Quand Camille retournait chez ses parents, elle voyait toujours l'église se détacher un peu plus haut sur la grand route, juste à côté du terril d'Harnes, et par beau temps, ça faisait une carte postale plutôt jolie. En revanche, cette église avait toujours été moche au possible. C'était une construction des années 1950, un truc rebâti à la hâte après les bombardements de la seconde guerre mondiale. Si l'église précédente était moitié aussi moche, les Allemands nous ont fait une grande faveur en l'explosant, songea-t-elle alors qu'elle se garait sur le trottoir. On était samedi midi, ses parents étaient à la maison, sa grande sœur aussi. Alléluia. Au moins un être humain qui pourrait servir d'airbag dans le potentiel accident de la route familial qui allait se dérouler. Camille ne savait même pas si sa sœur était au courant de sa grossesse, mais pensait que c'était probablement déjà le cas. Au pire, ça lui ferait une surprise à elle aussi. Elle coupa Nick Cave qui chantait, très à propos :
« I come from a town called Millhaven
And it's dark and it's mean and it's cold... »
Camille ouvrit la porte sans toquer et fut accueillie par Gaillette, la caniche de ses parents qu'elle caressa volontiers. Elle entendit la voix de sa mère puis celle de sa sœur qui semblaient se disputer à voix basse. Elle prit une grande inspiration et se rendit dans la pièce de vie. Lorsqu'elle ouvrit les bras, elle réalisa à quel point son ventre était énorme.
– Oh mon Dieu, lâcha sa mère à mi-voix avant de se couvrir le visage de ses mains.
Ah bah j'aurais pas dit mieux. Heureusement, sa sœur Marine fit preuve d'un peu plus de bonnes manières et tenta de cacher sa surprise avant d'enlacer Camille comme elle le pouvait.
– Salut ! T'as faim ? C'est gratin dauphinois.
– Pour le gratin dauphinois, toujours. Où est Papa ?
– Dans le garage.
Des pas se firent entendre : le père de Camille, Patrick, apparut dans la pièce. Il eut un bref choc en voyant le ventre rond de sa benjamine mais n'en dit rien et lui fit un baiser sur le front. Un vrai baiser de papa qui pique un peu. Sa mère se décida enfin à lui dire bonjour en bonne et due forme. C'était pas trop tôt.
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– T'as une idée de pourquoi maman me regarde comme si j'étais une gueule cassée qui revient de Verdun ?
– Tu crois que c'est le bon endroit pour poser ce genre de question ? maugréa sa sœur.
– Le rayon loisirs créatifs de chez Action Courrières ? Bien sûr.
Marine lui jeta un œil mauvais avant de se redresser, crayons de couleur à la main. Elle faillit taper sa petite sœur derrière la tête mais se retint.
– Parce que t'es enceinte de six mois, tout ça dans des circonstances mystérieuses, avec un avenir incertain.
– Alors, pour les circonstances : tu vois, quand un monsieur et une madame s'aiment très fort...
– Camille, merde ! Pardon Madame, dit-elle à la brave mère de famille qui passait près d'elles et couvrait les oreilles de son petit. Camille, merde, répéta-t-elle plus doucement.
– Bon d'accord, je l'aimais pas tant que ça.
– Camille, merde. Tu te tapes un gars, tu finis enceinte, tu fais un déni de grossesse sur six mois et tu vas abandonner le bébé derrière. C'est pas commun, tu l'accorderas.
– C'est pas une raison pour me regarder comme si j'étais une bête curieuse ! Elle croit quoi, que ma situation est super ? Que j'adore ma vie ? Que j'ai vraiment besoin de rentrer voir ma mère pour qu'elle me fixe avec des yeux de poissons mort à larmoyer en scred-pas-si-scred ? s'emporta Camille.
– C'est aussi elle que ça impacte, tu sais. Nous tous.
– Ah ouais ? C'est vous qui portez ce gosse, peut-être ?
Marine se mura dans le silence tandis que Camille tentait de garder ses esprits. Elle trouvait qu'elle faisait beaucoup d'efforts pour ne pas péter un câble alors qu'elle portait en elle un passager plus que clandestin. Elle avait toujours des pulsions d'horreur et de violence, mais elles laissaient parfois place à une placide voire sinistre résignation.
– Elle sait qu'elle aura un petit-enfant quelque part sans jamais le rencontrer. Elle sait que tu auras été mère sans vraiment l'être et que... Que... Camille, merde, c'est juste tellement compliqué cette merde, soupira Marine qui se frottait vigoureusement les joues. On est inquiets pour toi. On- Je... Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, je ne sais pas pourquoi ça en est arrivé là, je ne sais plus vraiment quoi faire pour toi car tu as fait la seule chose à laquelle je ne m'attendais pas, et eux non plus.
Le bébé bougea dans le ventre de Camille. Elle eut envie de lui dire de faire plutôt profil bas. Petit fouteur de merde va. Il était là uniquement car la capote avait foiré et rien d'autre, or, le voilà qui se permettait de faire des backflips dans son utérus. Camille scruta sa grande sœur qui fixait le vide entre deux présentoirs, regarda son ventre arrondi puis serra mollement l'épaule de Marine en marmonnant :
– Ouais, moi non plus, je m'y attendais pas.
Bel euphémisme. Elles reprirent le chemin du retour et n'évoquèrent plus le sujet de la grossesse de Camille, à son grand soulagement.
J'écris rarement des chapitres très longs, je fais généralement des chapitres d'environ sept pages. Parfois moins pour des mini-chapitres qui sont un peu "hors action principale". C'est vrai que ça peut frustrer mais j'ai un truc avec le chiffre 7 et j'aime faire des chapitres qui tournent autour de ce nombre de page-là (oui, c'est un peu chelou mais au moins, j'écris).
Bon réveillon à toi !
J'avoue je lis un peu en scred, je suis content d'avoir plein de chapitres car j'aime bien pouvoir faire de petites immersions. C'est un plaisir de retrouver l'humour noir, les petites blagues des nouvelles stagiaires m'ont fait bien plaisir !
Je trouve agréable et bien vu d'avoir des personnages qui apportent d'autres points de vue sur la situation de Camille ; par exemple la soeur qui permet d'apporter le point de vue de la grand-mère, c'est rapide et efficacement dit mais permet d'éviter l'écueil de "ah maman méchante qui soutient pas sa fille c'est pas facile pourtant un déni de grossesse" en lui apportant sa perspective, ça adoucit un peu le propos qui est par ailleurs agréablement incisif. Bref, du coup bravo pour garder un peu de sel et un peu de nuances, c'est pas évident !
Plein de bisous !
Je suis contente de retrouver Camille. J'ai moins aimé ce chapitre, il y a moins d'ambiance que dans les précédents. Peut-être qu'il manque de descriptions.
La réaction des parents me laisse un peu froide. Je comprends qu'ils essaient d'éviter le problème mais ça n'a pas l'air de les gêner plus que ça. Alors que si. Le dialogue avec la soeur est beaucoup plus intéressant. Mais tu vas peut-être aborder la question plus tard.
Quelques remarques :
sur la grand route : grande
Camille ne savait même pas si sa sœur était au courant de sa grossesse, mais pensait que c'était probablement déjà le cas. : si Camille ne l'a dit à personne de sa famille, pourquoi serait-elle au courant ?
C'est gratin dauphinois : du ou il y a du
Oui la grand-route, on comprend mieux.
Bon, il me tarde de voir la suite avec cette famille alors ...