chapitre 42 - Fraternité

Kentrony

Encore coincés dans la capitale, Tomàs s’en voulait d’avoir abandonné Sonfà à son triste sort. Bien que cela ne se soit pas réellement passé ainsi, le Yeghe prit de remords semblaient bien plus humains que n’importe qui.

_ Arrêtes Tomàs, tu ne pouvais pas prévoir que Madame Görstik nous espionnait. Tu n’as fait que prendre les devants. Tu as juste voulu prévenir d’autres Yeghes pour nous venir en aide. Quand nous avons laissé seul Lote et Marus avec Sonfà nous ne savions pas que les miliciens étaient déjà à leur recherche ! Nous ne les avons pas abandonnés ! La rassura Ferza.

_ Quand nous avons entendus les cloches, toi comme moi nous avons compris. C’était perdu. Un milicien les sonnait et non l’un des nôtres, on le sait tous les deux. A ce moment-là, nous aurions dû faire demi-tour, leur venir en aide Ferza !

_ A nous six qu’aurions nous fait ? Tu as entendu comme moi les coups de feu qui ont suivis, le coup monté des ministres et leur sentence envers notre peuple et Sonfà. Si nous étions redescendus nous serions soit morts soit exilés. Tu le sais très bien ! rétorqua la femme nuage.

_ Je sais bien mais je n’arrive pas à me faire à l’idée mon amie, rajouta Tomàs.

_ Il faut se concentrer sur le présent maintenant ! Hiwi nous a donné la chance de nous en sortir. Avec nos physiques il était impossible de sortir du cratère sans passer inaperçus, se cacher dans les anciennes galeries était une idée génie. Nous avons attendu de savoir ce qu’il en était pour nos frères et sœurs avant de s’enfoncer plus loin dans les galeries. Tu as vu comme moi comment ils les ont traités, les coupa Marthe, une des Yeghes qui avait pu s’échapper.

Quand Tomas avait saisi la fragilité de la situation, il avait tenu à regrouper plus de Yeghes et ainsi venir en aide à Manon au plus vite. Avec Ferza, il avait donc laissé Sonfà entre les mains de ses deux autres amis chargés de l’emmener hors du cratère. La femme nuage et l’homme tronc avait alors réussi à rameuter quatre autres amis quand les cloches de la discorde avaient sonné.

Si au départ, ils avaient tenté de comprendre de qui cela venait, ils avaient vite perçu les cris de Sonfà et le raffut des miliciens. Malheureusement pour eux il était trop tard. Ferza avait rattrapé Tomàs juste à temps sous les yeux de Sonfà et ils avaient pu s’enfuir. Cependant ils n’étaient jamais sortis par le haut du conseil, comme tout le monde le pensait. La ville de Kentrony nivelée par de nombreux monts et cratères était également remplis d’anciennes carrières. Des souterrains se dessinaient sous toute la ville.

Pris au piège, ils ne pouvaient pas sortir du cratère ministériel avec tous les miliciens à leur trousse. Futé, Hiwi, le Yeghe affublé d’un physique de renard, avait alors mené sa petite bande dans l’une des galeries méconnues qui donnait sur le dôme.

_ Nous avons de la chance d’être nés avec le Nouveau Monde, nous savons comment il a été fait. Nous avons cette mémoire du passé que les humains ou les siréliens n’ont pas. Toutefois, nous ne pourrons pas rester indéfiniment ici. Garnel Asage est un historien reconnu et un homme intelligent. Il étudiera la capitale pour nous retrouver, relança Hiwi.

_ Cependant, tant que ce n’est pas sûre dehors cela va être difficile pour nous. Nous devons bouger sans relâche dans les différents couloirs et ne pas rester deux nuits d’affilés dans une carrière souterraine, lui répondit Tomàs

_ Oui et nous devons également manger. Au plus vite, chasser les rats c’est vraiment immonde ! Rajouta Ferza.

L’heure était à la réflexion. Ils ne pourraient pas séjourner ad vitam aeternam sous les pavés de la capitale. Ils n’étaient pas faits pour ça et un jour on les trouverait bien. Cependant, ils ne connaissaient rien à l’extérieur. Ils avaient étudié pendant des centaines d’années, ils avaient vu les cartes et connaissaient les mœurs humaines et siréliennes mais ils n’étaient pas certains que ce soit suffisant pour s’échapper et aller vivre ailleurs.

_ Nous devons nous rapprocher de la surface. Quand il fera nuit, nous pourrons sortir. Il nous faudra trouver de la nourriture oui mais aussi des habits. Nous qui vivons sans accoutrement, là nous en aurons besoin pour dissimuler nos plumes, écorces et autres apparats. Plus nous serons couverts, moins ils verront nos corps, réfléchit Tomàs.

_ Et où allons-nous trouver cela ? S’inquiéta Silk, la femme reptile qui sortait ses mots en sifflotant tel un serpent.

_ Elle a raison. Il nous faut au moins des capuches pour cacher ma peau de plumes ou encore ses écailles ! Mais où? Surenchérit Elpi, en touchant de ses doigts ses plumes de paon qui lui recouvrait son corps humanoïde.

_ Regagnons la surface au plus près et on avisera une fois la nuit tombée ! trancha Hiwi inquiet en irisant son pelage orangé d’homme renard. 

Epuisés, ils arpentèrent alors un dédale de cavité des plus exigus. Les six Yeghes étaient déterminés à s’en sortir. Ils avaient toujours gardé foi en Namon, bien que les écarts des peuples les rendissent malades, ils croyaient toujours en son projet de départ et espéraient pouvoir rassembler de nouveau Humain et Sirélien. Immortels mais pas invulnérables, ils ne savaient pas combien de temps ils pouvaient tenir sans boire ni manger.

_ Vous entendez ? S’agita l’homme renard.

_ Les tremblements ? Les voitures, le train…. La ville grouille juste au-dessus de nous ! On a presque atteint la surface, chuchota Marthe la femme rocher.

_ Regardez là, il y a une plaque de métal. C’est surement par là qu’ils évacuent les eaux de pluie. Si elles peuvent rentrer, ce soir nous allons sortir.

_ Il n’y a plus qu’à attendre que la ville s’endorme alors ! Rajouta Tomàs.

_ Reposons-nous d’ici là, acquiesça Marthe en allongeant ses membres rocailleux.

Les six, serrés les uns contre les autres, attendaient la fin de la journée. Cela faisait déjà deux jours qu’ils vivaient ainsi sous terre. C’était le temps qu’il leur avait fallu pour s’éloigner du centre puis remonter à la surface. Le tout en s’assurant de ne pas être suivi. Ils avaient tellement déambulé qu’ils ne savaient pas où ils étaient. Normalement, ils étaient bien éloignés du conseil ministériel mais allait savoir dans quelle partie de la ville. 

_ La nuit est tombée, d’ici quelques heures nous pourront sortir se réveilla Tomàs.

_ Je vais me rapprocher de la grille pour voir où nous sommes tombés !

Hiwi entreprit alors de se coller face au métal, puisqu’il n’entendait rien il pouvait prendre le risque de soulever un peu la plaque. Peu habitué à soulever des charges lourdes, il la souleva difficilement. Il attendit avant de déplacer plus la grille, dans le doute où quelqu’un l’avait vu bouger. Comme il ne se passait rien, il la recula encore plus mais avec aisance cette fois. Surpris de sa force soudaine, il n’hésita pas à sortir sa tête entièrement de son trou pour voir où il avait atterri.

Une arrière-cour semble-t-il, songea Hiwi.

_ Bonjour… entreprit alors l’homme derrière lui qu’il n’avait pas vu mais qu’il l’avait aidé à déplacer la plaque dans son dos.

Toute doucement, Hiwi se retourna, les yeux affolés. S’il était pris il devait sortir au plus vite et faire croire qu’il était seul pour sauver ses camarades !

_ Bon… Bonjour, répondit fiévreusement Hiwi au jeune homme brun accroupi derrière lui qui fumait une cigarette.

_ Tiens mi-renard, mi-humain, étonnant ! S’amusa le fumeur.

_ Ce n’est pas ce que vous croyez ! Tenta Hiwi en s’évertuant de sortir de son trou. Là encore, le jeune homme l’aida avec aisance de ses bras musclés.

_ Quoi ? Que vous n’êtes pas un Yeghe ou que vous n’êtes pas en fuite ?

Prit de court, Hiwi ne savait pas quoi répondre. Il avait peur et n’arrivait pas à réfléchir normalement. La seule réponse qui lui vint alors n’allait pas l’aider.

_ Jolie gavroche jeune homme, je suis désolé de vous importuner. Je suis un peu perdu voilà tout. Nous avons qu’à oublier ce qui s’est passé !

_ Je me présente, je m’appelle Vikthor. Vikthor Peyrache et il parait que vous êtes en fuite pour avoir tenté de sauver la vie de mon amie Sonfà, je me trompe ou j’ai bien lu les journaux ? Le rassura enfin le grand brun en face de lui en lui sortant son telsman en guise de preuve.

_ Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant chantonna le Yeghe en guise de réponse émue.

_ Oui, je suis le rouge et j’essaye de rejoindre la jaune, pour triompher ! Vous êtes seul ? rajouta Vikthor en invitant le renard à se cacher dans l’ombre.

Voyant qu’il hésitait, Vikthor appela alors Arthur à la rescousse. A eux deux ils pouvaient le rassurer plus facilement.

_ Je te présente Arthur Agape, rajouta l’Elu avant d’être coupé par une quatrième voix.

_ Vous êtes le frère de Manon ? chuchota un homme sous terre.

_ J’en déduis qu’il n’est pas seul. Lui-même, répondit Arthur.

Là encore, une tête sortie des pavés. Le leadeur des Yeghes qui était resté dans l’ombre jusqu’ici, prêt à secourir son ami avait tout entendu et il tenait à se présenter maintenant.

_ Je suis Tomàs et j’ai vu votre sœur ! continua-t-il en sortant de la galerie, accompagné de ses amis.

_ Retournez sous terre, vous êtes trop nombreux pour passer inaperçus ! S’inquiéta Vikthor.

_ Il a raison, acquiesça Tomàs. Pouvez-vous nous aider à nous nourrir et nous camoufler ?

_ Evidemment, Arthur va faire cela en un rien de temps. La super-vitesse ça le connait ! Je vais descendre avec vous, nous devons parler.

En file indienne, ils descendirent un par un dans les sous-sols suivit de prêt par Arthur leur apportant vêtements et vivres de leur chambre d’hôtel.

_ Très bien, nous sommes ici pour venir secourir les sœurs Agape et pour cela nous devons nous introduire chez le ministre Asage. Vous avez l’air de bien connaitre les secrets de la ville, vous allez pouvoir nous aider. En échange, nous allons vous faire sortir d’ici, expliqua Vikthor après qu’ils se soient tous enfoncés un peu plus profondément dans les galeries souterraines.

_ Nous pourrions venir avec vous ! Nous ne sommes pas de très bons combattants mais nous avons à cœur de destituer les ministres ! Se réjouit Ferza.

_ Non, vous vous ne devez surtout pas restez ici. Vous devez faire partir du futur et selon les ragots des contrebandiers au marché noir, une résistance s’est formée dans ma région. Comme Kentrony, Yacuiba est rempli de secrets et si les miliciens n’ont toujours pas retrouvé ni ma sœur ni Bénédit, c’est qu’ils se cachent dans l’une de ses nombreuses grottes ! C’est là-bas que vous devez aller, déclara Vikthor avec assurance.

_ Il a raison, quand nous auront trouvez un moyen de vous faire rentrer chez Garnel Asage, vous trouverez un moyen de nous faire sortir d’ici pour qu’on rejoigne ceux qui sont dans notre camp ! Quand vous serez dans la gueule du loup, nous devront déjà être parti loin d’ici. Plus vite on y sera, plus vite on pourra demander du renfort !

_ Oh oui, c’est exactement ce qu’il faut faire. Séparés, nous avons plus de chance d’atteindre Garnel. Nous occuperons ses troupes ici pendant que vous fuirez. Si nous gagnons, nous aurons besoin du soutien des nôtres pour garder le dessus et si nous mourrons ou que nous nous faisons capturer, vous serez là pour nous venger ou nous venir en aide ! Rajouta Arthur en serrant la main de Tomàs.

Une nouvelle bande venait de se former, joyeuse et intrépide. Sous les pavés de la capitale l’insurrection grondait. Dans les cavités profondes des anciennes carrières, l’espoir portait cette équipe atypique. Pour la seconde fois, Yeghes et Siréliens allaient s’allier pour prendre le dessus sur le monde humain et rétablir l’ordre des choses.

Namon avait de quoi être fière, dans les abysses de Kentrony la fraternité comptait plus que tout. Vikthor rassurait son nouvel ami Hiwi bien qu’il eût l’allure d’un renard et Arthur dansait avec Ferza le torse plaqué contre son buste nuageux sans même y prêter attention. Ils partageaient tous ce moment avec convivialité sans voir leur différence. Là, ensemble et heureux ils chantaient une vieille rengaine. Elle était enfantine mais pourtant elle avait le pouvoir de faire trembler le ministre Asage et c’était ce qu’ils leur importaient le plus.

_ Un, deux puis trois, tous succèdent à leurs paires,

Le jaune, le rouge et l’orange font briller les pierres.

Un, deux ou trois mille ans et nous auront de nouveaux enfants,

Le bleu reviendra bientôt nous guérir et balayer les faux semblants

Là, Là, Là, un jaune, un rouge, puis un orange triomphant

Là, Là, Là, deux à trois mille ans et de nouveaux enfants, chantonnaient doucement les six Yeghes avec Arthur et Vikthor en renfort.