Par ses yeux, il les avait vus, par ses yeux il l’avait vue et son cœur s’était souvenu.
De l’autre côté de l’Enfer ! De l’autre côté de la Terre !
Un souffle frais lui caressait le visage. Dans le ciel, des étoiles éternelles le contemplaient. C’était le temps du Rêve.
Un jour, les hommes avaient regardé le ciel et il y avait logé le Rêve.
C’était ici que tout avait commencé.
C’était ici que tout s’achèverait.
En tous lieux, l’humanité avait rêvé les dieux.
En retour, les dieux avaient créé les hommes. Et des hommes étaient nées les femmes. Ainsi avaient parlé les dieux, par la voix des hommes.
Mais tous n’étaient pas d’accord, et les femmes, les hommes et les dieux se disputèrent et se dispersèrent, chacun emportant avec eux leurs visions et leurs créations, leurs songes et leurs rêves
installés partout sur la terre, sur les îles et sur les mers. Certains contemplaient le temps et les saisons. D’autres, les saisons et les passions. Cependant, tous vivaient en harmonie.
Ainsi en allait-il des rêveurs qui conversaient avec les dieux dans leurs songes au clair de lune.
Mais s’en vint un jour un dieu jaloux qui décréta que la lumière devait entrouvrir les ténèbres et pourfendre l’Ombre à jamais.
Une guerre terrible s’en suivit, qui vit créatures et créations s’affronter, plongeant alors l’humanité dans la terreur.
Son verbe, brandi alors à la manière d’un flambeau, ce dieu belliqueux chassa les ténèbres et repoussa les rêveurs et les créateurs, prophétisant par la voix de ses enfants le nouvel Âge d’or.
Heureuses étaient les femmes, heureux étaient les hommes qui, après tant d’années passées à se terrer pour échapper au tonnerre et aux éclairs, revoyaient enfin la lumière.
Hélas, d’âge d’or, il ne fut point et le dieu jaloux régna en maître, terrifiant ses ouailles.
Alors les hommes et les femmes s’en allèrent trouver les rêveurs et leur mandèrent de l’aide.
Mais de rêveurs, il n’en était plus, car incapable de retourner dans les songes, un vide s’était creusé en eux et ils étaient morts.
Cependant, un dieu oublié depuis longtemps les prit en pitié et s’en vint à eux.
Il leur expliqua qu’il n’avait rien à craindre de cette divinité tyrannique, car qu’ils l’ignorassent et elle ne serait qu’un souvenir.
Pour se faire, il rêva un nouveau dieu, qui serait bon et juste.
Ainsi détourné le regard des hommes, le dieu belliqueux disparu et l’autre grandit.
Hélas, les hommes avaient appris et certains d’entre eux, plus avides que d’autres, comprirent quel parti ils en tireraient.
Et, s’adressant à leur nouveau dieu, ils lui demandèrent de mettre de l’ordre dans le chaos du monde.
Accédant à leur requête, il ramassa le monde sur lui-même et le récréa à leur manière et il fut satisfait, car il avait ramené la paix.
Sur terre, les hommes vivaient, les femmes vivaient, obéissantes, aveugles, aux préceptes des prêtres qui rapportaient la parole du dieu.
Parfois, certains se rebellaient et alors on les châtiait, en leur expliquant pourquoi leurs pensées étaient mauvaises.
Le temps passait et à défaut de paix, l’ordre se maintenait et le dieu était satisfait.
Que de tyrans, des hommes fussent devenus, lui importait peu,
Que des têtes et des corps tombassent parce que ces hommes ou ces femmes n’avaient pas une pensée juste.
Que des soulèvements, des révoltes, des révolutions fussent matés dans le sang.
Pourvu que le tohu-bohu ne reparût plus, cela n’était pas pour lui déplaire, car il voulait être en paix.
Surtout, il lui était plaisant d’entendre ses enfants répandre sa parole, même si c’était au prix du sang, car alors la dissonance cessait et il était satisfait.
Cependant, ils en étaient, ni des étrangers ni des égarés, mais seulement des hors-sentiers, qui s’étaient mis à rêver et avait rencontré ce rêveur, invocateur leur nouveau maître.
Mais le rêveur ne voulait pas leur parler, car il y avait longtemps qu’il y avait renoncé.
Toutefois, ces égarés étaient restés et il avait cédé, puis les avait accompagnés.
Horrifié par ce qu’était devenue l’humanité, il s’en était allé trouver celui qu’il avait enfanté.
Mais celui-ci avait ricané et d’une pichenette l’avait fait tomber.
Errant parmi ses enfants, il vagabonda des années durant, à la recherche de ses femmes et de ses femmes qui n’avaient pas oublié les temps où la joie et l’harmonie régnaient entre créateurs et créatures.
Or un jour, qu’il marchait dans les terres du levant, son chemin croisa celui d’un homme qui ne lui demanda, en échange de son hospitalité, qu’il lui racontât seulement une histoire.
Mais d’histoire, il ne lui narra et, à la place, il désira lui faire don de son âme, car c’était un sage.
Dans un sourire, l’homme le repoussa, puis accepta, à condition qu’il en conservât un fragment, car il devinait que, dans le temps, cela serait nécessaire.
Confondu, il marqua une hésitation, puis lui confia la part, qu’il mandait, de cette flamme qui brûlait dans son âme.
Séparés, leurs chemins devaient se confondre bientôt, car il ignorait que cet homme lui avait fait un don en échange et, d’une rêveuse, il était tombé amoureux.
Et de leur union était née une fille.
Aussi pour la protéger, il confia à son aimée, le secret de la création
Et alors, qu’a son tour, elle séparait l’âme et la chair de son enfant, il façonna deux compagnons, l’un qui veillerait sur son âme, l’autre sur l’homme qui, dans le futur, les ramènerait à l’endroit où le temps refermerait sa boucle.
Quelque part dans le Temps du Rêve, Trinity sur la Terre.
Au travers de ses yeux, il les voyait, assis autour du feu, les flammes se reflétant dans leurs rétines.
Sereins, ils savaient que s’écrivait en ce moment même la fin, une fin en forme d’incendie qui serait l’ultime cri d’une humanité à l’agonie.
Le visage tourné vers le firmament, il embrassa le champ d’étoiles du regard, autant de rêves que les femmes et les hommes avaient jadis accrochés dans le ciel.