Chapitre 5 - L'espion

_ Je me sens totalement incomprise et seule. Entre père qui me coupe de mon rêve et mon âme sœur qui ne peut tenir sa langue, je rumine ! déclara Manon en trainant des pieds dans le chemin.

_ Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Après la cérémonie, père sera plus présent pour toi, la consola Solenne tandis qu’elles se promenaient dans la forêt avec leur frère.

Paskhal, ayant beaucoup à faire depuis l’attentat, avait remis à plus tard l’entrainement de Manon. Elle apprendrait à ses côtés qu’après la cérémonie des Physés.  D’ici là, l’Élu devait aider à sa préparation et gérer l’exaltation des foules causée par la fusillade. En effet, le meurtre de Louise avait réveillé les anti-Siréliens. Tandis que la tentative d’assassinat contre Bénédit avait, elle, ranimé l’animosité des Siréliens envers les humains.

_ Oui, je sais, il doit faire face à une crise humaine et sirélienne sans précédent !

_ Et avec Maman appelée à enquêter sur cette affaire, ce n’est pas facile pour lui de s’occuper de vous ! intervint Arthur en s’adossant à un arbre pour profiter de son ombre.

En effet, Hestia avait dû venir directement sur les lieux de la tragédie pour épauler les enquêteurs. Son don pouvait lui permettre de remonter jusqu’au tireur, il lui suffirait de lire le passé des indices laissés sur place. Cependant, elle n’était là que comme consultante. La justice mondiale, comme la politique, n’était rendue que par des humains. Les Siréliens avaient, eux, leur propre système judiciaire, rendu par les conciliateurs. La justice humaine prédominait donc sur celle des Siréliens dans les affaires comme celle-ci. Là, une femme humaine avait été tuée et par conséquent les conciliateurs n’avaient pas carte blanche. L’enquête dépendait donc des humains, bien qu’ils aient accepté l’aide extérieur des dons.  

_ Sans compter qu’avec les retombées médiatiques de la cérémonie, l’affaire est également devenue politique. Père n’a pas la tête à s’inquiéter pour toi, en plus, surenchérit Solenne en shootant dans un caillou.

_ Nous savons que c’est compliqué d’être toi, Manon. Avoir un pouvoir qui te permet de lire dans les pensées et de les contrôler, c’est déjà beaucoup de poids sur tes épaules, mais il semblerait qu’en plus, tu sois également celle qui prendra la relève de notre père, en tant qu’Élu. Personne n’aimerait être à ta place, même pas moi, continua Arthur en passant sa main dans ses cheveux roux.

_ Sans compter que mon pouvoir semble aussi difficile à contrôler, que notre père parait anxieux à cette idée et que notre famille est la cible d’un corbeau ! le coupa Manon en ironisant avec humour.

_ Et tout ça pour une jeune fille de seize ans, incapable de se coiffer décemment ! se moqua Solenne en attrapant son frère et sa sœur par les épaules pour les inciter à reprendre leur balade.

La bande riait à chaudes larmes, Solenne avait toujours le mot pour détendre l’atmosphère. Chacun avait son rôle dans la petite fratrie. Si Manon devait marcher dans les pas de son père et causer sa mort, Arthur avait toujours essayé de protéger sa sœur de cette destinée. Avant qu’il ne quitte la maison familiale, sa présence permettait à sa famille de s’épanouir. Malheureusement, depuis qu’Arthur s’était marié, Endza s’était éloignée de ses ainées. Si leur mère avait tendance à soutenir ces deux dernières, Paskhal soutenait les positions de la cadette. Maintenant que ses sœurs avaient de nouveau besoin de lui, Arthur s’évertuait à reprendre son rôle.

_ Père fait cela pour te protéger, il ne pensait pas à mal ! reprit le rouquin en passant sa main sur son visage parsemé de taches de rousseur tandis que le soleil chauffait sa peau pâle.

Arthur savait que, si parfois son père avait du mal à guider Manon vers sa destinée, c’était également pour en protéger les autres. Si ni Solenne ni elle n’en avait souvenir, les pouvoirs de Manon pouvaient faire des ravages. Enfant, la sœur adoptive avait souvent été prise à parti par ses camarades de classe. Sa différence n’était pas vraiment appréciée en dehors du village d’Eybure. Malheureusement, alors qu’elles avaient cours à l’académie, Solenne avait été prise à partie à la sortie des cours. Des étudiants plus âgés avaient voulu l’embêter et un dénommé Colas, que Arthur connaissait pour avoir partagé certains cours, s’en était pris violemment à elle. Un autre avait retenu Manon pour qu’elle ne puisse pas intervenir. Tandis que l’un essayait de voler le telsman de la blondinette, l’autre poussait Manon à terre. Si Zaven, qui avait assisté de loin à la scène, s’était précipité pour les défendre, il n’avait rien pu faire. Après avoir reçu un coup de poing en plein visage, il s’était effondré au sol, le nez cassé.

C’est alors qu’Arthur était sorti de l’académie avec son père, en entendant le raffut. Ils n’avaient pas eu le temps d’intervenir que Manon avait pris le contrôle des deux agresseurs. L’un avait été projeté violemment contre un mur, tandis que l’autre suffoquait sans raison la main encore tendue vers le cou de Solenne. Le père et le fils n’en étaient pas certains, mais il semblerait que Manon avait réussi à lui bloquer la respiration à distance. Si Arthur et Paskhal étaient intervenus à temps, il en avait fallu de peu pour qu’elle le tue. Afin que Manon ne subisse aucunes représailles, son père avait créé une illusion où Zaven était venu seul à bout des deux malfrats. Paskhal était doué pour ça, il pouvait créer une dimension à part entière et l’instaurer ad vitam aeternam dans les esprits. C’est ce qu’il fit sur ses filles, sur Zaven ainsi que sur les deux autres étudiants.

_ J’ai promis de te protéger, moi aussi ! ajouta Arthur en posant ses yeux verts sur sa sœur.

Cet accident avait marqué un tournant dans les rapports du fils et de la fille. Paskhal avait su la maitriser, pour cette fois. Cependant, il n’était pas sûr que ce serait toujours le cas.

 C’est surement de ça qu’il a peur, aujourd’hui encore, songea l’ainé.

Arthur se souvenait qu’il lui avait fait promettre de lui dire si Manon réutilisait son don. Lui ne trouvait pas sain que l'esprit de sa sœur soit avili par des manipulations de leur père. L’amour pour sa sœur passant avant cette promesse, il veilla sur Manon, mais ne dit rien quand elle continua à développer son pouvoir. Au contraire, pour lui c’est parce que son père faisait tout pour limiter son don que sa sœur avait du mal à le contrôler. Pas l’inverse. Depuis, il l’avait toujours poussé à l’utiliser. Cependant, il avait une règle. L’utilisation devait se faire uniquement sur lui et sur ses sœurs, mais personne d’autre. Elle avait transgressé LA règle, mais Arthur ne lui en tenu pas rigueur. Manon était si jeune.

_ Père peut se montrer strict. Il a ses raisons. Je n’approuve pas toujours, mais je les comprends, déclara Arthur à la fin de leur balade alors qu’un vent rafraichissant faisait bruisser les feuilles autour d’eux. Il regarda Manon fixement, avant de continuer. Il va être très occupé ce mois-ci comme on l’a dit, mais je pense, contrairement à lui, que tu ne devrais pas repousser ton apprentissage.

À cette annonce, Manon lui offrit un grand sourire. Elle lisait dans ses pensées. En attendant que leur père se décide, lui, il serait là pour elle. Comme toujours. Arthur avait déjà assisté à une cérémonie d’Élu. Celle des Hylés. Il était encore jeune, mais il s’en souvenait bien. L’adolescent qui fut élu pour remplacer Zector devait être à peine plus jeune que sa sœur. Pareil tout du moins. Les pouvoirs des Hylés étaient moins complexes, moins dangereux que ceux des Kalokas. Cependant s’il avait pu être intronisé sans risque, Manon devrait pouvoir y arriver elle aussi. Il suffisait de l’y préparer. Doucement.

_ Concentre-toi sur moi, Manon, demanda Arthur.

Manon acquiesça et rentra dans son esprit, sans peine. Il ferma les yeux et prit une position de combat. Il demanda ensuite à Solenne de le frapper. La jeune fille, amusée, lâcha un coup de pied dans son tibia.

_ Aïe ! Très bien, dit-il, amusé. Le prochain maintenant, tu dois me le faire éviter ! proposa Arthur en se retournant vers Manon.

Ils enchainèrent les assauts de Solenne. Petit à petit, Manon prenait le contrôle du corps de son frère. Elle arrivait à parer de plus en plus les coups de sa sœur. Elle prévoyait même ses coups. Elle était rentrée également dans l'esprit de Solenne. Uniquement pour y lire ses pensées. Manon s’amusait avec son don pour la première fois. Elle n’avait jamais ressenti ça avec son pouvoir.

C’est étrange, songea Manon.

Alors qu’elle s’enthousiasmait de cet entrainement, Manon avait senti une douleur lui percer l’arrière de son crâne. La même douleur qu’elle avait senti la semaine précédente. Là encore, elle s’était figée. Quelqu’un l’observait. Non quelqu’un les observait. Elle sentait un esprit rentrer dans le sien, mais aussi dans celui de son frère et de sa sœur qu’elle contrôlait. Pourtant aucun d’eux ne sentait l’intrusion.

Elle lâcha alors leurs esprits pour se concentrer sur la douleur qu’elle ressentait en elle. Elle abandonna ainsi l'exercice, laissant Arthur seul sous les attaques répétées de Solenne. Manon avait mieux à faire. Si quelqu’un voulait rentrer dans ses pensées, elle aussi elle pouvait essayer de faire de même à cet envahisseur.

 Elle se concentra puis trouva sa cible. L’intrus était plus loin qu’elle ne l’aurait imaginé. Pas dans la forêt, mais à l’étang. La personne n’avait donc pas de vue directe sur elle. Ça voulait dire qu’il était télépathe. Tout comme elle. Le lien était fait et c’était un homme. Jeune ou âgé, elle n’aurait su le dire. Alors qu’elle s’efforça de lâcher prise et de s’infiltrer au plus profond de lui, il la repéra. Elle eut un cri de surprise, tout autour d’elle se mit à tourner. Elle se concentra alors plus intensément pour cette fois refermer son esprit à l’envahisseur. Elle n’y parvenu pas et tomba évanouie au pied de son frère. Il y avait un espion télépathe dans les parages et c'était un Kalokas.