Pointant un homme se tenant silencieusement contre une des poutres portantes de la bâtisse, le nouveau concerné se redresse en remarquant toute l’attention portée sur lui. Dormait-il jusqu’à présent ?
- Excusez-moi, informe le Duc en m’attirant plus loin.
Sans demander son reste, ce dernier ouvre une porte et la referme aussitôt nous nous retrouvons tous les deux derrière et aux traits de son visage je peux aisément deviner sa colère. Va-t-il encore me sermonner ? Que veut-il rajouter de plus que je ne sache déjà ? Ses poings serrés, je remarque qu’il les relâche progressivement tandis qu’il fait les cent pas dans la pièce sans dire un mot. Puis il marque un temps d’arrêt, se masse les tempes et se retourne vers moi pour me foudroyer du regard.
- Dites-moi que vous n’êtes pas totalement inconsciente ?
- Est-ce que cela vous rassurerait-il ?
- Ne répondez pas à ma question par une autre question ! Vous n’avez pas la moindre idée de ce qui se trame ici et vous pensez sincèrement pouvoir changer la situation ?
- Non. Je ne suis pas magicienne et je n’ai guère de baguette pour jouer un tour à ces gens.
- Alors ne vous embarquez pas dans des combats qui ne sont pas les vôtres ! Avez-vous pour souhait secret de mourir jeune ? Ce n’est pas parce que vous avez su tenir cinq minutes face à Roxan qu’il faut que vous vous sentiez pousser des ailes.
- Ce n’est pas le cas. J’aide ces gens, tout simplement.
- Vous ne pouvez rien pour eux !
- Qu’est-ce que vous en savez ?
Un soupir. Voilà tout ce dont j’ai le droit en guise de réponse. Un soupir de sa part.
- Vous ne savez pas ce que ça fait vous de vivre seul. Abandonné. Complètement délaissé. De voir que tout le monde vous tourne le dos et se fiche éperdument de ce qu’il vous arrive. Vous ne savez pas le mal que cause des repas froids noyés dans les larmes. Vous ne savez pas ce que ça fait de voir que malgré tous vos appels à l’aide, personne ne vous réponds. Alors peut-être qu’à vos yeux, cher Duc, je ne suis qu’une tête brûlée, une ignorante, une enfant, mais sachez une chose : Je n’abandonnerais pas ces gens. Vous avez dit et proclamé vouloir faire de moi la Reine de ce Royaume, il serait peut-être temps que vous montriez votre détermination pour cela car jusqu’à présent vous n’avez été que désagrément, désobligeance et jugement à mon égard. Honnêtement, vous me voyez navrée de ne pas être le pantin que vous pensiez très certainement que je serais, peut-être que cela nous aurait facilité les choses à vous comme à moi.
Voyant les traits de son visage passer de la colère à l’incompréhension, je m’approche d’un pas vers lui en continuant mon monologue de l’exaspération.
- Vous n’êtes pas le seul à être méfiant, à avoir peur ou que sais-je encore ! Néanmoins, je ne suis pas dans une position où je peux me permettre de montrer mes faiblesses et mes appréhensions. Je ne peux pas être un livre ouvert. J’ai émis le souhait de ne pas avoir à mentir, mais je ne peux pas non plus être totalement honnête. Je vais faire des choix qui vont vous déplaire et je continuerais tant que j’estimerais que ces derniers sont les bons. Oui, je n’ai pas toutes les cartes en main, je bluff, je mens et je joue parfois un rôle en me cachant derrière un masque qui n’est pas le mien, mais si par le plus grand des hasards, l’utilisation de ce genre de moyens me permet d’atteindre mon but, alors Duc de Norlia, sachez que je les utiliserais. J’utiliserais tout ce que j’ai à portée de mains. Vous compris. Dans trois mois, je serais Reine de Nettivia ou je mettrais fin à ce système pourri dans lequel nous nous trouvons depuis bien trop longtemps. Il y aura la paix ou il y aura la guerre, mais croyez-moi, je ne me laisserais pas faire. A présent, je vous conjure à mon tour de réfléchir à cela et à la position que vous voulez adopter avec moi. Si mes objectifs vous déplaisent, je ne vous retiendrais pas. Après tout, n’êtes-vous pas le supposé fiancé de ma sœur aîné ? Je suis certaine que sa province sera plus à votre goût et peut-être que cette dernière vous prêtera son oreille de façon plus attentive qui sait ?
Je ne suis peut-être qu’une fillette de quinze ans ayant reçu pour titre celui de «princesse», mais croire que cela me définit serait alors faire une erreur monumentale. L’âge ne définit pas la personne. En juger autrement serait alors se méprendre.
Mais là on parle d'une affaire sérieuse: démanteler le réseau de trafic généré par Roxan et son groupe et je me demande bien comment la Princesse, le Duc, Valerian et Rex vont s'y prendre pour parvenir à cela... C'est loin d'être gagné...
Je trouve que la réaction de Magdalena est surprenante au début du chapitre. Lordqu'elle dit qu'elle veut se faire aimer par ce peuple en essayant de les aider et en ne leur mentant pas pour des like. Mais le fait qu'elle pouffe à leur question peut donner au contraire l'impression qu'elle se moque de leur préoccupations et les prend à la légère. Après il est possible que j'ai mal compris ce que tu voulais dire, n'hésite pas a me corriger ;)
Comme toujours Magdalena reste fidèle à elle-même. Elle n'est pas là pour des questions d'apparence et n'hésite pas à être claire sur ce point. J'aime beaucoup cet aspect de sa personnalité.
J'ai hâte de voir où tout ça va les mener. Et puis ça chauffe avec le Duc huhu :3
Magdalena n'a aucune envie de changer je pense, dans sa tête c'est encore "Je décide et vous écoutez" sauf que bon, on sait que souvent les avis et les conseils et des uns et des autres ne sont pas bons qu'à être jetés dans un coin :( J'ai tellement mal au coeur pour elle...Tellement...
Quant à sa relation avec le Duc c'est justement son...ou plutôt leur obstination mutuelle qui fait qu'ils sont clairement en train de se tirer une balle dans le pied tous les deux.
Du coup, ça m'intrigue de voir comment elle va évoluer et ce qui va lui arriver. c:
Haha ce genre de duos, c'est génial. :')