Domaine Dourgrenad, citée d'Ys – Brocéliande
Ce matin-là, Noémie était déterminée ; elle ne se dégonflerait pas et demanderait à Calys de retourner au Palais pour voir ses amies. Elle termina son petit déjeuner composé de fruits et de noix et but l’infusion que lui avait préparée une ondine.
Niall avait promis de les retrouver, et vu le bruit qu’elle avait entendu la veille en provenance de la cité d’Ys, il y avait de l’agitation au Palais.
Elle commençait à peine à accepter le fait qu’elle ne pourrait jamais retourner sur Terre, qu’elle était bloquée dans ce monde pour toujours. Le silence de la Reine à ce propos confirmait les demi-mots de Calys. Il rendait cette situation plus supportable, grâce à l’attention et l’amour inconditionnel qu’il lui portait.
Malgré cela, il devait comprendre que Léa et Alice, ses deux meilleures amies, étaient importantes pour elle. Même si elle se sentait bien à ses côtés, elle voulait retrouver un semblant de normalité, entendre ses amies rire, savoir ce qui leur était arrivé et, puisqu’elles étaient toutes les trois dans ce monde, créer des projets communs. Était-ce trop demander ?
Elle serra les poings, essayant de chasser encore une fois de son esprit son frère qui lui manquait. Puis elle essuya l’humidité au coin de son œil, pensant à ce que lui aurait dit Alice : « Il arrivera à s’en sortir, fais confiance à ceux qui sont avec lui ; t’apitoyer sur une situation sur laquelle tu ne peux pas agir n’améliorera ni sa situation, ni la tienne ! » Ou encore Léa, qui aurait pris la mouche en rabrouant la légèreté d’Alice et ses paroles idéalistes.
Elle scruta la mer, dans l’attente du retour de Calys, qui était partit tôt pour une inspection au large, et sentit, comme chaque jour, une sorte de somnolence la gagner quand elle fixait le mouvement des vagues. Elle reprit une gorgée d’infusion pour s’hydrater et aperçut un ondin s’approcher du rivage : c’était Eylren, celui qui l’avait emmenée au Palais, après lui avoir parlé du secret de Calys.
Elle ne se sentait pas à l’aise avec lui dans les parages, mais après tout, elle n’avait aucune vraie raison de le fuir, il ne l’avait jamais blessée. Il se mit à son niveau, un léger sourire aux lèvres.
— Bonjour humaine, on m’a dit que tu cherchais tes amies venant de la Terre.
— Bonjour Eylren, oui, je voudrais les revoir… Mais je ne partirai pas comme ça, dit-elle, méfiante.
— J’ai compris la leçon, je ne vais pas vous séparer, je t’apprécie bien plus que les autres humains.
— Merci, répondit Noémie, soulagée. Elle se faisait accepter petit à petit, c’était une bonne chose.
— Je peux créer un reflet dans l’eau pour que tu les aperçoives si tu veux.
Noémie ne put empêcher un sourire ravi d’illuminer son visage, alors qu’elle suivait l’ondin dans une zone rocheuse, où une petite retenue d’eau salée s’était formée à marée basse. Il ouvrit sa main palmée et frotta la surface de l’eau comme s’il l’essuyait, puis une image apparut, très proche de ce qu’elle avait pu observer dans le bassin d’Aeronwy. Alice et Léa étaient en pleine discussion et semblaient heureuses.
Elle ressentit du soulagement, puis un pincement au cœur de ne pas pouvoir être avec elles, puis un son se fit entendre, contrairement à l’image d’Aeronwy. Elle tendit l’oreille pour saisir leurs paroles.
— Je suis ***tente de t’a**** trouvée ! Heureus*** que Noémie **** pas là, disait l’image de Léa.
— Trouilla*** comme **** est, **** pas tenu deux heures, répondait Alice en pouffant.
— Nous som* déj* ***** occupé, sans **** à surve*** une empot***.
Noémie écarquilla les yeux de surprise en entendant cela. Ses deux amies souriaient comme si c’était le jour de leur vie tout en la dénigrant… Elle n’aurait jamais imaginé ses meilleures amies la critiquer dans son dos. Elle savait qu’elles n’avaient pas totalement tort, mais avoir vu ça lui faisait l’effet d’un coup de couteau : est-ce qu’elles seraient contentes de la retrouver ou… penseraient-elles qu’il aurait mieux valu qu’elle reste loin, sur Terre, pour ne pas les gêner ?
Eylren n’eut pas l’air surpris et se tourna vers Noémie, l'air compatissant.
— J’aurais préféré que tu apprennes ça autrement… dit-il.
— Non… C’est rien… je ne vais pas en vouloir au messager. Heureusement que je suis pas seule… répondit-elle, sentant un sanglot remonter.
Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, Calys arriva furieux et projeta l’ondin d’une vague.
— Qu’est-ce que tu as fait à Noémie ? Pourquoi pleure-t-elle ? demanda Calys, hors de lui.
— Arrête, Calys, il n’a rien fait de mal… c’est, il a voulu m’aider à voir mes amies et… reprit Noémie qui éclata en sanglots.
Calys prit sa compagne dans les bras, retournant dans son domaine sans un regard pour Eylren qui gisait sur le sable.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il, le regard soucieux.
— Léa et Alice, je crois… qu’elles ne veulent pas me voir. J’ai entendu des mots très durs. Je… elles me manquent, mais ce n’est pas partagé… avoua-t-elle, les yeux remplis de larmes.
— Je savais que les humains étaient immoraux. C’est impossible de ne pas t’aimer. Est-ce que tu veux vraiment les revoir ? Non, je suis contre.
— Elles me manquent… mais, je crois que « elles seraient mieux sans moi » pensa-t-elle sans réussir à le dire à haute voix.
Noémie enfouit son visage dans ses mains alors que Calys l’enveloppait de ses bras protecteurs. Ce geste lui fit réaliser qu'elle se sentait blessée, inutile, faible. Tellement faible que ses amies en venaient à dire ça sur elle.
— J’ai besoin d’être au calme, est-ce que je peux avoir un peu de tisane s’il te plaît ? demanda la jeune femme, la voix éteinte.
Calys se hâta de son pas glissant et hypnotique pour lui apporter, puis elle prit une gorgée, sentant son corps s’engourdir…
« Je dois être sous le choc, je me sens si… fatiguée » furent ses dernières pensées avant que la somnolence la gagne.