Chapitre 57 - D'une femme à l'autre

J’arrivai épuisée au bas de l’immeuble de Chloé, vers 17h45.

Notre séance de running du mardi avait pris des allures de trail boueux. Il faisait de nouveau froid en cette deuxième quinzaine d’avril. D’autre part, il s’était mis à pleuvoir pendant que nous courrions, mais cela n’avait nullement indisposé Chloé qui n’avait changé ni son allure, ni son parcours. Nous avions passé quasiment une heure sous une bruine que le vent rendait plus glacée encore.

J’avais emmené mes affaires pour me changer chez elle avant de rester dîner. Je la laissai aller à la douche la première, tentant de récupérer un semblant de dignité, avachie dans un fauteuil. Finalement mon cœur et mon organisme se calmèrent, et je pus aller me réchauffer sous la fine pluie chaude du pommeau de sa baignoire, pendant qu’elle s’affairait à la cuisine.

 

Je l’y rejoignis quelques minutes plus tard, les cheveux mouillés mais ravie de pouvoir enfin les laisser sécher tous seuls. Qu’est-ce que ça me changeait la vie de les avoir coupés !

 

-Je peux t’aider ?

-Je fais juste une salade de tomates, pour accompagner les côtes de veau.

-Miam !

-C’est sympa que tu restes.

-Pour une fois on pourra bavarder sans être en train de courir.

-Ce que tu as du mal à faire, d’ailleurs.

-J’ai toujours peur de manquer de souffle.

-Oui, j’ai remarqué ça. Alors que t’es en très bonne condition physique. Là on a parcouru quasiment quatorze kilomètres en une heure quinze.

-Oui mais j’ai dû me faire une défibrillation pendant que t’étais sous la douche.

-Haha… sauf que tu vois bien que non. C’est bizarre parce qu’avec toute la danse que tu fais, tu devrais connaître ton potentiel d’endurance.

-De souplesse et d’endurance statique, oui. Mais courir longtemps, je ne l’avais jamais fait. Par contre tenir une position compliquée un certain temps, je sais faire.

-C’est cochon, ça !

-C’est pas à ça que je pensais, mais ça aide, oui…

-Tu m’intéresses.

 

Nous bavardâmes des cours, des professeurs et des sujets de mémoire que nous avions choisis dans notre master commun. Quand la salade fut prête, elle me proposa un apéro et nous nous installâmes au séjour avec un verre de vin doux et quelques olives.

 

-Il te va bien ton tatouage.

-Merci, je l’ai fait tout récemment, il a juste fini de cicatriser.

-Bon choix, à la cheville.

-Tu en as aussi ?

-Oui, tu veux voir ?

-D’accord.

 

Chloé portait un jean noir slim et un haut gris clair près du corps. Elle se leva et souleva le bas du vêtement, tout en se tournant. Au bas de son dos, une longue libellule zébrait sa peau, déployant ses ailes vertes symétriquement au corps de l’insecte tatoué en noir et blanc sur sa colonne vertébrale.

 

-Ah oui, je suis une petite joueuse à côté.

-Tu aimes ?

-Je trouve que ça te va bien, c’est joli et spectaculaire. Mais je ne l’aurais pas fait sur moi, je cherchais quelque chose de discret.

-Pourtant le tien on le voit très facilement, alors que le mien, à part en maillot de bain…

-Pas faux. Mais t’as dû déguster, non ?

-Si j’ai eu mal ?

-Oui.

-Un peu, mais c’est supportable.

-Même sur la colonne ?

-Oui, ça faisait mal, mais bon, ça va…

-Je dois être une vraie douillette !

-Qu’est-ce qui t’a donné envie d’en faire un ?

-Je trouvais ça sexy, à la cheville.

-Je te le confirme. Surtout avec tes jambes.

-Merci ! Et puis j’avais envie de changer d’allure, de façon générale.

-D’où les cheveux…

-Et le piercing.

-Fais voir ?

-Je levai mon pull beige et dévoilai à Chloé la petite barre de titane.

-Le définitif ce sera quoi ?

-Un diablotin.

-Pas mal. Et cette envie de changer d’allure, c’est lié à d’autres changements ?

-Sûrement…

-T’aurais pas carrément changé de sexualité, par hasard ?

-Genre… me mettre à aimer les filles ?

-Genre ça, oui.

-Non, ça ne fait pas partie des changements.

-J’en prends bonne note.

-Tu … euh… enfin… tu espérais quelque chose ?

-Je demandais ça comme ça, je te taquinais.

 

Nous finîmes l’apéro en papotant et Chloé retourna à la cuisine s’occuper des côtes de veau pendant que je mettais la table, puis nous passâmes un moment simple et chaleureux en dînant toutes les deux. Nous commencions à mieux nous connaître. Je n’en étais pas encore au stade où il deviendrait envisageable de lui raconter ma double vie, et il me semblait d’ailleurs que ce ne serait pas plus mal que Mélanie restât la seule dans la confidence, mais les discussions commençaient à devenir plus personnelles.

Chloé était célibataire, et accumulait les aventures avec des filles rencontrées dans des lieux fréquentés et appréciés par les gays, et également avec des « copines de copines ». Les rencontres fortuites semblaient plus difficiles à entrevoir, tout comme il est certainement difficile pour une femme homosexuelle de deviner l’orientation sexuelle d’une fille uniquement en la regardant.

 

-Mais alors quand vous faites une soirée à cinq ou six amies lesbiennes, chacune connait intimement chaque autre fille ?

-Mais non, on ne tourne pas en vase clos ! Et puis tu ne peux pas être attirée par toutes les filles non plus ! Mais je disais simplement que c’est plus facile d’avoir une aventure dans un groupe de copines dont tu connais les préférences sexuelles à l’avance.

-Je peux faire ma curieuse ?

-Vas-y.

-Tu es … vierge… ? Avec les mecs, enfin, physiquement, quoi…

-Non, répondit Chloé en souriant de ma question sûrement entendue des dizaines de fois de façon aussi maladroite. J’ai d’abord été hétéro, puis je me suis rendu compte que c’était pas du tout mon truc.

-Vers quel âge ?

-Vers dix-huit ans. J’avais couché avec deux mecs, sans que ça ne me fasse grand-chose. Et puis je suis tombée amoureuse d’une nana, et j’ai compris.

-Et dans notre amphi… ?

-Si j’ai déjà pécho une fille du master ?

-Oui.

-Non, mais j’ai bon espoir. Par contre je me suis tapé un mec de notre amphi.

-Mais … comment ça, un mec… ?

-Un soir, après une sortie, pour voir, par curiosité…

-Qui ?

-Mathieu, le mec qui est au premier rang partout. En fin d’année dernière, avant les vacances.

-Il est mignon mais un peu imbuvable, non ?

-Ouais…

-Et alors ?

-Ben ça m’a rappelé les deux mecs de mon adolescence. J’étais pas « dégoûtée » mais je ne me sens pas vraiment excitée au lit avec un mec, ce qu’il me fait ne me fait rien, aucun effet, ou presque, je ne sais pas trop quoi faire avec son corps, donc je le laisse manœuvrer, alors qu’avec une fille je suis très active… Il a dû me prendre pour un sacré mauvais coup. Ce que je suis, d’ailleurs, avec les hommes.

-Il ne savait pas que tu es lesbienne ?

-Pratiquement personne ne le sait. Comment veux-tu que les autres l’apprennent ?

-Oui, c’est pas faux.

-Et toi, ton copain…  Éric, c’est ça ?

-Oui ! Ben écoute c’est assez fabuleux.

-C’est encore tout frais, non ?

-Deux mois.

-C’est la grosse période, niveau câlins…

-On peut dire ça.

-Ça te va très bien, de rougir…

-C’est vrai que c’est assez chaud. Mais c’est pas non plus que ça.

-Du sérieux, donc ?

-Possible, oui.

-Et t’as jamais essayé avec une fille, ou été attirée ?

 

Je repensai à Agnès, qui était venue réaliser son fantasme dans mon salon de massage, entre mes mains qui l’avaient finalement caressée et menée à l’orgasme, alors que j’avais opéré dans une sorte d’état second, à peine consciente de ce que j’étais en train de faire. En dehors de ce jour-là, aucune femme, aussi jolie, intelligente, féminine ou potentiellement attirante soit-elle, ne m’avait jamais fait d’effet et la question de Chloé, « essayer », ne s’était jamais posée.

 

-Non, jamais.

-Et jamais eu d’occasion où tu te sois posé la question ? Une fille qui te drague, par exemple ?

-Et bien non, je ne me suis jamais fait draguer par une fille.

-Ou alors tu ne l’as pas remarqué.

-Pas remarqué ?

-En face d’une fille tu es forcément moins méfiante. Enfin c’est pas le bon terme, mais disons que tu n’es pas dans un rapport dont tu sais qu’il peut être de séduction. Alors qu’avec un mec, tu sais que ça peut arriver.

-Oui, je vois ce que tu veux dire.

 

Il y eut un petit blanc dans la conversation.

 

-Chloé… est-ce qu’il y a un message subliminal que je dois entendre dans tout ça ?

-Pas vraiment.

-Pas vraiment, ça ne veut pas dire non.

-Je peux être franche, miss ?

-Bien sûr.

-Au début, je me suis rapprochée de toi pour te draguer.

-Sérieux ? Les séances de running, c’était pour ça ?

-Oui. Quand je suis venue plus souvent vers toi dans l’amphi ou en TD, je te draguais gentiment. Mais tu ne l’as pas vu.

-Ah non, vraiment pas. Je ne savais même pas que tu étais…

-Oui, oui, c’est normal. Et puis je n’y suis pas allée trop fort. J’ai juste essayé de me rapprocher de toi, pour voir si tu étais aussi sympa que tu étais canon…

-Là je la sens bien, la drague…

-Oui, hein ? Tout à coup c’est plus clair ! Non, blague à part, j’ai vite vu que non seulement tu étais hétéro, mais surtout que t’avais un mec, dont tu m’as vite parlé dès la première séance de running, et je sentais bien que c’était pas juste une aventure, mais vraiment TON mec. Donc j’ai pas cherché à poser mes billes. Par contre on s’est bien entendu toutes les deux, on a continué les séances, on bavarde à la fac, on est devenu copines, et la question sexuelle ne se pose plus.

-Et bien merci pour ta franchise.

-Enfin elle ne se pose plus sauf si dans trois minutes tu me dis « Chloé, j’ai très envie de savoir ce que ça fait de coucher avec une fille ».

-J’ai pas vraiment prévu ça dans l’immédiat, mais je te promets que si un jour je me pose la question, je te la soumets.

-Je ne te choque pas ?

-Ah non, j’arrive à rester copine avec des mecs qui ont tenté leur chance avec bien moins de subtilité que toi… donc je ne vois pas pourquoi ce que tu me dis me choquerait.

-Je vais reformuler. J’espère que ça ne te mettra pas sur la défensive vis-à-vis de moi.

-Je ne pense pas. Merci de me l’avoir dit, en tout cas. C’est surprenant… inattendu et pour tout dire flatteur.

-Fais pas celle qui ignore qu’elle plait à plein de monde.

-Non, c’est pas de la fausse modestie. C’est la façon dont tu me le dis qui est inhabituelle. Les mecs te disent rarement comme ça qu’ils ont envie de te sauter, tu vois…

-Je peux être beaucoup plus crue avec d’autres nanas.

-Tu m’as prise avec des pincettes, donc ?

-Je t’ai dit ça comme à une fille hétéro que j’apprécie beaucoup et que je n’ai ni envie de choquer ni envie de blesser.

-Message reçu.

 

La question ne fut plus évoquée et nous terminâmes la soirée par une tarte aux pommes que la mère de Chloé avait préparée avant de partir. Je quittai son appartement vers dix heures et rentrai à pied, repensant à cette soirée surprenante. J’aimais beaucoup Chloé, qui avait une personnalité atypique. Elle était tout sauf superficielle, et je l’avais sentie à la fois ouverte aux autres, curieuse, disponible et d’une grande gentillesse. Elle avait le courage d’être elle-même, et je m’en étais rendue compte avant même que je ne susse qu’elle était homosexuelle. Cette indépendance d’esprit me plaisait et était pour beaucoup dans l’amitié naissante qu’il y avait entre nous.

Ses aveux sur les premières motivations qui avaient été les siennes vis-à-vis de moi ne me posaient pas spécialement de problème. J’avais d’ailleurs été touchée par sa façon d’exprimer l’amitié qu’elle commençait à ressentir et dont elle acceptait qu’elle prenne la place de ce qu’elle avait espéré au début. Et la perche qu’elle avait lancée « au cas où » m’avait amusée bien davantage qu’elle ne m’avait embarrassée. 

Dès le lendemain, en cours, nous retrouvâmes la même liberté de ton et la même spontanéité.

 

Jeudi à midi pile, je reçus Flavien au salon de massage. Le sommelier rondouillard m’avait laissé une excellente impression. Visiblement la réciproque était vraie, puisqu’il revenait pour une heure un mois exactement après le premier rendez-vous qui avait duré deux fois moins longtemps. Il pénétra dans le local en souriant, avec sa bonhomie communicative, et me tendit cent-vingt euros. L’amateur de vin ne comptait donc plus se contenter de ma jolie lingerie.

 

-Tenez, je vous ai également apporté ceci, comme on avait parlé de vin la dernière fois.

 

Il me tendit une bouteille dont je scrutai l’étiquette avec intérêt. Je n’étais pas spécialement connaisseuse, mais ne demandais qu’à m’initier aux plaisirs de la dégustation.

 

-Mais c’est extrêmement gentil, ça, Flavien.

-C’est une bouteille de ma cave personnelle. On avait évoqué cette appellation la dernière fois.

-Alors attendez… une Côte Rôtie, c’est ça ?

-Exactement.

-Oui, je me souviens, vous y aviez fait allusion parce que je vous parlais d’un Condrieu.

-Voilà ! C’est une bouteille de George Vernay, millésime 2007. Je ne veux pas me vanter spécialement, mais c’est une belle bouteille qui mérite d’attendre un peu. Si vous avez quelque chose à fêter dans cinq ou six ans, ce sera très bien.

-Il faut donc que je la mette en cave !

-Oh si vous voulez la boire demain c’est faisable, mais elle sera meilleure dans quelques années. Avez-vous une cave ?

-Chez mes parents il y en a une, mon père y stocke quelques bouteilles. Je pourrai la laisser vieillir là-bas.

-Excellente idée !

 

Je me dévêtis et le massage commença.

La première demi-heure fut silencieuse. Flavien se laissa bercer par mes mains ainsi que par la musique apaisante, et je ne rompis pas le charme de ce moment en apesanteur. 

Le dialogue reprit quand Flavien se fût retourné et que nos visages face à face facilitèrent la parole.

 

-Lola, je dois vous dire, j’aime beaucoup vos changements.

-Ah mais c’est vrai que vous m’aviez vue avec mes cheveux longs.

-Oui, ça m’a frappé en entrant, et là, vraiment, je trouve que ça vous va très bien.

-Merci !

-Et puis vous avez un tatouage, non ?

-Ah oui, aussi !

-Vous ne l’aviez pas, il me semble.

-Vous êtes observateur dites-donc.

-C’est difficile de ne pas avoir les yeux fixés sur vos jambes, quand on est sur le ventre, vous savez.

-Voyez-vous ça !

 

Après avoir découvert mes seins avec ses yeux, Flavien put en faire la connaissance de façon tactile. Son pénis n’avait pas encore bougé, tant la première moitié du massage avait surtout été lascive et relaxante. Malgré les petits gestes sensuels par lesquels je termine toujours la phase où le client est allongé sur le ventre, aucune érection n’était apparue. Sentir ma poitrine sous ses doigts fut suffisant, et en quelques instants, les petits centimètres au repos qui gisaient sur les replis du ventre rond se gonflèrent, doublèrent leur longueur, et la verge se dressa.

Flavien passa par tous les états. Nous parlâmes peu, mais son ressenti était très présent. Comme je l’avais perçu avec certains clients particulièrement réceptifs, je vivais à travers lui chaque émotion, chaque sensation. Ce lien direct entre le massage effectué et l’effet produit était agréable et motivant. Je tournai autour de la table, livrant mes formes sous différents angles dont il sut profiter de chacun. Ses gestes restèrent toujours respectueux et, si mon corps fut énormément touché, effleuré et caressé, cela ne manqua jamais de tact ni et délicatesse.

Au moment de mettre fin à son heure de bonheur, je redressai légèrement le dossier de la table. Flavien n’avait pas été demandeur, mais je savais que cette position était plus sensuelle, plus près de moi, et que les clients amateurs de tendresse et de proximité la chérissaient. Mon sommelier ne fit pas exception. Il m’enlaça, serrant mon corps contre lui, et embrassa mon sein qui vibrait tout contre son visage, entraîné par les mouvements saccadés que mes mains exécutaient sur sa verge. Le souffle court balaya mon téton tandis que Flavien cherchait mes fesses et mes cuisses, dont ses mains se délectèrent. L’excitation crût rapidement dans cette nouvelle position, et je sentis la raideur fébrile entre mes mains prête à exploser, comme un ballon de baudruche dont on se rend compte trop tard qu’on l’a trop gonflé.

 

-Lola… mmmmh…. s’il vous plait … encore quelques secondes ….

-Oui, Flavien, respirez… ça va bien se passer …

 

Je ralentis mes mouvements, recouvrant provisoirement le gland de son petit chapeau protecteur, comme pour lui dire « à tout de suite ». Flavien inspira et tenta de calmer les émotions qui le submergeaient. Il me regarda et, lovée contre lui, je ressentis cette ambigüe toute puissance qui peut être aussi enivrante que malsaine. Dans cette position, bien que presque nue et entourée de ses bras, il est évident que le pouvoir était entre mes mains. Le pouvoir de donner le plaisir. Celui de décider quand il arriverait, et quand cette montée infernale cesserait pour se répandre en orgasme, qui représentait à la fois l'aboutissement du désir trop longtemps contenu, mais qui en même temps sonnait le glas de ces minutes époustouflantes où l’homme ne sait plus si cela doit continuer ou finir. Il me sembla que jouir de cette puissance était un abus de pouvoir dans lequel je ne me reconnaissais pas. Je ne massais pas pour me faire valoir, mais au contraire parce que j’avais pris goût à ces instants, très occasionnels, vécus avec quelques clients seulement, où je prenais simplement plaisir à en donner autant, tout en restant à l’écoute de leurs souhaits.

 

-Ça va, Flavien, je peux reprendre ?

-Oui, merci de m’avoir laissé un peu de temps.

-C’est bon, on n’est pas aux pièces…

-Ces moments sont tellement incroyables, on n’a pas envie qu’ils finissent.

-Le moment ultime n’est pas le meilleur de tous ?

-C’est difficile à dire. D’un côté bien sûr… car le plaisir est immense au franchissement du point de non-retour. Mais c’est aussi le moment le plus triste car tout va s’arrêter.

-Allons quand même le chercher, ce point !

 

Je relevai d’un cran supplémentaire l’inclinaison du dossier de la table de massage. Flavien reposa sa joue contre mon épaule et ses doigts parcoururent le sein juste en face de son visage. Ma main libéra le gland et le désormais rituel « bec d’oiseau » fondit sur lui, l’enroulant dans ma paume qui le serra avec douceur, décuplant les sensations qui irriguèrent de plus belle la verge qui avait eu sa minute de répit, et reprenait feu d’un seul coup, tel l’incendie spontané s’embrase de lui-même sans autre solution que d’attendre qu’il consume la surface qui l’entretient.

Flavien concentra son attention sur mon sein à sa portée, comme si l’accaparer allait faire diversion et permettre de différer l’inéluctable de quelques secondes dont chacune serait une victoire. Mes doigts gesticulèrent avec brio sur la surface cramoisie et le torse juste en face de moi se gonfla à intervalles de plus en plus courts. Je guettai le moment tant espéré. Ma main gauche se plaça sur la base du pénis et s’y enroula. Mon pouce caressa les fondations du pylône, tandis que ses quatre collègues épousèrent les formes boursouflées dont le sperme s’apprêtait à jaillir. Le bec d’oiseau continua de mordre délicieusement, arrachant des gémissements, accompagnateurs sonores de la montée de Flavien vers son instant béni.

Tout à coup son corps trembla, et j’en ressentis les frissons dans le mien, connecté par ma joue collée à son épaule. Les doigts fébriles recouvrirent mon sein, cherchant un contact le plus charnel possible, comme s’ils avaient voulu partager leur extase avec moi. Flavien manqua s’étouffer et renifla bruyamment, calant son visage dans le creux de ma nuque.

 

-Nous y voilà Flavien… profitez !

-Mmmhh… mmmh… mmmh….

 

Le gémissement monta en intensité autant qu’en fréquence et en rythme. Quand il ne fut plus qu’un son continu, le gland explosa, libérant en un seul jet qui me fit l’impression de ne jamais devoir se terminer, toute la semence d’une heure entière de stimulations incessantes. Flavien me serra, passant son deuxième bras tout autour de moi, jusqu’à ce que l’éjaculation se termine, que la pression dans ses entrailles se dissipe, et que le climax retardé à l’extrême, firmament de quelques secondes impalpables, ne fût plus qu’un merveilleux souvenir, motivant déjà la prochaine séance entre mes mains.

 

Après sa douche, Flavien se rhabilla, encore moite. J’avais utilisé la même huile de lavande que lors de sa première visite, et tout le salon embaumait la Provence. Moi-même je garderais cette senteur sur mon corps jusqu’au soir. Il partit après m’avoir embrassée, promettant de revenir et de continuer à alterner entre Alessia et moi.

 

Tout comme Flavien, Julien était un client de Mélanie. Ce sympathique quinquagénaire aux cheveux gris avait vu mon annonce, puis la page qui m’était consacrée sur notre nouveau site, et à force de parler de moi à Mélanie, celle qu’il appelait Alessia lui avait conseillé de me téléphoner enfin.

Je compris rapidement pourquoi il avait hésité et attendu. Julien était handicapé. Il portait une prothèse sur tout un avant-bras. Je décidai de ne pas mentionner cette particularité tant qu’il ne le ferait pas, et de le traiter exactement comme je traitais mes autres clients. Je ne lui demandai donc pas comment cela était arrivé, ni posai de question hasardeuse sur l’impact de cette situation sur sa vie professionnelle ou sexuelle.

Le fait est qu’il n’évoqua jamais sa prothèse. Elle était là, elle se voyait. Pas besoin d’enfoncer le clou.

 

Julien souhaita que je le masse en lingerie, et je me retrouvai donc en soutien-gorge et string noir pour trois quarts d’heure qui passèrent au rythme de la musique d’ambiance. Julien était peu bavard, visiblement un peu timide, et je le sentis se concentrer sur le massage et les sensations que celui-ci produisait.

Nous échangeâmes quelques mots. Je l’interrogeai à quelques reprises sur ma prestation, souhaitant savoir si elle lui convenait, s’il souhaitait que je sois plus tonique ou au contraire plus douce. Il s’excusa finalement du peu de conversation, m’expliquant qu’il était toujours ainsi, préférant profiter que discuter. Il avait bien raison !

Une fois qu’il fut sur le dos, je procédai à ma lente montée en puissance, faisant peu à peu grimper la température ainsi que le phallus au centre de mon attention. Celui-ci était court mais épais, très épais, même, donnant une image trapue assez inattendue à cet endroit. Julien me demanda poliment l’autorisation de profiter de mon corps. J’étais en lingerie, et il connaissait la règle. Je ne la lui rappelai pas. Je me contentai de lui confirmer qu’il pouvait me toucher, et il laissa sa main valide vagabonder sur moi.

Après que j’eus commencé la finition, je sentis tout à coup quelque chose de dur se frotter à moi. Il me semblait pourtant que la seule chose dure à ce point était entre mes mains, et je tournai donc la tête pour comprendre. A ma grande surprise, emporté par son excitation, Julien avait posé sa main artificielle sur le bas de mon string, contre l’arrondi de mes fesses. J’ignorais s’il pouvait ressentir quelque chose. Cela me sembla peu probable, l’absence de terminaison nerveuse dans la prothèse excluant toute sensation concrète, mais peut-être que le bonheur de savoir que sa main, même sans chair, effleurait le postérieur d’une jeune fille, produisait un plaisir intellectuel tout aussi agréable.

Le fait est qu’il ne retira pas sa main, et c’est pelotée par Terminator que je poursuivis la finition. Une fois entièrement décalotté, le pénis de forme oblongue me fit penser à ces sticks de déodorant qui déposent une couche de gel sur la peau. Après quelques attouchements bien sentis, que je fis durer au-delà du délai prévu, tout comme je l’avais accordé à Flavien, c’est un tout autre gel que la tête pivotante déposa en deux longues giclées qui inondèrent le pubis velu.

Quand il sortit du salon, je crus un instant que Julien allait me dire « I’ll be back ». Au lieu de ça, il m’exprima tout le bien qu’il avait pensé de la séance, et promit de revenir.

Au fait, n’est-ce pas la même chose ?

 

J’aérai la pièce en ouvrant grand les fenêtres, et l’air frais et humide s’engouffra dans le local. Je changeai le disque pour renouveler l’atmosphère musicale, et remis mon short en jean et mon chemisier blanc. Je restai un instant à la fenêtre, profitant de la fraicheur vivifiante de l’après-midi maussade mais néanmoins printanière.

Je vis une luxueuse berline se garer le long du trottoir, face à la maison dont Mélanie et moi occupions la dépendance de l’arrière-cour avec la bénédiction des propriétaires, trop heureux de louer leur local sans cuisine à deux étudiantes dont ils n’allaient pas chercher ce qu’elles pouvaient bien y fabriquer, tant qu’elles payaient un loyer que personne d’autre ne verserait pour cette pièce inhabitable. Martin s’extirpa de la voiture et me vit à la fenêtre. Cet homme sur qui, jouant les Andromaque, j’avais eu un orgasme il y a seulement neuf jours, ouvrit la portière côté passager, et une femme svelte et élégante sortit à son tour de la voiture, dans un très beau et visiblement très cher manteau gris anthracite cintré, qui soulignait une allure à la fois féminine et tonique. L’épouse de Martin avait peut-être un blocage sexuel, mais elle prenait de toute évidence soin d’elle et de son apparence.

 

Le regard de Sophie croisa le mien à travers la bruine d’avril. Je n’y lus aucun défi. Seulement de la curiosité.

 

Oh it’s so good

Oh I’m in love

I feel love

Oh what’ll it be

You and me yeah

Oh I’m in love

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