☼ Chapitre 6 - Pia ☼
Comme si la matinée n’avait pas été assez pénible comme ça, j’ai reçu un coup de fil d’Elias juste avant de déjeuner. Après deux mois de relation, il m’avait laissé entendre qu’il comptait profiter de son été “avec ses potes” et faire sa tournée annuelle de festivals “entre mecs”. En gros, il avait envie de s’amuser, et il faut croire que je ne suis pas ce qu’il avait en tête pour ses vacances. Bref, désolée maman, mais tu n’auras pas de gendre à rencontrer cet été. Par contre, quoi de mieux qu’un ex gendre qui attend devant le portail de ma maison familiale depuis un quart d’heure ?
Je secoue la tête en démarrant, priant pour que mes parents soient en vadrouille et que personne ne lui ait ouvert.
Mon cœur bat la chamade, j’ai la bouche sèche et les mains moites. Une envie de disparaître sous terre me prend lorsque j’entends un éclat de rire venir du jardin. Le sien. Rien ne pouvait être plus embarrassant que la scène qui s’offre à moi. Elias est là, assis sur la balancelle, à ma place, légèrement tourné vers son interlocutrice. Ma mère, évidemment, tout sourire, qui écoute attentivement son récit. J’ai presque envie de retourner au verger et faire comme si rien ne s’était passé. Zek aurait continué à me faire la tête, et Elias serait resté dans son van avec ses potes entre deux soirs de festival, comme prévu. Malheureusement, ça ne fera pas disparaitre cette situation délicate, alors je respire un grand coup, et m’avance vers eux. Je n’ai même pas envie de faire semblant d’être polie. Je vais dire à Elias de rentrer chez lui et…
— Alors, ma puce, tu aurais pu nous dire que ton copain était dans le coin ! Je te l’ai dit hier, ça ne nous dérange pas d’accueillir une personne de plus pour l’été.
Pour l’été ? Copain ? Non, et non plus. Qu’est-ce qu’il a bien pu lui dire ? Il a l’air horriblement confiant et détendu. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était il y a trois semaines, et il m’annonçait son programme de l’été, celui qui ne m’incluait nulle part. Alors je lui avais fait comprendre que j’avais besoin d’exister dans ses projets, et que si ce n’était pas possible, il valait mieux s’arrêter là. Il faut croire que je n’avais pas été assez claire. Je déglutis, ignorant la boule qui se forme dans ma gorge. Je mentirais si je disais que sa présence ici, dans le jardin qui m’a vue grandir, me laissait indifférente. La preuve, il m’est impossible de répondre à ma mère. Je reste immobile, incapable de détourner mon regard de celui d’Elias. Cet homme est à l’aise en toutes circonstances. Au restaurant, il ne se confond pas en excuses si le plat qui lui a été apporté n’est pas le bon. Il s’impose, sans jamais être impoli, avec prestance. J’avoue en avoir profité, moi qui serais prête à manger froid quelque chose que je n’aurais pas commandé, juste pour ne pas avoir à interpeller un serveur. Un point pour Elias. Charismatique, ok. Mais s’il n’avait que des qualités, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Le son de sa voix m’enveloppe et me tire de mes pensées.
— On va faire un tour, Pia ? J’ai un tas de trucs à te raconter. Je me suis dit que tu préférerais les entendre de vive voix.
Moi aussi, j’ai des choses à dire. Tiens, que j’ai passé une semaine à pleurer par exemple, parce que j’ai quitté un gars auquel j’étais attachée, mais qui n’avait pas assez de temps à m’accorder ? Que j’ai besoin d’attention, de me projeter, d’être sur la même longueur d’onde que ma moitié, et que ce n’était pas pour lui ?
J’ai presque envie de me mettre en colère. De lui dire qu’on est pas tous comme lui, à vivre dans l’instant, dans l’envie du moment. Même si, parfois, j’aimerais être comme ça, moi aussi. Tout a l’air plus simple. Mais ça ne lui donne pas le droit de débarquer ici comme si de rien n’était ! Pour autant, je n’ai pas envie de faire une scène devant ma mère qui n’a rien demandé, et qui a encore les yeux qui pétillent d’avoir rencontré Elias et son charme légendaire. Je gérerai ça plus tard.
Je hoche la tête en guise de réponse, suivant mon ex jusqu’à son van. Il m’ouvre la portière du côté passager, simulant une révérence en me laissant grimper. Je lui adresse un sourire pincé, pas encore décidée à me détendre.
Je lui laisse le temps de manœuvrer et de sortir de l’allée. A la sortie de la rue, plus rien ne me retient.
— Qu’est-ce qui t’a pris de débouler chez mes parents à l’improviste, sans un message ni un appel, alors que je commençais à peine à…
Je m’interromps, à bout de souffle. Il sourit, ce con. Charisme, aisance, oui. Analyse de l’état émotionnel d’autrui, zéro. Je serre les dents, n’ayant pas envie de lui avouer que les jours qui ont suivi notre rupture m’ont complètement démoralisée.
— Écoute, ma chérie, tu as raison. Je suis désolé. J’aurais dû t’écouter, on aurait trouvé du temps pour nous cet été… je regrette. Mais je suis là, maintenant. Ta mère m’a dit que je pouvais rester un peu, si ça te va bien sûr.
Wow. Ça, je ne m’y étais pas préparée. Elias sûr-de-lui-un-peu-trop-égoïste qui s’excuse, regrette et vient me reconquérir ? J’étais sûre qu’il aurait trouvé quelqu’un d’autre dès la première semaine de célibat. J’ai la tête qui tourne, je ne sais plus quoi penser. Moi qui me sentais si bien avec lui dans ce van quand il me l’a fait découvrir, lors de notre premier weekend ensemble, j’ai maintenant juste envie d’ouvrir la portière et de déguerpir. M’enfuir en courant, aller seule au bord de ma petite rivière, pour oublier cette drôle de journée qui ressemble de plus en plus à un rêve bizarre, à la limite du cauchemar.
— Elias, dis-je avec aplomb, je ne crois pas qu’on ait les mêmes attentes, tous les deux…
Il me coupe la parole en grommelant.
— Mais qu’est-ce qu’il fout celui-là ? Il veut pas marcher sur le trottoir comme tout le monde ?
Je me fige en apercevant la silhouette qui nous barre le chemin. Oh oh. Zek se tient en plein milieu de la route. Il a l’air complètement essoufflé, mais il m’adresse de grands signes de la main. Qu’est-ce qui lui prend ? Il s’approche de la portière qui se trouve de mon côté et l’ouvre, se faufilant à côté de moi sans rien demander. Alors qu’il s’adresse à Elias d’un ton enjoué et chaleureux, et je fronce les sourcils en l’entendant s’exprimer ainsi. Mais qui est cet homme, et où est le Zek que je connais ?
— Salut, Elias ! Zek, un des trois meilleurs potes de Pia, dit-il en lui tendant la main. Je vous ai aperçus et je me suis dit que j’allais te faire visiter le coin.
Un immense sourire traverse son visage et illumine son regard gris acier. Il faut dire qu’il ne m’avait pas fait grâce bien souvent de ce sourire flamboyant, et je frémis en l’entendant se présenter comme étant l’un de mes meilleurs amis. Les bouclettes brunes qui parsèment son front lui confèrent un air angélique, et il me suffit de l’observer quelques secondes pour me rappeler du succès fou qu’il avait avec les filles lorsque nous étions au lycée. Elias arque un sourcil interrogateur, répondant à Zek sans pour autant lui rendre sa poignée de main.
— C’est vrai, Pia ? Désolé mec, jamais entendu parler de toi.
Je hoche la tête positivement. Aïe. Le sourire d’ange s’est évanoui. Zek ignore sa réponse et commence à indiquer une direction à Elias. Je ne sais pas où nous allons, mais j’ai l’impression que ce soir, ma vie ne sera plus celle qu’elle était ce matin.