Chapitre 5 : Les flammes de l'exil
Le vent sifflait entre les falaises, soulevant la brume qui s’accrochaient aux parois rocheuses comme des ombres. Thalixia avançait d’un bon pas, le regard fixé sur l’horizon obscur. Son corps était fatigué, meurtri par les griffures des ronces et les pierres traîtresses du sentier escarpé, mais une flamme brûlait en elle, plus forte et vive que jamais.
Elle avait quitté son village dans la nuit, sans un bruit, sans un adieu, sans rien sauf des douloureux souvenirs.
Le poids du passé pesait encore sur ses épaules. Les souvenirs de son père, de ses derniers mots, hantait chacun de ses rêves. Elle sentait encore la chaleur de sa main sur la sienne, l’urgence dans son regard quand il lui avait murmuré de fuir, de ne jamais se laisser faire par les anciens.
Mais maintenant qu’elle était seule, une autre pensée la tourmentait.
Que faire ? Où aller ?
Elle savait seulement qu’elle ne pouvait pas s’arrêter.
Le sentier devenait plus escarpé, la forêt plus dense. Le monde au-delà des montagnes lui était inconnu. Elle avait grandi dans un village reclus, soumise aux lois des Anciens, aux histoires interdites chuchotées autour des feux de camp. Mais ici, dans cette forêt sauvage, elle était libre.
Libre… mais vulnérable.
Une odeur de mousse flottait dans l’air, mêlée au parfum des pins. Le bruissement des feuilles sous ses pas, le murmure d’un ruisseau plus loin, tout cela formait une mélodie étrange et pourtant apaisante. Thalixia posa une main sur son pendentif, sentant la chaleur familière du métal noirci contre sa peau.
Puis, un craquement. Son corps se figea. Elle n’était pas seule.
Son souffle se fit plus discret, son regard cherchant dans l’ombre la source du bruit. Les arbres s’étendaient en colonnes imposantes, leurs troncs noueux cachant mille secrets. Une forme bougea à sa droite, furtive, rapide.
Elle sentit son feu intérieur vibrer en réponse.
Un animal ? Un chasseur ?
Elle recula lentement, sentant son cœur s’accélérer. Sa main se crispa sur son pendentif.
Et soudain, une silhouette surgit.
Petite, fragile… un enfant.
Ses yeux dorés brillaient dans l’obscurité. Sa peau portait des écailles pâles, presque invisibles sous la lueur de la lune. Ses cheveux bleu pâle, voletaient faiblement autour de son visage. Il la regardait avec une intensité troublante, comme s’il la reconnaissait.
Un autre enfant comme elle.
Mais avant qu’elle ne puisse parler, une ombre plus massive apparut derrière lui. Des bruits de pas lourds, une respiration rauque.
Un chasseur, un braconnier.
Le cœur de Thalixia explosa dans sa poitrine.
Elle devait choisir. Fuir. Ou se battre. Elle choisit de se battre.
L’homme tira sur la corde retenant l’enfant, le faisant trébucher au sol dans un gémissement étouffé.
— Relève-toi, sale vermine, grogna-t-il en le soulevant sans ménagement.
Thalixia sentit une rage sourde l’envahir. Sa respiration se fit plus profonde, son regard s’embrasa d’une détermination nouvelle. Elle ne pouvait pas le laisser faire ça.
D’un bond, elle sortit de sa cachette pour s'interposer.
— Lâche-la !
Sa voix fusa comme un coup de fouet.
L’homme se retourna brusquement, ses yeux plissés scrutant l’ombre d’où elle émergeait. Il la jaugea un instant avant d’éclater de rire.
— Qu’est-ce qu’on a là ? Une gamine qui se prend pour une héroïne ?
Thalixia ne répondit pas. Son regard glissa vers l’enfant toujours à terre, ses poignets enserrés de liens solides.
Le braconnier dégaina un long couteau courbé, sa lame ternie par le sang séché.
— Écoute-moi bien, gamine. Tu vas tourner les talons et disparaître, sinon—
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase.
D’un geste vif, Thalixia tendit la main. Une flamme ardente jaillit de sa paume, et une gerbe de feu fusa droit vers lui.
L’homme eut à peine le temps de lever son bras pour se protéger avant que le feu ne lèche sa manche, carbonisant le cuir. Il jura et recula en battant des bras pour éteindre les flammes qui rongeaient son bras.
Ses yeux s’écarquillèrent.
— Toi… tu es l’un d’eux.
Il cracha à terre, son expression passant de la surprise à une haine viscérale.
— Une anomalie !
Il lui fonça dessus.
Thalixia esquiva de justesse un coup de couteau visant sa gorge, se baissant instinctivement. Elle roula sur le côté et tendit sa main en arrière, appelant son feu. Une nouvelle flamme naquit dans sa paume, illuminant la clairière d’une lueur dorée.
L’homme ne se laissa pas intimider cette fois. Il feinta sur la droite avant de frapper avec l’habileté d’un chasseur aguerri. La lame mordit le tissu de sa cape, effleurant sa peau. Elle étouffa un cri et riposta d’un coup de pied dans le genou de son adversaire.
Il vacilla, grogna, puis revint à la charge avec une rage décuplée.
Mais Thalixia était plus rapide.
Elle pivota sur elle-même, esquivant un autre coup de lame. Son feu crépita, enveloppant ses doigts comme des griffes ardentes. Elle frappa.
Sa main enflammée toucha l’avant-bras du braconnier, et une douleur cuisante le fit hurler. Il lâcha son arme sous la brûlure et recula en titubant.
Le regard de Thalixia s’illumina d’une lueur déterminée.
— Tu vas regretter ça, souffla l’homme, le souffle court, les traits crispés de douleur.
Elle s’avança, son feu pulsant autour d’elle comme une aura de rage contenue.
— Pars, et ne reviens jamais, gronda-t-elle.
L’homme hésita. Ses doigts tremblaient, le couteau était hors de portée. Il pesa ses options. Puis, il recula lentement, fixant Thalixia avec une haine sourde.
— On se reverra, sale anomalie.
D’un dernier regard empli de colère, il s’éclipsa dans l’ombre des arbres.
Le silence retomba aussitôt.
Thalixia reprit son souffle, ses flammes mourant lentement dans la brise nocturne.
Derrière elle, un bruit léger attira son attention.
L’enfant.
Il la fixait, encore recroquevillé sur le sol, ses yeux dorés écarquillés d’incompréhension et d’espoir mêlés.
Elle s’agenouilla près de lui et défit les liens de ses poignets d’un geste rapide.
— Ça va ?
Il hocha lentement la tête, incapable de parler.
— Viens. On doit partir avant qu’il ne revienne avec d’autres hommes.
Elle lui tendit la main.
Après une hésitation, il la saisit.
Sa peau était tiède contre la sienne, marquée par la peur mais aussi par une force insoupçonnée.
Ils n’étaient plus seuls.