Chapitre 40 - Les non-dits

A Eybure.

L’appel avait cueillit Paskhal alors qu’il discutait avec sa femme et le père de Nazar et Zaven. Depuis qu’il avait appris la réelle destination d’Arthur par la lettre de Bénédit, il n’en avait pas parlé à Hestia. S’il l’avait fait, il l’aurait blâmé et la nouvelle fragilité de leur relation ne le permettait pas.

_ C’était Arthur ? Comment va-t-il ? Il a retrouvé Solenne ? S’écria Hestia.

_ Alors c’est bien toi qui lui as demandé de partir ? Tu n’aurais jamais dû. C’était inconscient de ta part ! S’il ne rebrousse pas chemin dès maintenant, s’en est fini pour lui aussi, gronda Paskhal en agitant ses mains pour montrer son agacement.

Hestia était folle de rage. Elle qui pensait voir son plan s’accomplir enfin. Elle avait envoyé son ainé et l’Elu des physés pour retrouver ses filles. Elle pensait qu’une fois devant le fait accompli son mari se révolterait aussi, avec elle.

_ Tu aurais voulu que je sois comme toi ? Passive ! Je ne peux pas Paskhal. Je ne sais même pas comment tu fais ! J’ai tout fait pour qu’on retrouve mes filles ! Tout et j’en ai perdu une malgré tout ! Manon est morte et là encore tu n’as rien fait ! Pourquoi Paskhal, pourquoi ?

_ Parce que je ne le pouvais pas ! J’y étais contraint Hestia et par bien des manières. Je n’ai pu éviter à deux de mes filles un destin funeste mais toi tu viens de mettre la corde au cou de notre ainé et tu ne t’en rends même pas compte !

Il était tremblant sans vouloir lui montrer sa faiblesse ou sa peine. Pourtant, il était à la merci de sa femme et de tant d’autres personnes.

_ Oh oui Paskhal parce que tu es maudit et j’ai bien peur que tu ais maudit nos enfants avec toi ! Je ne reconnais pas l’homme que j’ai épousé. Ce beau Kalokas au regard pénétrant qui se jouait de tout le monde sans jamais s’écraser. Tu n’as jamais plié face à personne ! C’est pour cela que tu es devenu le conciliateur dynaste et là, alors qu’on te prend tes enfants, tu fais profil bas ? Que me caches tu ?

_ Il a tenté d’aider Sonfà à s’échapper ! Il a tout fait pour la rapatrier ici. C’est dans une auberge à des dizaines de kilomètres de là qu’elle a été retrouvée. Les ministres savent comment elle est arrivée jusque-là. Ils connaissent l’implication de Paskhal dans sa fuite mais ils l’ont passé sous silence, intervint Zeroual.

Hestia était interloquée. Son couple n’avait jamais connu une telle distance. Avant, ils se disaient tout, partageaient tout. Depuis l’enlèvement de ses filles, un fossé s’était créé. Aujourd’hui elle s’en rendait compte plus que jamais.

_ Maintenant, tu leur as livré notre fils. Le ministre Asage n’allait pas envahir nos terres Kalokas sans raison apparente, alors il s’est tu. Peut-être qu’il craignait de m’affronter sur mon terrain. En tout cas maintenant, s’il découvre que mon fils ainé est proche de lui, il a de quoi me le faire payer Hestia.

_ Bon sang, tu le crains à ce point-là ? se radoucit Hestia.

_ Il détient un fléau, il peut le rependre tel un poison dans les veines de tous ceux qui l’entoure. Vous ne savez rien de lui, de sa pugnacité mais moi je la connais et je le crains. Je sais ce qu’il est capable de faire. Le jour où il détiendra notre fils, il en sera fini pour lui aussi. Je doute que Solenne aura beaucoup plus de temps, si elle est toujours en vie.

Paskhal se montrait peiné, il en avait du mal à poser ses mots. Il pesait chacune de ses paroles comme si elles étaient lourdes de sens. Beaucoup de non-dits venaient d’être révélés et il ne pouvait plus faire marche arrière, pourtant il cachait encore bien des choses à sa femme. 

_ Vous pensez que c’est Garnel Asage qui a fait tout ça ? Enlever vos filles, tuer Manon mais dans quel but ? le questionna Zeroual.

_ Sûrement oui ! Du moins il en serait bien capable, avoua l’Elu des Kalokas.

_ Si tu le sais depuis le début, pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Pourquoi n’as-tu rien fait ?

_ Tu ne le comprends pas ! la coupa Zeroual. Il ne le savait pas depuis tout ce temps, sinon il ne l’aurait pas laissé approcher si prêt de sa famille. Quand il l’a découvert, il était surement déjà trop tard. Il doit le savoir depuis l’article sur Endza n’est-ce pas ?

_ Oui, c’est à peu près à ce moment-là que j’ai compris qu’il devait détenir mes filles ou savoir qui les avait enlevés. Je me suis donc plié à ses exigences pour leur éviter la potence. Cela n’a pas suffi. Manon en a payé le prix. En retrouvant ma force, ma vigueur à sa mort j’ai cru que je pouvais de nouveau me mesurer à lui. Aider Sonfà était une planche de salut. J’ai été bête et peu prévoyant. Ils l’ont découvert et ont fermé les yeux. Mais jusqu’à quand Hestia ?

_ Il avait besoin d’un allié chez les Siréliens. Pour s’assurer de ta fidélité, il a pris vos enfants et Paskhal ne peut rien y faire. Regarde comment il traite les autres peuples ! Gaultier, Vikthor ont dû refusés mais ils n’ont pas d’enfant eux ! Ils n’ont rien à perdre, prit parti Zeroual.

 _ Oui mon ami. Tu me comprends maintenant. Hestia, je suis désolé. Je pensais simplement éviter la mort de nos autres enfants et protéger notre peuple. Les hylés ont été déportés en grand nombre et on traque les physés. Seul notre peuple semble être en paix, expliqua Paskhal.

_ Nos enfants sont le prix à payer pour cela ?

_ Détenir le futur Elu qui se trouvait être ma fille lui donnait l’avantage. Il ne s’en est pas contenté et Arthur va lui être servi sur un plateau d’argent ! Je me suis tenu tranquille pour qu’on ne touche pas à la tête de mes autres enfants. Manon morte cela changeait la donne, j’ai tout fait pour aider Sonfà. Cependant, j’ai été sot et peu prudent maintenant le conseil ministériel sait ce que j’ai fait dans leur dos.  

_ J’aurais préféré qu’on se batte et qu’on perde tout par le sang plutôt que dans cette indignation. Il a gagné Paskhal. Nous sommes détruits, notre famille est détruite.

_ Tout n’est pas perdu mon amour ! J’ai retrouvé ma pleine puissance, un jour je le combattrais !

_ Mais à quel prix ? Tu as retrouvé ta force parce que tu t’es perdu Paskhal. Là dans ta chaire ce n’est pas le don de Manon qui coule dans tes veines mais ton abandon. Tu as rejeté ton rôle de père pour soutenir ton peuple.

_ J’ai fait ce que j’avais à faire pour vous protéger tous ! J’ai toujours eu l’espoir qu’en échange mes enfants me seraient rendu. Je ne voulais pas tous vous perdre. Qu’auriez-vous fait vous à ma place ?

Face à cette interrogation Hestia ne pouvait répondre. Elle ne savait pas ce qu’elle aurait fait ou pas justement. Elle s’indignait qu’il ait pu lui cacher ses doutes, ses peurs mais elle lui avait caché tant de choses elle aussi. Elle avait comploté dans son dos pour que son fils ainé parte avec l’Elu des rouges à la recherche de ses filles. Cependant ce n’était rien comparé au secret qu’elle détenait depuis sa première grossesse.

Hestia lui avait caché toute ses entrevues avec Namon, tout ce qu’on lui avait révélé sur le passé de son mari et sur le destin tout tracé de leurs enfants. Elle l’avait caché à tout le monde jusqu’au départ de son fils. Là, elle avait dévoilé une partie de son secret mais qu’une partie seulement. Elle aussi elle n’avait jamais joué franc jeu avec son mari alors pouvait-elle vraiment le blâmer ?

_ Face à cette situation les autres ont fui, Paskhal. Vikthor a abandonné son peuple combien même il essaye de venir à votre secours. Sans parler de Gaultier, il parait qu’il a disparu tout simplement ! Personne ne sait où il est parti alors je crois mon ami que tu as fait au mieux ! ajouta Zeroual face à ce silence pesant.

_ Laisse-nous Zeroual. Je dois parler seule avec mon mari si tu le veux bien.

Après avoir serré chaleureusement son meilleur ami dans ses bras, le père Bauthmy laissa le couple face à sa torpeur. Une décision était à prendre mais elle devait être prise à deux. Hestia devait choisir de pardonner à son mari, de le comprendre ou de lui en vouloir à tout jamais.

_ Très bien que faisons-nous maintenant ? l’interrogea Hestia.

_ Je dirais de faire profil bas. Cependant je te connais, et je sais que tu ne m’écouteras pas si la décision ne vient pas de toi. Alors que veux-tu faire maintenant ?

_ Promets moi de protéger Endza de tout ce mal.

_ Je te le promets, il ne lui arrivera rien et pour Arthur ?

_ Il ne rentrera pas sans avoir tenté de sauver Solenne et je m’en réjouis. Oui je peux le perdre lui aussi mais j’ai l’espoir que Namon l’épargnera. Elle ne m’avait prédit la mort d’aucun de mes enfants. S’il est trop tard pour Manon, elle épargnera les autres. J’en suis certaine. Solenne est importante à ses yeux, Arthur est peut-être l’unique moyen qu’on ait pour la retrouver.

_ Comment sais-tu tout cela ? s’interrogea Paskhal abasourdi.

_ C’est la déesse Namon en personne qui m’a confié nos enfants. Tous nos enfants !

Pour la première fois, Hestia expliqua à son mari ce qu’elle savait de lui, de sa malédiction et du passé de son père. Elle lui révéla qu’après avoir prié de nombreuses fois la Déesse elle était venue à elle en lui promettant des enfants si elle acceptait en échange qu’ils se battent contre cette malédiction. Elle n’avait jamais pensé à mal, jamais cru que ça pouvait aller si loin. Elle finit par lui expliquer le lien unique qu’avait souligné Namon entre sa première fille et Solenne.

_ Sait tu d’où vient Solenne ? Qui elle est ? S’écria Paskhal ému aux larmes.

_ Non. C’est une des rares choses que je ne sais pas, menti Hestia.

Bien qu’elle eût fait un effort, bien qu’elle se résignât à déculpabiliser son mari, elle ne pouvait se résoudre à lui dévoiler quoi que ce soit sur Solenne. Elle voulait juste lui avouer que peut-être tout ce qu’ils étaient en train de vivre était tout tracé, qu’ils n’y pouvaient rien. Peut-être que chacune de leur action étaient programmées, déniés de libre arbitre pour mener leurs enfants là où ils devaient être. Elle n’en savait rien mais elle était certaine que ce n’était pas le moment de dévoiler les origines de Solenne. Pas à son mari, si quelqu’un devait l’apprendre avant tout le monde c’était l’enfant concerné, personne d’autres.

_ Maintenant prions la encore, qu’elle nous vienne en aide, reprit Hestia.

Oh Namom, mère de toute chose, qu’as-tu faits là ? Qu’as-tu fait de moi ? Pourquoi tout ce poids ? L’amour ne suffira pas à nous protéger. Sur cette terre profane, je connaitrais le trépas. Maudit que je suis, Maudite que tu es, entama silencieusement Paskhal à l’égard de la Déesse tandis qu'il sanglotait.