Alors que je rentre chez moi, une odeur me prend le nez. Ça ne sent pas ma maison. J’enlève mes écouteurs avec le podcast Cultur’time que j’avais en fond sonore. Automatiquement, je panique. Je n’aime pas la sensation qui me traverse. Elle me glace d’effroi. La maison est silencieuse, ce qui ne devrait pas m’étonner. Mon père m’a prévenu qu’il allait rentrer un peu plus tard que d’habitude. Mais là, le silence est anormal, il est pesant.
Tandis que je ferme soigneusement la porte derrière moi, je me concentre sur mon odorat. L’odeur est vraiment intense et me prend le nez. Je sais que je la connais, mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur à quoi elle correspond. Je n’enlève pas mes chaussures par pure précaution, j’ai vu trop de thread horreur de Squeezie pour faire l’erreur de m’enlever ce qui me permettra de m’enfuir rapidement.
En faisant le moins de bruit possible, je me déplace lentement dans l’entrée tout en serrant fermement contre moi la bombe lacrymogène. Un léger bruissement me parvient du salon et mon cœur s’emballe. J’ai l’impression que je vais défaillir. Je sais que c’est bête, je devrais sortir de chez moi et appeler la police. J’ai été mieux éduqué que ça ! Mais ma curiosité prend le dessus. Je connais cette odeur, j’en suis certaine. A chaque pas que j’effectue, je tends l’oreille voulant distinguer le moindre son. Je me colle contre le mur et plaque ma main sur ma bouche lorsque j’entends des pas se rapprocher.
Et c’est là que ça me percute.
Je vais lui casser la gueule.
Comment j’ai pu ne pas reconnaître le parfum âcre de la suffisance ?
Encore une fois, ma mère squatte ma maison. Mais cette fois, elle ne s’est pas contentée d’attendre dans l’allée. Tant mieux pour elle, j’aurai eu trop envie de lui faire bouffer les gravillons.
Respire, Manon.
On contrôle ses émotions.
Inspire.
Expire.
Je concentre toute mon énergie pour ne pas fondre en larmes ou lui faire goûter le parfum de ma bombe lacrymogène. Je me sens en danger, techniquement, c’est de la self-défense, non ?
Et c’est à ce moment qu’elle me voit.
- Manon, tu en as mis du temps pour rentrer. L’attente était interminable, le repas de la dernière fois était tellement agréable que je souhaite le recommencer ce soir, surtout la fin. Je t’avoue qu’après ton coup d’éclat digne d’une gamine mal élevée, la tension avec Damien était à son comble. Mais comme toujours j’ai réussi à le convaincre.
Elle s’esclaffe alors dans le rire aigu qui la définit tellement :
- Je réussis toujours à le convaincre. Certains arguments prennent juste plus de temps que d’autres à maturer.
Je regarde autour de moi pour chercher une échappatoire ou pour vérifier qu’il n’y a pas de témoin à mon excès de violence qui ne va pas tarder. Je n’ai pas encore décidé de ce que j’allais faire. Droite comme un I sur ses talons de huit centimètres, elle me scrute de haut en bas, tout en remettant ses cheveux derrière ses oreilles. Moi qui aimais bien le bleu pastel, je pense que je peux rayer cette couleur de ma garde-robe. Après avoir fini son inspection, elle se retourne et reprend la tâche. Je suis tous ses mouvements du regard. Trop choquée pour réagir, son tailleur parfaitement taillé et digne de Jackie Kennedy m’offre une tache de couleur à suivre.
Elle disparaît dans la cuisine et revient avec tout le nécessaire pour mettre la table. Est-ce qu’elle a déjà fait dans sa vie ? Elle fredonne une musique tout en tenant fermement les assiettes. Sans me jeter un regard, elle installe le tout. Faisant attention au moindre détail, l’alignement des couverts, des verres à vin, tout doit être parfait. Et je reste là. A la fixer.
J’ai l’impression que l’on m’a mis sur pause.Que toutes mes réactions sont bloquées et je ne peux pas réagir normalement. Je suis complètement à côté de la plaque.
- Tu vas rester combien de temps à me fixer ? Je sais que tu n’as pas l’habitude de voir une femme accomplit dans tous les domaines, mais il ne faut scruter les gens, c’est mal élevé.
- Comment est-ce que tu es rentrée ici ?
Elle soupire en allumant les bougies.
- Tu n’apprendras donc jamais. Incapable jusqu’au bout, même pas avoir la capacité de retenir une seule consigne : le vouvoiement. C’est pourtant la représentation même du respect, je savais que tu étais un peu retardée mais à ce point. Pauvre chérie… Est-ce que tu as besoin que je te l’explique une nouvelle fois en faisant peut-être des dessins ? J’ai mieux et si on utilisait des mots plus simples.
Ma langue passe sur mes dents tandis que je tente de me calmer. La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe. Je me répète cette phrase en boucle, en espérant qu’elle aura un effet apaisant sur moi. Je ne me sens pas à l’aise dans ma propre maison.
- Toi, simple fille. Moi, mère. Toi, dois avoir respect pour moi. Toi, utiliser vous pour parler à moi. Compris ?
Je ne réponds pas. Ça ne sert à rien de rentrer dans son jeu. Je suis plus intelligente que ça. Je me détourne pour lui laisser l’espace. Je ne peux pas la virer de chez moi, enfin je ne pense pas que mon père me donnerait l’autorisation. Donc autant aller ailleurs où je pourrais enfin respirer.
- Oh et j’ai oublié de répondre à ta question.
Je me retourne et l’interroge du regard. Elle sort alors un trousseau de clefs de sa poche avec un sourire triomphant. Elle les fait tinter avant de reprendre :
- Ton père m’a donné un double, je peux donc venir quand je veux.
Je serre mes poings, enfonçant mes ongles dans mes paumes. M’ancrant dans la réalité alors que j’ai l’impression de nager dans mon plus cauchemar. Je scrute le moindre détail, analysant la table mise devant moi. Tout est à l’image de ma mère, tirée à quatre épingles. Les couverts sont alignés et séparés au millimètres près, les verres organisés dans un ordre que je ne comprends pas. Les deux serviettes pliées dans les assiettes en forme de cignes. Et les bougies éclairant la table au centre, créant un halo lumineux se reflétant dans les verres. Pardon ? Les deux serviettes en papier ?
Mon attention se recentre autour de la table. Et la réalité me frappe. Elle ne m’a même pas inclus dans ses plans. Une table à deux ne m’a pas choqué sur l’instant puisque c’est comme ça qu’on la prépare depuis des années. Je tente de ne pas le prendre pour moi, ne pas être invitée… Je peux m’en remettre, voyons.
- Oh tu l’as remarqué ?
Je ne réponds pas, tout en conservant la neutralité sur mon visage. En tout cas, c’est ce que j’espère. Je sens le fourmillement de ma mâchoire alors que je me contrôle en respirant fortement par le nez. Elle ne doit pas se rendre compte de la colère qui s’abat en moi.
- Un repas n’a peut-être pas réussi à convaincre ton père que tu es une moins que rien. Mais à force de répéter cela à ton idiot de père, l’idée va commencer à faire son nid. Et tu te partiras enfin, tu vivras dans une vie de misère comme ce que j’ai dû vivre depuis ta naissance où personne ne t’aimera ne t’aidera. Je ferai tout pour ruiner ta vie et ton existence. Ton père ? L’autre crétin qui joue à la baballe ? Et ton amie ressemblant à une pute ? Tous y passeront.
Et là, je craque.
- MAIS TU VAS LA FERMER, OUI ?, je lui hurle en lui fonçant dessus.
Son visage si parfait se fige pendant quelques secondes avant qu’elle profite de ma proximité pour m’assener une claque faisant tourner ma joue à cause du choc. Automatiquement, je touche ma joue qui s’échauffe. Je sais que la marque de sa main commence à être visible.
Je ne sais pas vraiment ce qui se passe en moi, je ne sais même pas comment l’expliquer. Mais je n’arrive plus à contrôler ma colère, mes exercices de respiration ne me viennent même pas à l’esprit. Je suis comme Hulk quand il se transforme, ça va être un carnage. Je ne supporte plus sa présence, son odeur. Je la saisis par la nuque et appuie de toutes mes forces pour l’empêcher de se mouvoir sans que je le décide.
- JE SUIS TA MÈRE, TU ME DOIS LE RESPECT ! me hurle-t-elle et je suis surprise de ne pas voir les murs trembler. .
Elle reprend plus calmement, mais je vois tout de même la rage bouillir sous son maquillage parfait. Si je n’étais pas moi-même shooté à l’adrénaline, je serai sûrement terrifié.
- Tu dois m’écouter, si je te dis que tu n’es qu’une sous-merde tu me dis oui mère. Si je te dis que tu devrais mourir la bouche ouverte dans le caniveau, tu me demandes lequel, dit-elle en tentant de se dégager.
Je resserre l’étau que mes doigts forment et lui abaisse la tête tout en la faisant avancer vers la porte.
- Première chose, tu n’es pas mère. Tu es la chose qui m’a porté pendant neuf mois et c’est tout. Le seul respect que j’ai est pour mon père qui semble avoir encore des sentiments pour toi. Tu n’es pas la bienvenue dans cette maison, qui est la mienne. Deuxième chose et la dernière, tu peux mal parler de moi autant de fois que tu veux. Mais si tu oses encore une fois critiquer les gens que j’aime, je vais t’anéantir.
- Espèce de petite merdeuse, dit-elle en tentant de claquer ma main qui l’emprisonne toujours.
Je me retiens de lui planter les ongles dans la nuque pour lui montrer qui commande.
- La petite merdeuse te dit de la fermer.
La porte est maintenant visible et je me concentre sur mon objectif tandis que je souffle comme un buffle. C’est qu’elle ne se laisse pas faire l’autre. Sauf que j’en ai vraiment marre et que si elle continue, mon spray au poivre pourrait vraiment être utilisé. Avec ma main libre, j’ouvre la porte que je n’avais pas verrouillée. Je profite de l’impulsion et du dernier zeste d’énergie dont je dispose pour la faire sortir et lui claquer la porte au nez tout en lui arrachant le trousseau qu’elle tenait fermement.
C’est incroyable cette sensation.
Sans perdre la moindre minute, je retourne vers la salle empestant toujours son parfum. Toutes ses affaires sont réunies en un rien de temps, je prends le tout et me dirige vers l’étage avant d’ouvrir la fenêtre proche de la porte. Tout finit dans le jardin de devant. Son sac que je n’ai pas pris la peine de fermer se renverse sur toute la pelouse, révélant son contenu à tous.
Je suis dans une colère noire. Je dois enlever ce fichu parfum qui empeste l’air. Je sors de la pièce en tapant des pieds et en cherchant mon téléphone pour mettre sur mon enceinte tout l’album Reputation de Taylor Swift et l’hurler à pleine gorge. Et je me retrouve couper dans mon élan en passant devant la porte. La manche de mon sweatshirt se retrouve coincée dans la poignée de la porte.
- Aaaaaaaaaaaaaaa.
De frustration je donne un coup de pied dans la porte, me faisant mal aux orteils par la même occasion. Je vais faire une connerie, je le sens. Heureusement que je n’ai pas mon téléphone dans mes mains, je serai capable de le lancer par terre pour calmer pendant une fraction de seconde.
- DON’T BLAME ME, LOVE MADE ME CRAZY !, j’hurle en ouvrant les fenêtres et en faisant trembler les murs sous la violence de mes gestes.
Et ce n’est que lorsque j’ai terminé mes 24 audios où je radote et fais des podcasts entiers sur la sorcière qui a osé s’introduire chez moi et que j’ai rangé toute ma bibliothèque que j’ai retrouvé un semblant de calme.